L'Union européenne et la gestion des crises

Stratégie, sécurité et défense

Quentin Perret

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13 mars 2006

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Quentin Perret

Directeur du Pôle Énergie et Europe élargie de l'Atelier Europe.

Le concept de gestion des crises couvre un spectre de situations et d'activités assez large. Il désigne toutefois essentiellement les interventions destinées à mettre un terme aux conflits armés, à protéger les populations civiles et à reconstruire les territoires dévastés. Principalement militaires à l'origine, les opérations de gestion de crises combinent désormais les moyens militaires et civils, ces derniers étant chargés de rétablir le bon fonctionnement des services de l'Etat dans le cadre de la reconstruction des territoires.

La gestion des crises a longtemps eu une vocation interne. Son inscription au coeur de la Politique Etrangère et de Sécurité de l'Union européenne, depuis le début des années 90, s'explique par le phénomène des "Etats défaillants", apparus sur de nombreux points du globe depuis la fin de la guerre froide. Cette "déliquescence des Etats" est dorénavant considérée comme une des menaces principales pour la sécurité européenne. Aussi l'Union européenne s'est-elle dotée des moyens nécessaires pour parer à cette menace.

La "construction des Etats" est considérée par de nombreux auteurs comme un élément clé d'une vraie politique de sécurité internationale [1]. Cet objectif, qui est celui de la politique européenne de gestion des crises, soulève des problèmes redoutables. Au minimum, une telle entreprise exige à la fois des ressources considérables et une panoplie complète de savoir-faire. Volonté et doigté politiques sont indispensables, tant pour s'assurer de la coopération des populations et de leurs élites sur le terrain que pour garantir qu'une entreprise nécessairement de longue haleine ne sera pas abandonnée en cours de route, notamment face aux difficultés. Finalement se pose la question de savoir si l'Etat, type de régime éminemment particulier, doit être considéré comme une forme politique universelle et universalisable [2].

I- Gestion des crises et politiques étrangères européennes

A- L'Union européenne dans les relations internationales

L'émergence d'une capacité européenne de gestion des crises est le produit de deux évolutions : l'extension des compétences internationales des Communautés européennes depuis 1957 et la création et l'évolution de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune depuis 1992.

1) La Communauté et les Relations Extérieures

Les compétences de la Communauté économique européenne fondée en 1957 sont essentiellement économiques et commerciales. Le monopole des relations commerciales entre la Communauté et les Etats tiers a toutefois conféré d'emblée à la Commission européenne un poids important sur la scène internationale. En dehors du cadre multilatéral du GATT, des Accords d'Association règlent dès les années 60 les rapports commerciaux entre la Communauté et certains Etats ou organisations régionales tiers. Ces Accords d'Association sont rapidement complétés par des Accords de Coopération et de Partenariat, qui permettent à la Communauté d'étendre ses compétences dans des domaines tels que la coopération, l'aide au développement et le soutien macro-économique. Tandis que les négociations relatives aux engagements économiques et politiques liés à ces Accords débouchent sur un dialogue approfondi entre la Commission et ses partenaires, les programmes de coopération de long terme sont progressivement complétés par des outils d'intervention de court terme, destinés à répondre aux situations d'urgence et/ou à initier la mise en oeuvre des outils géographiques de long terme. Au début des années 90, la Communauté dispose ainsi de toute une gamme d'outils et d'instruments lui permettant de peser sur l'évolution interne de ses partenaires.

2) L'émergence de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune

L'entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993 marque la naissance de l'Union européenne. Celle-ci est bâtie sur trois piliers : les institutions et compétences assemblées par les Communautés européennes depuis 1957 ; les coopérations judiciaire et policière (JAI) ; une Politique Etrangère et de Sécurité Commune (PESC), décidée et mise en oeuvre par les Etats membres réunis en Conseil [3].

La première définition de la Politique Européenne et de Sécurité Commune date de 1992. Avec la fin de la guerre froide et les débuts de la guerre en Yougoslavie, l'Union de l'Europe Occidentale propose une réorganisation des armées européennes autour de trois missions fondamentales : les missions humanitaires et d'évacuation ; les missions de maintien de la paix ; les missions de combat pour la gestion des crises et le rétablissement de la paix. Ces missions dites de Petersberg seront incorporées au Traité sur l'Union Européenne [4] lors de la signature du traité d'Amsterdam en 1997. Ce dernier traité crée le poste de Secrétaire général du Conseil de l'Union européenne - Haut Représentant pour la PESC (poste confié à Javier Solana en 1999) et confère au Conseil européen une compétence d'orientation renforcée en matière de sécurité et de défense. En décembre 2000, le traité de Nice décide l'incorporation de l'UEO au sein de l'Union européenne, crée des structures permanentes au sein du Secrétariat général du Conseil pour traiter des questions de la PESC et définit de manière générale les relations de l'Union avec les pays tiers et l'OTAN en matière de défense.

Le véritable coup d'envoi de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) date en réalité du sommet franco-britannique de Saint-Malo en décembre 1998. Les objectifs fixés lors de ce sommet en matière de défense européenne sont ratifiés par les autres Etats membres lors du Conseil européen de Cologne (juin 1999). Le Conseil européen d'Helsinki (décembre 1999) aboutit à la définition d'un Objectif Global (Headline Goal) visant à doter l'UE d'une "capacité d'action autonome soutenue par des forces militaires crédibles" ainsi que par des forces d'appoint civiles [5]. La nature et l'importance de ces capacités civiles sont définies lors des Conseils européens de Feira (juin 2000) [6] et de Göteborg (juin 2001). En 2002, la PESD est élargie à la lutte contre le terrorisme, tandis que sont formalisées les modalités de coopération entre la PESD et l'OTAN [7]. En 2004 est proclamé l'Objectif Global 2010 (Headline Goal 2010), qui prolonge et complète l'Objectif Global défini à Helsinki en 1999 [8].

B- Une définition européenne de la gestion des crises

Les missions de Petersberg mettaient l'accent sur le maintien ou le rétablissement de la paix, ainsi que sur la protection des populations civiles. La stratégie européenne de sécurité, publiée en 2003, adopte une conception plus offensive de la politique européenne de gestion des crises. Le document souligne que, dans un monde où " les marges de manoeuvre dont disposent des groupes non-étatiques pour jouer un rôle dans les affaires internationales" [9] se sont considérablement accrues depuis la fin de la guerre froide, la sécurité européenne et internationale est indissoluble de la capacité de l'ensemble des Etats à maintenir l'ordre sur leur propre territoire. La "déliquescence des Etats", qui " sape la gouvernance mondiale et ajoute à l'instabilité régionale", apparaît donc comme une menace de premier ordre. Rétablir l'autorité des Etats là où celle-ci a disparu constitue ainsi le but ultime de la politique européenne de gestion des crises.

Considérées sous l'angle du soutien ou de la construction des Etats, les opérations de gestion de crise peuvent comporter plusieurs phases : la prévention, qui s'efforce d'empêcher le déclenchement de conflits internes et l'effondrement des autorités centrales ; l'intervention, qui vise à mettre un terme au conflit interne lorsque celui-ci s'est déclenché ; la stabilisation, qui suit immédiatement l'intervention ; et la reconstruction matérielle et institutionnelle, visant à rétablir une autorité étatique légitime et efficace.

II- La gestion des crises en action

A- Les acteurs européens de la gestion des crises

1) Les institutions communautaires

La Commission européenne met en oeuvre sa politique extérieure et de gestion des crises à partir de 5 Directions Générales (Relations Extérieures, Commerce, Elargissement, Développement [10], Aide Humanitaire [11]) contrôlées par 4 Commissaires [12] qui constituent le Groupe des Commissaires pour les Relations Extérieures, présidé par le Président de la Commission.

Les instruments de gestion de crises dont dispose la Commission sont pour l'essentiel des instruments préventifs et de long terme [13]. Les différents Accords géographiques conclus entre la Communauté et ses partenaires contiennent différentes modalités pouvant servir plusieurs objectifs [14], tels que le dialogue politique ; les accords économiques et commerciaux ; le soutien macro-économique ; la coopération et l'aide au développement ; le secours d'urgence ; l'aide à la reconstruction [15]. La mise en oeuvre de ces différents outils et moyens est conditionnée au respect par les partenaires de l'Union de certains critères politiques, en particulier en matière de bonne gouvernance. La Commission peut également décider de suspendre ces Accords, dans le cadre de sanctions adoptés contre un Etat délinquant [16].

Au cours des dernières années, la Commission s'est par ailleurs dotée d'instruments sectoriels lui permettant d'intervenir dans des situations d'urgence ou dans des environnements politiquement instables [17]. Ces instruments vont au-delà de la prévention et concernent les phases de stabilisation et de reconstruction, tant à l'intérieur des frontières de l'Union qu'à l'extérieur. Leur mobilisation fait l'objet d'une prise de décision accélérée. Les principaux instruments sont :

L'assistance financière exceptionnelle ;

Les instruments financiers de long terme ;

Le Mécanisme de Réaction Rapide (MRR) ; [18]

Le Mécanisme de Protection Civile . [19]

Le rôle de la Commission dans la définition de la PESC est beaucoup plus modeste [20]. L'Unité Prévention des Conflits et Gestion des Crises, au sein de la Direction A (PESC) de la DG RELEX, est toutefois chargée de coordonner les activités de la Commission relatives à la prévention des conflits, notamment les actions entreprises par le biais du MRR. Son rôle consiste en outre à fournir une expertise technique pour tous les aspects civils de la gestion des crises. Elle participe également à la veille stratégique et à la surveillance des zones de crise potentielle, en coopération avec le Centre de Situation. Son activité a notamment permis d'intégrer des indicateurs de prévention des conflits au sein des programmes d'assistance conclus avec les pays tiers.

2) Le Conseil de l'Union européenne

Le Conseil de l'Union européenne est l'administration permanente rattachée au Conseil des Ministres. Au terme du traité de Maastricht, ce dernier est en charge de la définition et de la mise en oeuvre de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune. Pour ce faire, il a progressivement été doté d'une série d'organismes visant à lui permettre d'élaborer et de mettre en oeuvre une politique commune de gestion de crises.

Le Haut Représentant et le Secrétariat du Conseil. Le Haut Représentant dirige le Secrétariat du Conseil divisé en 9 Directions Générales. La DG E, chargée des Relations Extérieures, est elle-même divisée en 9 Directions géographiques ou fonctionnelles. La DG E9 est chargée de la gestion civile des crises. De celle-ci dépend l'Unité de police, organe de planification et de conduite des missions de gestion de crise comportant un déploiement policier ; l'Unité de planification et d'alerte rapide (Unité politique), outil d'analyse géopolitique et stratégique au service du Haut Représentant ; et le Centre de situation (SITCEN), unité de renseignement, d'analyse et d'alerte fonctionnant 24h/24 et 7j/7.

La division du Conseil en charge de définir la PESC est le Conseil Affaires Générales et Relations Extérieures (CAGRE), qui réunit les ministres des Affaires Etrangères des Etats membres. Les réunions en sont préparées par le Comité des Représentants Permanents (COREPER). Le CAGRE est assisté dans son travail par une série d'organismes rattachés au Conseil et au Secrétariat :

Le Comité Politique et de Sécurité (CoPS). Principal acteur du processus décisionnel dans les domaines de la PESC et de la PESD, composé d'ambassadeurs des différents Etats membres, il assure le " contrôle politique et la direction stratégique" de la PESC, en coordination avec le Comité militaire et le Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM), dont il reçoit les avis et les recommandations et à qui il adresse ses directives.

Le Comité Militaire (CMUE), composé des chefs d'état-major des Etats membres ou de leurs représentants, suit le déroulement des opérations militaires et formule des avis et recommandations au CoPS sur tous les aspects militaires de la PESD. Il dirige l'état-major de l'Union européenne (EMUE).

L'EMUE remplit trois fonctions opérationnelles principales : l'alerte rapide, l'évaluation des situations et la planification stratégique pour les missions de l'Union. Il est également chargé de la mise en oeuvre des décisions d'intervention, en fonction des directives du CMUE.

La cellule civilo-militaire a pour but de " renforcer la capacité de l'EMUE à assurer l'alerte précoce, l'évaluation de situation et la planification stratégique". Elle assure la liaison entre les organes civils et militaires de l'Union dans le cadre des opérations de prévention ou de gestion des crises.

Un centre d'opération devrait être disponible à l'été 2006. Il sera composé de personnels en provenance de l'EMUE et des Etats membres.

Le Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM), composé de représentants des Etats membres, formule des recommandations et avis à destination du CoPS sur les différents aspects civils de la gestion des crises : police, Etat de droit, administration et protection civiles. Il développe les concepts et instruments d'action, y compris les capacités, relatifs à la gestion civile des crises, suit le déroulement des opérations civiles et prépare les sorties de crise.

Le Groupe politico-militaire (GPM) assure la préparation des dossiers transversaux relevant des domaines civils et militaires avant leur examen par le CoPS.

Le Groupe des Conseillers pour les Relations Extérieures (RELEX) rassemble les conseillers en charge des relations extérieures de chaque représentation permanente. Sa vocation est de traiter tous les aspects horizontaux, notamment institutionnels, juridiques et budgétaires, du domaine PESC/PESD.

3) Les autres acteurs : alliances, organisations régionales et Etats tiers

Le caractère hybride des opérations de gestion de crise ainsi que les implications internationales de ce type d'opérations signifient que l'Union européenne agit rarement seule. La phase d'intervention, en particulier, qui requiert l'emploi de la force, nécessite à la fois un mandat international (généralement l'aval du Conseil de Sécurité de l'ONU) et la collaboration d'organisations ou Etats tiers, voisins de la zone de crise ou alliés traditionnels de l'Union européenne.

Parmi les alliances susceptibles d'épauler les interventions européennes, l'OTAN figure au premier rang [21]. Les organisations régionales avec lesquelles collabore l'Union incluent notamment l'Union Africaine [22] ou l'ASEAN. Quant aux Etats tiers, leur contribution fait désormais l'objet d'accords de participation [23], chargés de régler les modalités de leur collaboration avec l'Union.

B- La gestion des crises en action

1) La prise de décision

L'Union européenne s'est dotée de procédures de décision accélérée, lui permettant d'adapter ses outils d'intervention aux différentes étapes d'une crise.

On distingue la phase de routine (phase de surveillance, de planification, d'anticipation et d'alerte avancée) ; le développement de la crise et l'élaboration d'un concept de gestion de crise (après le déclenchement d'une crise, le CoPS considérant qu'une intervention de l'UE pourrait être appropriée, élabore un Concept de Gestion de Crise (CGC) décrivant les intérêts politiques de l'UE, l'objectif final recherché, ainsi que les principales options stratégiques disponibles) ; l'approbation du concept et le développement des options stratégiques (après approbation du CGC par le Conseil, le CoPS charge le CMUE d'élaborer des options militaires stratégiques, ainsi que d'éventuelles options stratégiques d'action civile et policière) ; la décision formelle d'agir et l'élaboration des documents de planification (le Conseil peut alors, aux termes de l'art. 25 du TUE, confier au CoPS une délégation de pouvoir permettant à ce dernier d'assurer le contrôle politique et la direction stratégique de l'opération), la mise en oeuvre des mesures choisies, enfin le recentrage de l'action de l'UE et la fin de l'opération [24].

2) Le financement des opérations

Les modalités de financement des opérations sont réglées par l'article 28.3 du Traité sur l'Union européenne. Les opérations civiles de gestion de crise sont financées sur le budget PESC (doté de 62,6 millions d'euro en 2005) [25], qui est une sous-rubrique du budget communautaire gérée par la Commission mais dont l'utilisation des fonds est décidée par le Conseil.

Les opérations ayant des implications militaires ne peuvent en revanche pas être financées sur des fonds communautaires. Une partie de ces dépenses est mutualisée et répartie entre les Etats membres selon leurs PNB. Un mécanisme administratif et financier appelé Athéna gère depuis 2004 ces coûts communs [26], depuis la phase préparatoire jusqu'à la liquidation des opérations [27]. Le reste des dépenses est financé directement par les Etats membres en fonction de leur participation. En pratique, moins de 10 % du coût total d'une opération militaire de gestion de crise est mutualisée.

3) Les opérations de l'Union

Depuis trois ans, l'Union a multiplié les opérations de gestion de crise dans son étranger plus ou moins proche. Ces opérations couvrent l'ensemble des phases de gestion d'une crise.

Tableau 1 : Interventions extérieures de l'Union européenne

III- Bilans et perspectives

A- Succès et insuffisances des méthodes européennes de gestion des crises

La multiplication des opérations de gestion de crise menées par l'Union européenne au cours des dernières années permet d'esquisser un premier bilan de la " méthode européenne" de gestion des crises. Selon de nombreux observateurs, les capacités et le savoir-faire de l'Union européenne en matière de gestion civile des crises dépassent désormais les capacités de l'OTAN ou des Etats-Unis [29]. Des insuffisances subsistent néanmoins, tant dans le processus décisionnel de l'Union européenne que dans les capacités d'intervention et d'action de cette dernière.

1) Un processus décisionnel problématique

L'absence d'autorité unique en matière de politique étrangère constitue l'obstacle essentiel à l'efficacité et à la pérennité de l'action extérieure de l'Union européenne. A la division des compétences entre la Commission et le Conseil s'ajoute en effet le risque permanent d'un désaccord entre Etats membres à l'intérieur même du Conseil.

S'agissant de la première de ces divisions, le traité constitutionnel prévoyait d'unifier en une seule personne les postes de Commissaire européen aux Relations extérieures et de Haut Représentant pour la PESC / Secrétaire général du Conseil. Le rejet du texte, en attendant une hypothétique adoption de ses dispositions institutionnelles, ne laisse pour l'heure d'autre choix que des solutions de coordination ad hoc.

En mars 2003, le Conseil avait formulé des " suggestions de procédure pour une gestion européenne des crises cohérente et globale" [30]. Les opérations les plus récentes suggèrent que la Commission et du Conseil sont désormais capables de coordonner très rapidement leurs outils de gestion de crise dans les situations d'urgence [31]. Le risque de rivalité et de contradiction mutuelle subsiste néanmoins, qui ne pourra être durablement surmonté que par l'arbitrage et une forte volonté politique des Etats membres.

En dépit de l'unité démontrée lors des récentes opérations extérieures, ces derniers restent séparés par des traditions et tropismes géographiques divergents [32]. Ces divergences ont été atténuées jusqu'à présent par la nature relativement consensuelle des opérations entreprises, dont l'ampleur et la dimension militaire sont restées limitées et qui bénéficiaient de l'assentiment des institutions internationales et atlantiques. Une situation contraignant l'Union européenne à entreprendre seule une opération militaire de grande envergure constituerait de ce point de vue un véritable test. Une telle situation requérrait vraisemblablement une coordination étroite entre la France et le Royaume-Uni, et entre ces deux pays et leurs partenaires.

Pour les crises plus ordinaires, la capacité des Etats européens à agir en commun apparaît de plus en plus satisfaisante. L'usage accru des coopérations renforcées ou structurées semble devoir accroître cette capacité d'action commune [33]. Il est en tout cas dans l'intérêt de chacun que la coordination entre les membres de l'Union à chaque étape du déroulement d'une crise se renforce à l'avenir.

2) Le renforcement des capacités militaires

Dans le sillage du programme adopté par le Conseil européen de décembre 2004, le renforcement des capacités d'intervention des armées européennes est désormais à l'ordre du jour. Les lacunes en la matière sont connues et identifiées [34] :

Capacités de transport stratégique. Les capacités européennes en la matière étant insuffisantes, l'Union est contrainte de recourir à des équipements achetés ou loués à des partenaires étrangers, essentiellement les Etats-Unis, la Russie et l'Ukraine. Or de la capacité de transport stratégique dépend la capacité de projection de forces. La réalisation de l'A400M permettra de combler en partie cette lacune, mais les premières livraisons ne sont pas attendues avant 2007, et le nombre prévu est généralement considéré comme insuffisant.

Standardisation et interopérabilité. Cet objectif est indispensable pour permettre à différentes armées européennes d'agir de concert. Sa mise en oeuvre est toutefois particulièrement complexe. Le Plan d'Action Européen sur les Capacités constitue une première étape [35], qui devra être relayé par une action soutenue de l'Agence Européenne de Défense.

Renseignement stratégique. Le volet militaire de la gestion des crises requiert une connaissance précise et actualisée du terrain d'opération, ce qui suppose des moyens humains et techniques de renseignement particulièrement efficaces. Cet objectif se heurte notamment à l'absence d'un véritable service de renseignement européen et aux limites existantes à la coopération entre services de renseignement nationaux. Les progrès du programme spatial européen et la mise en oeuvre du programme GMES à partir de 2008 devraient néanmoins offrir à l'Union européenne des moyens de reconnaissance spatiale particulièrement performants.

3) Le renforcement des capacités civiles

Le Conseil européen de juin 2004 a adopté un plan d'action pour les capacités civiles de gestion des crises. Ce plan d'action identifie des priorités en matière de renforcement et d'intégration des capacités européennes et fixe comme échéance l'horizon 2008 pour la réalisation de l'objectif global pour les capacités civiles (Civilian Headline Goal 2008).

A la fin de l'année 2004, les Etats membres avaient mis à la disposition de l'Union 5 761 officiers de police, 631 spécialistes de l'Etat de droit, 562 administrateurs civils et 4 988 personnels de protection civile. Les engagements pris par les différents Etats dans le cadre de l'Objectif Global 2008 ont été confirmés au cours de l'année 2005. La Conférence d'Amélioration des Capacités Civiles du 21 novembre 2005 n'en a pas moins identifié les progrès restant à accomplir [36]. Ces progrès concernent en particulier la rapidité de déploiement des personnels civils sur le lieu d'une crise et la qualité du savoir-faire de ces personnels. La Conférence a donc proposé l'établissement d'une " liste ciblée" des lacunes capacitaires à combler en priorité, ainsi qu'un effort d'amélioration de la formation des personnels et le renforcement de la coordination entre Etats membres dans ce domaine, notamment par le biais d'un échange des " meilleures pratiques". La Conférence suggère également de renforcer l'implication des Etats membres à toutes les étapes des opérations de gestion de crise de l'Union européenne et souligne la nécessité de poursuivre les efforts de chacun afin que les objectifs fixés pour les capacités civiles de la PESC puissent être atteints.

La Commission européenne a, de son côté, reconfiguré ses programmes d'assistance et de coopération de manière à favoriser les objectifs de la PESC en matière de résolution des conflits, de gestion des crises et de consolidation des structures étatiques [37]. En septembre 2004, elle a par ailleurs proposé la mise en place d'un Instrument de Stabilité, destiné à renforcer la cohérence et la rapidité des réponses européennes aux désastres naturels. Cette réflexion s'est accélérée après le tsunami de décembre 2004. Après le Plan d'Action présenté par la présidence luxembourgeoise le 31 janvier 2005, la Commission a proposé, dans une Communication du 20 avril 2005, une série de mesures destinées à " renforcer la capacité de l'Union européenne à faire face aux crises et aux désastres dans les pays tiers" [38]. Les mesures proposées visent en particulier à renforcer la rapidité et la réactivité des mécanismes de distribution de l'aide humanitaire dans les zones sinistrées [39], à approfondir la cohérence et la coordination des politiques nationales, communautaires et internationales et à renforcer le Mécanisme Communautaire de Protection Civile, en " renforçant les liens entre les programmes de la Communauté et les capacités civiles et militaires de l'Union européenne". Le 27 janvier 2006, la Commission a en outre proposé une série de mesures destinées à renforcer le Mécanisme de Protection Civile de l'Union [40].

B- Vers une culture européenne de gestion des crises

Les opérations de gestion de crise et de (re)construction étatique sur un territoire donné se heurtent à de nombreux obstacles potentiels : incertitude quant au statut international du territoire concerné [41], coexistence sur ce territoire de communautés antagonistes, existence de traditions morales et politiques incompatibles avec la démocratie libérale, voire avec la forme même de l'Etat moderne, bureaucratique et laïque [42]. La réflexion européenne en matière de gestion des crises ne peut dès lors se limiter à des questions de procédures et de capacités, mais doit comprendre une dimension théorique. Les recherches dans le champ des cultures politiques comparées, voire des questions de philosophie politique, devront trouver leur place dans la définition de la stratégie extérieure de l'Union. C'est en prenant en compte la possibilité du caractère non universalisable de son propre modèle politique et en se disposant à agir en conséquence, que l'Union européenne sera la mieux préparée à affronter la complexité et le caractère sans doute imprévisible des crises du XXIe siècle [43].

Conclusion

En dépit des progrès considérables constatés ces dernières années, il est probablement trop tôt pour conclure au succès pur et simple de la méthode européenne de gestion des crises. La plupart des opérations engagées par l'Union ne sont pas encore arrivées à leur terme ; la question de la capacité future des territoires pris en charge à se gouverner par eux-mêmes, ainsi que celle de la légitimité politique interne et internationale de leurs nouvelles autorités, restent bien souvent en suspens. De plus, ces opérations sont jusqu'à présent restées limitées dans leur ampleur. Personne ne peut prédire comment réagiraient l'Union et ses Etats membres face à une crise politico-militaire de grande envergure.

L'Histoire récente démontre toutefois très clairement que la seule puissance militaire ne suffit pas à résoudre les crises contemporaines. Une intervention armée que ne suivrait pas un effort soutenu de stabilisation et de reconstruction d'une structure politique viable risque au contraire de dégénérer en un désordre incontrôlable. Le rétablissement de l'ordre politique interne sur les territoires qui en sont dépourvus constitue bien le défi fondamental de l'époque actuelle. En ayant d'emblée adopté une approche globale, à la fois civile et militaire, de la gestion des crises, et en poursuivant le renforcement de ses capacités d'action et de ses outils d'analyse, l'Union européenne s'affirme comme un pourvoyeur majeur de sécurité au niveau international.


[1] Cf. Francis Fukuyama, State Building, Profile Books, 2004, p. xvii-xx.
[2] Cette question se pose avec une acuité redoublée lorsque, comme c'est le cas pour l'Union européenne, l'objectif général fixé aux opérations de gestion de crise est l'établissement, non de n'importe quel type d'Etat, mais d'un Etat libéral et démocratique.
[3] Le traité de Maastricht prévoyait que les Etats " veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions communes". Le Traité sur l'Union européenne affirme aujourd'hui que " les Etats membres appuient activement et sans réserve la politique extérieure et de sécurité de l'Union dans un esprit de loyauté et de solidarité mutuelle" (Titre V, art. 11.2)
[4] Titre V, art. 17.2.
[5] L'objectif global défini à Helsinki en 1999 prévoyait la création d'une Force de Réaction Rapide de 60 000 hommes, déployable en 60 jours pour une durée d'un an.
[6] Les engagements pris à Feira en matière de capacités civiles comportent 4 volets : la création d'une force de police européenne de 5 000 hommes, dont 1 000 déployables en 30 jours ; la mise à disposition de 200 experts dans le domaine de l'Etat de droit (juges, procureurs et avocats), comportant un groupe de réponse rapide déployable en 30 jours ; la création d'un corps d'experts en administration civile ; et la création de 2 ou 3 équipes de 10 experts en protection civile, capable de se rendre en quelques heures sur le lieu d'un désastre, ainsi qu'une force de protection civile de 2 000 hommes déployables ultérieurement.
[7] Par les accords dits de " Berlin plus" (décembre 2002). Ces accords comportent quatre points principaux : la mise à disposition de l'UE des capacités de planification opérationnelle de l'OTAN pour les missions PESD ; la prise en compte de cette disponibilité dans la mise au point des plans militaires de l'UE ; l'accès de l'UE aux structures de commandement de l'OTAN (y compris celles du Commandement Suprême Allié Adjoint pour l'Europe) pour la mise en oeuvre des opérations européennes ; la prise en compte dans le système de planification de l'OTAN de la mise à disposition des forces de l'Alliance pour des opérations européennes. La condition implicite des accords est que l'Union ne s'engagera elle-même dans une opération que lorsque l'OTAN n'est pas impliquée.
[8] Le nouvel objectif global défini en 2004 prévoit à la fois une extension des missions de Petersberg (incluant désormais les opérations de désarmement conjointes et le soutien aux Etats tiers dans la lutte contre le terrorisme et la réforme des services de sécurité) et le renforcement des capacités militaires européennes grâce à l'entrée en vigueur de l'Agence Européenne de Défense. Le sommet informel des ministres de la Défense de Noordwijk (septembre 2004) décide par ailleurs la création de 9 " groupes de combat" (battle groups). Ces groupes de combat sont composés de 1 500 hommes, déployables en 10 jours pour une période d'au moins 30 jours (120 grâce aux rotations). Leur nombre a été augmenté depuis. Toujours à Noordwijk, il est également décidé de créer une Force de Gendarmerie Européenne de 3 000 hommes déployables en 30 jours et capables de servir lors de chaque phase de gestion d'une crise.
[9] Parmi ces groupes non étatiques, le document cite en particulier le " terrorisme" et la " criminalité organisée".
[10] Les programmes européens d'Aide au Développement sont mis en oeuvre par l'agence EuropeAid.
[11] Les programmes d'aide humanitaire sont coordonnés et mis en oeuvre par l'ECHO (Office Européen d'Aide Humanitaire). La ligne budgétaire consacrée à ces programmes était de 490 millions d'euro en 2004.
[12] Les DG Développement et Aide Humanitaire sont réunies sous un seul Commissaire, actuellement Louis Michel.
[13] Cf. Communication de la Commission sur la Prévention des Conflits, COM (2000), 11 avril 2001.
[14] Cf. Civilian Instruments for EU Crisis Management, European Commission Conflict Prevention and Crisis Management Unit, April 2003. http://europa.eu.int/comm/external_relations/cfsp/doc/cm03.pdf
[15] Grâce à l'Agence européenne pour la Reconstruction, établie en 2000.
[16] Les sanctions économiques et commerciales adoptées contre la République fédérale de Yougoslavie entre 1998 et 2000 ont pu contribuer à l'évolution politique favorable de ce pays.
[17] L'art. 308 du TUE prévoit la possibilité de créer, le cas échéant, de nouveaux instruments communautaires pour la gestion des crises.
[18] Ce mécanisme est à la fois un instrument d'urgence autonome et un mécanisme de transition ouvrant la voie aux programmes d'assistance de long terme et aux principaux instruments de coopération communautaires. Il est financé par une ligne budgétaire spécifique.
[19] Ce mécanisme coordonne l'aide des pays membres de l'Union et de 5 autres pays européens aux pays victimes de catastrophes, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union. Il consiste à fournir aux populations du matériel de secours d'urgence dans les premiers jours suivant la catastrophe.
[20] Le montant alloué aux programmes PESC de la Commission était inférieur à 50 millions d'euro en 2004, soit 0,6 % du budget consacré aux Relations Extérieures (le pourcentage consacré aux transferts financiers aux futurs Etats membres de l'Union était quant à lui supérieur à 40 %).
[21] En charge jusqu'en 2004 des forces de stabilisation en Bosnie et, encore actuellement, au Kosovo.
[22] Etablie le 19 avril 2004, la Facilité de Soutien à la Paix pour l'Afrique a pour but de " renforcer la capacité de l'Union africaine à se lancer dans des opérations de soutien et de maintien de la paix". 250 millions d'euro, prélevés sur le Fonds Européen d'Aide au Développement, serviront ainsi à soutenir les initiatives de l'Union africaine visant à résoudre les conflits en Afrique. Cette Facilité, qui a notamment servi à soutenir l'intervention de l'Union africaine au Darfour, complète les programmes européens de coopération et de formation des forces armées et policières africaines.
[23] Cf. House of Commons European Scrutiny Committee, 10th Report, Section 9 (3 March 2004) et 17th Report, Section 8 (7 May 2004). http://www.publications.parliament.uk/pa/cm/cmeuleg.htm
[24] Cf. le Petit Guide de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense publié par la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, p. 25-26.
[25] La somme actuellement en cours de négociation pour 2006 est de 102 millions d'euros.
[26] Cf. décision du Conseil n° 197/04, 23 février 2004.
[27] Sauf pour le Danemark, qui bénéficie d'une clause d'exemption.
[28] Montant de référence déterminé par le Conseil au moment de la décision d'intervention.
[29] Cf. James Dobbins, "Friends again?", EU-US relations after the crisis, Institut d'Etudes de Sécurité de l'Union européenne, 2006, pp. 26-28.
[30] Council Secretariat Document N° 7116/03.
[31] Cf. Pierre-Antoine Braud, Giovanni Grevi, The EU Monitoring Mission in Aceh : implementing peace, Institut d'Etudes de Sécurité de l'Union Européenne, déc. 2005, p. 33-35.
[32] Des divergences traditionnelles opposent par exemple les " grands" Etats, détenteurs d'une panoplie militaire complète (Royaume-Uni, France) et les autres, plus réticents vis-à-vis de l'emploi de la force. Une autre différence de sensibilité oppose les Etats "atlantistes" (UK) aux partisans du "multilatéralisme" (France). L'héritage historique et le positionnement géographique déterminent également en grande partie les priorités diplomatiques des différents Etats. Le système de rotation semestrielle de la présidence du Conseil tend à institutionnaliser ces divergences au niveau de l'Union et constitue un facteur de dispersion pour la PESC. Le projet de traité constitutionnel prévoyait l'élection d'un Président du Conseil pour une période de deux ans et demi renouvelable.
[33] Les coopérations renforcées offrent la possibilité à un nombre limité d'Etats membres d'employer les structures et les capacités de l'Union pour une action commune. Le traité de Nice a étendu cette procédure au pilier PESC, sauf dans les domaines ayant des implications militaires ou de défense. Les coopérations structurées s'appliquent plus particulièrement aux efforts d'harmonisation des capacités militaires des Etats membres. Les groupes de combat en constituent l'exemple le plus manifeste.
[34] Cf. International Crisis Group, EU Crisis Response Capability Revisited, Europe Report n°160, 17 January 2005, pp. 25-26.
[35] Le Plan d'Action Européen sur les capacités (PAEC) a été adopté lors du Conseil européen de Laeken (décembre 2001). Sa mise en oeuvre repose sur la création de groupes de travail, au sein desquels plusieurs Etats s'efforcent d'identifier des synergies et de promouvoir des solutions communes à des questions techniques.
[36] Cf. Déclaration ministérielle publiée à l'issue de la Conférence d'Amélioration des Capacités Civiles, 21 Novembre 2005. http://ue.eu.int/ueDocs/newsWord/fr/gena/87043.doc.
[37] Cf. Communication de la Commission sur la Prévention des Conflits, 11 avril 2001.
[38] Cf. Communication from the Commission : Reinforcing EU Disaster and Crisis Response in Third Countries, COM (2005), 20 avril 2005.
[39] La Commission propose en particulier la création d'un Corps Européen de Volontaires pour l'Aide Humanitaire, dont les efforts seraient coordonnés avec ceux de l'ONU.
[40] IP/06/89, 27 janvier 2006.
[41] Ce problème est en particulier celui du Kosovo, dont le statut définitif doit être déterminé à l'issue de négociations actuellement en cours.
[42] Cf. Francis Fukuyama, State building, op. cit., p. 39-41.
[43] Cf. également Robert Cooper, The Breaking of Nations: Order and Chaos in the 21st century, Grove Press, 2004.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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