Adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme : analyse juridique du projet d'accord d'adhésion du 14 octobre 2011

Démocratie et citoyenneté

Xavier Groussot,  

Laurent Pech,  

Tobias Lock

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7 novembre 2011
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Groussot Xavier

Xavier Groussot

Professeur de droit, Faculté de droit, Université de Lund - Xavier.Groussot@jur.lu.se.

Pech Laurent

Laurent Pech

Professeur de droit européen, Chaire Jean Monnet en droit public de l'UE, directeur du département de droit et de sciences politiques de l'Université Middlesex de Londres.

Lock Tobias

Tobias Lock

Lecturer en droit, Université de Surrey (t.lock@surrey.ac.uk).

Adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme ...

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Une longue gestation

 

L'article 6(2) du traité sur l'Union européenne (TUE), tel que modifié par le traité de Lisbonne, dispose que l'UE " adhère " à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l'Homme ou CEDH). [1]

 

Cette disposition qui impose à l'Union européenne une obligation d'agir ("que l'Union adhère ") est le fruit d'une histoire longue et compliquée. [2] Sans entrer dans les détails, rappelons que le fait que la Communauté économique européenne (CEE) poursuivait des objectifs de nature économique conduit les rédacteurs du traité de Rome à exclure toute adhésion de la CEE à la CEDH ou l'adoption d'une charte des droits fondamentaux prévoyant l'intégration matérielle des dispositions de la CEDH. Il va de soi que l'absence de dispositions générales relatives à la sauvegarde des droits de l'Homme ne s'est pas traduite par l'absence de toute protection dans l'ordre juridique de la CEE. En effet, dès 1969, la Cour de justice des Communautés européennes (CJUE) clarifia que les droits fondamentaux forment une part intégrante des principes généraux du droit de l'UE - à proprement parler du droit de la CEE à l'époque - dont elle assure le respect. Dans sa jurisprudence ultérieure, la CJUE a encore reconnu l'" importance spéciale " de la CEDH parmi les traités internationaux relatifs à la sauvegarde des droits de l'Homme si bien que depuis les années 1990, la Cour fait régulièrement référence aux dispositions de la CEDH et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CtEDH) pour fonder sans équivoque son interprétation du droit de l'UE chaque fois qu'elle doit statuer sur des questions relatives au respect des droits fondamentaux. En l'absence toutefois d'une adhésion formelle de l'UE à la CEDH, et à proprement parler, la CJUE n'a toujours pas compétence pour appliquer la CEDH lorsqu'elle doit interpréter ou contrôler la validité du droit de l'UE parce que la CEDH ne fait pas partie des sources formelles du droit de l'UE.

 

Nombre d'acteurs politiques influents se sont montrés constamment favorables à l'adhésion de l'UE à la CEDH au motif que celle-ci comblerait des lacunes importantes du système de l'UE en matière de protection des droits de l'Homme en garantissant des standards minimums et un contrôle externe. Depuis que les premières propositions d'adhésion de la CEE ont été formulées à la fin des années 1970, la Commission a tenté à plusieurs reprises d'obtenir l'autorisation du Conseil de négocier un accord d'adhésion avec le Conseil de l'Europe. [3] Interrogée par le Conseil pour qu'elle donne son avis sur la question de savoir si l'UE avait compétence pour engager un tel processus sur la base des traités en vigueur à l'époque, la CJUE jugea en 1996 que l'adhésion de l'UE à la CEDH entraînerait un changement substantiel de son régime de protection des droits de l'Homme. [4] Autrement dit, l'UE n'avait pas le pouvoir d'adhérer à la CEDH et il appartenait aux États membres de modifier les traités fondateurs avant toute demande d'adhésion. L'avis de la Cour a obligé les institutions européennes à repenser comment affirmer l'engagement de l'UE à faire respecter les droits fondamentaux tout en clarifiant les relations, sans aucun doute complexes, entre l'UE, la CEDH et les ordres juridiques nationaux ainsi que les relations non moins compliquées entre les Cours de Luxembourg et de Strasbourg. [5]

 

Quand est venu le moment de rédiger une " Constitution " pour l'Europe, la quasi totalité des membres de la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d'Estaing s'accordaient sur le fait que l'adoption d'une Charte des droits fondamentaux juridiquement contraignante (la Charte fut initialement " proclamée " par les institutions de l'UE le 7 décembre 2000) et l'adhésion de l'UE à la CEDH " ne devraient pas être considérées comme des démarches alternatives, mais comme des mesures complémentaires " [6] dans la mesure où la Charte et la CEDH poursuivent des buts différents. En d'autres termes, si la Charte vise essentiellement les institutions de l'UE, elle n'est pas incompatible avec une adhésion à la CEDH. En effet, en l'absence d'une telle adhésion, les actes adoptés par l'UE, y compris les décisions de la CJUE, ne peuvent pas être sujettes au contrôle additionnel, externe et spécialisé du système de Strasbourg et, en particulier, au contrôle de la CtEDH. L'adhésion de l'UE a donc été défendue au motif principal qu'elle offrirait enfin aux personnes physiques et morales une protection contre des actes de l'UE similaire à celle dont ils jouissaient déjà à l'encontre des actes adoptés par les Pouvoirs publics au niveau national. L'UE se trouverait ainsi dans une situation analogue à celle de tout autre État membre, la CJUE dans une situation analogue à celle de toute autre juridiction nationale de dernière instance, et la Charte elle-même se trouverait dans une position similaire à celle de toute déclaration nationale des droits fondamentaux. Des arguments politiques et juridiques supplémentaires en faveur de l'adhésion de l'UE (dont la force de persuasion est cependant variable) ont été avancés. Sans qu'il soit possible ici d'en faire une présentation exhaustive, signalons qu'au-delà de la nécessité d'établir et de garantir un système plus cohérent et plus harmonieux de protection des droits de l'Homme en Europe, les acteurs européens ont toujours été particulièrement sensibles aux arguments de nature politique et symbolique. En d'autres termes, l'adhésion de l'UE a été présentée à plusieurs reprises comme une étape essentielle qui permettrait de confirmer de manière solennelle la détermination de l'UE à protéger les droits fondamentaux que ce soit à l'intérieur de l'Union ou en dehors de celle-ci. Parce que ces arguments prévalaient avant la rédaction de la " Constitution européenne ", et qu'ils ont continué d'être perçus comme n'ayant pas perdu de leur validité par la plupart des acteurs les plus influents de l'Union, les États membres sont convenus que le traité de Lisbonne devait reproduire les dispositions contenues dans la précédente et défunte Constitution et, en particulier, l'article obligeant l'UE à adhérer à la CEDH.

 

La révision de la CEDH [7] et les modifications des traités envisagées par l'avis 2/94 ayant finalement été entreprises, des discussions communes entre la Commission européenne et le Conseil de l'Europe purent enfin être organisées quelques mois après l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009. Au cours de ces discussions, la Commission a pu négocier au nom de l'ensemble de l'UE grâce au mandat de négociation obtenu des 27  ministres de la Justice suite à leur réunion du 4 juin 2010. [8] Le mois précédent, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe (à ne pas confondre avec le Conseil des ministres de l'UE) a donné un mandat spécial à son Comité directeur pour les droits de l'Homme (CDDH) pour élaborer avec la Commission les instruments juridiques nécessaires à l'adhésion de l'UE à la CEDH. Un groupe de travail informel, constitué de juristes de la Commission européenne et de quatorze pays appartenant au Conseil de l'Europe, fut ensuite créé. Huit réunions au total ont été organisées entre juillet 2010 et juin 2011. Il en est résulté un premier projet d'accord sommaire en février 2011. Un certain nombre de questions juridiques non résolues restant à approfondir, ce n'est que le 19 juillet 2011 qu'une version complète du projet d'accord d'adhésion de l'UE à la CEDH, constitué de 12 articles portant révision d'un certain nombre d'articles de la CEDH, a été publiée en même temps qu'un rapport explicatif. [9] Le projet d'accord et le rapport explicatif ont été examinés et révisés une dernière fois lors d'une réunion extraordinaire de la CDDH qui s'est tenue du 12 au 14 octobre 2011. [10]

 

Cette étude rappelle en premier lieu les questions les plus controversées débattues avant et pendant la rédaction du projet d'accord portant adhésion de l'UE à la CEDH, avant d'offrir dans un second temps un examen critique des réponses apportées par les experts de la Commission et du Conseil de l'Europe. Une brève présentation du calendrier prévisionnel en matière de ratification du projet d'accord et des exigences procédurales qui régissent un tel processus, est offerte en conclusion.

 

1. Aperçu général des points les plus litigieux

 

Si l'article 6(2) du TUE prévoit bien que l'UE adhère à la CEDH, certains États membres ont insisté pour que cette disposition soit suivie d'une réserve en vertu de laquelle cette adhésion ne saurait modifier les compétences de l'Union telles qu'elles sont définies dans les traités. Cette préoccupation explique également pourquoi a été annexé aux traités européens un protocole juridiquement contraignant dans lequel un certain nombre de limites ou de garde-fous (selon le point de vue adopté) sont énoncés. Connu sous le nom de Protocole n° 8, [11] ce document rappelle que l'adhésion de l'UE ne doit pas modifier les compétences de l'Union ou les pouvoirs de ses institutions et, de façon plus subtile, il dispose également que les caractéristiques spécifiques de l'UE et de son droit doivent être préservées sans toutefois les définir. [12] Il en résulte que le champ d'application précis du Protocole reste un mystère. Il a toutefois toujours été clair que ce protocole limiterait sérieusement la marge de manœuvre des rédacteurs du projet d'accord d'adhésion. En effet, non seulement il exige implicitement que soit préservée l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE, mais il inclut également des éléments institutionnels comme l'obligation de préserver " les modalités particulières de l'éventuelle participation de l'Union aux instances de contrôle de la Convention européenne" et des éléments procéduraux en disposant que tout accord devrait prévoir " les mécanismes nécessaires pour garantir que les recours formés par des États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union, selon le cas ". Les questions institutionnelles, de fond et de nature procédurale, ainsi que les différentes options discutées avant et pendant la rédaction du projet d'accord d'adhésion sont abordées dans le présent document.

 

1.1 Questions institutionnelles

 

Deux questions institutionnelles ont suscité la discorde : la règle d'un seul juge pour chaque Haute Partie contractante et la possibilité de voir l'UE participer au Comité des ministres du Conseil de l'Europe. Dans les deux cas, il s'agissait principalement de savoir si l'UE devait adhérer à la CEDH sur un pied d'égalité avec les autres Parties contractantes.

 

1.1.1 La règle d'un seul juge par Partie

 

D'un point de vue institutionnel, le Protocole n°8 a été souvent présenté comme exigeant avant tout la nomination d'un juge de l'UE afin d'assurer une représentation adéquate de l'UE au sein de la Cour de Strasbourg et de garantir la présence d'une personne ayant une grande expertise des " caractéristiques spécifiques " du droit de l'UE. Tout accord sur la question de savoir si l'UE est en droit d'avoir un juge siégeant à la Cour de Strasbourg comme toute autre Partie contractante n'épuise pas cependant la discussion. En effet, plusieurs positions ont été défendues s'agissant de l'étendue du mandat du juge de l'UE. En gros, deux options étaient possibles : le mandat du juge de l'UE pouvait soit être similaire à celui des autres juges - dans le système de Strasbourg, chaque Partie contractante est représentée par un seul juge - soit être plus limité : il a été suggéré, par exemple, que le juge de l'UE ne siège que dans les affaires mettant en cause des dispositions du droit de l'UE et soit simplement consulté dans les affaires ne mettant pas en cause l'UE. Cette dernière option a fait toutefois l'objet de critiques pour plusieurs raisons : elle porterait atteinte au principe d'indépendance judiciaire, elle serait inapplicable dans la mesure où il faudrait décider au cas par cas si une requête soulève un point de droit de l'UE et elle irait à l'encontre de l'idée d'une adhésion de l'UE à la CEDH sur un pied d'égalité avec les autres Parties contractantes.

 

Le processus de sélection a également suscité le débat. Deux options principales s'offraient à nouveau aux rédacteurs de l'accord d'adhésion : soit s'appuyer sur la procédure normale du système de la Convention pour nommer le nouveau juge de l'UE (les juges sont alors élus par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) sur une liste de trois candidats présentés par la Partie contractante), soit laisser à l'UE le soin de décider des modalités de sélection et de nomination de son juge et ne laisser à l'APCE que la possibilité de prendre note du juge nommé par l'UE. Le Parlement européen s'est clairement prononcé en faveur de la première option. En outre, il a exprimé son souhait d'être associé au processus d'établissement de la liste restreinte qui devrait être déterminée par la Commission européenne et/ou le Conseil de l'UE (un problème qu'il appartient à la seule UE de résoudre le temps venu) et de nommer un certain nombre de représentants à l'APCE pour participer à l'élection des juges à la Cour européenne des droits de l'Homme. Ce dernier aspect constituait un problème supplémentaire à résoudre : L'UE n'étant pas supposée adhérer au Conseil de l'Europe, elle ne saurait normalement prétendre à une représentation au sein de l'APCE.

 

1.1.2 Représentation de l'UE au Comité des ministres du Conseil de l'Europe

 

La possibilité d'une représentation permanente de l'UE au Comité des ministres du Conseil de l'Europe a été particulièrement controversée. Pour le dire brièvement, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a compétence pour exercer différentes tâches. En particulier, il contrôle le respect des engagements par les parties contractantes et surveille l'exécution des jugements de la CtEDH. La Commission européenne était naturellement favorable à l'idée d'avoir un représentant au sein du Comité des ministres, mais les pays hors UE craignaient que l'UE et ses États membres soient tenter de coordonner leur vote et donc de contrôler (et bloquer) la procédure au sein du Comité des ministres s'ils devaient adopter une position commune concernant, par exemple, le respect d'obligations soit par l'UE, soit par un de ses États membres. En conséquence, plusieurs propositions ont été faites pour limiter le droit de vote du représentant de l'UE au Comité des ministres pour toute question ou affaire mettant en cause le droit de l'UE. 

 

1.2 Questions de fond

 

1.2.1 Possibilité de révision du droit primaire de l'UE par la CtEDH

 

Les personnes physiques et morales ne peuvent pas actuellement saisir la CtEDH lorsqu'elles considèrent que leurs droits fondamentaux ont été violés par des actes adoptés par les institutions de l'UE (ce que les spécialistes appellent le " droit dérivé " de l'UE). La CJUE a très tôt clarifié cet aspect en faisant du respect des droits de l'Homme une condition de la légalité des actes de l'UE. [13] En revanche, la CJUE n'a pas compétence pour examiner la compatibilité du droit primaire de l'UE - pour simplifier, les dispositions contenues dans les traités de l'UE - avec les normes relatives aux droits de l'Homme. Toutefois, l'adhésion de l'UE à la CEDH permettrait à la Cour de Strasbourg de contrôler la compatibilité de toute disposition des traités de l'UE avec les droits énoncés dans la CEDH. En effet, la CtEDH ne s'est pas interdit de revoir la compatibilité du droit constitutionnel national avec la CEDH. [14] Inquiets à l'idée d'un jugement de la CtEDH ne leur laissant d'autre choix que d'entreprendre une révision des traités de l'UE, un processus particulièrement lourd comme l'a prouvé la ratification du traité de Lisbonne, un certain nombre de gouvernements ont proposé que soit exclu de l'accord d'adhésion tout contrôle du droit primaire de l'UE à Strasbourg. Une telle solution va cependant à l'encontre de la pratique normale et serait difficile à concilier avec le fait que la CtEDH a déjà examiné les mesures nationales qui appliquent ou mettent en œuvre les dispositions du droit primaire de l'UE. [15] Cette solution enfin serait contraire à l'objectif affiché de l'UE d'envoyer un message fort quant à son engagement à protéger les droits de l'Homme à l'intérieur tout comme à l'extérieur de l'UE.

 

1.2.2 Le devenir du "test de Bosphorus"

 

Une autre question d'importance que la plupart des experts souhaitaient voir résolue par l'accord d'adhésion concernait le " test de protection équivalente " conçu par la CtEDH. [16] Pour résumer, la Cour de Strasbourg a clairement établi dans l'affaire Bosphorus qu'elle dispose du pouvoir d'examiner les requêtes adressées contre les mesures nationales qui mettent en œuvre, directement ou indirectement, des dispositions du droit de l'UE ou en sont dérivées. Ce faisant, la CtEDH s'est arrogé le pouvoir de contrôler indirectement la compatibilité des actes de l'UE avec les dispositions de la CEDH. Toutefois, la Cour de Strasbourg part du principe que l'UE protège les droits fondamentaux d'une manière qui peut être considérée comme équivalente à celle de la CEDH. En d'autres termes, la Cour de Strasbourg s'abstient normalement d'exercer son pouvoir de contrôle dans les affaires où un Etat membre de l'UE ne dispose d'aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la mise en œuvre de ses obligations en vertu du droit de l'UE. Cette présomption demeure aussi longtemps que l'UE offre des garanties substantielles et un mécanisme de contrôle équivalent à ceux prévus par la CEDH et sous réserve que l'affaire concrète portée devant la CtEDH ne démontre pas l'existence d'une insuffisance manifeste relativement à la protection offerte par l'UE. Il importe cependant de noter que les pays hors UE appartenant au Conseil de l'Europe ne peuvent se prévaloir d'une similaire présomption de compatibilité sans qu'importe de savoir s'ils disposent ou non d'un système de protection des droits fondamentaux perfectionné et protecteur.

 

L'adhésion de l'UE a souvent été présentée comme l'occasion parfaite pour enfin clarifier si l'approche déférente de la CtEDH devait être abandonnée ou étendue une fois l'adhésion de l'UE formalisée. Les tenants de l'abandon du " test Bosphorus " soutiennent que le Conseil de l'Europe ne devrait pas tolérer une règle de "deux poids, deux mesures", et que la présomption de compatibilité en faveur des mesures de l'UE devrait être abandonnée. Une démarche d'extension du test Bosphorus à l'ensemble des mesures de l'UE signifierait, en revanche, que les règlements de l'UE, par exemple, puissent être soumis au même titre que les mesures nationales appliquant ou mettant en œuvre le droit de l'UE, à un contrôle minimum de la part de la Cour de Strasbourg. Quoiqu'il en soit, nombreux sont ceux qui espéraient que les rédacteurs de l'accord d'adhésion clarifieraient le devenir de la jurisprudence Bosphorus et cette question sera à nouveau abordée afin de voir si leur souhait a été exaucé.

 

1.2.3 Adhésion de l'UE aux protocoles de la CEDH

 

Conformément au Protocole n°8, tout accord d'adhésion doit veiller à ce que l'adhésion de l'UE n'affecte pas ses compétences. Cette question de compétence fut particulièrement débattue en ce qui concerne l'effet potentiel de l'adhésion de l'UE relativement aux protocoles de la CEDH qui n'ont pas été ratifiés par tous les États membres de l'UE. Actuellement, seuls les Protocoles n°1 et n°6 lient l'ensemble des États membres. Certains pays comme le Royaume-Uni se sont inquiétés de ce que l'adhésion de l'UE pourrait conduire ses États membres à être automatiquement liés par tous les protocoles de la CEDH, qu'ils les aient ratifiés ou non. Un tel résultat ne serait pas compatible avec le Protocole n°8.

 

Parmi les protocoles additionnels à la CEDH les plus importants, il est possible de mentionner le Protocole n°1 relatif au respect du droit pour toute personne physique de jouir de ses biens, au droit à l'instruction et au droit à des élections libres, le Protocole n° 6 relatif à l'abolition de la peine de mort et le Protocole n°12 qui interdit toute discrimination. Parce que ces textes qui garantissent des droits additionnels sont directement liés à la CEDH, il paraît raisonnable de chercher à les ratifier d'une traite ou, pour le moins, de signer tous ceux qui sont relatifs à des droits mentionnés dans la Charte de l'UE. Toutefois, les États membres de l'UE, désireux d'éviter toute extension indue des compétences de l'Union, ont vivement défendu l'idée que l'UE n'accède immédiatement qu'aux seuls protocoles qui ont déjà été ratifiés par tous ses États membres (comme les Protocoles n°1 et 6). Pour garantir un certain degré de souplesse post adhésion, il a également été suggéré d'autoriser l'UE à prendre des décisions séparées en ce qui concerne une future adhésion à d'autres ou à l'ensemble des autres Protocoles une fois que l'UE a adhéré à la CEDH.

 

1.2.4 Autonomie de l'ordre juridique de l'UE et autonomie interprétative de la CJUE

 

Le principe d'autonomie de l'ordre juridique de l'UE est étroitement lié au rôle et à la place de la Cour de justice. " L'autonomie interprétative " signifie que seules les institutions de cet ordre juridique particulier sont compétentes pour interpréter les règles constitutionnelles et juridiques propres à cet ordre. [17] Il a toujours été évident qu'aucun accord d'adhésion portant atteinte à l'autonomie du droit de l'UE ou affectant les pouvoirs essentiels des institutions européennes ne serait acceptable pour l'UE, ce qui signifie, par exemple, que la CtEDH ne saurait être dotée de la compétence d'interpréter les traités ou de statuer sur la validité des actes de l'UE de façon contraignante.

 

S'agissant de l'autonomie interprétative de la CJUE, les conséquences possibles de l'accord d'adhésion ont été peut-être exagérées. En effet, il est bien établi dans la jurisprudence de la CtEDH qu'il revient principalement aux autorités nationales, et notamment aux juridictions nationales, d'interpréter et d'appliquer le droit national. La CtEDH a également clairement indiqué que le même raisonnement était applicable aux traités internationaux et, à cet égard, il n'appartient pas à la Cour de Strasbourg de substituer son propre jugement à celui des autorités nationales. Après adhésion, la position de la Cour de justice deviendrait comparable à celle des cours constitutionnelles ou suprêmes par rapport à la Cour de Strasbourg. En outre, la CtEDH ne statue pas sur la validité du droit national, mais elle adopte des jugements dits déclaratoires sur la compatibilité du droit national avec la Convention et qui évaluent la compatibilité de celui-ci au cas par cas et in concreto. En d'autres termes, il n'a jamais été question que la CtEDH, contrairement à la CJUE, obtienne le pouvoir d'annuler un acte de l'UE. Elle peut simplement déclarer l'incompatibilité de cet acte avec la CEDH dans une déclaration et doit laisser à l'UE le soin d'en tirer les conséquences. Il incombe donc à l'UE d'évaluer les conséquences du jugement de la Cour de Strasbourg, ce qui lui permet de conserver le plein contrôle de son droit, sous réserve que ce dernier soit compatible avec la Convention. L'application des principes traditionnels mentionnés ci-dessus devrait donc exclure tout problème majeur en ce qui concerne l'autonomie interprétative de la CJUE.

1.2.5 Autonomie de l'ordre juridique de l'UE et compétence juridictionnelle exclusive de la CJUE

 

Le Protocole n° 8 exige que tout accord d'adhésion n'affecte pas en particulier les attributions de ses institutions. Cette disposition reflète principalement la crainte que la CJUE puisse être privée de sa compétence exclusive en matière d'allocation des compétences entre l'UE et ses États membres. Ceci explique pourquoi le mécanisme relatif aux affaires interétatiques prévu par l'article 33 de la CEDH a été une source particulièrement aiguë d'inquiétude pour ceux qui souhaitaient préserver l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE et l'autorité de la CJUE. Il a été avancé à plusieurs reprises que ce principe d'autonomie interdit toute modification de l'article 344 du TFUE en vertu duquel les États membres de l'UE " s'engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l'interprétation ou à l'application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par ceux-ci ". En d'autres termes, certains ont suggéré que si les pays hors UE devaient être libres d'engager des poursuites contre l'UE devant la Cour de Strasbourg, le principe d'autonomie de l'ordre juridique de l'UE interdit à ses Etats membres de demander l'intervention d'institutions qui ne relèvent pas de l'UE dans le contexte de litiges portant uniquement sur l'interprétation ou l'application du droit de l'UE. Ces litiges sont soumis à la compétence juridictionnelle exclusive de la CJUE. Une autre source majeure de désaccord portait sur la possibilité d'un scénario où une requête relative à un jugement rendu par une juridiction nationale de dernière instance et appliquant les dispositions du droit de l'UE puisse être déposée devant la Cour de Strasbourg sans aucune intervention préalable de la Cour de Luxembourg. Ce scénario, demandant une solution de nature essentiellement procédurale, est examiné un peu plus loin.

 

1.3 Questions procédurales

 

1.3.1 Épuisement des voies de recours internes et nécessité d'un mécanisme permettant à la Cour de Luxembourg de rendre une décision avant la Cour de Strasbourg

De manière hautement inhabituelle, ce qui dénote son importance, la CJUE a publié le 5 mai 2010 un " document de réflexion " dans lequel il est clairement indiqué qu'il ne serait pas souhaitable d'autoriser la CtEDH à juger de la compatibilité d'un acte de l'Union avec la CEDH en l'absence d'une décision préalable de la CJUE sur la validité de cet acte. [18] La Cour de Luxembourg était principalement préoccupée par la possibilité de voir un requérant contester devant les tribunaux nationaux une mesure nationale mettant en œuvre le droit de l'UE sans que la juridiction de dernière instance ne juge utile de saisir la  d'un renvoi préjudiciel en vertu de l'article 267 du TFUE. Selon les termes mêmes de la Cour, " Il n'est pas certain que la Cour de justice soit saisie d'un renvoi préjudiciel dans tous les cas dans lesquels la conformité aux droits fondamentaux d'une action de l'Union pourrait être mise en cause. En effet, s'il est vrai que les juridictions nationales peuvent, et que certaines d'entre elles doivent, saisir la Cour de justice d'une demande de décision préjudicielle afin que cette dernière statue sur l'interprétation et, le cas échéant, la validité de l'action de l'Union, le déclenchement de cette procédure échappe aux parties. En outre, il serait difficile de considérer cette procédure comme une voie de recours sont la mise en œuvre constituerait un préalable nécessaire avant toute saisine de la Cour européenne des droits de l'Homme en application de la règle de l'épuisement des voies de recours internes ".

 

A cet égard, les personnes physiques et morales souhaitant déposer une requête auprès de la Cour de Strasbourg doivent tout d'abord épuiser l'ensemble des voies de recours internes disponibles dans l'État membre pertinent. [19] En d'autres termes, et pour simplifier à l'extrême, toute personne alléguant la violation d'un ou plusieurs des droits énoncés dans la CEDH doit obtenir une décision de la juridiction nationale de dernière instance compétente avant de déposer sa requête. Cette obligation reflète l'idée qu'il incombe en priorité à chacune des parties à la Convention d'assurer la protection des droits fondamentaux. Par ailleurs, cette obligation présente deux avantages : elle réduit la charge de travail de la CtEDH et offre à chaque Partie contractante la possibilité de remédier à toute violation en interne avant tout blâme éventuel délivré par une Cour internationale des droits de l'Homme.

 

S'agissant des recours portés directement devant les cours de l'UE, il a toujours été clair que l'adhésion à l'UE ne créerait pas de problème particulier d'un point de vue procédural. Toute personne physique ou morale souhaitant contester directement la légalité d'un acte juridiquement contraignant adopté par l'Union doit déposer une requête auprès du Tribunal de l'UE. Il en résulte que l'intervention préalable des juges du Luxembourg est garantie avant toute saisine éventuelle de la Cour de Strasbourg. La situation est plus complexe en ce qui concerne la procédure de renvoi préjudiciel en vertu de laquelle la CJUE doit répondre à toute demande émanant de juridictions nationales lorsque son objet est relatif à l'interprétation du droit de l'UE ou la validité des actes adoptés par les institutions de l'UE. Comme les personnes impliquées dans un litige au niveau national n'ont aucun moyen d'imposer à une juridiction nationale la saisine de la CJUE, même si le droit de l'UE exige éventuellement un tel renvoi préjudiciel, un litige peut être résolu sans une décision préalable de la CJUE alors même que ce litige peut soulever un problème de compatibilité du droit de l'UE avec la CEDH. Si l'on accepte de ne pas considérer la procédure de renvoi préjudiciel comme une voie de recours à épuiser par toute personne, il devient alors possible d'envisager, si l'on ose dire, un contournement de la CJUE. Cette possibilité a incité les présidents de la CtEDH et de la CJUE, dans une autre intervention publique exceptionnelle, à s'accorder à considérer que " le renvoi préjudiciel n'est normalement pas une voie de recours à épuiser par le requérant avant de saisir la CtEDH ". [20] En conséquence, les présidents Costa et Skouris ont proposé de mettre en place une procédure autorisant la Cour de Luxembourg à procéder à un contrôle interne avant que la Cour de Strasbourg ne procède à un contrôle externe de tout acte de l'UE sous l'angle du respect des droits fondamentaux, avec cette importante réserve que la CJUE se devait d'assurer l'organisation d'une procédure accélérée pour rendre ses décisions rapidement afin de prolonger déraisonnablement la procédure devant la CtEDH.

 

Si quelques "voix discordantes" ont avancé qu'aucun mécanisme spécifique n'était nécessaire pour obliger les juridictions nationales de dernière instance à renvoyer toute affaire devant la CJUE dès lors que la question de l'incompatibilité d'un acte de l'UE avec la CEDH se pose, le débat s'est surtout focalisé sur le mécanisme qui serait le plus à même de garantir une " implication préalable " de la CJUE. Sans qu'il soit possible ici d'offrir une analyse critique de l'ensemble des mécanismes proposés, signalons toutefois, parmi les propositions les plus importantes qui ont été faites, celle qui a défendu l'idée d'autoriser la CtEDH à renvoyer toute affaire pertinente à la CJUE afin que cette dernière puisse examiner la compatibilité de toute disposition du droit de l'UE avec la Convention, [21] ou encore l'idée de confier à la Commission européenne le soin de sélectionner les affaires pendantes devant la CtEDH qui doivent être soumises à la CJUE afin que celle-ci décide de la compatibilité des règles litigieuses de l'UE avec les dispositions de la CEDH avant toute intervention de la Cour de Strasbourg. [22] Le point essentiel pour les rédacteurs de l'accord d'adhésion était de concevoir un mécanisme qui permettrait, le cas échéant, une intervention préalable de la CJUE sans entraîner de longs retards à Strasbourg ou qui impliquerait des charges procédurales excessives pour le requérant. La 2e partie de cette étude examine si ce défi a été relevé avec succès. Il convient au préalable de considérer un dernier problème qui a été particulièrement controversé et qui est directement lié à la question de l'implication préalable de la CJUE.

 

1.3.2 Identification du défendeur pertinent et utilité d'un mécanisme de codéfendeur

 

En l'absence d'une adhésion de l'UE à la CEDH, la compatibilité des actes de l'UE avec la CEDH ne peut pas être directement mise en cause devant la CtEDH pour la simple et suffisante raison que l'UE n'est pas (encore) partie contractante à la CEDH. En d'autres termes, il a été jusqu'à présent impossible pour les personnes physiques et morales de déposer directement une requête contre l'UE auprès de la Cour de Strasbourg. Cette impossibilité n'a pas toutefois empêché un certain nombre de difficultés dans la mesure où une partie privée était susceptible de contester une mesure nationale portant application du droit de l'UE. Autrement dit, la Cour de Strasbourg pouvait très bien estimer qu'un Etat membre de l'UE avait enfreint la CEDH bien que ce dernier n'ait pu avoir d'autre choix que d'adopter la mesure nationale litigieuse car il lui incombait de mettre en œuvre des dispositions du droit de l'UE. L'Etat membre se trouve alors dans une situation difficile dans la mesure où il lui incombe à la fois de respecter le jugement définitif de la CtEDH (article 46 de la CEDH) et de prendre toute mesure appropriée pour remplir les obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l'UE (article 4(3) du TFUE).

 

Le droit de l'UE s'appliquant, dans la plupart des cas, aux personnes physiques et morales par le biais de mesures nationales, il a toujours fait peu de doute qu'un nouveau mécanisme permettant à l'UE et à chacun de ses Etats membres d'apparaître conjointement comme " codéfendeurs " allait devoir être élaboré. [23] Il s'agissait essentiellement de s'assurer que les parties concernées puissent être tenues responsables de toute violation éventuelle déclarée par la Cour de Strasbourg en permettant à l'UE d'intervenir comme codéfendeur dans toute affaire dirigée contre un de ses Etats membres, sous réserve naturellement que l'affaire pertinente mette en cause le droit de l'UE. De la même manière, il convenait de permettre aux Etats membres de pouvoir intervenir comme codéfendeurs dans toute affaire engagée contre l'UE sous la même réserve. 

 

Des multiples mécanismes divers, et peut-être excessivement sophistiqués, ont été proposés ces dernières années. Une idée particulièrement prisée consistait à permettre à la Commission européenne ou à tout État membre de saisir la CJUE afin que celle-ci puisse délimiter les compétences de l'Union et de son État membre et de déterminer ainsi qui devrait avoir la qualité de défendeur dans une affaire particulière. Une telle solution soulevait toutefois un problème évident : Elle était susceptible d'allonger un processus déjà particulièrement long. Plus prosaïquement, certains gouvernements nationaux, comme l'Allemagne, ont avancé qu'il vaudrait mieux s'appuyer simplement sur une version légèrement révisée du mécanisme de la tierce intervention prévue à l'article 36 de la CEDH. Cette disposition en particulier permet à chaque pays de soumettre des observations écrites et de participer aux audiences dans toutes les affaires portées devant la Cour de Strasbourg chaque fois qu'un de ses ressortissants est la partie requérante. Elle permet également à son président d'inviter un pays à soumettre des observations écrites ou à participer aux audiences. Pendant la rédaction du projet d'accord d'adhésion, la plupart des acteurs concernés ont cependant indiqué leur préférence pour un mécanisme inédit même s'il convient de noter que de nombreuses ONG ont exprimé leurs craintes par rapport à la création d'un mécanisme excessivement complexe et ont suggéré avec force de limiter dans la mesure du possible l'utilisation du mécanisme de codéfendeur. [24] D'autres questions hautement techniques ont également été débattues dans ce cadre comme, par exemple, la question de savoir qui devait se voir attribuer le pouvoir de décider de l'opportunité de désigner un codéfendeur ou encore la question du consentement du requérant avant qu'un codéfendeur soit adjoint à une affaire. En fait, il a été suggéré qu'il convenait d'obliger l'Union d'intervenir dans la procédure en tant que codéfendeur aux côtés de l'État membre de l'UE contre lequel une requête était dirigée, mais cette proposition semblait préjuger de la responsabilité de l'Union. Selon une autre proposition, il convenait simplement de laisser à l'Union la possibilité de demander l'autorisation d'intervenir en tant que codéfendeur. Inversement, il a pu être suggéré qu'il fallait laisser au défendeur le soin de décider si un codéfendeur devait être joint à la procédure car c'est au défendeur qu'il appartient en premier lieu d'évaluer la situation. Cette solution conférait toutefois au défendeur un pouvoir considérable et ne permettait pas à la Cour de Strasbourg de faire obstacle à tout usage éventuellement abusif de ce pouvoir. De manière générale, cependant, la plupart des acteurs concernés ont clairement indiqué pendant la rédaction du projet d'accord leur préférence en faveur de l'introduction d'un mécanisme de codéfendeur sous une forme ou une autre. Selon le point de vue dominant, ce mécanisme bénéficierait aux requérants et contribuerait à une meilleure exécution des jugements de la Cour de Strasbourg avec l'avantage supplémentaire et considérable de ne pas l'obliger à examiner la répartition des compétences entre l'UE et les États membres. Il s'agit désormais d'examiner comment les rédacteurs ont résolu les principaux points litigieux et, en particulier, s'ils ont réussi à concevoir un mécanisme de codéfendeur qui ne prenne pas la forme d'une usine à gaz.

 

2. Les réponses apportées par le projet d'accord d'adhésion du 14 octobre 2011

 

2.1 Questions institutionnelles

 

L'objectif de permettre l'adhésion de l'UE à la CEDH sur un pied d'égalité avec les autres Parties contractantes sous-tend l'ensemble du projet d'accord. Les rédacteurs ne se sont écartés de cet objectif clé que lorsqu'il était strictement nécessaire d'accommoder les idiosyncrasies de l'UE. Les questions institutionnelles les plus litigieuses ont porté sur la participation de l'UE aux divers organes du Conseil de l'Europe. Comme il a toujours été clair que l'UE ne deviendrait pas membre du Conseil, des règles spécifiques ont dû être élaborées pour régler les situations où les organes du Conseil sont dotés de responsabilités particulières en ce qui concerne la CEDH. Ces règles étaient en outre requises par l'article 1(a) du Protocole n° 8, annexé aux traités de l'UE, et qui prévoit que l'accord d'adhésion doit définir les modalités particulières d'une éventuelle participation de l'Union aux instances de contrôle du Conseil de l'Europe.

 

2.1.1 Mandat et sélection du juge de l'UE

 

Conformément au but visant à garantir l'adhésion de l'UE sur un pied d'égalité avec les autres Parties contractantes, l'accord d'adhésion ne prévoit pas de règles particulières concernant le futur juge de l'UE et il révèle, en outre, un rejet clair de toutes les propositions faites avant et pendant le processus de rédaction du projet d'accord de doter le juge de l'UE d'un mandat particulier. Ainsi, le projet ne porte aucune atteinte à la règle " d'un juge par Partie contractante " contenue dans l'article 20 de la CEDH. En d'autres termes, le juge de l'UE bénéficiera d'un mandat en tout point identique à celui des autres juges de la CtEDH. Ceci implique également qu'il devra être élu par l'APCE, organe composé de 318 membres nommés par les parlements nationaux des 47 Parties contractantes du Conseil de l'Europe. Comme l'UE n'adhèrera qu'à la seule CEDH et ne deviendra pas partie au Conseil de l'Europe, elle ne sera pas automatiquement représentée à l'Assemblée parlementaire. Pour l'élection des juges, toutefois, le projet d'accord d'adhésion prévoit de manière raisonnable que le Parlement européen soit représenté par une délégation de parlementaires dotés de droits de vote à part entière et dont le nombre devra être égal au nombre de représentants envoyés à l'APCE par les plus grand États (actuellement 18).

 

Il est également prévu que le processus de sélection qui précède l'élection du juge de l'UE soit identique au processus de sélection des autres juges et en vertu duquel la Haute Partie contractante concernée doit fournir à l'APCE une liste de 3 candidats à l'élection. Il appartient à chaque Partie contractante de définir les modalités d'établissement de la liste restreinte. Hors les critères généraux relatifs à l'aptitude des candidats au poste de juge (qualification juridique, etc.), la sélection doit faire suite à un appel à candidature public et ouvert. Comme il est probable que le juge de l'UE possède la nationalité d'un État membre, cet État membre disposera donc de 2 " représentants " à la CtEDH. Cette situation devrait donc conduire la CtEDH à revoir ses procédures internes afin d'éviter le cas où deux juges de même nationalité aient à statuer dans le cadre d'une affaire dirigée contre leur pays d'origine.

 

2.1.2 Participation de l'UE au Comité des ministres du Conseil de l'Europe

 

Certaines inquiétudes ont été exprimées quant au fait que l'UE puisse ne pas être représentée au sein du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, dont l'une des missions essentielles est de surveiller l'exécution des jugements et des règlements à l'amiable, dans la mesure où l'UE ne deviendra pas un " pays " membre du Conseil de l'Europe. Le projet d'accord offre une solution de compromis : l'UE est ainsi autorisée à participer au Comité des ministres avec droit de vote, chaque fois que le Comité prend des décisions concernant la CEDH. Les rédacteurs ont néanmoins parfaitement conscience qu'après l'adhésion l'UE et ses États membres disposeraient de 28 voix sur 48 dans un tel cadre, ce qui pourrait leur permettre de bloquer toute décision s'ils le souhaitent. Le problème est exacerbé par le fait que, dans certains cas, l'UE et ses États membres sont obligés de voter de concert en raison du devoir de loyauté inscrit dans les traités européens (notamment lorsque l'UE est soit défendeur principal soit codéfendeur). Comme il est improbable que l'UE (et ses États membres) accepte de reconnaître son manquement à appliquer un jugement, le mécanisme de contrôle du Conseil de l'Europe pouvait devenir inopérable (en pratique du moins) en ce qui concerne l'UE. Afin d'éviter tout vote en bloc, le projet d'accord prévoit que le Comité des ministres adapte ultérieurement ses règles de procédure afin de veiller à ce qu'il " exerce efficacement ses fonctions " de surveillance dans le cas où l'UE et ses États membres exprimeraient des positions communes et voteraient de manière coordonnée (article 7 du projet d'accord). Il y a de fortes chances que les nouvelles règles disposeront que, dans un tel cas, le Comité des ministres peut adopter une décision sans vote formel, c'est-à-dire qu'il suffira qu'une majorité d'États hors UE se soient prononcés pour un vote en faveur d'une mesure pour que celle-ci soit considérée comme adoptée dans le cadre de toute affaire mettant en cause l'UE. Enfin, le projet d'accord prévoit que l'UE ne votera pas dans les affaires où le Comité des ministres surveille le respect des obligations d'un ou plusieurs États membres de l'UE.

 

2.1.3 Participation de l'UE aux dépenses liées à la CEDH

 

Si cette question n'a jamais véritablement suscité la controverse, il convient néanmoins de noter que l'UE a accepté de contribuer aux dépenses relatives à l'ensemble du système de la Convention et que cette contribution est fixée à 34% de la contribution la plus élevée apportée l'année précédente par tout État contribuant au budget du Conseil de l'Europe. En 2011, cela aurait signifié pour l'UE par le versement d'une contribution de 9,34 millions €, [25] une simple goutte d'eau si l'on considère que le  budget total de l'UE en 2011 s'élève à 141,9 milliards €.

 

2.2. Questions de fond

 

2.2.1 Contrôle du droit primaire de l'UE

 

Contrairement aux souhaits de certains États membres de l'UE, le projet d'accord n'exclut pas tout contrôle par la CtEDH du droit primaire de l'UE. Au contraire, le mécanisme de codéfendeur présuppose cet examen. En effet, les 27 États membres de l'UE ne peuvent devenir codéfendeurs que lorsqu'une requête introduite devant la CtEDH met en cause la compatibilité avec la CEDH d'une disposition des traités européens, c'est-à-dire du droit primaire de l'UE.

 

2.2.2 Le devenir du "test Bosphorus"

 

Le projet d'accord demeure muet quant au devenir du test Bosphorus. Ainsi, il ne confirme ni ne met fin explicitement au test de protection équivalente. De même, le projet ne clarifie pas s'il convient au contraire d'étendre sa mise en œuvre à l'ensemble des affaires liées à l'UE. Il appartiendra donc à la Cour de Strasbourg de décider en dernier lieu si elle doit continuer à exercer un contrôle minimum lorsque les 27 États membres adoptent des mesures qui mettent simplement en œuvre des obligations juridiques qui découlent de leur appartenance à l'UE. A partir du moment où  l'UE offre un système de protection équivalente à celle de la CEDH, la Cour de Strasbourg présume que les États membres de l'UE respectent les exigences de la CEDH lorsqu'ils ne font qu'appliquer ou mettre en œuvre le droit de l'UE. La Cour devra néanmoins également décider si l'UE doit bénéficier d'une présomption de compatibilité similaire quant aux mesures qu'elle adopte. Dans la mesure où la jurisprudence Bosphorus privilégie l'ordre juridique de l'UE en le soumettant à un contrôle minimum ou, du moins, à un niveau de contrôle moins exigeant que celui exercé à l'encontre des ordres juridiques de ses États membres, il faut espérer que la Cour de Strasbourg en vienne à abandonner l'approche Bosphorus. Celle-ci n'est en effet pas conciliable avec le but général et affiché de traiter l'UE de manière similaire à toute autre Partie à la CEDH. [26] Nous ne pensons pas en outre qu'un contrôle minimum soit requis pour préserver " l'ordre juridique spécifique " de l'Union (préambule du projet d'accord). 

 

2.2.3 Adhésion aux protocoles de la CEDH

 

Le projet d'accord prévoit que l'UE adhère à la CEDH et aux seuls Protocoles n°1 et 6. En d'autres termes, l'approche minimaliste favorisée par certains Etats membres de l'UE, et selon laquelle l'UE ne devait être autorisée initialement qu'à accéder aux protocoles déjà ratifiés par l'ensemble des ses États membres, a ainsi prévalu. S'agissant des protocoles restants, l'UE aura loisir d'y adhérer ultérieurement. Pour ce faire, l'UE devra respecter la procédure envisagée à la fois par ces protocoles et par les traités de l'UE. Ces derniers ne prévoient pas de procédure spécifique pour la ratification des protocoles à la CEDH.

 

2.2.4 Autonomie interprétative et compétence juridictionnelle exclusive de la CJUE

 

En dernier lieu, l'impact du projet d'accord d'adhésion quant à l'autonomie interprétative et la compétence juridictionnelle exclusive de la CJUE doit être évoqué. Aucun accord ne saurait accorder de compétence juridictionnelle exclusive à une autre instance que la CJUE pour interpréter le droit de l'UE de façon contraignante. L'accord d'adhésion ne paraît pas porter atteinte à l'autonomie interprétative de la Cour de Luxembourg à cet égard. En effet, si tant est que l'accord entre en application, la Cour de Strasbourg se limitera à déterminer si une disposition du droit de l'UE, une action ou omission des institutions européennes est incompatible avec la Convention. Cette détermination ne nécessite pas d'interprétation juridiquement contraignante des dispositions du droit de l'UE puisque la CtEDH est supposée fonder ses propres conclusions sur l'interprétation du droit de l'UE énoncée au préalable par la CJUE. En outre, le projet d'accord ne donne pas à la CtEDH le pouvoir de déclarer les dispositions du droit de l'UE invalides. Ce pouvoir n'appartient qu'à la seule CJUE. 

 

S'agissant de la compétence juridictionnelle exclusive de la Cour du Luxembourg, l'article 5 du projet d'accord dispose que les procédures devant la CJUE ne constituent pas des modes de règlement des différends au sens de la CEDH. Cette disposition supprime le risque que les États membres enfreignent la CEDH lorsqu'ils sont engagés dans une procédure qui les oppose devant la CJUE, même si ces procédures portent sur les dispositions de la CEDH. Le projet d'accord évite donc un conflit potentiel entre l'article 55 de la CEDH et l'article 344 du TFUE, l'un et l'autre prévoyant respectivement la compétence juridictionnelle exclusive de la CtEDH et de la CJUE à l'égard de tels litiges. En définitive, l'article 344 du TFUE demeure applicable sans contrainte et le monopole de la CJUE à l'égard des litiges opposant les États membres de l'UE est préservé.

 

2.3 Questions procédurales

 

Les questions les plus complexes que le projet d'accord d'adhésion a dû s'attacher à résoudre sont de nature procédurale. Deux questions en particulier ont suscité la controverse tout en se révélant éminemment problématiques à résoudre : le mécanisme de codéfendeur et la procédure en vertu de laquelle une implication préalable de la CJUE pourrait être organisée. Cette étude devrait permettre de juger de la sagesse du comité de la Chambre en charge des affaires européennes qui, dans un rapport de 2000, suggérait que si l'adhésion de l'UE à la CEDH serait probablement politiquement et juridiquement complexe, " elle ne doutait pas que, compte tenu de la volonté politique, les compétences juridiques et autres requises pour surmonter toutes difficultés pourraient être trouvées ". [27]

 

2.3.1 Mécanisme de codéfendeur

 

Le mécanisme de codéfendeur a été promu afin d'éviter toute détermination par nature délicate de la répartition des compétences entre l'UE et ses États membres quant à la mise en œuvre du droit de l'UE. Il vise ainsi à respecter le Protocole n°8 annexé aux traités de l'UE et qui requiert que l'accord d'adhésion inclut les mécanismes nécessaires pour garantir que " les recours formés par les États non membres et les recours individuels soient dirigés correctement contre les États membres et/ou l'Union selon le cas". Il n'est donc pas surprenant que l'application du mécanisme de codéfendeur décrit dans le projet d'accord d'adhésion soit limitée aux situations qui impliquent l'UE et ses États membres. Autrement dit, il n'est pas accessible aux autres parties à la Convention.

 

Le projet distingue entre deux situations où le mécanisme est applicable : soit l'UE est codéfendeur et un ou plusieurs États membres de l'UE sont les défendeurs (principaux) ; soit un ou plusieurs États membres sont codéfendeurs et l'UE est le (principal) défendeur. Avant d'examiner plus en détail le mécanisme de codéfendeur, il paraît utile de bien le différencier de deux autres procédures plus traditionnelles permettant l'intervention de plus d'une Haute Partie contractante lorsque des requêtes sont examinées par la Cour de Strasbourg. La procédure de la tierce intervention prévue par l'article 36 de la CEDH autorise ainsi l'intervention de parties tierces. L'intervention de la partie tierce n'est possible que sur la base d'une requête émanant de celle-ci et déposée auprès de la Cour. Contrairement toutefois à un codéfendeur, l'intervenant ne devient pas partie à la procédure et de ce fait n'est pas lié par toute décision ultérieure de la Cour. Une autre différence procédurale réside dans le fait que la Cour est obligée de désigner une partie codéfendeur lorsque les conditions pertinentes sont remplies tandis que l'admission d'une partie intervenante relève dans certaines circonstances de sa libre appréciation. Malgré ces différences, le projet d'accord d'adhésion n'empêche pas l'UE de se prévaloir du mécanisme de la tierce intervention lorsque les conditions pour devenir codéfendeur ne sont pas réunies.

 

Une seconde hypothèse permettant d'impliquer plus d'une partie peut être mentionnée. Il est possible au requérant de diriger sa requête initiale contre plus d'un défendeur/État. Dans ce cas, les deux défendeurs doivent se tenir prêt à répondre de leurs actions. Il incombe toutefois au requérant de prouver qu'il a bien épuisé les voies de recours internes disponibles au niveau des ordres juridiques de l'ensemble des défendeurs. Cette exigence n'est pas cependant applicable lorsque le mécanisme de codéfendeur trouve à s'appliquer. Ce dernier mécanisme ne peut être toutefois mis en œuvre que lorsque le requérant engage une action contre l'UE et l'un ou plusieurs de ses États membres leur reprochant différentes violations. Dans une telle situation, tous les défendeurs ne peuvent répondre aux allégations de violation qu'en tant que défendeurs ordinaires. Il convient enfin de mentionner qu'une partie ne peut devenir codéfendeur que sur sa propre demande et contrairement à un défendeur " ordinaire ", elle n'est pas obligée d'assurer sa défense. Ceci signifie que personne ne saurait être forcée à devenir codéfendeur.   

 

i) L'UE comme codéfendeur

 

Si un des États membres de l'UE est le défendeur dans le cadre d'une procédure engagée par une personne, l'UE peut devenir codéfendeur " s'il apparaît que [la violation alléguée de la CEDH] met en cause la compatibilité d'une disposition du droit de l'UE avec les droits de la Convention en question, notamment lorsque cette violation n'aurait pu être évitée qu'en méconnaissant une obligation découlant du droit de l'UE ", (article 3(2) du projet d'accord). La situation envisagée par les rédacteurs est celle dans laquelle un État membre a mis en œuvre les obligations contenues soit dans le droit primaire de l'UE, soit dans le droit de l'UE, à la suite de quoi la compatibilité de la mesure nationale d'application du droit de l'UE avec la CEDH est mise en cause dans le cadre d'une affaire portée devant les juridictions nationales. Dans une telle situation, la violation du/des droit(s) de la CEDH en question a deux sources possibles : soit la disposition sous-jacente du droit de l'UE était viciée, ce qui rend automatiquement sa mise en œuvre incompatible avec la CEDH, soit cette disposition était conforme mais a été mise en œuvre de façon non conforme à la CEDH. 

 

Les États membres sont actuellement pleinement responsables de toute violation de la CEDH dans ces deux cas. [28] L'adhésion de l'UE ne modifiera pas cette situation mais le mécanisme de codéfendeur permettra enfin à l'UE de demander à être associée aux affaires pendantes devant la Cour de Strasbourg lorsqu'il apparaît que son propre droit n'est pas conforme aux droits et garanties contenus dans la CEDH. Si l'UE demande à être associée à la procédure dans un tel scénario, l'avantage pour le requérant est évident : le jugement liera à la fois l'État membre et l'UE. Ceci est particulièrement bienvenu car dans la situation où c'est le droit de l'UE qui est mis en cause, seule l'UE est en mesure de modifier son propre droit afin de remédier à la violation.

 

Sur le plan procédural, la décision de savoir si l'UE peut être associée à une procédure en tant que codéfendeur relève de la CtEDH qui, une fois entendu le point de vue des parties, doit évaluer s'il apparaît plausible que les conditions définies à l'article 3(2) du projet d'accord sont satisfaites. À ce stade de la procédure, la CtEDH est supposée effectuer un examen sommaire de toute requête en ce sens de la part de l'UE. Seules les requêtes abusives ou dénuées de tout fondement qui pourraient être soumises par l'UE (un scénario peu probable)  seraient évidemment rejetées. Il apparaît toutefois que, dès lors qu'un requérant soutient dans sa requête qu'une mesure de l'UE a violé la CEDH, l'UE peut se prévaloir d'un intérêt légitime afin de se voir reconnaître la qualité de codéfendeur et de pouvoir défendre ainsi les dispositions litigieuses du droit de l'UE. La possibilité pour la Cour de Strasbourg d'effectuer un examen sommaire devrait faciliter la prise de décision et il n'y a pas grand risque que le système de la CEDH soit encombré par des requêtes de l'UE demandant à être associée à la procédure en tant que codéfendeur. En outre, une décision à ce titre ne serait rendue qu'une fois l'admissibilité d'une requête clarifiée. Comme la très grande majorité des affaires portées devant la Cour de Strasbourg sont rejetées pour inadmissibilité, il apparaît que les décisions d'associer l'UE comme codéfendeur devraient demeurer relativement rares.

 

Il convient enfin d'évoquer une voie supplémentaire permettant à l'UE de devenir codéfendeur. Lorsque l'UE est nommée défendeur ordinaire en même temps qu'un État membre, c'est-à-dire lorsqu'une requête est dirigée contre et notifiée à l'UE et à un ou plusieurs de ses États membres, l'UE peut toujours demander à être désignée codéfendeur si tant est qu'elle en fasse la demande. Il semble qu'il n'y ait aucun avantage évident pour l'UE de déposer une telle demande, sauf si l'UE est d'avis que la Cour de Strasbourg pourrait conclure que la requête, dans la mesure où elle est dirigée contre elle, pourrait être jugée inadmissible pour des raisons procédurales. Ceci peut paraître du bon sens mais l'UE pourrait souhaiter éviter une situation où un État membre serait amené à assurer seul la défense d'une disposition du droit de l'UE qu'il a mise en œuvre.

 

ii) Les États membres comme codéfendeurs

 

Les conditions qui permettent aux États membres de devenir codéfendeurs lorsque l'UE est le défendeur principal sont étroitement modelées sur celles précédemment décrites. Autrement dit, il appartient aux États membres de demander à la Cour soit de les désigner comme codéfendeurs, soit de leur permettre de changer de statut de défendeur en celui de codéfendeur. Et de la même manière que l'UE, les États membres ne peuvent pas être obligés de devenir codéfendeurs.

 

Là où la situation diffère, c'est que les États membres doivent obéir à des conditions de fond particulières. En principe, un État membre ne peut devenir codéfendeur que lorsque qu'un requérant met en cause " la compatibilité avec les droits de la Convention en question d'une disposition du traité sur l'UE, du traité sur le fonctionnement de l'UE ou de toute autre disposition ayant la même valeur juridique conformément à ces instruments, notamment lorsque cette violation n'aurait pu être évitée qu'en méconnaissant une obligation découlant de ces instruments " (article 3(3) du projet d'accord). Il en résulte que les États membres peuvent devenir codéfendeurs lorsque l'UE est le défendeur principal dès lors qu'il est allégué qu'une disposition du droit primaire de l'UE (par exemple, une disposition contenue dans les traités européens) viole la CEDH. La raison qui justifie une association des États membres comme codéfendeurs est qu'ils demeurent les seuls à disposer du pouvoir de remédier à cette violation par le biais d'une révision des traités, une procédure qui exige la ratification de cette révision par chacun des États membres conformément à leurs exigences constitutionnelles respectives. En définitive, l'association des États membres en tant que codéfendeurs serait au grand avantage du requérant puisque l'UE seule ne pourrait remédier à une violation de la CEDH qui a sa source dans une disposition du droit primaire de l'UE.

 

iii) Évaluation du mécanisme de codéfendeur

 

Le mécanisme de codéfendeur en tant que tel représente un développement positif pour autant qu'il représente un moyen d'adapter la situation spécifique de l'UE en tant qu'entité non étatique de nature  fédérale et qui est dotée d'un " ordre juridique spécifique " (préambule du projet d'accord). En d'autres termes, si le fonctionnement de l'UE ressemble largement à celui d'un État fédéral dans le cadre duquel la fédération (l'UE) légifère et les Etats (États membres) mettent en œuvre cette législation, contrairement aux autres fédérations qui ont adhéré à la CEDH, les États membres de l'UE y disposent déjà du statut de Haute Partie contractante. Ceci a pour conséquence que la Cour de Strasbourg peut se trouver dans une situation unique où le législatif (l'UE) et l'exécutif (les États membres) peuvent être tenus responsables indépendamment l'un de l'autre. Or un État fédéral type est en principe juridiquement responsable à la fois des mesures prises par les organes fédéraux tout comme des mesures prises par les organes de ses Etats. Il est enfin possible de mentionner le problème supplémentaire et délicat d'avoir un corps de normes (le droit primaire de l'UE) qui ne peut être modifié que par les États membres agissant à l'unanimité.

 

Le mécanisme de codéfendeur présente l'avantage supplémentaire d'éviter à la Cour de Strasbourg de devoir déterminer qui doit être tenu responsable d'une violation en vertu des traités de l'UE puisque l'UE et le ou les Etats membres en cause seront conjointement responsables en cas de condamnation. Il nous faut cependant relever une faiblesse importante : ce mécanisme laisse à la libre appréciation du codéfendeur le soin de décider s'il doit ou non s'associer à la procédure. Si un codéfendeur potentiel décide de ne pas s'associer à la procédure, la conclusion de la procédure du point de vue du requérant qui obtient gain de cause est moins satisfaisante puisqu'il ne peut forcer l'exécution du jugement contre le codéfendeur potentiel. Il est évident que les États membres demeureront responsables en ce qui concerne les mesures nationales qui trouvent leur source dans le droit de l'UE et qui pourraient enfreindre la Convention. De même, l'UE demeurera responsable de son droit primaire de sorte qu'un requérant pourra obtenir la condamnation de l'UE à ce titre. Il faut toutefois rappeler que la création du mécanisme de codéfendeur a été essentiellement justifiée par le besoin de tenir compte de la structure constitutionnelle particulière de l'UE et le souci de permettre à la CtEDH de conclure à une violation sans avoir à déterminer, de l'UE ou des Etats membres, qui devait en être responsable. Dans le cadre du projet d'accord portant adhésion de l'UE à la CEDH, il appartient cependant au codéfendeur potentiel de déterminer s'il veut être associé à la procédure. S'il s'y refuse, le défendeur sera tenu pour responsable mais il pourrait ne pas être en mesure de remédier à la violation.

 

Appuyons-nous sur les faits de l'affaire Bosphorus pour illustrer ce point. L'Irlande prit possession d'un aéronef conformément à ses obligations en vertu d'un règlement de l'UE. Dans tout scénario similaire, un requérant pourrait engager une action contre l'État membre concerné en alléguant une violation de son droit de propriété en vertu de l'article 1er du Protocole n° 1 de la CEDH. En supposant que la violation trouve sa source dans le règlement de l'UE et en supposant que 1'UE refuse de s'associer à la procédure en tant que codéfendeur, l'État membre se trouverait seul responsable de la violation en cas de condamnation. Mais sans la bonne volonté des institutions de l'UE qui peuvent seules modifier le règlement litigieux, l'État membre ferait face à deux obligations conflictuelles : d'une part, il lui incomberait sur la base de la décision de la Cour de Strasbourg de lever la saisie de l'aéronef et en vertu de ses obligations découlant du droit de l'UE, de procéder à la saisie (ou de ne pas y mettre fin). Ceci est évidement contreproductif et peut être considéré comme une faiblesse majeure. Il aurait été préférable de permettre au défendeur ou au requérant initial de demander à un codéfendeur de s'associer à la procédure. Particulièrement dans les affaires dirigées contre l'UE en tant que défendeur principal, où le requérant allègue que le droit primaire de l'UE viole la CEDH, il peut arriver que seuls quelques États membres se portent codéfendeurs alors même que l'ensemble des Etats membres seraient responsables si la Cour de Strasbourg constate une violation. Mais cette responsabilité collective ne transpirerait pas du jugement. De plus, le statut de défendeur dans une procédure n'est généralement pas laissé au choix des parties. Il est donc d'autant plus surprenant qu'il soit laissé au libre choix du codéfendeur de décider ou non de s'associer à la procédure.

 

Reste alors la question de savoir ce que le requérant stratégiquement judicieux devrait faire pour éviter de se trouver dans une situation où le codéfendeur potentiel refuse de s'associer à la procédure. Du point de vue du requérant, l'avantage majeur du mécanisme de codéfendeur est qu'il permet d'éviter l'obligation d'avoir à épuiser préalablement l'ensemble des voies de recours disponibles dans l'ordre juridique du codéfendeur. Mais cet avantage peut se révéler d'une utilité limitée en pratique puisque dans de nombreuses affaires, aucun recours ne sera possible. En effet, le traité de Lisbonne n'a pas prévu de recours spécial permettant de contester toute mesure adoptée par une institution ou plus généralement un organe de l'UE qui est susceptible de violer les droits fondamentaux. De même, il n'a pas permis de réforme radicale du droit de l'intérêt à agir des personnes physiques ou morales dans le cadre des recours en annulation. En conséquence de quoi, il demeure virtuellement impossible en pratique pour les personnes physiques et morales d'obtenir le droit de contester la légalité d'un acte législatif de portée générale adopté par l'UE auprès du Tribunal de l'UE. De la même manière, lorsque la légalité d'une disposition du droit primaire de l'UE est mise en cause, il n'y a souvent aucun recours possible dans les ordres juridiques des États membres. Pour conclure, dans la plupart des affaires qui seront soumises à la Cour de Strasbourg, il est peu probable qu'un requérant puisse introduire une action contre l'UE et l'État membre en tant que défendeur ordinaires dès le départ.

 

2.3.2 Épuisement des voies de recours et implication préalable de la CJUE

 

Si l'adhésion de l'UE à la CEDH ne modifiera pas le système des voies de recours organisé par le droit de l'UE, elle permettra pour la première fois aux personnes physiques et morales de contester directement les mesures de l'UE devant la CtEDH lorsque ces dernières  considèrent que l'UE a violé leurs droits en vertu de la CEDH. [29] Les critères d'admissibilité habituels qui régissent toute requête déposée auprès de la CtEDH continueront néanmoins de s'appliquer et, en particulier, la condition relative à l'épuisement des voies de recours internes. Cela signifie qu'une personne doit tout d'abord tenter de contester la violation présumée auprès des juridictions de la partie qui est tenue pour responsable. En d'autres termes, si des requérants souhaitent contester la légalité de mesures adoptées par l'UE et diriger sa requête directement contre les institutions de l'UE en tant que défendeurs, l'affaire devra tout d'abord avoir été portée devant le Tribunal de l'UE qui a compétence, en première instance, pour juger des recours en annulation engagés par des particuliers. Après un éventuel appel infructueux auprès de la CJUE, la partie déboutée pourra après l'adhésion de l'UE à la CEDH porter l'affaire devant la Cour de Strasbourg au motif d'une violation des droits et garanties énoncés dans la CEDH (tableau 2).

 

 

Dès lors qu'un requérant cherche à contester une mesure nationale qui trouve sa source dans le droit de l'UE, la situation devient plus complexe. Le requérant est " seulement " requis d'épuiser les voies de recours disponibles dans l'ordre juridique du défendeur (principal), c'est-à-dire de l'État membre qui a adopté la mesure nationale litigieuse mais cette condition ne trouve pas à s'appliquer en ce qui concerne le codéfendeur (ici l'UE). Les rédacteurs du projet d'accord craignaient cependant qu'un requérant puisse contester une mesure nationale mettant en œuvre le droit de l'UE sans qu'aucune des juridictions nationales ayant à connaître de l'affaire ne jugent utile de saisir la CJUE au titre de sa compétence en matière de renvois préjudiciels. Prenant bonne note de la communication commune des présidents Costa et Skouris du 24 janvier 2011 et afin de respecter le principe de subsidiarité qui sous-tend le système de la CEDH, les rédacteurs sont convenus que la procédure de renvoi préjudiciel ne saurait être considérée comme une voie de recours à épuiser par le requérant avant de saisir la Cour de Strasbourg dans la mesure où les requérants ne peuvent obliger les juridictions nationales à opérer un tel renvoi préjudiciel. L'absence de renvoi à la CJUE ne saurait donc entraîner l'inadmissibilité d'une requête déposée auprès de la CtEDH au motif que le requérant n'aurait pas épuisé les voies de recours disponibles. Les rédacteurs du projet d'accord ont en outre considéré judicieux de prévoir une implication préalable de la CJUE dans les affaires où cette dernière " n'a pas encore examiné la compatibilité de la disposition du droit de l'UE avec les droits de la Convention en question " (article 3(5) du projet d'accord) pour s'assurer que la Cour de Strasbourg ne statue pas sur la compatibilité d'un acte de l'UE avec les dispositions de la CEDH sans avoir donné à la CJUE la possibilité de contrôler cet acte sous l'angle du principe de respect des droits fondamentaux.

 

Ce "test", qui peut paraître simple au premier abord, pourrait toutefois créer des difficultés. Il ne peut être clairement satisfait que si la CJUE ne s'est en aucune façon prononcée. Si, toutefois, la CJUE a déjà statué dans une affaire après avoir été saisie d'un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, il conviendrait alors de décider si le jugement de la CJUE porte bien sur " les droits de la Convention en question ". Il n'y a aucune garantie que cela soit toujours le cas car, dans le cadre d'une procédure de renvoi préjudiciel, la CJUE se limite normalement à répondre aux questions soumises à son attention par la juridiction nationale. Une autre source potentielle de difficultés tient au fait que la CJUE peut statuer sur la seule base des normes de l'UE en matière de respect des droits fondamentaux, et en particulier, sur la base des seuls droits garantis par la Charte des droits fondamentaux de l'UE. Il serait alors nécessaire pour la Cour de Strasbourg de déterminer si les droits de l'UE sur lesquels la Cour de Luxembourg s'est exprimé correspondent bien aux droits de la CEDH que le requérant invoque désormais contre l'UE en tant que codéfendeur. Ceci ne sera pas chose aisée car la Charte de l'UE n'énonce pas clairement les droits qui correspondent à ceux garantis par la CEDH. Seules les explications officielles relatives à la Charte offrent une liste assez rudimentaire des droits de la Charte qui sont considérés correspondre aux droits de la CEDH (ou à ceux garantis par ses protocoles). On ne saurait donc exclure que la Cour de Strasbourg puisse éprouver des difficultés quand il s'agira de décider si la CJUE a déjà statué sur la compatibilité d'une disposition du droit de l'UE avec les droits fondamentaux garantis dans l'ordre juridique de l'UE et qui correspondraient à des droits garantis également par la CEDH. Se pose également le problème des dispositions de la Charte de l'UE qui pourraient correspondre à des droits énoncés dans les nombreux protocoles de la CEDH non encore ratifiés par l'UE.

 

Plus complexe encore est la question du mécanisme qu'il convient de créer afin d'organiser l'implication préalable de la CJUE dans les affaires où l'UE a accepté d'être codéfendeur. Cette question reste jusqu'à présent sans réponse puisque les rédacteurs n'ont pas souhaité interférer avec l'autonomie procédurale de l'UE en déterminant comment la CJUE devrait être impliquée. Ce refus trouve sans doute sa source dans la crainte de voir la CJUE juger le projet d'accord incompatible avec les traités de l'UE au motif qu'il viole l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE ou les autres conditions énoncées dans le Protocole n° 8 relatif à l'article 6(2) du TFUE. [30] Le projet d'accord reste donc silencieux en ce qui concerne les modalités qui permettraient l'implication préalable de la CJUE. Il oblige simplement l'UE à veiller à ce que la Cour de Luxembourg intervienne rapidement afin de ne pas retarder indûment la procédure devant la Cour de Strasbourg, ce qui implique donc une future révision des règles de procédure de la CJUE afin d'organiser une nouvelle procédure accélérée dans ce contexte. Une implication préalable de la CJUE est susceptible de poser des problèmes supplémentaires de procédure. Le projet n'offrant aucune précision à ce titre, il incombe à l'UE de décider si, par exemple, la Cour de Strasbourg doit être autorisée à saisir la CJUE d'une nouvelle sorte de renvoi préjudiciel dès qu'une plainte vise l'UE ou à confier à la Commission européenne de saisir la CJUE dans une situation similaire. Il ne fait en revanche aucun doute que le mécanisme qui sera en définitive adopté ne doit pas conférer de nouvelles compétences aux institutions de l'UE, y compris à la CJUE, c'est-à-dire des compétences non prévues dans les traités de l'UE, à défaut de quoi une révision de ces traités européens est obligatoire. Une situation peu souhaitable car cela conduirait sans doute inévitablement à une renégociation d'autres parties des traités de l'UE, ouvrant ainsi la voie à un processus lent et imprévisible. A défaut de révision des traités, la meilleure option serait probablement de confier à la Commission européenne, qui devrait représenter l'UE lorsque la Cour de Strasbourg est saisie de requêtes dirigées contre l'UE, la décision de savoir si une implication de la CJUE est requise ou non.  

 

Enfin, une certaine incertitude demeure quant aux conséquences d'un jugement de la CJUE concluant à la violation par un acte de l'UE d'un ou des droits fondamentaux garantis par le droit de l'UE rendu dans le cadre de cette procédure d'implication préalable. La Cour de Strasbourg devrait alors statuer sur le point de savoir si la procédure entamée devant elle doit continuer. Dans une telle situation, il est fort possible que le requérant ne puisse plus être considéré comme la victime d'une violation de la CEDH. Il faut cependant rappeler que, dans ce scénario, les décisions des juridictions nationales continueraient d'être juridiquement contraignantes puisqu'elles bénéficieraient de l'autorité de la chose jugée et il faudrait donc permettre leur neutralisation (par exemple, en autorisant la réouverture des procédures nationales) afin que la Cour de Strasbourg puisse conclure, à juste titre, que le requérant n'est plus victime au sens de la CEDH. 

 

2.4 Conclusion critique générale

 

Le projet d'accord doit être tout d'abord salué en ce qu'il réussit à préserver l'autonomie du droit de l'UE et il est manifeste que ses rédacteurs se sont attachés autant que possible à se conformer aux exigences posées dans le Protocole n° 8 annexé aux traités de l'UE. En premier lieu, l'accord ne confère pas de nouvelles compétences pour l'UE. En second lieu, le mécanisme de codéfendeur garantit amplement que les requêtes puissent être adressées correctement contre l'UE ou contre l'un ou plusieurs de ses Etats membres selon les cas. Enfin, l'autonomie de l'ordre juridique de l'UE et la position de la CJUE en tant qu'arbitre ultime du droit de l'UE sont préservées. Le mécanisme de codéfendeur apparaît cependant inutilement complexe et l'un de ses défauts majeurs est sans nul doute son caractère non obligatoire. En outre, il est possible de demeurer peu convaincu quant à la nécessité d'offrir à la CJUE l'opportunité d'une " implication préalable " dans le cadre d'affaires où elle n'a pas eu loisir d'examiner la compatibilité d'une disposition du droit de l'UE avec les droits garantis par la CEDH. Ceci conduit à privilégier la CJUE si l'on compare sa situation future à celle des juridictions nationales de dernière instance qui n'ont pas toujours la possibilité, avant que la Cour de Strasbourg ne statue, d'examiner la disposition juridique qui sous-tend l'acte ou l'omission litigieux attaqué par le requérant devant cette dernière. Enfin, l'implication préalable complexifie plus encore un mécanisme de codéfendeur déjà fort compliqué sans parler de l'allongement de la procédure devant la Cour de Strasbourg que cette implication est susceptible de susciter.

 

3. Prochaines étapes procédurales et mise en garde

 

Dans son rapport au Comité des ministres du Conseil de l'Europe, le CCDH note que la plupart des délégations ont considéré le projet d'accord d'adhésion, dans sa rédaction en date du 14 octobre 2011, comme offrant " un compromis acceptable et équilibré ". [31] La Commission européenne a toutefois indiqué qu'il fallait poursuivre le débat au niveau de l'UE pour permettre à celle-ci de décider comment organiser, en pratique, l'implication préalable de la CJUE et son intervention future en tant que codéfendeur. Ce sont en effet des matières purement internes à l'UE, mais d'importance cruciale, et il pourrait s'écouler un certain temps avant que les principaux acteurs de l'UE s'accordent sur ces points. Quoiqu'il en soit, les projets d'instruments juridiques pour l'adhésion de l'UE à la CEDH ont été désormais transmis au Comité des ministres pour examen et nouvelles instructions. Dans la mesure où un certain nombre d'États membres de l'UE continuent d'avoir des réserves concernant les modalités de mise en œuvre du mécanisme de codéfendeur, on ne saurait complètement exclure que le projet d'accord d'adhésion du 14 octobre 2011 puisse être amendé.

 

Sous réserve que le Comité des ministres adopte l'accord d'adhésion, son entrée en vigueur implique de pouvoir surmonter un certain nombre d'obstacles. D'abord, les 47 parties à la CEDH, et l'UE en tant que telle, devront le signer. L'UE aura la possibilité de formuler des réserves à la CEDH pour autant que le droit de l'UE tel qu'il est en vigueur le jour de la signature de l'accord est estimé non conforme avec les dispositions de la CEDH. Concernant la ratification de l'accord, il convient de distinguer entre une ratification par chacun des États parties à la CEDH et une ratification par l'UE. S'agissant de l'UE, l'article 218 du TFUE prévoit un régime spécial de ratification pour un certain nombre d'accords internationaux spécifiques, y compris tout accord portant sur l'adhésion de l'UE à la CEDH. En d'autres termes, le Conseil de l'UE devra adopter à l'unanimité toute décision de conclure l'accord d'adhésion après avoir obtenu le consentement du Parlement européen. Cette décision du Conseil de l'UE devra alors être approuvée par chaque État membre conformément à ses règles constitutionnelles respectives. Enfin, dernier point, mais non le moindre, l'accord devra avoir été approuvé par chacune des 47 Etats parties à la CEDH conformément à leurs règles constitutionnelles respectives. Il faudra donc surmonter de nombreux obstacles procéduraux avant que l'accord d'adhésion puisse entrer en vigueur. Si la CJUE devait être amenée à statuer sur la compatibilité de l'accord d'adhésion avec les traités de l'UE - une hypothèse qui paraît de plus en plus probable - nous risquons une bien mauvaise surprise mais cela semble tout de même peu vraisemblable dans la mesure où les rédacteurs de l'accord d'adhésion se sont donnés beaucoup de mal à faire en sorte que les points de vue de la CJUE, tels qu'exprimés dans un certain nombre de documents publics, soient pris en compte.

 

Le mécanisme du codéfendeur a fait couler beaucoup d'encre alors qu'il apparaît que seulement trois affaires auraient indubitablement requis, jusqu'à présent, son application. [32] Il est en outre peu probable que beaucoup de requêtes pourront être dirigées avec succès contre les jugements de la CJUE, dans le cadre de ce que l'on appelle les recours directs, concluant à une violation des droits fondamentaux du requérant. Il est sans doute utile de rappeler que 96% des requêtes soumises à la Cour de Strasbourg au cours de la période 1959-2009 ont été déclarées irrecevables. Il se peut que l'adhésion de l'UE à la CEDH améliorera de manière décisive " la cohérence de la protection des droits de l'Homme en Europe " (préambule du projet d'accord) mais il convient de ne pas oublier que l'UE est sur le point d'adhérer à un système en crise profonde et " en danger d'asphyxie " [33], avec près de 139 650 requêtes pendantes au 1er janvier 2011. Comme si cela ne suffisait pas à doucher tout optimisme, certains ont prévu que la CJUE ferait également bientôt face à une charge de travail ingérable. [34] Il nous faut donc espérer qu'en s'accordant bientôt sur un accord portant adhésion de l'UE à la CEDH, après plus de 50 ans de débat, les autorités de la CEDH et de l'UE pourront recentrer leurs efforts afin d'élaborer des solutions radicales et durables pour que la CtEDH et la CJUE puissent s'acquitter efficacement de leurs nouvelles tâches et d'une charge de travail qui ne cesse de croître.

* Version originale de l'article en anglais est également disponible sur le site de la Fondation Robert Schuman.


[1] Pour une vue d'ensemble des principales réformes contenues dans le traité de Lisbonne en matière de protection des droits fondamentaux, voir notre précédente Question d'Europe, n° 173, du 14 juin 2010 : http://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0173-la-protection-des-droits-....
[2] Pour un exposé historique exhaustif et de plus amples références, voir J.-P. Jacqué, " The Accession of the European Union to the European Convention on Human Rights and Fundamental Freedoms " (2011) 48 Common Market Law Review 995.
[3] Voir en particulier le mémorandum de la Commission européenne du 4 avril 1979, Supplément n° 2/79, Bulletin des CE et la communication qu'elle a publiée le 19 novembre 1990 (Sec(90)2087 final).
[4] Voir Opinion n° 2/94 (1996) ECR I-1759.
[5] La CJUE est basée à Luxembourg tandis que la CtEDH est basée à Strasbourg.
[6] La Convention européenne, Rapport final du Groupe de travail II, Conv 354/02, 22 octobre 2002, p. 12.
[7] L'article 59, paragraphe 2, de la CEDH, telle qu'amendée par le Protocole n° 14 dispose qu'une entité non étatique, en l'occurrence, l'UE, peut adhérer à la CEDH.
[8] Une version partiellement déclassifiée de la décision du Conseil autorisant la Commission à négocier l'accord d'adhésion a depuis été mise à la disposition du public, mais les directives de négociation du Conseil demeurent confidentielles.
[9] Le site du groupe informel du Conseil de l'Europe sur l'adhésion de l'UE à la CEDH (CDDH-EU) offre un accès aisé au projet d'instruments juridiques et à un ensemble d'autres documents particulièrement instructifs : http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/hrpolicy/CDDH-UE/CDDH-UE_documents_en.asp.
[10] Rapport du CDDH au Comité des ministres sur l'élaboration d'instruments juridiques pour l'adhésion de l'UE à la CEDH, CDDH(2011)009, 14 octobre 2011. Le rapport reproduit en annexe la version la plus récente du projet d'instruments juridiques.
[11] Voir les versions consolidées des traités de l'UE (2010) JO C 83/273.
[12] voir T. Lock, " Walking on a tightrope: The draft ECHR accession agreement and the autonomy of the EU legal order " (2011) 48 Common Market Law Review 1025.
[13] Sous réserve que la CJUE dispose en effet de la compétence de contrôler les actes litigieux adoptés par l'UE.
[14] Voir récemment Sejdic et Finci c. Bosnie, n°. 27996/06 et 34836/06, 22 déc. 2009.
[15] Matthews c. Royaume-Uni, n° 24833/94, 18 fév. 1999.
[16] Voir en particulier Bosphorus Airways c. Irlande, n° 45036/98, 30 juin 2005.
[17] Voir par exemple l'avis n° 1/91 (1991) ECR I-6079 où la CJUE jugea que l'UE ne saurait signer un accord international qui permettrait à une cour autre que la CJUE de décider de la distribution des compétences entre l'UE et ses États membres ou de prendre des décisions contraignantes relativement à l'interprétation ou la validité du droit de l'UE.
[18] Document disponible à l'adresse : http://curia.europa.eu/jcms/jcms/P_64268/
[19] L'article 35(1) de la CEDH dispose que la CtEDH ne peut être saisie qu'après épuisement des voies de recours internes et dans un délai de six mois à partir de la date de la décision interne définitive.
[20] La communication commune des présidents Costa (CtEDH) et Skouris (CJUE), publiée le 24 janvier 2011, est disponible en ligne : http://curia.europa.eu/jcms/jcms/P_64268/
[21] Voir par exemple, la communication n° E 5248 de M. Robert Badinter, Sénat, 25 mai 2010, p. 7.
[22] Voir la présentation du juge Timmermans de la CJUE à l'audition organisée par la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, le 18 mars 2010.
[23] Voir, par exemple, Conseil de l'Europe, Étude sur les questions juridiques et technique d'une éventuelle adhésion de la CE/UE à la CEDH, DG-II(2002)006, 28 juin 2002, paras 57-62.
[24] Voir, par exemple, la note adressée au groupe de travail informel CDDH-UE par Human Rights Watch et al., NGOS's Perspective on the EU Accession to the ECHR: The Proposed Co-respondent procedure and consultation with civil society, 3 décembre 2010.
[25] Voir le para. 85 du projet de rapport explicatif sur le projet d'accord.
[26] Voir le para. 7 du projet de rapport explicatif : "Le mécanisme de contrôle actuel devrait être préservé autant que possible et appliqué à l'UE comme à toute autre Haute Partie contractante en se limitant aux adaptations strictement nécessaires".
[27] 8ème Rapport sur la Charte des droits fondamentaux de l'UE, 16 mai 2000, par. 142.
[28] la Cour de Strasbourg n'examine pas les mesures nationales qui mettent en œuvre le droit de l'UE pour autant que l'UE continue d'offrir un système de protection des droits fondamentaux qui peut être considéré comme offrant une protection comparable à celle offerte par la CEDH.
[29] Strictement parlant, l'UE pourra être tenu responsable pour tout acte, action ou omission de ses organes.
[30] L'article 218(11) TFUE prévoit qu'" Un État membre, le Parlement européen, le Conseil ou la Commission peut recueillir l'avis de la Cour de justice sur la compatibilité d'un accord envisagé avec les traités. En cas d'avis négatif de la Cour, l'accord envisagé ne peut entrer en vigueur, sauf modification de celui-ci ou révision des traités ".
[31] Rapport CDDH (2011)009, 14 octobre 2011, para. 9. Certains gouvernements influents de l'UE demeurent critiques quant à certains aspects fondamentaux du projet d'accord. Voir, par exemple, le document officieux du Royaume-Uni soumis au Conseil de l'UE (groupe de travail sur les droits fondamentaux), DS1563/11, Bruxelles, 22 septembre 2011.
[32] Rapport explicatif, par. 44, nbp. 18.
[33] Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, APCE, The future of the Strasbourg Court and enforcement of ECHR standards (Conclusions de la Présidente, Mme Herta Däubler-Gmelin, AS/Jur (2010) 06, para. 9.
[34] Chambre des Lords du Royaume-Uni, Comité en charge de l'UE, The Workload of the CJUEEU, 14e Rapport de session 2010-11, 6 avril 2011 (ce rapport émet un pronostique encore plus sombre en ce qui concerne le Tribunal de l'UE).

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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