Accueil des réfugiés ukrainiens : entre réponses d'urgence et solutions de long terme

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Ramona Bloj,  

Stefanie Buzmaniuk

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19 avril 2022
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Bloj Ramona

Ramona Bloj

Responsable des études de la Fondation Robert Schuman

Buzmaniuk Stefanie

Stefanie Buzmaniuk

Directrice de recherche, chargée du développement

Accueil des réfugiés ukrainiens : entre réponses d'urgence et solutions de long ...

PDF | 270 koEn français

Mi-avril 2022, plus de 7,1 millions d'Ukrainiens ont été contraints de se déplacer à l'intérieur de leur pays et plus de 4,6 millions de personnes ont dû fuir l'Ukraine depuis le 24 février et le début de l'invasion russe (graphique 1). Au total, plus d'un quart de la population a donc été forcée de quitter son foyer à la suite de l'agression de la Russie. Pour l'Europe, il s'agit du plus grand mouvement de population depuis la Seconde Guerre mondiale et les défis pour les pays limitrophes - la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, la Hongrie et la Slovaquie - accueillant le plus grand nombre de réfugiés, sont importants, qu'il s'agisse de garantir un logement temporaire, d'offrir l'accès immédiat aux soins de santé, ou bien la scolarisation des enfants et l'accès aux marchés du travail.

Les pays d'accueil

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) mi-avril, les pays qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés sont la Pologne (2 645 877), la Roumanie (701 741), la Moldavie[1] (413 374, soit 15,3% de la population), la Hongrie (428 954) et la Slovaquie (320 246).

La libre circulation à l'intérieur de l'espace Schengen, qui s'applique également aux réfugiés ukrainiens, rend difficile l'identification de la destination finale des personnes ayant fui la guerre. Les données mises en avant par le HCR expriment ainsi le nombre d'enregistrements. Pour une image plus complète de la répartition dans les pays de l'Union européenne, il faudrait attendre l'obtention des permis de séjour ou le dépôt des demandes de statut de "protection temporaire".

Au niveau mondial, le président Joe Biden a annoncé le 24 mars que les États-Unis allaient accueillir 100 000 réfugiés ukrainiens. Mais, au début du mois d'avril, selon le département de la sécurité intérieure, seulement 3 000 demandeurs d'asile ukrainiens étaient recensés dans le pays. Plus de 6 000 Ukrainiens ont été accueillis au Canada, et 4 000 visas spéciaux ont été délivrés par la Nouvelle-Zélande. En rupture avec sa politique traditionnelle, le Japon a accueilli plus de 400 réfugiés Ukrainiens.

Selon les Nations unies, neuf personnes sur dix fuyant la guerre sont des femmes ou des enfants. Céline Schmitt, porte-parole du HCR, note qu'il s'agit d'une population particulièrement vulnérable : "Ce sont des personnes qui ont besoin de soutien psychologique et que nous devons protéger contre toute forme d'abus et de violences." Elle alerte aussi sur le soutien accru qu'il va falloir fournir aux nouveaux réfugiés : "Les premiers Ukrainiens à avoir quitté leur pays partaient rejoindre des proches à l'étranger. Mais plus la guerre dure, et plus elle jette sur les routes des personnes seules et sans ressources[2]."

Nombre total de réfugiés en provenance d'Ukraine accueillis dans les pays frontaliers par mois, depuis le 24 février 2022

Graphique 1. Fondation Robert Schuman, Source : Nations Unies

À partir des données publiées par les autorités nationales, dans le tableau 1 (annexe), nous dressons un panorama du nombre des Ukrainiens accueillis par chaque État membre. Toutefois, les chiffres restent inexacts et sont en constante évolution - par exemple, une personne traversant la frontière avec la Pologne peut être comptée deux fois : la première fois au moment de son entrée dans l'Union européenne et la deuxième lors du dépôt de la demande de statut de protection temporaire dans un pays européen autre que celui d'entrée.

Les mécanismes mis en place par l'Union européenne et les États membres

La réponse européenne rapide à la crise humanitaire ukrainienne a pu surprendre. En effet, depuis la crise migratoire de 2015, les États membres restent divisés sur les réponses aux enjeux migratoires. Le nouveau Pacte pour l'asile et la migration, présenté par la Commission européenne en septembre 2021, n'a pas encore trouvé d'accord. Pourtant, les États les plus réticents à l'accueil des demandeurs d'asile - notamment la Hongrie et la Pologne - sont ceux qui accueillent le plus grand nombre de personnes fuyant l'agression russe.

Globalement, la réponse européenne s'est articulée autour de trois axes d'action : protection des personnes, aide humanitaire, gestion des frontières et soutien aux capacités d'accueil.

Protection des personnes

Si, depuis 2017, les citoyens Ukrainiens peuvent se rendre dans l'Union européenne sans visa pour un séjour d'une durée de quatre-vingt-dix jours, la Commission a proposé, le 2 mars 2022, l'activation de la Directive protection temporaire, mécanisme créé à la suite de la guerre dans l'ex-Yougoslavie, mais jamais utilisé auparavant. Il a été activé le 4 mars, garantissant aux ressortissants ukrainiens et aux membres de leurs familles déplacés en raison du conflit, le droit de séjour dans l'Union européenne, l'accès au marché du travail, à un logement adéquat, aux aides sociales et médicales et aux moyens de subsistance. Il prévoit également la création d'un statut de protection assorti de formalités réduites. La protection temporaire, valable pour une année et renouvelable deux fois pour des périodes de six mois[3] , est ainsi conçue comme une alternative à la protection internationale classique qui présuppose une demande d'asile de la part des personnes ayant fui leur pays, un processus long pour les demandeurs d'asile et compliqué à gérer pour les États membres si un nombre élevé de réfugiés arrive en peu de temps sur le territoire. Une "Plateforme de solidarité", permettant aux États membres d'échanger des informations sur leurs capacités d'accueil, a également été mise en place.

Le 8 mars, la Commission européenne a adopté la proposition relative à une action de cohésion pour les réfugiés en Europe (CARE), offrant aux États membres une plus grande flexibilité dans l'utilisation des fonds européens pour venir en aide aux Ukrainiens et encourager les investissements dans le logement, l'éducation, l'inclusion sociale et d'autres services sociaux devant permettre l'intégration à long terme des personnes fuyant le conflit en Ukraine. Les États peuvent ainsi utiliser l'enveloppe React–EU (qui fait partie du plan de relance NextGenerationEU), le FEDER, le FSE et les fonds restants de la politique de cohésion (2014-2020). Pour alléger la charge sur les budgets publics des États membres face à l'afflux de réfugiés et faciliter leur prise en charge, le Conseil a débloqué le 12 avril 3,5 milliards € d'aides aux États dans le cadre du plan React-EU.

En outre, le 22 mars, la Commission a lancé le portail "Espace européen de la recherche pour l'Ukraine" à destination des chercheurs pour les aider à trouver un logement et des possibilités d'emploi ou à faciliter la reconnaissance de leurs diplômes. L'initiative a été complétée par l'adoption, le 6 avril, d'une recommandation sur la reconnaissance des qualifications universitaires et professionnelles. Enfin, la Commission a ajouté l'ukrainien à l'outil de profilage des compétences des ressortissants des pays tiers, EU Skills Profile Tool for non-EU nationals.

Aide humanitaire

Depuis l'annexion russe de la Crimée en 2014, l'Union européenne et ses États membres ont fourni plus de 2,6 milliards € dont 1,3 milliard € pour l'aide humanitaire. Depuis le 24 février, ils ont fourni plus de 758 millions € d'aide humanitaire. Ainsi, l'Union européenne a débloqué 500 millions € destinés à faire face aux conséquences de la guerre : 93 millions € seront alloués à des programmes d'aide humanitaire, 85 millions € sont directement destinés à l'Ukraine et 8 millions € sont destinés à la Moldavie - aide aux points de passage frontaliers, points de transit et centres d'accueil. Par ailleurs, 330 millions € seront affectés à un programme d'aide d'urgence destiné à assurer l'accès aux biens et services de base et à protéger la population. Enfin, 107 millions € de produits de première nécessité seront fournis à l'Ukraine.

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a également annoncé un prêt supplémentaire d' 1 milliard € pour couvrir les besoins des personnes déplacées du fait de l'invasion russe et fournir une aide humanitaire et financière supplémentaire dans le cadre de la Campagne Agir pour l'Ukraine qui a levé, le 9 avril, 9,1 milliards €. Au total, 5 milliards € sont des prêts et subventions accordés par des institutions financières publiques européennes, dont la BERD ; et 4,1 milliards € sont des contributions financières des secteurs privé et public destinées aux déplacés et aux réfugiés.

Le 28 février, l'Union européenne a débloqué un programme d'aide supplémentaire d'urgence de 90 millions € - dont 85 millions € pour l'Ukraine et 5 millions € pour la Moldavie. Dans le cadre du mécanisme européen de protection civile, vingt États membres[4] se sont engagés à assister matériellement les populations touchées par la guerre en Ukraine. La France, les Pays-Bas et l'Autriche ont également fourni des abris et une assistance médicale à la Moldavie, qui a reçu à ce jour plus de 53 millions € en provenance de l'Union européenne dont 15 millions € pour "soutenir le traitement digne et efficace des réfugiés ainsi que la sécurité du transit et du rapatriement des ressortissants de pays tiers". Le 12 avril, une opération humanitaire a été déployée à Chișinău par l'intermédiaire de la capacité d'intervention humanitaire européenne (EHRC).

Dans le cadre du programme RescEU, 10 millions € ont été débloqués pour permettre la mise en place de réserves médicales - ventilateurs, pompes à perfusion, moniteurs de surveillance, masques et blouses, dispositifs ultrasons et concentrateurs d'oxygène - et de pôles logistiques de protection civile ont été déployés en Pologne, en Roumanie et en Slovaquie. Neuf millions € ont été mobilisés pour des soins de "santé mentale et de soutien pour la gestion des traumatismes". Par ailleurs, les personnes ayant besoin d'un traitement hospitalier spécialisé d'urgence peuvent être transférées d'un État membre vers un autre pour y être soignées. À ce jour, il y a également un projet de création d'un réseau de professionnels de la santé mentale en langue ukrainienne.

Gestion des frontières et soutien aux capacités d'accueil

Le 2 mars, la Commission européenne a présenté les lignes directrices de son action concernant l'assouplissement des contrôles aux frontières, permettant aux ressortissants de pays tiers d'entrer sur le territoire européen pour des raisons humanitaires, même s'ils ne remplissent pas toutes les conditions.

Europol a également déployé des équipes opérationnelles dans les pays situés en première ligne - Lituanie, Roumanie, Pologne, Slovaquie, Moldavie et bientôt en Hongrie. Entre autres, l'agence fournit un soutien aux contrôles de sécurité secondaires aux frontières extérieures, tandis que l'Agence européenne de gardes-frontières et garde-côtes Frontex apporte son aide à la Moldavie, sous forme d'assistance technique et opérationnelle.

Les besoins de court et long terme

Il est difficile d'estimer l'impact que l'arrivée de presque cinq millions de réfugiés ukrainiens aura sur les États membres. A court terme, il est important d'assurer, dans de bonnes conditions, la protection et l'accueil des personnes fuyant la guerre. Dans ce cadre, une forte implication des gouvernements pour coordonner la participation des réseaux privés et de la société civile est essentielle.

A moyen et long terme, plusieurs inconnues, dont la plus importante est la durée de la guerre, rendent difficiles l'estimation des besoins. Plus la guerre sera longue, plus les besoins des personnes déplacées changeront de nature : si, dans une première phase, les personnes entrant sur le territoire de l'Union pouvaient compter sur une bonne situation matérielle ou avaient des proches dans les pays européens, les personnes fuyant les agressions russes à l'Est du pays pourront avoir besoin d'une assistance différente, à la fois en termes de soutien psychologique et matériel.

Bien que les entrées journalières aient baissé par rapport aux premières semaines de l'invasion (graphique 2), les capacités d'accueil dans les pays limitrophes pourront rapidement s'approcher de leur limite. La Pologne accueille le plus grand nombre de réfugiés et les autorités polonaises alertaient déjà en mars sur le fait que de nombreux centres d'accueil dans le pays étaient proches d'atteindre la capacité maximale. Dans ce contexte, la question de la relocalisation des migrants se pose. Il s'agit d'un double défi : la Pologne a été parmi les pays qui ont été les plus opposés à l'introduction d'un mécanisme de relocalisation pour gérer d'autres flux migratoires en 2015 et les réfugiés ukrainiens ne sont souvent pas prêts à s'éloigner de la frontière, espérant qu'un retour sera bientôt possible.

La durée de la guerre et les perspectives de reconstruction du pays vont naturellement influencer le retour des Ukrainiens. Plus de 537 000 personnes ayant fui la guerre aux premières semaines de l'invasion sont rentrées chez elles. Selon le service national des gardes-frontières ukrainiens, le 3 avril, plus de 22 000 Ukrainiens avaient franchi la frontière pour rentrer dans le pays, encouragés peut-être par le redéploiement des troupes russes à l'Est et les victoires militaires ukrainiennes dans les régions de Kiev, Tchernihiv et Soumy.

Si la Directive sur la protection temporaire offre aux États membres un cadre flexible d'action et de réponse, une réflexion concernant le passage de l'aide immédiate vers une intégration sociale et professionnelle durable des populations pourrait s'imposer dans les mois à venir. L'aide financière aux États les plus concernés, pour alléger la pression fiscale, sera essentielle : une étude publiée le 6 avril note que l'accueil des réfugiés Ukrainiens pourrait coûter aux États-membres plus de 40 milliards €[5].

Alors que des rapports ont signalé des traitements différents et des discriminations des ressortissants de pays tiers aux frontières, la question de la généralisation et la pérennisation des mécanismes d'accueil se posera, alors qu'un accord sur le nouveau Pacte sur l'asile et la migration devrait, en théorie, être trouvé prochainement.

La protection temporaire pourrait-elle s'appliquer à d'autres crises migratoires ? Les positionnements polonais et hongrois sur la question ont-ils changé ? Ce qui est certain, c'est que l'Union européenne, les États membres et la société civile européenne ont su apporter une réponse à la hauteur du défi, en engageant rapidement toutes les instances, faisant preuve à la fois de flexibilité et de volonté politique.

ANNEXE

État membrePersonnes accueillies
Allemagne239 000 (4 avril)
Autriche51 000 (7 avril)
Bulgarie79 706 (11 avril)
Chypreenviron 15 000 (30 mars)
Croatie3 000 (30 mars)
Danemark[6]28 000 (25 mars)
Belgique31 000 (7 avril)[7]
Espagne50 000 (10 avril)
Estonie25 190 (30 mars)
Finland16 000 (6 avril)[8]
France43 000 (10 avril)[9]
Grèce16 700 (2 avril)[10]
Hongrie428 954 (11 avril)
Irlande16 891 (31 mars)
Italie88 593 (9avril)
Lettonie12 000 (30 mars)[11]
Lituanie43 770 (11 avril)
Luxembourg2 500 (15 mars)[12]
Pays-Bas24 020 (7 avril)[13]
Pologne2 645 877 (11 avril)
Portugal29 061 (7 avril)[14]
République tchèque300 000 (29 mars)[15]
Roumanie701 741 (11 avril)
Slovaquie320 246 (11 avril)
Slovénie8 000 (4 avril)[16]
Suède31 478 (12 avril)

Les auteurs remercient Monica Amaouche-Recchia, Luna Ricci, Justine Ducretet-Pajot, et Margaret Willis pour leur aide.

[1] Selon les données des Nations unies, environ un tiers des réfugiés ukrainiens restent dans le pays.
[2] Sophie Amsili et Jules Grandin, "Qui sont les 4 millions de réfugiés ukrainiens ?", Les Echos, 30 mars 2022.
[3] Si le retour n'est toujours pas possible, elle peut être renouvelée encore une fois pour une année.
[4] Autriche, Belgique, Croatie, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Italie, Irlande, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie, Espagne, Suède et Pays-Bas
[5] Pour une étude approfondie sur le coût de l'accueil voir Darvas, Z. (2022) 'Bold European Union action is needed to support Ukrainian refugees', Bruegel Blog, 6 avril.
[6] Comme le Danemark n'est pas lié par la directive européenne sur la protection temporaire, une loi spéciale a pris effet le 17 mars : les apatrides d'Ukraine ne sont pas inclus, et un permis sera accordé pour deux ans dans un premier temps, avec une possibilité de prolongation pour une année supplémentaire.
[7] "Un nouveau flux de milliers de réfugiés ukrainiens va arriver en Belgique", Sept sur Sept, 7 avril 2022.
[8] Liisa Niemi, "Helsingiltä on kateissa yli 200 ukrainalaista lasta, jotka eivät käy koulua", Helsingin Sanomat, 6 avril 2022.
[9] Jean-Marc Leclerc, "Le flux des migrants ukrainiens en France se réduit", Le Figaro, 11 avril 2022.
[10] "Πόλεμος στην Ουκρανία: Πάνω από 16.700 Ουκρανοί πρόσφυγες στην Ελλάδα, 5.117 ανήλικοι", Oema, 3 avril 2022.
[11] Op. cit..
[12] Tracy Heindrichs, "Around 2,500 Ukrainian refugees in Luxembourg", Delano, 15 mars 2022
[13] "Safety regions, municipalities and private individuals offer refugees a safe place to stay", Gouvernement des Pays-Bas, 7 avril 2022.
[14] "Portugal aceitou mais de 29 mil pedidos de proteção temporária", Observador, 8 avril 2022.
[15] Aneta Zachová, "Two-thirds of Ukrainian refugees welcome to stay indefinitely", Euractiv, 29 mars 2022.
[16] Sebastijan R. Maček, "Slovenia slow to process Ukrainian refugees", Euractiv, 4 avril 2022.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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