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Les relations Europe-Afrique à l'aune de la pandémie de Covid-19. État des lieux et perspectives

Afrique et Moyen Orient

Alexandre Kateb

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15 février 2021
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Kateb Alexandre

Alexandre Kateb

Economiste et maître de conférences à Sciences Po Paris.

I. L'Afrique face à la pandémie

A. Indicateurs épidémiologiques et sociodémographiques

Si l'on en croit les statistiques officielles, le continent africain a été relativement épargné par la pandémie de Covid-19 en comparaison avec l'Europe, l'Amérique et l'Asie. Les facteurs explicatifs de la faible incidence du coronavirus en Afrique ne sont pas complètement élucidés. Selon l'OMS, le continent africain aurait bénéficié de certains facteurs structurels tels que la faible connectivité internationale de la plupart des pays africains, si l'on excepte certains " hubs " régionaux comme Johannesburg, Casablanca, Addis-Abeba et Nairobi. Incidemment, ce sont les pays africains les plus " connectés " du continent comme le Maroc et l'Afrique du Sud qui présentent les taux de prévalence les plus élevés de Covid-19, ce qui pourrait accréditer cette explication[1].

En outre, sur le plan démographique, la population du continent africain est, dans l'ensemble, beaucoup plus jeune que celle des autres continents, même s'il existe des divergences marquées d'un pays à l'autre. La densité moyenne de population est également plus faible en Afrique qu'en Europe, en Asie ou en Amérique[2]. La faible prévalence de Covid-19 en Afrique pourrait être liée à des caractéristiques socio-culturelles. Ainsi, il existe très peu de maisons de retraite en Afrique et, dans la plupart des pays africains, les personnes âgées sont directement prises en charge par leurs descendants en vertu de coutumes et de traditions fortement ancrées. Certains pays africains auraient également bénéficié de l'expérience acquise dans la lutte contre l'épidémie d'Ebola[3] qui s'était déclenchée en Sierra Leone, en Guinée Equatoriale et au Libéria en 2013-2014, puis en République Démocratique du Congo (RDC) en 2018. Ces pays et leurs voisins avaient alors développé des protocoles de gestion de crise comprenant, à la fois, un volet sanitaire, avec une réorganisation des infrastructures sanitaires pour faire face à la crise, et un volet préventif, à travers le déploiement d'un arsenal de tests, de mesures de traçage et d'isolement des patients atteints du virus, couplé à des mesures prophylactiques (utilisation de gel hydro-alcoolique et d'équipements de protection) et à des restrictions sur la mobilité nationale et internationale. L'Ouganda et le Rwanda ont ainsi fermé leurs frontières avant même la détection du premier cas de Covid-19 sur leur territoire.

Certains chercheurs attribuent les faibles taux d'infection à la Covid-19 affichés par de nombreux pays africains au nombre limité de tests réalisés au sein de leur population. Une étude a ainsi pointé du doigt l'écart entre les statistiques officielles et la proportion de la population qui possède des anticorps contre le virus. De manière générale, l'Afrique possède des vulnérabilités structurelles avec des taux de pauvreté beaucoup plus élevés que dans le reste du monde, un moindre accès aux facilités sanitaires et un nombre important de personnes qui présentent des facteurs de comorbidité ou des systèmes immunitaires affaiblis, en raison de leur co-infection par le bacille de la tuberculose ou le virus du VIH. Selon une étude réalisée par Afrobarometer, deux tiers des Africains présentent un risque d'exposition accru à la Covid-19 en raison de conditions de vie précaires et d'un manque d'accès aux services publics de base. Le risque varie de 11% de la population à Maurice à 92% de la population au Niger et en Ouganda. De plus, selon la même étude, 26% des Africains font face à un risque d'exposition élevé et à une faible résilience en cas d'infection. Enfin, moins d'un tiers des Africains (30%) disposeraient de conditions d'habitat et de revenu adaptées à un confinement de longue durée.

B. Les réponses des Etats africains face à la pandémie

2.1. Les restrictions sanitaires et les mesures de distanciation sociale

La plupart des pays africains ont mis en place des restrictions sur la mobilité et des mesures de distanciation sociale pour lutter contre la pandémie. Le degré de sévérité des restrictions, ou Stringency Index[4], varie selon les pays tout comme l'efficacité réelle de ces politiques. Afin d'évaluer cette dernière, nous avons construit un indice de mobilité (Mobility Index), sur la base des données de traçage GPS communiquées par Google, en agrégeant quatre dimensions : durée quotidienne de présence dans les transports publics, durée quotidienne de présence au travail, durée quotidienne de présence dans les lieux de loisirs et les commerces, et durée de présence au domicile.

Certains pays africains ont mis en place des politiques très restrictives et obtenu des réductions très significatives de la "mobilité sociale". Lorsqu'elles ont été appliquées par toute la population, ces mesures ont permis de réduire la vitesse de circulation du virus et d'atténuer la surcharge créée par la pandémie sur des infrastructures qui auraient rapidement été saturées en l'absence de telles restrictions. Afin de croiser les deux dimensions - rigueur des mesures mises en œuvre et impact effectif - nous avons élaboré un score d'efficacité (EfficacyScore) égal au quotient entre la réduction constatée de la mobilité (1-MobilityIndex) et la sévérité des restrictions (StringencyIndex). À l'aune de ce score calculé pour 26 pays africains, l'île Maurice arrive en première position, suivie du Maroc, de l'Afrique du Sud, du Sénégal et du Cap Vert. À l'autre bout du spectre, on trouve des pays comme la Libye et le Burkina Faso où les mesures restrictives n'ont eu aucun impact sur la mobilité sociale.

EfficacyScore = (1-MobilityIndex) / StringencyIndex

2.2. L'impact économique et social de la pandémie et les mesures prises pour y remédier

Si l'impact sanitaire de la pandémie a été moindre en Afrique par rapport à d'autres régions du monde, son impact politique, économique et social sur les économies et les populations africaines est considérable. L'impact économique résulte à la fois des mesures restrictives prises au niveau local pour contenir la propagation du virus, de la chute temporaire de la demande mondiale de matières premières (pétrole, minerais, produits agricoles), de biens manufacturés et de services (tourisme, transport aérien) et, enfin, de l'impact de la pandémie sur les échanges intra-africains.

Selon les projections du FMI d'octobre 2020, les Etats africains devraient connaître des taux de croissance négatifs en 2020 et ne retrouver leur PIB d'avant crise qu'en 2022, voire en 2023. Plus précisément, selon le FMI, l'activité devrait se contracter de 3% en Afrique subsaharienne en 2020. Pour 2021, la croissance africaine devrait se redresser à 3,1%. Le FMI note ainsi que " l'Afrique subsaharienne fait face à une crise sanitaire et économique sans précédent qui, en l'espace de quelques mois seulement, a mis en péril des années de progrès durement acquis sur la voie du développement et bouleversé l'existence et les moyens de subsistance de millions de personnes ". En Afrique du Sud par exemple, plus de 2,2 millions d'emplois ont été perdus au second trimestre 2020, soit 14% de l'ensemble des emplois existants. De plus, selon la Banque mondiale, les envois de fonds des travailleurs migrants vers l'Afrique subsaharienne devraient reculer de 9% et de 6% respectivement en 2020 et en 2021, aggravant l'insécurité alimentaire et la pauvreté dans les pays les plus dépendants de ces transferts.

Plus généralement, le FMI souligne que " les perspectives de la région seront fonction de la disponibilité de financements supplémentaires et de réformes nationales porteuses de transformations qui permettront de renforcer la résilience (accroissement des recettes, passage au numérique, amélioration de la transparence et de la gouvernance), d'accélérer la croissance à moyen terme, de créer des débouchés pour une vague de nouveaux arrivants sur le marché du travail et d'avancer vers les objectifs de développement durable. " La situation n'est guère plus enviable pour les pays d'Afrique du Nord[5], que ce soit pour les exportateurs de pétrole comme l'Algérie et la Libye, confrontés à une chute brutale du cours de l'or noir au premier semestre 2020, ou pour les pays exportateurs de biens manufacturés et de services tels que le Maroc, la Tunisie et l'Egypte qui ont pâti de la chute de la demande régionale (Union européenne, Turquie, Pays du Golfe) pour ces biens et services.

De plus, les mesures restrictives mises en œuvre pour lutter contre la pandémie, sur fond de crise économique et sociale, ont accentué l'exaspération des populations, surtout lorsque le but de ces restrictions n'était pas clairement expliqué et qu'elles n'ont pas été accompagnées de mesures de soutien. Au Nigéria par exemple, les grandes villes du pays ont été le théâtre d'importantes manifestations en octobre 2020. Les groupes djihadistes basés au Sahel ont profité de la crise pour faire de nouvelles recrues et intensifier leurs opérations. La contestation politique et sociale risque d'augmenter encore dans les années à venir, comme ce fut le cas au lendemain de la crise financière de 2008, notamment dans les pays où les gouvernements n'ont pas su gérer cette crise multidimensionnelle.

Face à un choc externe sans précédent, on observe des écarts significatifs dans l'ampleur des réponses apportées par les différents Etats africains. Cette hétérogénéité s'explique en partie par des marges de manœuvre fiscales et budgétaires inégales, tributaires de la situation macroéconomique et financière préexistante à la crise (niveau de l'endettement interne et externe, solde budgétaire primaire et solde de la balance courante, régime de change, etc.). Mais elle reflète également les capacités institutionnelles différenciées des Etats. À cet égard, on peut comparer les réponses apportées à la crise par deux pays emblématiques : l'Afrique du Sud et le Maroc.

La réponse sud-africaine

En Afrique du Sud, où plus de deux millions d'emplois ont été perdus au second trimestre 2020, le gouvernement de Cyril Ramaphosa a dévoilé un plan de soutien de 500 milliards de rands, soit 30 milliards $, représentant 10% du PIB. Ce plan a étendu à six millions de personnes supplémentaires le dispositif préexistant d'aide alimentaire et de transferts monétaires ciblés, qui concernait déjà onze millions de Sud-Africains. Il consacre une enveloppe de 6 milliards $ pour soutenir des investissements dans les infrastructures sur les dix prochaines années. Enfin, il prévoit de financer la création de 800 000 emplois, dont une partie significative consiste en emplois publics. Pour financer son programme, le gouvernement a fait appel au FMI en sollicitant un prêt de 4,3 milliards $, qui lui a été accordé en juillet 2020.

À court terme, cette politique de relance keynésienne relativement classique conjuguant transferts sociaux, infrastructures et emplois publics grève significativement les finances publiques, avec un déficit budgétaire atteignant 10% du PIB en 2020, et qui pourrait rester à un niveau élevé dans les années à venir. Avant même le déclenchement de la pandémie de Covid-19, l'économie sud-africaine souffrait d'un essoufflement de la croissance, sur fonds d'austérité budgétaire, de blocages politiques et de " blackout " à répétition dus à un sous-investissement dans la production d'électricité. Si la croissance du PIB ne converge pas vers la cible gouvernementale de 3% par an, la dette publique pourrait selon dépasser 100% du PIB à l'horizon 2023-2024.

La réponse marocaine

Parmi les Etats africains, le Maroc se distingue par la célérité de sa réponse face à la crise sanitaire et par le soutien apporté aux entreprises et aux ménages. Le Royaume a mobilisé près de 2,8% du PIB pour assurer des revenus de remplacement à la population et préserver la santé financière des entreprises, notamment les TPME et les secteurs les plus exposés à la crise (commerce de détail, hôtellerie et restauration, tourisme, transport). Afin de faire face à ces dépenses, le Maroc a mobilisé auprès du FMI une " ligne de précaution et de liquidité " de 3 milliards $. Il a également émis des " eurobonds " sur les marchés internationaux pour un montant cumulé de 4,2 milliards $, sous la forme de deux émissions obligataires d'un milliard € en septembre 2020 et de 3 milliards $ en décembre 2020.

Une difficulté́ majeure dans le cadre de la réponse à la crise sanitaire consiste à toucher les travailleurs de l'économie informelle. À cet égard, selon le FMI, "le Maroc fait figure de modèle. Les autorités ont réussi à toucher les travailleurs informels en conjuguant des paiements mobiles aux bénéficiaires du régime d'assurance maladie non contributif (RAMED, régime d'assurance médicale) et des demandes d'aide monétaire en ligne pour les autres. Les ménages bénéficiaires de RAMED ont reçu un paiement mobile de 800 à 1 200 MAD (80 à 120 $) en fonction de leur composition"[6]. Ce programme a permis de couvrir 85% des ménages éligibles aux aides.

Outre l'accent mis sur l'économie informelle, l'originalité du plan marocain réside dans l'ampleur des mesures non conventionnelles : participations dans les entreprises, crédits à long terme et garanties. La création du fonds d'investissement Mohammed VI s'inscrit dans cette logique (cf. partie III). Ce Fonds devrait être doté de 45 milliards MAD, soit 3,9% du PIB et financé à la fois par l'Etat - à travers une dotation budgétaire de 15 milliards MAD (1,3% du PIB) - et par des financements alternatifs à hauteur de 30 milliards MAD– soit 2,6% du PIB. Une enveloppe de garanties pouvant atteindre jusqu'à 75 milliards MAD - soit 6,5% du PIB - complète ce dispositif. Mi-octobre 2020, 23.000 entreprises, dont 98% de TPE, avaient bénéficié des garanties " Damane Relance " et " Damane Relance TPE " pour un total de 27 milliards MAD. En outre, plus de 50.000 entreprises ont bénéficié de la garantie " Damane Oxygène " pour un montant de 18 milliards MAD. Le plan de soutien et de relance marocain face à la pandémie pourrait mobiliser jusqu'à 13% du PIB. Il s'agit de l'un des efforts les plus soutenus parmi les pays africains, les pays de la zone Afrique du Nord - Moyen Orient (MENA) et même l'ensemble des pays émergents.

L'innovation frugale et la digitalisation face à la pandémie

Le concept d'innovation frugale a été développé par Navi Radjou. Il consiste à répondre de la manière la plus simple et la plus efficace à un besoin. L'Afrique offre un cadre particulièrement propice à l'innovation frugale. Face à la pandémie de Covid-19, les entrepreneurs africains ont fait preuve d'un sens de l'agilité et de l'innovation remarquable. Selon un rapport publié par la BEI en juillet 2020, plus d'une centaine de solutions innovantes ont été créées et mises en œuvre par les Etats africains pour faire face à la pandémie. Comme le note la BEI, " certaines sont très simples du point de vue technologique, tandis que d'autres sont véritablement novatrices. Toutes constituent des exemples inventifs de contribution à la lutte contre la pandémie. ". Les industriels ont été mis à contribution.

Au Maroc, "l'industrie a mobilisé ses capacités, en se réorientant vers la production de masques de protection, de gel hydro-alcoolique ou encore d'équipements médicaux incluant combinaisons, casaques, charlottes, sur-chaussures en un court laps de temps. ". Après avoir satisfait la demande locale, les industriels marocains ont exporté leur surplus vers l'Europe et d'autres pays africains. Le Maroc a également lancé la fabrication d'un respirateur artificiel " Made in Morocco ", en utilisant les capacités de production disponibles dans le secteur aéronautique et en mobilisant les compétences présentes localement et au sein de la diaspora marocaine.

De Casablanca au Cap, la crise sanitaire a provoqué une prise de conscience sur la nécessité d'accélérer la digitalisation de l'économie et des services publics. Le Maroc a lancé́ une application de traçage appelée Wiqaytna et téléchargée plus d'un million de fois. FabLab, pôle d'innovation au Kenya, a mis au point une application baptisée Msafari, qui permet de tracer les usagers des transports publics. La pandémie a mis en évidence l'importance de l'échange de données et de l'interopérabilité́ entre différents systèmes d'information. La crise a également accéléré́ le développement du e-commerce. À l'exemple de Jumia, leader africain du secteur, les plateformes se sont adaptées en proposant des produits de première nécessité et en mettant en relation les entreprises locales et les consommateurs.

II. Le partenariat Europe-Afrique à l'épreuve de la pandémie

A. L'ambition d'une nouvelle stratégie globale avec l'Afrique

Le mandat de Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne (2014-2019) peut être qualifié rétrospectivement de " reset doctrinal " pour les relations euro-africaines, hissées au rang de partenariat stratégique " entre égaux ". Le sommet d'Abidjan de novembre 2017 a consacré ce tournant en mettant l'accent sur la jeunesse, les investissements et la création d'emplois dans des filières porteuses comme le numérique. La nouvelle Commission présidée par Ursula von der Leyen a repris à son compte ces orientations, en y ajoutant d'autres dimensions comme la lutte contre le changement climatique, la prévention des conflits armés et les questions migratoires.

Le 9 mars 2020, la Commission a publié un document intitulé " Vers une stratégie globale avec l'Afrique ". On peut y lire que " l'année 2020 sera une année charnière en ce qui concerne la réalisation de notre ambition, à savoir l'édification d'un partenariat encore plus fort. " La Commission y note aussi que " le potentiel de l'Afrique suscite un intérêt accru de la part de nombreux acteurs sur la scène mondiale ". Il s'agit d'une référence à peine voilée à la place incontournable de la Chine en Afrique, mais aussi aux ambitions africaines des Etats-Unis, de la Russie, de la Turquie et des pays du Golfe. Prenant acte de cette nouvelle donne, la Commission propose de redéfinir la stratégie de l'Union avec l'Afrique sur la base de cinq partenariats thématiques :

1. Transition verte et l'accès à l'énergie

2. Transformation numérique

3. Croissance et des emplois durables

4. Paix et gouvernance

5. Migration et mobilité́.

Le document mentionne la nécessité de soutenir les investissements privés et la création d'emplois décents en Afrique, mais il insiste surtout sur l'accompagnement que l'Union européenne peut apporter en matière réglementaire sur des sujets comme la transition verte ou la transformation numérique. L'Europe reste ainsi fidèle à son image d'"Empire normatif ". La Commission reste très elliptique sur des initiatives ayant la capacité de transformer les économies africaines et d'accélérer leur développement[7]. Il existe dès lors un risque de brouiller la lisibilité du message et de perdre de vue la nature stratégique du partenariat euro-africain. En effet, s'il ne peut y avoir de politique sans principes, une énonciation de principes ne constitue pas une politique.

L'intégration transcontinentale sous l'angle du commerce

Dans ce document, l'Union européenne se dit prête à apporter " un soutien politique, technique et financier à l'accord sur la zone de libre-échange continentale africaine (pour lequel l'aide européenne est déjà̀ passée de 12,5 millions € en 2014-2017 à 60 millions € au cours de la période 2018-2020), qui représente une priorité́ absolue ". Et, un peu plus loin, que " la coopération dans le domaine des couloirs stratégiques qui facilitent les échanges commerciaux et les investissements à l'intérieur du continent africain et entre l'Afrique et l'Europe, et améliorent la connectivité́ entre les deux continents dans une optique de durabilité́, d'efficacité́ et de sécurité́, sera également renforcée par la perspective à long terme de créer une zone de libre-échange globale regroupant les deux continents. ".

On peut saluer cette volonté de renforcer la connectivité entre les deux continents - une recommandation formulée dans l'étude parue en juillet 2019. On peut néanmoins regretter une vision de l'intégration dominée par le commerce, comme le montre l'insistance de la Commission sur la création d'une zone de libre-échange entre les deux continents.

B. Un agenda bouleversé par la pandémie

Une réponse d'urgence centrée sur la lutte contre la pandémie

Le 8 avril 2020, l'Union européenne a lancé des mesures d'urgence sous la bannière " Team Europe ", afin de soutenir ses partenaires dans leur lutte contre la pandémie. Au 1er novembre 2020, le montant total des engagements annoncés par " Team Europe " se chiffrait à 38,5 milliards €, dont 50 % avaient déjà été décaissés. L'accent a été mis sur les besoins humanitaires, le renforcement des systèmes de santé et la gestion des conséquences socio-économiques de la crise (26,63 milliards €).

À concurrence avec la fondation Bill & Melinda Gates, l'Union européenne est le plus grand bailleur de l'initiative GAVI COVAX, codirigée par l'Alliance mondiale pour les vaccins (Gavi) et l'OMS, dont objectif est d'assurer un accès juste et équitable aux vaccins contre la Covid-19 à l'échelle mondiale[8]. Une dotation de 2 milliards $ doit permettre de financer un milliard de doses de vaccin Covid-19 pour les pays à revenu faible et intermédiaire. Selon la GAVI, au moins 5 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires en 2021. Hormis la sécurisation de l'approvisionnement, il faut faire face au défi logistique lié à la distribution des vaccins dans des pays à population majoritairement rurale. Les vaccins de Pfizer/BioNTech et de Moderna nécessitent par exemple la garantie d'une chaîne du froid rigoureuse jusqu'au " dernier kilomètre ". L'Union européenne doit néanmoins faire face à la " concurrence " de la Chine, de l'Inde et de la Russie qui ont proposé aux pays africains leurs propres vaccins anti-Covid, sans passer par le mécanisme GAVI COVAX.

Les conclusions du Conseil de juin 2020

Le Conseil a publié le 30 juin un document récapitulant ses conclusions sur l'Afrique, reprenant peu ou prou les orientations de la Commission, tout en resserrant les priorités du partenariat euro-africain autour de quatre thèmes : 1°) promotion du multilatéralisme ; 2°) paix, sécurité et stabilité ; 3°) développement inclusif et durable ; 4°) croissance économique soutenable. Le Conseil a davantage mis en exergue le soutien apporté par l'Union européenne à l'Afrique dans la lutte contre la pandémie. Enfin, il a réitéré son appel pour un allègement de la dette africaine.

Une refonte a minima du Partenariat UE-ACP (Post-Cotonou)

Les négociations entre l'Union et les pays ACP - incluant l'Afrique, les pays des Caraïbes et du Pacifique - sur un nouveau partenariat " post-Cotonou" ont abouti le 4 décembre 2020. Néanmoins, les changements sont minimes. Le nouvel accord est en effet constitué d'un "socle commun" qui précise les domaines stratégiques prioritaires au sein desquels les deux parties ont l'intention de collaborer : droits de l'Homme, démocratie et gouvernance ; paix et sécurité ; développement humain et social ; viabilité environnementale et changement climatique ; croissance et développement économiques durables et inclusifs ; migration et mobilité. Le nouvel accord associe à ce socle commun trois protocoles régionaux (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Selon le communiqué de presse de la Commission, " une gouvernance spécifique propre aux protocoles régionaux sera appliquée pour gérer et piloter les relations avec l'Union européenne et les différentes régions concernées, notamment par l'intermédiaire de commissions parlementaires conjointes". Sur le plan financier, l'intégration du Fonds européen pour le développement (FED), à travers l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), dans le cadre budgétaire pluriannuel 2021-2027, avait déjà consacré cette régionalisation. Hormis ce changement de gouvernance, la véritable concession arrachée par l'Union à l'occasion de cet accord concerne l'obligation de réadmission des migrants illégaux dans leur pays d'origine.

L'accord de partenariat UE-ACP reste le cadre juridique qui structure les relations de l'Union européenne avec l'Afrique subsaharienne. Dans ce cadre, les questions liées au développement sont traitées via l'IVCDVI et le Fonds européen pour le développement durable (FEDD+). Les relations commerciales sont définies à travers des accords de partenariat économique (APE) entre l'Union européenne et les différentes sous-régions africaines. Les pays d'Afrique du Nord sont traités à part dans le cadre des accords d'association réservés aux pays du voisinage. L'alliance Afrique-Europe pour un investissement et des emplois durables et la communication intitulée "Vers une stratégie globale avec l'Afrique" sont des stratégies politiques et économiques, sujettes à modification. L'accent mis sur le partenariat entre continents se heurte ainsi à un héritage institutionnel et juridique complexe et à un enchevêtrement de priorités thématiques et géographiques dont l'Europe peine à s'affranchir.

III. Propositions pour une relance du partenariat euro-africain

A. Des priorités claires et des projets mobilisateurs

Une gouvernance refondée

Dans une tribune publiée le 4 décembre 2020, Carlos Lopes, Haut-Représentant de l'Union Africaine pour le partenariat avec l'Europe insiste sur la nécessité de traduire dans les faits le " partenariat entre égaux ". Selon lui, " les deux parties doivent abandonner l'approche fragmentaire et déséquilibrée du passé et travailler à la création d'un mécanisme de gouvernance conjointe efficace. ". Pour abonder dans ce sens, on pourrait imaginer la mise en place d'une commission euro-africaine permanente. L'Union européenne devrait en outre s'appuyer davantage sur les institutions de l'Union africaine - à l'instar de l'Agence africaine pour le développement et du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs - et faire référence à l'Agenda politique de cette dernière (" Agenda 2063 "). De son côté, si l'Union africaine veut être considérée comme l'égale de l'Union européenne, elle doit gagner en autonomie et ne plus dépendre des subventions accordées par les bailleurs internationaux.

Un partenariat fondé sur les besoins réels des Africains

Afin d'accroître la résilience des États africains face aux crises, il est nécessaire de mettre à niveau les systèmes de santé et d'étendre les dispositifs de protection sociale. Au cours des trente dernières années, dominées par le " Consensus de Washington ", les questions de protection sociale sont devenues le parent pauvre des politiques d'aide publique. Or, de nombreuses études montrent qu'un système de protection sociale universelle constitue le socle fondamental d'un développement inclusif. L'Union européenne, qui possède une expérience inégalée dans ce domaine, pourrait la mettre à disposition de ses partenaires africains. Cet effort est particulièrement nécessaire pour résorber le poids de l'économie informelle et pour accroître la productivité des travailleurs africains. Au Maroc, le Roi a ainsi appelé, dans son Discours du Trône du 29 juillet 2020, à la mise en place d'une couverture sociale universelle à l'horizon 2025, intégrant l'assurance-maladie obligatoire, les allocations familiales, l'assurance-chômage et les pensions de retraite[9].

La pandémie de Covid-19 a servi de catalyseur et d'accélérateur aux mutations à l'œuvre au sein de l'économie mondiale. L'Union européenne doit aller au-delà des déclarations d'intention, en proposant aux Africains de grands projets mobilisateurs : un plan Marshall pour les infrastructures, une alliance agricole, une alliance industrielle et technologique et enfin, une alliance numérique. Nous avons présenté nos propositions pour accroître significativement la connectivité intra-africaine et euro-africaine, afin d'arrimer plus solidement les deux continents l'un à l'autre, conformément aux vœux formulés par Robert Schuman il y a plusieurs décennies. Nous avons également développé l'idée d'une alliance industrielle euro-africaine, sur la base d'un cumul des règles d'origine qui permet de mettre le commerce au service de la co-production industrielle[10]. Enfin, à l'aune de cette crise, la numérisation est apparue non plus comme un "nice have" de pays riche mais comme un "must have", destiné à assurer la résilience et l'agilité des systèmes de production et d'échange locaux, nationaux et continentaux.

L'adaptation au changement climatique

La question du changement climatique doit évidemment figurer parmi les priorités du partenariat. Les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement sont en effet inextricablement liées, comme le montrent les conflits entre les agriculteurs sédentaires et les éleveurs semi-sédentaires, conflits exacerbés par les sécheresses et autres phénomènes climatiques extrêmes. Le secteur agricole, dont dépendent directement ou indirectement plus de deux-tiers des Africains, est particulièrement exposé à ces phénomènes, qui accélèrent les migrations et fournissent un terreau fertile aux mouvements terroristes, à l'instar de Boko Haram au Nigéria. Dans ce domaine, l'Europe devrait aller au-delà des déclarations d'intention. Elle pourrait encourager la création de filières agro-industrielles euro-africaines allant de l'amont agricole à l'aval industriel - en y intégrant les cultures vivrières, longtemps négligées dans la doctrine néolibérale du développement. Cela permettrait de fixer les populations locales et de mettre en cohérence les politiques migratoires avec les politiques d'aide au développement.

B. Des financements adaptés

La restructuration de la dette africaine

La récession économique provoquée par la pandémie de Covid-19 va accentuer la charge de la dette pesant sur certains États africains. Face à la pandémie, les États du G20 ont décidé dès avril 2020 d'accorder un moratoire sur le service de la dette publique, dû au titre de 2020, par les États à faible revenu dont la majorité se trouve en Afrique. Le moratoire a permis à quarante-six pays à faible revenu de bénéficier de reports de paiements pour un montant total de 5,3 milliards $ (sur près de 30 milliards d'intérêts dus en 2020). Un accord signé en novembre 2020 a exigé d'impliquer les créanciers privés dans toute restructuration à venir de la dette des pays pauvres, selon le principe de la "comparabilité de traitement". Ainsi, le débiteur souhaitant obtenir une restructuration de sa dette publique devra exiger le même traitement de la part de ses créanciers privés. " En outre, le FMI serait "le pivot" du système, puisque les pays demandant à bénéficier d'une restructuration de leur dette devront se conformer à un programme d'ajustement pour assurer la soutenabilité de leur dette. De facto, ces conditions limitent la portée de l'initiative. Plusieurs pays ont préféré ne pas y recourir afin d'éviter toute stigmatisation par les marchés financiers.

Il faut aussi tenir compte de la stratégie de certains pays créditeurs comme la Chine. En effet, selon un rapport de la Banque mondiale, la Chine détient près des deux-tiers de la dette bilatérale des pays à faible revenu. Or, Pékin a toujours préféré une conversion de la dette en investissements à une annulation pure et simple de cette dernière. À la décharge de la Chine, la question de la restructuration- voire de l'annulation - de la dette africaine est complexe. Près de 70% de la dette extérieure africaine est détenue, à parité, par des institutions multilatérales et par des créanciers privés.

Les pays européens pourraient prendre une initiative unilatérale en convertissant en investissements dédiés à la transition verte ou la transition numérique une partie de la dette publique africaine. Des montages de ce type ont déjà été utilisés, à petite échelle, par des pays comme les Seychelles. En avril 2020, un groupe d'intellectuels et de dirigeants africains avait proposé la création d'une caisse d'apurement de la dette africaine qui échangerait les anciennes créances dues aux investisseurs privés par des titres obligataires garantis par les Etats du G20 - sur le modèle des " Brady Bonds "[11]. Dans tous les cas, il faudra éviter l'aléa moral qui résulterait d'un traitement indifférencié entre Etats dispendieux et Etats vertueux.

Le concept de financement mixte ou " blended finance "

Le concept de "financement mixte" - ou "blended finance" - consiste à obtenir un effet de levier en combinant ressources publiques et financements privés au sein d'un montage destiné à financer des projets d'investissement. Il a été popularisé en Europe par le " plan Juncker ". Conçu comme une réponse aux conséquences de la crise financière de 2008 et de la crise de l'euro, ce Plan se propose de soutenir des investissements privés représentant jusqu'à 315 milliards €, sur la base d'un engagement budgétaire dix fois plus faible. L'objectif a été atteint dès 2018. Il a été porté à 500 milliards € à l'horizon 2020. Le Fonds européen pour les investissements stratégiques est le pilier financier du plan. Il est géré par la BEI qui bénéficie à ce titre d'une garantie budgétaire de l'Union européenne, sous la forme d'une "protection de première perte".

Le Plan d'Investissement Extérieur, adopté en septembre 2017, est le pendant du Plan Juncker destiné à financer des projets hors-Union européenne. Sur la période 2017-2020, il a été doté de 4,6 milliards € en fonds propres - 3,1 milliards pour les financements mixtes et 1,5 milliard pour les garanties - afin de financer des investissements pour un montant allant jusqu'à 46 milliards €. Ce mécanisme a été reconduit et amplifié pour la période 2021-2027, avec une force de frappe totale de 60 milliards sur la base de 6 milliards € de fonds propres[12]. Le Fonds Européen pour le Développement Durable (FEDD), véhicule financier principal du plan d'investissement extérieur, a été créé en fusionnant deux mécanismes régionaux de "blended finance" en activité depuis 2007 : la Plateforme d'Investissement pour l'Afrique (PIA) avec la Plateforme d'Investissement pour le Voisinage (PIV) [13] . Depuis sa création, les financements mixtes octroyés par ce dernier ont été "drainés" à travers cinq grandes institutions qui se sont partagées 93% de l'enveloppe totale : BEI (26,3%), AFD (19,5%), BAD (18,1%), KFW (15%) et BERD (14,7%).

Répartition sectorielle des financements octroyés par le FEDD

Pays du Voisinage (Est et Sud) | Afrique subsaharienne

Source : Rapport opérationnel 2019 du FEDD.

Recours aux financements innovants : l'expérience du Maroc

L'expérience marocaine en matière de financements innovants est particulièrement intéressante et pourrait inspirer d'autres pays africains dans leurs relations avec l'Europe. Rappelons que le Maroc a une longue tradition de coopération avec l'Union européenne, ses États membres, ses agences. La BEI intervient au Maroc depuis 1979. À ce jour, elle a financé cent vingt-cinq projets pour un montant total de 8 milliards €[14]. Elle s'est notamment illustrée dans le financement du tramway de Casablanca et du complexe d'énergie solaire Noor de Ouarzazate. Le Maroc a également souscrit au capital de la BERD dès la création de cette dernière en 1991. Au lendemain des " Printemps arabes " de 2011, le périmètre de cette banque de développement multilatérale a été étendu aux pays de la rive Sud de la Méditerranée. En 2015, elle a élaboré une stratégie pays spécifique pour le Maroc. Fin novembre 2020, la BERD a soutenu soixante-treize projets au Maroc, déboursant plus de 1,5 milliard € de financements dont près de la moitié (47%) était destinés au secteur privé. On peut aussi rappeler que le Maroc est le premier pays d'exposition de l'Agence française de développement (AFD), avec une montée en puissance de l'engagement en faveur du secteur privé, à travers des lignes de crédit destinées aux TPME et des participations au capital via Proparco, filiale de l'AFD dédiée aux "investissements d'impact ".

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Un exemple de financement mixte :

La Ligne Marocaine de Financement de l'Énergie Durable (MORSEFF)

D'un montant global de 110 millions €, MorSEFF est la ligne de financement de l'énergie durable destinée aux entreprises privées marocaines. Soutenue par l'Union européenne et développée par la BERD, en coopération avec la BEI, l'AFD, et la KfW, elle permet aux entreprises marocaines d'accéder à des prêts pour l'acquisition d'équipements ou la réalisation de projets d'efficacité énergétique ou d'énergie renouvelable, assortis d'une subvention d'investissement représentant 10% du crédit octroyé, ainsi que d'une assistance technique gratuite pour l'évaluation, la mise en œuvre et la vérification du projet. Ce dispositif est distribué au niveau local par des banques partenaires, BMCE Bank (et sa filiale Maghrebail) et Banque Populaire (et sa filiale Maroc Leasing). La subvention d'investissement est financée via des dons de la Facilité d'Investissement pour le Voisinage de l'Union européenne (FIV) et l'assistance technique via des dons de la FIV et du Fonds Multi-Bailleurs de la région du Sud-Est de la Méditerranée (SEMED)* géré par la BERD.

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Le Fonds Mohammed VI pour l'investissement, créé dans le cadre du plan de relance marocain post-Covid-19, est emblématique d'une nouvelle génération de financements innovants. Associant des ressources conventionnelles et des financements innovants, en particulier des " financements mixtes ", il a pour objectif de financer des grands projets d'investissement dans le cadre de partenariats public-privé (PPP). Il vise à financer des entreprises locales par le biais de prêts à long terme et de participations au capital de ces entreprises, à travers des fonds sectoriels ou thématiques. Son action devrait s'articuler avec celle de l'Agence nationale pour la gestion des participations de l'État, nouvellement créée.

La gestion opérationnelle de ce " Fonds de fonds " devrait être confiée au groupe CDG (Caisse de Dépôt et de Gestion), via sa filiale CDG Capital. L'originalité du Fonds Mohammed VI repose sur la complémentarité entre la logique économique du " Private equity " et la logique sociale du " Public equity "[15]. Cette hybridation se retrouve au passif du fonds. En effet, sur 45 milliards MAD prévus pour le financer, un tiers seulement - soit 15 milliards– provient d'une dotation budgétaire. Les deux-tiers restants, soit 30 milliards, devront provenir de financements non budgétaires : subventions d'investissement déployées par les banques multilatérales et bilatérales de développement, co-investissements par des investisseurs institutionnels nationaux (caisses de retraite, compagnies d'assurance) ou par des fonds privés spécialisés en impact investing et en financement durable (Green Finance).

D'autres pays africains ont mis en place des véhicules d'investissement public-privé, à l'instar du Sénégal où un Fonds souverain d'investissements stratégiques ("Fonsis") a été créé en 2012. Sur la base de fonds propres, l'objectif du Fonsis est de " lever des fonds supplémentaires par effet de levier et investir dans l'économie réelle " pour " créer des sociétés sénégalaises phares dans certains secteurs pour pouvoir attirer les talents locaux et la diaspora tout en créant de la richesse pour l'État-actionnaire et les générations futures". L'objectif premier de ces fonds est donc d'investir dans l'économie locale. En cela, ils se distinguent des fonds créés par les États exportateurs de matières premières - tels le Fonds souverains du Ghana, du Nigéria ou de Guinée Equatoriale - dont l'objectif est de placer une épargne excédentaire sur les marchés internationaux.

L'intérêt des partenariats triangulaires

Enfin, l'engagement de l'Union européenne en Afrique pourrait prendre la forme de partenariats triangulaires, en s'appuyant sur des hubs régionaux : Casablanca, Abidjan Johannesburg et Nairobi apparaissent à cet égard comme des points focaux qui peuvent servir de relais financiers et opérationnels à une stratégie de partenariat transcontinentale. Des initiatives en ce sens existent déjà. En 2018, un accord stratégique a été signé entre le groupe marocain Banque Centrale Populaire (BCP) et Proparco, filiale dédiée au secteur privé de l'AFD. A travers cet accord, Proparco devrait soutenir le développement de la BCP en Afrique. L'intérêt de ces partenariats consiste à mobiliser de manière plus efficiente les ressources financières et à accroître leur effet de levier. Les États-Unis, qui développent une stratégie de partenariat ciblée avec quelques pays africains, ont compris l'intérêt de tels mécanismes. L'agence USAID a annoncé fin décembre 2020 que le Maroc allait devenir son centre régional pour l'Afrique du Nord. Son bras financier, U.S. International Development Finance Corporation (DFC), a signé un mémorandum d'investissement pour faire du Maroc un hub pour ses investissements en Afrique subsaharienne, à travers une enveloppe de 3 milliards $, dans le cadre de l'initiative " Prosper Africa ". Chaque dollar accordé à travers ce programme doit permettre de mobiliser des investissements privés avec un effet de levier décuplé.

***

La pandémie de Covid-19 a mis en évidence une résilience qui a démenti les pronostics les plus pessimistes quant à la capacité des États africains à gérer cette crise. Même si, en la matière, la célérité et l'efficacité des politiques mises en œuvre varie grandement d'un pays à l'autre. Le continent a néanmoins été sévèrement touché par les répercussions économiques et sociales de ce choc externe sans précédent, qui a mis en lumière les vulnérabilités intrinsèques associées à des économies dotées d'une base productive étroite et caractérisées par un haut degré d'informalité, fortement dépendantes de la demande mondiale et des capitaux internationaux. Face à la crise, certains États africains ont appliqué des recettes classiques. C'est le cas de l'Afrique du Sud, économie la plus avancée du continent, dont le solde budgétaire s'est dégradé sur fond de stagnation économique et de blocages préexistants à la crise. À l'opposé, le Maroc a réagi en mobilisant un arsenal de mesures non conventionnelles, ce qui lui a permis de soutenir les entreprises et les ménages marocains, tout en limitant l'impact de son plan de relance sur les finances publiques.

Les relations Europe-Afrique ont souffert de cette crise multidimensionnelle qui a bouleversé les priorités et les agendas politiques. En dépit d'intentions louables, qui s'appuient sur la stratégie de " Partenariat entre égaux ", l'un des seuls acquis de l'année 2020 a été le renouvellement du partenariat UE-ACP, qui entérine une régionalisation reconnaissant la spécificité - et la centralité - du continent africain au sein de ce partenariat. Pour le reste, il importe d'aller au-delà des déclarations d'intention pour proposer un " narratif " plus engageant et plus lisible fondé sur de grands projets qui répondent aux besoins réels des Africains. De la co-production industrielle à la numérisation et à la lutte contre le changement climatique, l'Union européenne doit affirmer davantage son rôle de premier partenaire de l'Afrique, dans un contexte marqué par une rivalité croissante entre les grandes puissances.

Pour ce faire, elle devrait mobiliser davantage la communauté internationale afin d'obtenir une restructuration de la dette des pays africains les plus fragiles, tout en s'appuyant sur les États les plus vertueux. Le recours aux " financements mixtes " constitue à cet égard une voie prometteuse. L'approche innovante du Maroc pourrait servir de matrice pour l'ensemble du partenariat Europe-Afrique. À partir de ce hub régional, l'Union européenne pourrait élaborer une stratégie africaine plus en phase avec les attentes des acteurs locaux, en s'appuyant sur l'expérience reconnue des entreprises et des banques marocaines sur le continent africain.

ANNEXES

Plans de soutien budgétaire et quasi-budgétaire déployés par les États africains (% PIB)


[1] La découverte et la propagation en Afrique du Sud d'un variant mutant particulièrement contagieux de la Covid-19 est particulièrement préoccupante. Une course contre la montre est engagée dans les pays africains les plus touchés par la pandémie pour vacciner leurs populations.
[2] Néanmoins, la densité de la population concentrée dans certaines grandes métropoles africaines atteint et dépasse même parfois celle des métropoles européennes, américaines ou asiatiques. Certains districts de Johannesburg concentrent ainsi plus de 50000 habitants par kilomètre carré.
[3] Camille Belsoeur, L'expérience d'Ebola a aidé certains pays africains à agir efficacement face au Covid-19, Slate, 28 mai 2020.
[4] Créé par des chercheurs de Blavatnik School of Government (Université d'Oxford).
[5] FMI, Perspectives régionales pour le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, le Pakistan et l'Asie Centrale, Octobre 2020.
[6] FMI, Idem.
[7] On parle d'une transformation d'une ampleur similaire à celle initiée par la Chine. Or, l'insistance de la Commission sur la "concurrence équitable", le "climat des affaires" et la "bonne gouvernance" s'inscrit dans la lignée d'un "Consensus de Washington" aujourd'hui dépassé.
[8] L'Union s'est engagée à apporter 100 millions € à l'initiative GAVI COVAX à travers Team Europe, auxquels s'ajoutent 400 millions € de garanties apportées par la BEI, ainsi, que les engagements individuels de la France (100 millions €) et de l'Espagne (50 millions €).
[9] Dans ce cadre, une fusion est envisagée entre le système RAMED d'assurance santé dédié aux travailleurs indépendants, le dispositif TAYSSIR de transferts monétaires conditionnés et la protection sociale de droit commun
[10] https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-522-fr.pdf
[11] Ces derniers, collatéralisés par des obligations du Trésor américain, avaient été émis il y a trente ans pour restructurer la dette latino-américaine.
[12] Pour plus de détails sur ces mécanismes, https://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-522-fr.pdf
[13] Une évaluation indépendante du FEDD réalisée en 2019 a conclu que ce fonds était "hautement adapté" aux besoins de financement de l'investissement des pays d'Afrique subsaharienne et du Voisinage de l'Union euroépenne.
[14] Dans le cadre de la lutte contre la pandémie du coronavirus, la BEI a accordé au Maroc un financement d'urgence de 200 millions €, dont une première tranche de 100 millions € a été versée en août 2020. Ce financement s'inscrit dans le cadre du Plan National Marocain de réponse à la pandémie de COVID 19 et de Team Europe. La BEI a également accordé une ligne de crédit de 200 millions € au Crédit Agricole du Maroc (CAM) une convention de crédit de 200 millions € visant à renforcer le soutien aux entreprises marocaines dans le secteur de l'agriculture et de la bio-économie.
[15] Cela avait été déjà le cas avec le Fonds Hassan II pour le développement économique et social créé en 2000 pour accompagner les grands projets d'investissements industriels au Maro, à l'instar de l'usine Renault de Tanger. Néanmoins, le Fonds Mohammed VI va plus loin à travers sa logique de " fonds de fonds ".

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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