Démocratie et citoyenneté
Lukáš Macek
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ENLukáš Macek
Depuis deux ans environ, le " groupe de Visegrad " (désigné aussi souvent comme le " groupe V4 ") attire l'attention des observateurs des affaires européennes. En effet, cette structure de coopération régionale regroupant la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, lancée lors du sommet de Visegrad en 1991[1], n'a réellement su s'imposer ni lors des négociations d'adhésion à l'Union européenne, ni depuis 2004, lorsque cette dernière est devenue réalité. Les causes en sont plurielles : manque de solidarité réelle entre ces quatre pays[2], au passé plus divers et plus conflictuel[3] qu'on ne le croit souvent en France, où une vision monolithique et approximative de l'Europe centrale tend à prévaloir. Et peut-être surtout le déséquilibre important de rapports de force : d'un côté, la Pologne de près de 40 millions d'habitants qui prétend à un rôle de puissance régionale, à même de jouer dans la cour des grands au sein de l'Union européenne, ambition encouragée par la constitution, en parallèle de la coopération de Visegrad, du " triangle de Weimar ". De l'autre, les trois autres pays, la Hongrie et la République tchèque, chacune avec un peu plus de 10 millions d'habitants et la Slovaquie avec près de 5,5 millions. Ces Etats ensemble ne dépassent pas 70% de la population polonaise, mais ils n'ont aucune envie d'accepter une hégémonie polonaise dans la région et ils peinent à voir en Pologne un représentant adéquat et légitime de leurs intérêts face aux institutions de l'Union ou aux " grands " Etats européens. Il n'est donc guère étonnant que les pays du groupe de Visegrad ont largement préféré jouer cavalier seul lors des négociations avec l'Union et que depuis 2004 ce groupe se limitait à des projets de coopération de peu d'envergure et à des concertations politiques assez peu substantielles, à un niveau bien en deçà des autres coopérations régionales au sein de l'Union, qu'il s'agisse du Benelux, de la coopération nordique ou, bien entendu, du couple franco-allemand.
C'est la crise migratoire de 2015 qui a fait sortir le groupe de Visegrad de son relatif anonymat, lorsqu'il s'est imposé comme le critique le plus bruyant - en tout cas au niveau intergouvernemental - de l'approche allemande en matière d'accueil des réfugiés et l'adversaire le plus déterminé des propositions de la Commission européenne en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Quoique même à cette occasion, le rôle du groupe de Visegrad n'a pas été si net : lors du vote sur les quotas de demandeurs d'asile, la Pologne (encore sous le gouvernement des libéraux de la Plateforme civique, parti de Donald Tusk) a fini par lâcher ses trois partenaires qui ont pu se consoler en recueillant le soutien de la Roumanie. Toutefois, l'arrivé au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS), ultraconservateur et très eurosceptique, en Pologne a restauré l'unité du groupe V4 qui s'est manifestée depuis par un discours plus ou moins dur sur ce sujet en provenance des quatre capitales. En revanche, lorsqu'il s'agit des actes, là encore, les choses ne sont pas si simples. A titre d'exemple : la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont fini par strictement refuser d'accueillir des demandeurs d'asile sur la base du mécanisme adopté par le Conseil[4] - ce qui leur a valu l'ouverture d'une procédure d'infraction de la part de la Commission, cette dernière n'ayant pas visé la Slovaquie qui a tout de même fait " l'effort " d'accueillir quelques personnes. A l'inverse, la Slovaquie et la Hongrie ont attaqué la décision du Conseil en question devant la CJUE[5], alors que le République tchèque et la Pologne n'ont pas souhaité se joindre à cette démarche.
Il convient également de rappeler que les pays du groupe V4 ne sont pas des monolithes politiques. C'est particulièrement visible dans les cas slovaque et tchèque. En Slovaquie, le gouvernement de Robert Fico a adopté une ligne dure sur la question de réfugiés, alors que le président, Andrej Kiska, défend des positions beaucoup plus ouvertes[6]. La situation inverse se présente en République tchèque : le gouvernement, tout en étant opposé à l'accueil des réfugiés et aux quotas, garde un discours modéré et globalement pro-européen, ce qui n'est pas le cas du président Miloš Zeman, et de son entourage[7].
Il n'en est pas moins vrai que le groupe de Visegrad a accédé à une certaine visibilité, tout en se taillant une solide réputation de " troublemaker " au sein de l'Union, apparaissant désormais aux yeux de beaucoup comme le regroupement des pays les plus eurosceptiques et les moins constructifs. Et ceci d'autant plus que le refus militant et radical en matière de l'accueil des réfugiés - sujet qui reste somme toute partiel et relativement conjoncturel - s'est doublé d'un élément beaucoup plus général et structurel, remettant l'attitude anti-refugiés dans une perspective autrement inquiétante : une remise en question des principes fondamentaux de la démocratie libérale et de l'Etat de droit.
Or, sur ce point, le groupe de Visegrad n'est pas le niveau d'analyse pertinent. D'une part, la tendance politique lourde au renforcement des partis antisystème, antilibéraux et plus ou moins europhobes, ne se limite pas à ces quatre pays : pour rester dans la région d'Europe centrale, citons l'exemple de l'Autriche avec le parti FPÖ. Néanmoins, il est vrai que jusqu'ici, il n'y a eu que des pays du groupe V4 à voir non pas des partenaires " juniors " de coalition gouvernementale, mais des chefs de gouvernement eux-mêmes qui, sans provenir des rangs de l'extrême droite " classique " telle qu'elle évolue dans l'espace occidental depuis 1945, véhiculent un discours assumé qui conteste de manière plus ou moins directe les principes libéraux[8] qui font l'ADN des démocraties européennes, depuis 1945 pour la partie occidentale et depuis 1989 pour les pays de l'ancien bloc soviétique. Pire : qui, au-delà du discours, adoptent des décisions controversées, remettant en cause, là encore de manière plus ou moins directe et évidente, ces principes. Toutefois, à ce stade, si cette tendance se limite au groupe de Visegrad, elle ne concerne que deux pays sur quatre : d'abord la Hongrie, avec la dérive " illibérale " de Viktor Orban depuis 2010, puis la Pologne, depuis les triomphes électoraux de Jaroslaw Kaczynski en 2015, d'abord à l'élection présidentielle, puis aux législatives.
L'enjeu européen des élections législatives qui se sont tenues en République tchèque les 20 et 21 octobre 2017 est simple et grave : Prague sera-t-elle la 3ème capitale d'Europe centrale à rompre avec le consensus libéral et pro-européen de l'après 1989 ? Le gouvernement tchèque issu de ces élections rejoindra-t-il le combat idéologique et culturel mis en évidence par Viktor Orban et rejoint désormais par celui qui est le véritable homme fort de la Pologne, Jaroslaw Kaczynski ?
La poursuite d'une recomposition politique entamée en 2013
Depuis la dissolution de la Tchécoslovaquie le 1er janvier 1993, qui a également marqué la fin de la séquence politique initié par la " révolution de velours ", incarnée par l'hégémonie politique du Forum civique, le mouvement démocratique pluraliste et garant de la transition du communisme à la démocratie libérale, la vie politique tchèque s'est structurée jusqu'en 2013 autour de deux partis dominants. Le Parti démocratique civique (ODS) dominait le centre-droit, le Parti social-démocrate (CSSD) s'est imposé, à partir de 1996, sur le centre-gauche. En une vingtaine d'années, entre 1993 et 2013, le pays a connu deux alternances politiques fortes (en 1998 et en 2006[9] et grosso modo 5 configurations différentes de coalitions gouvernementales[10] sous 8 Premiers ministres différents (3 de l'ODS, 5 du CSSD), sans compter 3 gouvernements plus ou moins techniques, assurant des transitions plus ou moins longues[11].
Si les petits partis, partenaires " juniors " de coalition tantôt de l'ODS, tantôt du CSSD, ont connu une assez forte instabilité, avec l'exception notable du parti chrétien-démocrate KDU-CSL[12], les deux grands partis semblaient avoir accédé à une longévité comparable à celle connue dans la plupart des démocraties occidentales, à la différence de ce qui prévalait dans les autres pays du groupe V4. Or, les élections de 2013 ont partiellement mis la fin à cette stabilité relative, avec un écroulement sans précédent de l'ODS et avec l'irruption d'une force politique nouvelle, le mouvement ANO[13]. Ce mouvement étant le grand vainqueur, l'ODS ne se relevant que très timidement et le CSSD sombrant à 7,27%, il est clair que les élections d'octobre 2017 marquent le second temps de cette recomposition politique, entamée en 2013.
TABLEAU 1
Source : www.volby.cz
Au-delà de l'écroulement de l'ODS dès 2013 et celui, encore plus sévère, du CSSD, cette recomposition se caractérise aussi par un émiettement relatif de la classe politique, avec une prolifération de " petits " partis qui parviennent à dépasser la barre fatidique de 5%[14], mais qui n'arrivent pas à dépasser 10%.
TABLEAU 2
Source : www.volby.cz
Autre élément marquant de cette recomposition : le retour de l'extrême droite, absente de la Chambre des députés de 1998 à 2013. Pendant cette période, la seule force antisystème représentée à la Chambre, mais a priori inapte à rejoindre les rangs d'une coalition gouvernementale, était le parti communiste (KSCM), évoluant entre 10 et 15% de voix (sauf en 2002 où il a percé à 18,5%). En 2013, le score cumulé des communistes et de l'extrême droite dépassait 21%, en 2017 il baisse à 18,4%. Autant dire que les marges de manœuvre pour constituer une majorité sont étroites pour les partis de gouvernement, du moment où ils refusent de se mésallier avec un parti antisystème radical, comme cela a été le cas, au niveau national[15], jusqu'ici.
La principale raison de cette recomposition est sans doute l'usure de la classe politique qui s'était constituée dans les années 1990, à l'ombre des figures dominantes de cette période dont la longévité politique n'a pas d'équivalent dans les autres pays d'Europe centrale : Václav Havel (président de la République - tchécoslovaque, puis tchèque - de 1989 à 2003), Václav Klaus (Premier ministre de 1992 à 1997, président de la Chambre des députés de 1998 à 2002 et président de la République de 2003 à 2013) et Miloš Zeman (président de la Chambre des députés de 1996 à 1998, Premier ministre de 1998 à 2002 et président de la République depuis 2013), tous les trois ayant été des figures emblématiques du Forum civique dans l'immédiat après-1989. L'un des épisodes clés, c'est le rapprochement inattendu - et vécu comme une véritable trahison par de nombreux électeurs - entre Václav Klaus et Miloš Zeman qui, en 1998, concluent le " contrat d'opposition " : l'ODS tolère, pendant toute la durée de la législature 1998-2002, un gouvernement minoritaire du CSSD. Les deux partis sont alors apparus comme un véritable cartel politique, constitué au mépris des clivages politiques et idéologiques, avec l'objectif de monopoliser le pouvoir politique, mais aussi économique. Cet épisode, qui s'est produit juste après la première vague de scandales qui éclaboussèrent notamment l'ODS, a profondément ébranlé la confiance des citoyens dans le système politique. Sur le plan électoral, cela s'est traduit par une chute forte de participation (-16 points entre les législatives de 1998 et celles de 2002,) et par la défaite de l'ODS, face au CSSD emmené par Vladimír Špidla qui a clairement pris ses distances avec l'héritage de Miloš Zeman[16].
La tendance au renouveau est sensible dès 2010, avec l'apparition de nouveaux partis politiques, tantôt plutôt traditionnels et " recyclant " nombre de personnalités actives en politique depuis 1989 (c'est notamment le cas du parti chrétien-démocrate TOP 09, issu d'une scission du KDU-CSL[17]), tantôt - et plus souvent - relevant davantage de " start-up " politiques, dominés par la figure d'un leader-fondateur et financeur : le parti Affaires publiques (VV) en 2010 et de manière encore plus nette le mouvement ANO, révélation de 2013 et grand vainqueur des élections de 2017. Toutefois ce renouveau relatif n'arrive guère à redresser la participation électorale qui continue à témoigner de l'usure globale du système politique, plus d'un électeur sur 3 boudant durablement les urnes.
TABLEAU 3
Source : www.volby.cz
IMAGE 1
Source : www.volby.cz
De nombreuses affaires nourrissent cette usure, renforçant le désenchantement des citoyens et la demande électorale pour le changement, pour la nouveauté, aussi incertaine soit-elle. Ainsi, si la chute de l'ODS en 2013 a certainement de nombreux facteurs, dont certains de nature purement politique ou idéologique, le coup fatal lui a été porté par l'affaire qui a fait tomber son leader et Premier ministre, Petr Necas. Sa directrice de cabinet, qui s'est avérée être également sa maîtresse, a été arrêtée et inculpée dans plusieurs affaires de corruption et d'abus de pouvoir. Même si à ce jour les procédures judiciaires sont encore en cours sans que leur issue soit évidente, cette affaire a révélé un système de fonctionnement au sommet de l'Etat difficile à assumer. Et l'effet sur l'opinion a été d'autant plus dévastateur que cette affaire, aux allures de mauvais vaudeville, a directement touché Petr Necas, dont la réputation avait été jusqu'alors celle du " Monsieur Propre " de l'ODS, d'un conservateur austère, probe et par ailleurs catholique pratiquant.
A l'inverse, le succès fulgurant du mouvement ANO d'Andrej Babiš a été porté par un discours de rejet global de la classe politique. Dans l'espace médiatico-politique tchèque, il est devenu habituel de résumer son message politique par la phrase en slovaque " Všetci kradnú " (" Ils volent tous. "), équivalent du " Tous pourris. " français, même si Andrej Babiš se défend d'avoir jamais prononcé cette phrase. Mais il n'en est pas moins vrai que son discours politique est fondé sur les attaques contre la classe politique, dénoncée comme corrompue (en parlant, par exemple, d'une " tentative désespérée de ce système corrompu et des responsables politiques traditionnels de me liquider "), incompétente (l'un des slogans de son mouvement en 2013 a été : " Nous sommes une nation douée, mais nous sommes gouvernés par des incapables. ") et fainéante (un autre slogan de 2013 : " Nous ne sommes pas comme les politiques. Nous, on bosse. "). Enfin, le nom du mouvement lui-même est éloquent : " ANO " veut dire " oui " en tchèque, mais c'est aussi l'acronyme de l'appellation originelle du mouvement : " Action des citoyens mécontents ".
Si l'ODS a été particulièrement vulnérable en 2013, quatre ans plus tard le CSSD n'a pas été en mesure de trouver une parade suffisante face à ce discours, même si le contexte économique est beaucoup plus favorable aux sortants qu'en 2013[18] et la campagne du CSSD n'a pas été " plombée " par aucune affaire comparable à celle qui a fait chuter le gouvernement Necas en 2013. De ce point de vue, la chute des sociaux-démocrates en 2017 est encore plus dure que celle de l'ODS en 2013. Force est de constater que 4 années au gouvernement ont accéléré l'usure des 2 partis " traditionnels " (les sociaux-démocrates du CSSD qui perdent 13,2 points et 35 sièges et les chrétiens-démocrates du KDU-CSL qui perdent 1 point et 4 sièges), alors que, paradoxalement, ANO sort de 4 années d'expérience gouvernementale considérablement renforcé (+ 11 points et + 31 sièges) et visiblement toujours aussi crédible dans son discours " anti ", même si des enquêtes sociologiques tendent à montrer que le caractère " anti-système " d'ANO perd de l'importance aux yeux de ses électeurs, au profit des thèmes comme la " compétence " ou la " capacité à mettre en œuvre son programme "[19].
Le phénomène Babiš
Incontestablement, le sujet de cette élection, et le principal point d'interrogation concernant la suite des événements, est le triomphe d'Andrej Babiš et de son mouvement ANO.
La presse internationale multiplie les parallèles : le probable prochain Premier ministre tchèque ressemble-t-il plutôt à Donald Trump, Viktor Orbán ou Silvio Berlusconi ? La victoire du mouvement ANO vient-elle justifier l'idée d'un effet domino en Europe centrale, avec une vague anti-libérale balayant les acquis de la séquence 1989-2004 et un double échec - au moins relatif et temporaire - des dynamiques de démocratisation, de libéralisation et de construction d'Etat de droit se rejoignant dans un processus d' " européanisation " ?
Disons-le tout de suite : le phénomène " ANO " (ou plutôt " Andrej Babiš ") a de quoi interroger, voire déconcerter ou inquiéter, mais il n'a pas grand-chose en commun avec le PiS polonais ou le FIDESZ hongrois. En effet, dans ces deux cas, nous assistons bien à l'affirmation d'une alternative idéologique forte, relativement cohérente - et similaire entre les deux pays, comme en attestent l'excellente entente affichée entre Jaroslaw Kaczynski et Viktor Orbán, chacun désignant l'autre comme son modèle et le Premier ministre hongrois ayant fait savoir qu'il était prêt à défendre la Pologne, si une procédure devrait être engagée contre ce pays par la Commission européenne en matière de respect des valeurs fondamentales. Cette convergence idéologique se fait autour d'une vision très conservatrice de la société et de l'identité européenne, un fort souverainisme et une profonde méfiance à l'égard du mainstream politique, jugé décadent et faible et incarné par l'Union européenne et ses institutions[20]. Andrej Babiš -et son mouvement ANO- semble très éloigné de ce paradigme, même s'il peut en partager certains éléments, notamment un certain mépris pour la " faiblesse " de l'Union européenne et, plus généralement, des élites politiques " traditionnelles ". Mais cette attitude semble davantage ancrée dans une vision entrepreneuriale de la politique qui tend à opposer l'efficacité et la forte capacité à décider, caractéristiques de la gouvernance d'entreprise, aux lourdeurs d'une décision politique dans le cadre des démocraties parlementaires - et a fortiori au niveau européen. Dans les deux cas, cela entraîne le risque d'une volonté d'affaiblir les contre-pouvoirs ou encore de bouder les instances européennes. Mais la motivation idéologique - qui anime les leaders hongrois et polonais - rend ce risque plus profond et plus permanent, car il y a un véritable projet de transformation de société, une ambition qui semble absente chez Andrej Babiš. Le problème de ce dernier étant au contraire plutôt l'inexistence d'un cadre idéologique bien établi.
Ainsi, à la différence du cas polonais ou hongrois, la participation du mouvement ANO dans le gouvernement de la République tchèque depuis 2013[21] ne s'est pas traduite par une tension avec " Bruxelles ", à l'exception notable du conflit sur les quotas de réfugiés, dans lequel cependant ANO n'était pas plus virulent que ses partenaires de coalition. Bien au contraire : sur les questions migratoires et sécuritaires, le ministre CSSD de l'Intérieur, Milan Chovanec, apparaissait à bien des égards comme le véritable faucon du gouvernement, la colombe étant plutôt le ministre ANO de la Justice, Robert Pelikán. Globalement, si ANO a construit son succès sur un discours anti-establishment, son intégration dans le " système " s'est passée très facilement, d'autant plus que sa campagne de 2013 a été politiquement ancrée au centre et, face au rival principal de l'époque qu'était l'ODS, dans une attitude résolument pro-européenne.
Cette orientation a été clairement confirmée en 2014 lors des élections européennes, avec une liste ANO menée par Pavel Telicka, l'une des figures les plus " europhiles " du pays, et avec l'adhésion au groupe ADLE au sein du Parlement européen. C'est également une candidate d'Andrej Babiš - Vera Jourová, jusqu'alors ministre ANO du Développement local - qui a été proposée par le gouvernement tchèque pour le poste de commissaire européenne. A. Babis se prononçait à l'époque pour la perspective d'adhésion à la zone euro. A l'opposé de la démarche de Viktor Orbán, le discours et la démarche anti-système d'Andrej Babiš ressemblait alors davantage à ce qu'allait se produire en France avec l'ascension d'Emmanuel Macron qu'à des exemples de national-populisme connus d'autres pays européens, dont ceux d'Europe centrale : un discours critique et une méthode originale qui rompent avec les usages de la classe politique établie, mais qui restent ancrés dans la continuité des valeurs fondamentales et des objectifs politiques du " mainstream " et qui cherche à se positionner au centre de l'échiquier politique, en relativisant la pertinence du clivage gauche/droite.
Or, les choses sont nettement moins claires dorénavant. Un certain nombre de figures qui incarnaient cet ancrage centriste et pro-européen du mouvement d'Andrej Babiš ont été marginalisées, ou ont rompu avec lui. C'est notamment le cas de Pavel Telicka. Fait probablement significatif, selon les propos tenus devant la presse par ce dernier, il a été convenu entre lui et Andrej Babis de rendre publique l'information sur leur " divorce " après les élections législatives. Or Andrej Babiš a finalement publié l'information deux semaines avant le scrutin, ce qui montre qu'il ne perçoit pas cette rupture avec l'homme qui incarnait son engagement européen comme un handicap, voire même qu'il a souhaité envoyer un message à l'électorat eurosceptique, ce qui pourrait en dire long sur son repositionnement stratégique. Or, il y aurait une logique pragmatique assez compréhensible : lorsqu'il s'agissait de battre l'ODS, parti réputé pour son euroscepticisme, Andrej Babiš a cherché à séduire l'électorat centriste pro-européen. Maintenant qu'il s'agit de battre le CSSD, il chausse les bottes de l'euroscepticisme ou, en tout cas, affiche son manque d'enthousiasme pour le projet européen. L'ambiance dans le pays ayant profondément évolué depuis 2014, sous l'effet notamment de la crise migratoire, cette hypothèse semble loin d'être irréaliste. Et elle souligne, encore une fois, le caractère profondément pragmatique, voire opportuniste[22], et " a-idéologique " du mouvement ANO, ainsi que son caractère essentiellement " démagogue ", la ligne politique semblant être davantage dictée par les sondages d'opinion et par le marketing politique que par une ligne idéologique ferme et prédéfinie.
Cette hypothèse d'un coup de barre eurosceptique volontaire laisse planer un doute quant à la suite des événements. Posture électoraliste sans lendemain ou changement de positionnement durable qui se reflétera dans la politique gouvernementale, si ANO en assume la direction ? Or, d'autres éléments viennent alimenter cette incertitude, à commencer par les rapports ambigus - dès 2013 - avec le président Miloš Zeman, personnage très ambigu, notamment sur les questions européennes.
Fédéraliste européen autoproclamé, le président, qui a introduit le drapeau européen au Château de Prague, siège de la présidence, après les deux mandats du très europhobe Václav Klaus, n'a cessé d'apparaître au cours de sa présidence comme le meilleur allié européen de la Russie et de la Chine et le héraut des partisans de la ligne la plus dure en matière de refus des réfugiés, avec des propos relevant des éléments de langage typiques de l'extrême droite européenne, notamment l'amalgame permanent entre les réfugiés, l'islam et le terrorisme. Or, ANO laisse planer le doute sur sa stratégie pour l'élection présidentielle tchèque de janvier 2018 : il apparaît tout à fait possible que la première force politique du pays s'abstiendra de présenter un candidat et même d'en soutenir un, ce qui pourrait favoriser la réélection de Miloš Zeman. Andrej Babiš évite de critiquer le président, ce qui a été l'un des facteurs de la rupture avec Pavel Telicka. Miloš Zeman n'a jamais manqué l'occasion de tenir des propos positifs à l'égard d'Andrej Babiš et de l'aider dans ses conflits avec le CSSD. En effet, ce jeu est indissociable de la " guerre " froide entre ANO et le CSSD au sein de la coalition gouvernementale et du règlement des comptes entre l'ancien et l'actuel leader du CSSD. Ce parti ne s'est jamais remis de la déchirure, apparue en 2002-03, après le départ de Miloš Zeman, entre ses partisans et ceux - dont le Premier ministre sortant Bohuslav Sobotka - qui souhaitaient rompre avec son héritage. Là encore, l'attitude d'Andrej Babiš peut être interprétée en fonction d'une tactique de court terme ou bien traduire une tendance lourde pour l'avenir. D'autant plus que, si le président de la République joue un rôle institutionnel faible en République tchèque, la période qui suit immédiatement les élections législatives est une exception qui confirme la règle : le président est assez largement le maître du calendrier et il dispose du droit totalement discrétionnaire de désigner, deux fois, la personne qui sera chargée de composer le gouvernement et de devenir Premier ministre[23]. Ainsi, le 7 novembre 2017 étant la date limite pour désigner les candidats à l'élection présidentielle de janvier 2018, il est fort probable que Miloš Zeman prendra son temps et profitera de ce concours de circonstances pour exercer une pression sur Andrej Babiš de sorte que la stratégie d'ANO pour l'élection présidentielle lui soit aussi favorable que possible.
Au-delà des alliances, il y a l'évolution du discours sur les sujets de fond. Là encore, les maîtres mots sont l'ambiguïté et l'incertitude quant à l'orientation réelle pour les années à venir. Le programme électoral d'ANO parle de l'Union européenne de manière sommaire, mais globalement positive : l'appartenance à une Union efficace est définie comme l'intérêt prioritaire de la République tchèque. Même l'adoption de l'euro n'est pas écartée a priori (même si selon les derniers sondages, la part des Tchèques favorables à cette décision se situe en-dessous de 20%[24]), elle est conditionnée à une réforme préalable de la zone euro visant à garantir une plus grande " stabilité économique et financière de l'Europe". A un niveau plus général, le mouvement ANO déclare : " Nous allons nous orienter, sans aucune ambiguïté, en direction du monde libre et démocratique, sachant que la promotion des droits de l'Homme restera un pilier important des activités de la diplomatie tchèque. " Dans le contexte du débat public tchèque, c'est une façon claire de s'inscrire, en matière de politique étrangère, dans le consensus pro-occidental des partis de gouvernement de l'après-1989 et de se réclamer de l'héritage de Vaclav Havel, en se démarquant non seulement des partis antisystème (KSCM, SPD), mais aussi de l'euroscepticisme de l'ODS et des tendances pro-russes et pro-chinoises de Miloš Zeman, relayées même par une partie du CSSD.
Mais il y a le discours d'Andrej Babiš, nettement moins policé et moins cohérent avec l'appartenance de son mouvement au sein du groupe ADLE présidé par Guy Verhofstadt au Parlement européen. Pour ne citer qu'un exemple, l'agence Bloomberg a publié, en juin 2017, ses propos concernant l'Union européenne et l'euro : " Pas d'euro. Je ne veux pas l'euro. Nous ne voulons pas l'euro ici. Tout le monde sait que c'est en faillite. C'est une affaire de souveraineté. Je veux la couronne tchèque et une banque centrale indépendante. Je ne veux pas un sujet supplémentaire dont Bruxelles se mêlerait. "[25] Nous sommes loin des envolées sur le Czexit qu'on entend à l'extrême droite ou même parfois au sein de l'ODS, mais le style et le fond de ses propos résonnerait davantage avec une appartenance au groupe CRE plutôt qu'à l'ADLE.
Reste ce qui est sans doute le plus grand problème concernant Andrej Babiš et le mouvement ANO : la question de sa conception des affaires publiques et de la politique, ainsi que les énormes risques de conflit d'intérêts, lorsque la seconde fortune du pays accède aux plus hautes responsabilités gouvernementales. Sans parler des zones d'ombre concernant son passé et les circonstances de la construction de son empire et de ses déboires judiciaires actuels. Non seulement il est pour le moins très rare d'avoir un Premier ministre mis en examen dans son pays, mais il est certain que la République tchèque serait le premier Etat membre de l'Union à être représenté au Conseil européen par un homme dont les activités font - selon des informations officieuses publiées par la presse et abondamment relayées par ses adversaires - l'objet des investigations de l'OLAF.
Concernant sa conception de la démocratie et son rapport aux contre-pouvoirs, l'un des slogans les plus connus d'A. Babiš, dès son entrée en politique, exprimait son souhait de " gérer l'Etat comme on gère une entreprise ". En découle un agacement, voire un mépris non seulement à l'égard de la classe politique (le thème des " responsables politiques qui ne savent faire autre chose que du bla-bla " est un leitmotiv de sa campagne en 2017[26]), mais aussi des procédures et des institutions parlementaires, considérées comme un frein inutile, voire nuisible à l'action politique[27]. L'inquiétude à ce sujet est renforcée par l'exemple du fonctionnement du mouvement ANO, qui apparaît davantage comme une entreprise que comme un parti politique, avec un rôle écrasant du président-fondateur et une absence assez criante de personnalités qui puissent constituer un contrepoids au sein du mouvement. Le départ des personnalités comme Pavel Telicka n'arrange évidemment pas les choses.
De nombreuses questions se posent également en ce qui concerne ses investissements dans le domaine des médias : son holding contrôle notamment deux quotidiens du pays. Or, l'un des éléments déclencheurs du conflit qui a abouti à son départ du gouvernement a été la divulgation de l'enregistrement d'une conversation entre A. Babiš et un journaliste de l'un de ces quotidiens, pouvant être interprétée comme un exemple de l'abus de " ses " journaux pour attaquer ses adversaires politiques. La concentration du pouvoir médiatique et politique entre ses mains a même donné lieu à un débat au Parlement européen[28], sans que cela entame sa popularité auprès d'une bonne partie des citoyens tchèques, convaincus de la thèse d'une campagne politique artificielle, orchestrée par l'opposition de droite, voire d'une ingérence illégitime d'une institution européenne dans les affaires internes du pays[29].
Restent les problèmes du passé et du conflit d'intérêt. Tout récemment, la Cour constitutionnelle slovaque a renvoyé au point de départ l'affaire qui oppose A. Babiš à l'Institut de la mémoire de la nation, institution qui gère les archives de la police politique d'avant 1989 en Slovaquie. L'enjeu de ce litige est la question de savoir si, aux yeux de la justice slovaque, Andrej Babiš a été ou pas un collaborateur conscient de la StB[30]. Quelle que soit la réponse, il est indubitable qu'il a été membre du parti communiste dans les années 1980 et que le régime l'a laissé développer une carrière dans le commerce international - un domaine très sensible, réservé aux personnes " sûres ". Même si près de 30 ans après la chute du régime communiste ces questions perdent de l'intérêt aux yeux de beaucoup de citoyens tchèques, symboliquement, ce genre de profil continue à poser un problème pour un prétendant au poste de Premier ministre. Par ailleurs, de nombreuses interrogations entourent la façon dont Andrej Babiš a constitué son holding Agrofert, dans les domaines sensibles tels que l'agroalimentaire ou la pétrochimie, notamment en ce qui concerne les origines de son capital de départ[31]. Plus récemment, une controverse - qui pourrait avoir des suites judiciaires - concernait l'utilisation par Agrofert d'une astuce en matière d'optimisation fiscale, un sujet délicat pour celui qui, en tant que ministre des Finances, se faisait fort d'en finir avec l'évasion fiscale.
" Les entreprises de Babiš ont reçu 2,6 millions € de fonds européens, mais le ministre des Finances est le garant face à l'Union de l'affectation correcte de ces moyens. Comment quelqu'un ayant des intérêts financiers personnels aussi massifs peut-il être en même temps ce garant ? Ce conflit d'intérêt met en cause la crédibilité des systèmes de contrôle en République tchèque". Cette citation d'Ingeborg Grässle[32], députée européenne, présidente de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, résume le cœur du problème en matière de conflit d'intérêt. Andrej Babiš est entré en politique et au gouvernement tout en restant à la tête d'un empire industriel, grand consommateur de subventions publiques tchèques et européennes. Qui plus est, il a emmené avec lui toute une série de personnes issues de son holding Agrofert[33], créant un mélange des genres et un enchevêtrement entre ce dernier et l'Etat qui va bien au-delà de sa seule personne. Ses partenaires de coalition, le CSSD et le KDU-CSL, ont fermé les yeux sur ces problèmes en invitant non seulement ANO au gouvernement, mais en acceptant que A. Babiš devienne ministre des Finances. C'est seulement après plus de deux ans qu'ils ont " découvert " le problème et avec le soutien de l'opposition - et contre le véto du président Zeman - ont fait adopter une nouvelle loi contre le conflit d'intérêts, baptisée " lex Babiš " par les journalistes et par l'intéressé lui-même, qui dénonce cette loi comme un exemple sans précédent de persécution ad hominem[34]. Toutefois, il est permis de douter de l'efficacité de cette loi : elle a obligé A. Babiš à transférer son holding sous l'administration temporaire d'un fonds, dont les administrateurs sont son épouse et son avocat. Une possible prochaine réglementation européenne consacrée à ce sujet et susceptible d'être plus restrictive que la " lex Babiš " tchèque pourrait relancer le débat à ce sujet et ouvrir un nouveau chapitre dans les relations complexes entre A. Babiš et l'Union européenne.
Un autre aspect du risque d'un conflit d'intérêt, voire d'un abus, a été mis en évidence par la publication de l'enregistrement d'une conversation privée qui suggère qu'A. Babiš se serait servi des services du ministère des Finances pour faire pression sur une entreprise rivale d'Agrofert. Ce qui affaiblit toutefois cette accusation et son impact sur l'opinion publique, ce sont les circonstances louches entourant ces enregistrements. Leur origine est inconnue et probablement illégale, aucune certitude n'est établie en ce qui concerne l'absence de manipulation (Andrej Babiš ne conteste pas leur authenticité, mais affirme qu'ils ont fait objet d'un montage malveillant) et ils sont publiés par un compte Twitter anonyme, probablement lié à des milieux peu crédibles en matière de moralité publique et de souci de transparence.
En attendant, l'affaire la plus directement dangereuse pour M. Babiš, pour laquelle il a été mis en examen en septembre dernier, est celle de " Capí hnízdo " : un lieu de villégiature qui aurait été financé de manière frauduleuse sur fonds européens. Cette affaire est dangereuse, car d'une part - à la différence des autres affaires le mettant en cause - elle est relativement simple : pour obtenir une subvention européenne, réservée aux PME, Andrej Babiš a fait sortir une société de son holding pour lui faire porter ce projet, en masquant le fait que les propriétaires de cette société étaient ses proches. Une fois le projet réalisé et le délai de respect des critères d'éligibilité exigé par l'Union européenne expiré, la société a été réintégrée dans Agrofert. Autre problème qui rend cette affaire plus dangereuse que les autres : A. Babiš a plusieurs fois changé de version avant d'avouer ce qu'il niait précédemment. Des carrières politiques se sont brisées pour moins que cela en République tchèque[35], mais si cette affaire a peut-être contribué à freiner la dynamique électorale d'ANO (qui n'a pas su dépasser la barre de 30%, à la différence de l'ODS et du CSSD aux temps de leur apogée), elle n'a absolument pas entamé le capital de confiance dont A. Babiš bénéficie, soulignant par là même la profondeur du " phénomène Babiš ".
En effet, ce dernier illustre bien la crise profonde de la politique traditionnelle en Europe, particulièrement prononcée en Europe centrale et orientale, du fait d'une démocratisation encore récente et souvent superficielle. Il incarne un certain nombre de tendances inquiétantes : la primauté du marketing politique sur le fond, l'" oligarchisation " de la politique avec un mélange des genres entre l'action publique et le business, le discours antisystème simpliste, etc. Il porte en lui le risque d'un conflit d'intérêt massif et permanent qui, à son tour, peut encore renforcer la méfiance des citoyens à l'égard des institutions démocratiques. Pour autant, est-il porteur d'une dérive autoritaire en ce qui concerne l'ancrage de la République tchèque dans le camp des démocraties libérales et d'une dérive eurosceptique en ce qui concerne son orientation géopolitique ?
A ce stade, la réponse reste ouverte. Les inquiétudes formulées, de manière parfois excessive, par ses adversaires se fondent sur des éléments réels. Mais la base électorale et les fondamentaux du positionnement politique de ce phénomène restent relativement modérés. Il y a un risque de radicalisation. L'exercice des responsabilités gouvernementales - déjà assumées par ANO depuis quatre ans – produit souvent des effets modérateurs, à l'inverse des dynamiques des campagnes électorales. La question fondamentale sera donc celle des alliances.
Les " matchs dans le match "
Avant d'aborder la question des alliances et pour compléter le tableau général de ces élections, il convient d'examiner brièvement certains aspects partiels de ces dernières. En effet, ces élections ont été d'abord un " match " opposant ANO au reste de la classe politique. Mais derrière cet affrontement, une multitude d'enjeux plus partiels, de " matchs " secondaires se sont déroulés.
a) Rapports de force à gauche
Pour la première fois depuis 1992, le parti communiste (KSCM) arrive devant les sociaux-démocrates (7,76% contre 7,27%). Toutefois, ce succès pour le KSCM n'est qu'une très faible consolation face à ce qui est une défaite cuisante : le score historiquement le plus faible du KSCM, une chute de près de 50% par rapport à 2013. Pour les deux partis, c'est un revers inattendu : la moyenne des 7 derniers sondages publiés avant les élections donnait le CSSD à 13,7% et le KSCM à 12,5%.
b) L'hégémonie dans le vote contestataire radical
Si le vote contestataire est le grand vainqueur de ces élections (le vote ANO pouvant y être assimilé au moins partiellement), il y a en son sein une part de vote radical, pour les partis considérés comme des extrêmes infréquentables. Entre l'extrême gauche, jusqu'ici clairement dominante, et l'extrême droite, cette dernière s'impose assez nettement (10,64% contre 7,76%), certainement portée par les thématiques en vogue, suite notamment à la crise migratoire et à la multiplication des attentats islamistes en Europe. L'extrême droite progresse sensiblement depuis 2013 (+55%), alors que l'extrême gauche s'écroule (-48%). Dans l'ensemble, et c'est plutôt une surprise, les deux extrêmes réunis sont en baisse : ils cumulent 18,4%, contre 21,8% en 2013, mais avec un rapport de force inversé entre les deux composantes de l'opposition radicale. Mais cette baisse relative se fait au prix d'un durcissement du discours des partis de la coalition gouvernementale sortante, ANO et CSSD notamment.
c) Rapports de force à droite
Après de longues années d'hégémonie de l'ODS, l'année 2013 a vu TOP 09 passer, avec 11,99% de voix, devant l'ODS qui a touché le fond, avec le score de 7,72%. Mais, avec le départ à la retraite de Karel Schwarzenberg, TOP 09 s'écroule, évitant de justesse l'élimination pure et simple, alors que l'ODS se réjouit d'un résultat quasi inespéré : la deuxième place, certes loin derrière ANO passant de 7,72% en 2013 à 11,32% en 2017 ! Il ne faut pas oublier qu'en 2013 TOP 09 était soutenu par les maires du STAN - qui se sont présentés seuls cette année. Le score cumulé de ces deux partis est de 10,49%, un score comparable à celui de TOP 09 en 2013 et à peine inférieur à celui que l'ODS a atteint cette année.
d) Rapports de force entre les eurosceptiques et les pro-européens
Il est difficile d'appliquer ces catégories, tant les lignes sont brouillées et tant le discours eurosceptique, sur le fond d'une opinion publique désabusée, semble dominant, y compris au sein des partis réputés " pro-européens ". Ceci dit, en termes d'affiliation au niveau européen, le constat apparaît sous une lumière différente. En supposant que le mouvement ANO reste affilié à l'ADLE et que les Pirates rejoindront les Verts/ALE, le bloc pro-européen PPE - S&D - ADLE - Verts/ALE réunit 64% de voix et 138 sièges contre 29,7% de voix et 62 sièges pour 3 partis qui sont affiliés, respectivement, aux groupes ECR (ODS), GUE-NGL (KSCM) et - probablement - ENL (SPD). C'est pratiquement le même rapport de force qu'en 2013, plus favorable aux " pro-européens " que la situation d'avant 2013. Mais encore une fois, cette analyse tient à l'hypothèse que le mouvement d'Andrej Babiš maintiendra son engagement aux côtés des libéraux européens, malgré la brouille avec Pavel Telicka qui a été l'artisan de ce rapprochement.
e) La surprise de l'année : les Pirates
Le succès du Parti pirate est l'une des surprises majeures de ce scrutin. Ce mouvement, inspiré des exemples islandais, allemand ou suédois, a réussi à capter un électorat plutôt jeune, qui ne se reconnaît pas dans l'offre politique. Ils ont réussi à remplir l'espace resté libre après l'échec des Verts qui ne se sont pas remis de leurs divisions et de leur participation au gouvernement Topolánek entre 2006 et 2009. Les Pirates ont déjà tenté de percer lors des élections européennes en 2014 (avec 4,78%), ils ont enregistré quelques succès lors des élections municipales en 2014, mais le fait qu'ils aient réussi non seulement à dépasser le seuil de 5% mais directement à se hisser à la 3ème place en dit long sur la crise du système politique tchèque. Avec 22 députés, ils constitueront sans doute une composante peu prévisible, mais globalement plutôt constructive et relativement modérée de la nouvelle Chambre. Leur leader Ivan Bartoš a précisé avant les élections qu'ils ne souhaitaient pas rejoindre une coalition gouvernementale et la chute rapide de certains petits partis inexpérimentés accéder trop vite aux responsabilités gouvernementales comme les Verts en 2006 ou le parti Affaires publiques (VV) en 2010 n'est pas sans doute étrangère à ce souhait.
f) Les comebacks ratés et des ambitions déçues
Si ces élections marquent un record quant au nombre de listes en lice (31, contre 23 en 2013), c'est aussi à cause de plusieurs partis ou personnalités politiques qui ont cru que le contexte actuel leur ouvrait un espace intéressant. Ainsi, le Nestor de l'extrême droite tchèque, Miroslav Sládek a tenté un retour : il était le leader des Républicains, le parti d'extrême droite qui a été représenté à la Chambre des députés de 1992 à 1998. Ce comeback s'est soldé par un échec cuisant : 0,19% des voix. En effet, à part le SPD de Tomio Okamura et le parti de Miroslav Sládek, les électeurs tchèques tentés par l'extrême droite avaient aussi la possibilité de porter leurs suffrages, entre autres, sur des listes aux titres évocateurs, tels que " L'ordre de la nation - Union patriotique " (0,17%), " les Raisonnables - stop à la migration et au dictat de l'UE " (0,72%), " Bloc contre Islam - défense de notre maison " (0,1%), " Référendum sur l'Union européenne " (0,08%) ou un parti ultranationaliste un peu plus enraciné, le Parti ouvrier de la justice sociale (DSSS, 0,2%).
De l'autre côté de l'échiquier politique en ce qui concerne l'attitude à l'égard de l'Union européenne, un autre comeback des années 1990 a échoué : celui du parti Alliance démocratique civique (ODA), partenaire libéral de l'ODS au sein des gouvernements de Václav Klaus de 1992 à 1998. Ce parti a fait une campagne résolument pro-européenne, plaidant par exemple pour une adoption rapide de l'euro. Seulement 0,15% d'électeurs ont été séduit par cette candidature. Les Verts, avec un positionnement nettement plus à gauche que dans les années 2006-09, ont également tenté de revenir, avec un peu plus de succès, mais très en-dessous du seuil de 5% (1,46%).
Deux partis abordaient la campagne électorale avec de fortes ambitions, en se situant résolument dans le camp eurosceptique. D'un côté, le Parti des citoyens libres (SSO), un parti libéral, voire libertarien, partisan du " Czexit ", constitué essentiellement d'anciens membres de l'ODS, déçus par la " mollesse " de ce dernier. L'optimisme de ce parti a été stimulé par l'obtention d'un siège pour leur leader, Petr Mach lors des élections europénens de 2014. Toutefois, ils n'ont fait guère mieux que les Verts - 1,56%.
Les Réalistes, un nouveau parti créé par Petr Robejšek, politologue tchèque établi en Allemagne, nourrissait également de grands espoirs, s'inspirant ouvertement de l'AfD allemande. Leur discours eurosceptique et sécuritaire (avec des slogans comme " Pour maman une maison sûre", " Pour papa un fusil dans les mains " et " Pour les enfants un avenir tchèque") n'a convaincu que 0,71% d'électeurs.
La question des alliances : à la recherche d'une coalition
La victoire du mouvement ANO est sans appel, même si son score reste juste en dessous de la barre psychologique de 30%. Mais les incertitudes commencent. Il semble à peu près sûr qu'Andrej Babiš sera désigné par le président Miloš Zeman, apparaissant comme son meilleur allié sur la scène politique tchèque depuis longtemps, pour tenter de former le prochain gouvernement. A partir de cette hypothèse, quels scénarios envisager ?
Une alliance avec des forces politiques modérées, libérales et pro-occidentales pourrait favoriser l'achèvement de la normalisation du mouvement ANO, le transformant en un parti politique qui devra encore préciser son positionnement idéologique. Aux partis membres de la coalition gouvernementale d'assurer que les conflits d'intérêt d'A. Babiš resteront sous contrôle et que l'issue de ses déboires judiciaires ne contribuera pas au discrédit des institutions. A l'inverse, une forme quelconque d'alliance avec des partis antisystème " hard ", combinée potentiellement avec une prévalence des intérêts personnels d'A. Babiš sur les autres considérations déterminant sa stratégie politique, impliquerait une évolution dangereuse, écartant la République tchèque du mainstream européen. Certes pour des raisons différentes de la Hongrie ou de la Pologne, mais avec des effets qui pourraient être plus ou moins similaires.
Les principaux scénarios apparaissant comme envisageables.
1) La coalition actuelle continue
Les trois partis (ANO, CSSD, KDU-CSL), qui forment actuellement la coalition gouvernementale, disposeraient d'une majorité étroite de 103 sièges sur 200. Toutefois, la reconduction de la coalition actuelle avec un rééquilibrage correspondant aux résultats des élections semblent peu probable à ce stade, compte tenu des propos tenus par les représentants de ces partis. La dégradation profonde des relations entre ces trois partis a débouché sur l'éviction d'A. Babiš du gouvernement. Et compte tenu de l'écroulement du CSSD, il apparaît peu probable qu'Andrej Babiš souhaite continuer à cultiver son alliance avec le centre-gauche.
2) ANO tourné vers de nouveaux partenaires
En effet, Andrej Babiš pourrait tendre la main à de nouveaux partenaires, l'ODS ou le Parti pirate. Une coalition avec l'ODS serait majoritaire - 103 sièges. Mais ce parti jusqu'ici excluait toute alliance possible avec ANO et Andrej Babiš se montrait très critique avec l'ODS. Et son électorat, en 2017 penche fortement vers la gauche. Quant aux Pirates, sans être aussi catégorique que certains autres partis, ils se sont également montrés très réservés à l'égard d'ANO. Et une coalition ANO - Pirates ne totaliserait que 100 sièges. Il faudrait donc aller chercher un autre partenaire, par exemple le mouvement STAN, parti de maires locaux, autrefois allié de TOP 09. Sans compter sur le fait que les Pirates vont sans doute être très prudents quant à leur éventuelle participation gouvernementale. Or, A. Babiš ne s'est jamais caché de son scepticisme, voire son agacement à l'égard des lourdeurs et rigidités des procédures qui caractérisent les démocraties parlementaires et les gouvernements de coalition. On peut donc supposer que sa priorité sera de négocier une coalition avec un seul membre ou bien un gouvernement minoritaire composé uniquement de membres d'ANO. Mais cela risque d'être difficile, puisque les autres partis tendent à se positionner de manière très négative à l'égard d'A. Babiš et de son mouvement, allant volontiers jusqu'à l'accuser d'être une menace pour la démocratie tchèque.
3) Tous contre Babiš
C'est au nom de cette idée qu'un front " anti-Babiš " pourrait voir le jour, pour priver le vainqueur de former le prochain gouvernement, à l'instar de ce qui s'est passé en 1998 en Slovaquie[36]. Mais cette variante apparaît désormais comme irréaliste, car elle nécessiterait aussi les suffrages du SPD et des communistes. A supposer que ces deux partis soient motivés pour ce type d'arrangement, pour les autres, s'allier à ces partis en prétendant que le mouvement ANO est une plus grande menace, relèverait d'un suicide politique. Sans parler de l'hétérogénéité politique d'une telle coalition, dépassant tout ce qu'on a pu expérimenter jusqu'ici. Par ailleurs, si les risques d'une dérive non-démocratique ne faisaient que peu de doutes en Slovaquie du milieu des années 1990, la situation est beaucoup plus ambiguë en République tchèque.
4) ANO tourné vers les extrêmes
Toutefois, la question se poserait réellement si Andrej Babiš décidait d'aller chercher du soutien auprès des deux partis " anti-système " qui contrôlent ensemble 37 sièges : les communistes du KSCM et l'extrême droite du parti Liberté et démocratie directe (SPD) de Tomio Okamura,. Une coalition directe semble peu probable - Andrej Babiš n'a cessé de répéter qu'il ne s'allierait pas au SPD, traitant Tomio Okamura de " fou " et d'homme " dangereux ", tout en précisant que sur la question de migration, ils " pourraient s'entendre ". Toutefois, la variante d'un gouvernement minoritaire d'Andrej Babiš toléré par ces deux partis semble moins farfelue. La question étant quel serait le prix à payer pour une telle alliance tacite, quel serait sa solidité et le degré d'influence que l'extrême gauche et l'extrême droite exerceraient réellement sur l'exécutif.
Ce scénario aurait l'impact le plus lourd au niveau européen, accréditant l'hypothèse d'un phénomène global d'un détournement de l'Europe centrale de la trajectoire fixé après 1989. Néanmoins, il resterait bien distinct de ce qui existe en Hongrie ou en Pologne, se rapprochant davantage de ce qui a existé par exemple en Italie (les coalitions de Forza Italie de Silvio Berlusconi incluant la Lega Nord d'Umberto Bossi), en Autriche (avec la coalition ÖVP-FPÖ au début des années 2000) ou en Slovaquie (avec la présence du Parti national au gouvernement de 2006 à 2010 et à nouveau depuis 2016).
5) Un gouvernement technique ou " présidentiel "
Face à cette situation inédite, avec 9 partis représentés à la Chambre des députés, Miloš Zeman pourrait être tenté d'imposer une solution servant ses intérêts, comme il l'a déjà fait avec le gouvernement Rusnok en 2012 : après la chute du gouvernement Necas, la coalition de centre-droit était prête à continuer avec un nouveau Premier ministre. Or, le président Zeman n'a pas désigné la candidate proposée par la coalition sortante. Il a préféré nommer un gouvernement " technique ", composé toutefois pour la plupart de personnalités proches de lui, avec à sa tête son ancien ministre des Finances (en 2001-02), Jirí Rusnok. Ce gouvernement n'a pas obtenu la confiance de la Chambre des députés, mais il est resté en place jusqu'à la constitution du gouvernement issu des élections anticipées des 25-26 octobre 2013. Compte tenu des difficultés des négociations post-électorales, le gouvernement Rusnok n'a passé la main que fin janvier 2014. Ainsi, la République tchèque a été gouvernée pendant 7 mois par un gouvernement " présidentiel " qui n'a jamais été investi par les députés. Miloš Zeman, dont le mandat s'achève en janvier 2018 et qui se représente à sa propre succession ne sera-t-il pas tenté par un scénario similaire pour les semaines et mois à venir ?
La question des alliances à l'échelle européenne
Au niveau européen, la première question est celle de l'affiliation du mouvement ANO : l'appartenance à l'ADLE survivra-t-elle à la rupture Babiš - Telicka ? Il est trop tôt pour le dire. Mais il est relativement probable que le pragmatisme d'Andrej Babiš lui fera préférer l'affiliation à un groupe qui inclut plusieurs partis de gouvernement influents, plutôt que de s'isoler dans un groupe comme ECR, en perte de vitesse évidente dans le contexte du Brexit. Ceci dit, l'affiliation européenne en soi n'est pas une garantie de quoi que ce soit : le fait que le FIDESZ a toujours préféré de rester au PPE, plutôt que de rejoindre le PiS ou l'ODS au sein du groupe ECR en dit long.
De manière plus générale, le nouveau gouvernement tchèque devra décider s'il s'inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs, en privilégiant les liens avec l'Union européenne et une orientation globalement " occidentale ", réservant au groupe Visegrad une place congrue. Ou bien s'il se lance dans une stratégie de rupture, dans la recherche des alternatives, que ce soit le groupe de Visegrad ou une orientation plus importante sur des pays tiers. Ce choix sera à la fois plus important et plus difficile, si la dynamique européenne évolue vers un scénario plus assumé et plus affirmé d' " Europe à plusieurs vitesses ". En effet, vu l'état de l'opinion publique[37], il sera politiquement difficile de défendre la participation de la République tchèque à un éventuel " noyau dur " de l'Union européenne. Mais assumer le fait de devenir un " membre de seconde zone " ne sera pas facile non plus.
Le cas tchèque est spécifique et les parallèles mobilisés par les journalistes sont souvent très loin de la réalité des choses. Mais si on veut à tout prix rendre compte du phénomène Babiš en se servant d'exemples étrangers, le résumé le moins mauvais serait le suivant : une sorte de " Berlusconi tchèque " qui est entré, en 2013, en politique avec une méthode et un positionnement politique plutôt " à la Macron ", tout en maniant un " tous pourris " aux accents de populisme d'extrême droite, néanmoins très compréhensible dans le contexte tchèque du début du XXIème siècle, qui depuis est tenté par une sorte de " trumpisation ". Les élections législatives qui viennent d'avoir lieu marque une étape importante de cette évolution et le gouvernement qui en sortira déterminera ce qui restera des fondamentaux " macroniens " (centrisme pro-européen, volonté affichée d'assainir l'espace public), jusqu'où ira la " trumpisation " (ouverture vers les extrêmes, populisme radical, imprévisibilité, préférence pour le passage en force, mépris des institutions et de la culture politique établie, souverainisme exacerbé) ou/et si la dimension " berlusconienne " (conflits d'intérêts inextricables et l'agenda politique dicté en partie par les affaires judiciaires) pèsera plus ou moins sur tout cela...
[1] Cette coopération est lancée lors du sommet qui réunit, en février 1991, à Visegrad en Hongrie le président hongrois József Antall, le président tchécoslovaque Václav Havel et le président polonais Lech Walesa. Symboliquement, elle fait écho à une rencontre entre le roi de Bohême, le roi de Pologne et le roi de Hongrie qui a eu lieu au même endroit en 1335.
[2] Par exemple, sur l'un des points majeurs des négociations de préadhésion, les questions liées à la Politique agricole commune, les enjeux et les intérêts différaient radicalement entre la Pologne et la République tchèque.
[3] Citons l'exemple de l'appartenance de ce qui est la République tchèque au Saint Empire romain germanique, à la différence des autres pays. Ou bien l'influence précoce du protestantisme et la sécularisation rapide et forte de la nation tchèque, face aux nations fortement catholiques que sont les Polonais et les Slovaques. Ou encore l'influence ottomane très forte en Hongrie, presque inexistantes dans les trois autres. Plus près de nous, citons l'opposition entre les peuples slaves et les Hongrois au sein de l'empire des Habsbourg au XIXème siècle, le conflit qui a opposé la Tchécoslovaquie à la Pologne à l'issue de la Première Guerre mondiale ou encore les tensions récurrentes entre la Hongrie et la Slovaquie.
[4] Il s'agit du programme temporaire de relocalisation d'urgence, institué par deux décisions du Conseil adoptées en septembre 2015.
[5] Affaires C-643/15 et C-647/15.
[6] Cf. par exemple son discours, disponible en anglais sur le site de la présidence de République, intitulé " Attitude to refugees will define the heart and soul of Slovakia ".
[7] A titre d'exemple, son porte-parole, Jirí Ovcácek a récemment comparé sur les réseaux sociaux la relation entre l'UE et la République tchèque à celle entre le Troisième Reich et le protectorat Bohême-Moravie.
[8] Dans ce texte, le mot " libéral " est à prendre au sens du libéralisme politique et constitutionnel.
[9] Du centre-droit vers la gauche (dans un arrangement ressemblant à une grande coalition tacite : un gouvernement minoritaire du CSSD toléré par l'ODS) en 1998, du centre-gauche vers le centre-droit en 2006.
[10] Centre-droit (ODS, KDU-CSL, ODA) de 1992 à 1997 ; gouvernement minoritaire de gauche (CSSD) toléré par l'ODS de 1998 à 2002 ; CSSD avec les centristes chrétiens-démocrates (KDU-CSL) et les libéraux du centre-droit pro-européen (US-DEU) de 2002 à 2006 ; l'ODS avec KDU-CSL et les Verts (2007-09) ; l'ODS avec les chrétiens-démocrates conservateurs (TOP09) et un petit parti populiste inclassable - Veci verejné de 2010 à 2013.
[11] Gouvernement Tošovský en 1997-98, gouvernement Fischer en 2009-10 et gouvernement Rusnok en 2013-14.
[12] Ce parti a été représenté au gouvernement de 1992 à 1998, de 2002 à 2009 et depuis 2014.
[13] Créé en 2011 par Andrej Babiš (homme d'affaire d'origine slovaque, PDG fondateur du holding Agrofert, un géant de l'agroalimentaire, deuxième fortune du pays), ce mouvement talonne le CSSD aux législatives de 2013 et se retrouve d'emblée au gouvernement, Andrej Babiš devenant ministre des finances. Il a dû quitter le gouvernement en mai 2017, sous la pression du Premier ministre Bohuslav Sobotka (CSSD).
[14] La loi électorale tchèque prévoit, pour la chambre basse du Parlement, le système proportionnel sur la base de listes régionales (14 régions), avec la nécessité pour une liste d'atteindre le seuil de 5% pour avoir des élus (pour des listes soutenues par une coalition de partis, ce seuil est multiplié par le nombre de partis formant la coalition) et avec l'application de la méthode d'Hondt pour la répartition des restes.
[15] Au niveau local ou régional, des coalitions incluant le KSCM ont déjà vu le jour.
[16] Les élections de 2002 entraînent ainsi un départ - très provisoire - à la retraite politique de Václav Klaus et de Miloš Zeman. Vladimír Špidla opte sans hésiter pour une coalition avec le centre-droit pro-européen, malgré l'extrême fragilité de sa majorité (101 sièges sur 200), renvoyant l'ODS, pour la première fois depuis sa création, en situation d'une véritable opposition, réellement coupée de l'exercice du pouvoir. Ceci entraîne le départ de Václav Klaus de la présidence de son parti. Toutefois, les divisions du CSSD et l'incapacité de la coalition gouvernementale de s'unir derrière un candidat crédible permettent son élection (après 9 tours - qui ont vu, entre autres, l'élimination dès le 1er tour de Miloš Zeman) à la présidence de la République en 2003.
[17]TOP 09 apparaissant essentiellement comme l'aile droite du KDU-CSL qui rejoint un nouveau parti lancé par Karel Schwarzenberg, représentant d'une grande famille aristocratique tchèque et autrichienne, ancien chancelier (chef de l'administration présidentielle) de Václav Havel. Elu sénateur indépendant avec le soutien des Verts, il devient ministre des affaires étrangères, lorsque les Verts rejoignent la coalition gouvernementale avec l'ODS et le KDU-CSL (2006-09).
[18] Plein emploi, croissance dynamique sur le plan économique. Quant à la question des migrants, à la différence de la Hongrie ou de l'Autriche, la République tchèque n'a vu quasiment aucune arrivée de réfugiés sur son sol.
[19]Cf. les sondages réalisés par l'agence MEDIAN pour la Télévision tchèque, publiée par celle-ci le 22/10/2017.
[20] Cf. par exemple les propos tenus par les deux leaders lors du forum économique de Krynica en septembre 2016.
[21] Une participation très forte, avec les ministres ANO détenant les portefeuilles des Finances, de la Justice, de la Défense, de l'Environnement, du Développement local et des Transports. Par ailleurs, Andrej Babiš, jusqu'à son éviction en mai 2017, apparaissait comme l'homme fort de ce gouvernement, cumulant la fonction de ministre des Finances et de vice-Premier ministre.
[22] Ainsi, Daniel Kaiser, journaliste qui se distingue par son euroscepticisme constant depuis le début des années 2000, a pu s'étonner de l'erreur d'optique de la presse européenne (qui avait tendance à présenter Babiš comme un eurosceptique à la Orbán) dans un article intitulé " Babiš n'est pas un eurosceptique, mais un euroopportuniste. Jourová too. " (i Echo24.cz, 19/10/2017)
[23] Cette personne doit se présenter devant la Chambre dans les 30 jours qui suivent sa désignation par le président pour demander un vote de confiance. Si ce dernier n'est pas acquis, le président désigne une deuxième personne (ou la même personne pour la 2ème fois). C'est seulement après l'échec éventuel de cette deuxième tentative de constituer un gouvernement bénéficiant de la confiance des députés que le président doit désigner la personne qui lui sera indiquée par le président de la Chambre. Si cette personne échoue à son tour, la voie s'ouvre pour des élections anticipées.
[24] 17% de citoyens tchèques soutenaient l'adoption de l'euro en avril 2016, selon le sondage réalisé par l'institut CVVM.
[25] https://www.bloomberg.com/news/articles/2017-06-25/-we-don-t-want-the-euro-says-czech-tycoon-poised-to-be-premier
[26] Une des affiches du mouvement ANO porte le slogan suivant : " Se battre pour ceux qui sont capables et travailleurs. Et ne pas faire du bla-bla. "
[27] Fait significatif, dans son livre pré-électoral intitulé " De quoi je rêve lorsque, par hasard, je dors " et qui vise à définir sa vision de la République tchèque à l'horizon de 2035 Andrej Babiš suggère de supprimer la chambre haute du parlement, le Sénat, réduire le nombre de députés ou encore, au niveau local, concentrer le pouvoir décisionnel entre les mains d'un maire directement élu, au détriment du conseil municipal, et supprimer les conseils régionaux. Notons que le Sénat, même s'il reste assez largement impopulaire aux yeux des électeurs, a joué un rôle de contre-pouvoir essentiel lors de la période du " contrat d'opposition ", en empêchant certaines réformes constitutionnelles. A l'inverse, l'absence d'une chambre haute a grandement facilité l'évolution " illibérale " de la Hongrie : le simple fait d'obtenir XX% aux élections législatives a conféré au parti de Viktor Orbán une majorité constitutionnelle, dont il n'a pas hésité à se servir pour procéder à une réforme profonde et controversée de l'ordre constitutionnel du pays. Notons aussi que ce projet de M. Babiš a peu de chance d'aboutir, précisément parce qu'il risque de ne pas obtenir une majorité de 3/5 parmi les sénateurs.
[28] Débat du parlement avec la Commission sur " les risques d'abus politiques envers les médias tchèques " du 1/6/2017.
[29] Cf. la déclaration d'Andrej Babiš citée par CTK, 30/5/17 : " (...) en République tchèque, nous respectons pleinement les institutions européennes, mais nous ne souhaitons pas qu'elles interviennent dans nos affaires internes. "
[30] Státní Bezpecnost (" Sécurité d'État "), l'équivalent tchécoslovaque de la Stasi est-allemande ou du KGB soviétique.
[31] En avril 2017, les conseillers du premier ministre Sobotka ont élaboré une analyse concernant les circonstances de la création et de la montée en puissance d'Agrofert et de son propriétaire. Ce document débouche sur 22 questions qui pointent des éléments controversés dans le passé entrepreneurial de M. Babiš (cf. le journal www.denik.cz, le 26/4/2017). Ce dernier a désigné les auteurs de cette ananlyse d' " analphabètes économiques " et a vivement dénoncé une attaque déloyale, relavant d'une campagne de dénigrement.
[32] Déclaration faite devant la presse tchèque lors de sa visite à Prague en mars 2014.
[33] A titre d'exemple : Jaroslav Faltýnek, un manager clé d'Agrofert et membre de son conseil d'administration jusqu'en 2017 est le président du groupe parlementaire d'ANO et premier vice-président du mouvement. Richard Brabec, ancien top manager des entreprises contrôlées par Agrofert est devenu ministre de l'Environnement. A ce propos, David Ondrácka, directeur de Transpoarency International République tchèque affirme que " Faltýnek et son réseau d'influence place systématiquement ses hommes dans les entreprises nationales et municipales. " (MF Dnes, 20 juin 2017)
[34] Ainsi, dans le préambule du programme électoral du mouvement ANO, formulé comme une lettre d'Andrej Babiš aux électeurs, il accuse le premier ministre Sobotka d'avoir " fait de moi son ennemi personnel qu'il faut liquider. Par exemple à travers le premier exemple d'une loi dans ce pays qui vise un homme politique concret. "
[35] Citons l'exemple de Stranislav Gross, le jeune premier ministre qui a dû démissionner à cause de son incapacité à expliquer de manière crédible l'origine des fonds qui lui ont permis d'acheter un appartement.
[36] Le HZDS, mouvement de Vladimir Meciar, artisan (du côté slovaque) de la séparation tchécoslovaque et premier ministre sortant, considéré comme leader à tendances autoritaires (au point que l'UE a sorti la Slovaquie du groupe des PECO à être premiers à entamer leurs négociations d'adhésion) a gagné les élections en 1998, mais faute d'alliés suffisants, il a dû partir dans l'opposition, face à un gouvernement composé de plusieurs petits partis, du centre-droit au centre-gauche, unis par leur rejet du " meciarisme ".
[37]/a> Cf. l'Eurobaromètre publié en novembre 2016 : 32% de Tchèques seulement considèrent que l'appartenance à l'UE est une bonne chose pour leur pays (seuls les Grecs se situent plus bas, à 31%).
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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