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Olivier Marty
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ENOlivier Marty
Introduction
L'investissement européen est en baisse depuis le début de la crise économique initiée en 2007. Il a peine à rebondir tandis que les besoins de financement sont plus pressants pour les pays périphériques et pour les petites entreprises.
Investissements publics et privés, associés de premier abord à des vues françaises et allemandes, ne doivent pas être opposés afin de favoriser la reprise de cette source essentielle de croissance. Réaliser les 300 milliards € d'investissement souhaités par Jean-Claude Juncker[1] implique au contraire de parfaire progressivement le savoir-faire dûment mutualisé des financiers publics afin d'obtenir la meilleure catalyse de financements privés dans une perspective résolument européenne.
Cette étude rappelle dans un premier temps la conjoncture négative de l'investissement, ses causes, et ses conséquences. Elle recense ensuite les dispositifs publics de soutien en faveur des PME, de l'innovation, et des infrastructures. Elle propose enfin d'améliorer davantage le partage des objectifs et des instruments des investisseurs publics et des mesures relatives à la BEI.
I - L'investissement public et privé en Europe : une trajectoire très préoccupante risquant d'affaiblir la croissance de l'Union et la stabilité de la zone euro
1. L'investissement européen a beaucoup chuté et peine à rebondir
Comme l'a récemment indiqué Philippe Maystadt[2], l'investissement européen est sur une tendance préoccupante. La chute de l'investissement en capital fixe dans l'Union européenne depuis le début de la crise est telle que sa moyenne est encore 17% plus bas qu'en 2007. Il n'y a pas de perspective haussière à ce niveau général, et la baisse est plus forte dans les pays périphériques, qui ont décroché de la tendance moyenne en 2009 et affichent, début 2013, un niveau 42% plus bas que celui de 2007.
La chute de l'investissement en Europe depuis 2008 est deux fois plus prononcée qu'aux Etats-Unis et qu'au Japon. Elle a aussi été plus rapide que la chute du PIB entre 2008 et 2009, affaiblissant ainsi le lien normal entre l'activité et l'investissement. De plus, ce décrochage semble durable, car la moyenne annuelle du niveau d'investissement en termes de PIB depuis le début de la crise est légèrement inférieure à celle des quinze ans précédents.
Ces tendances sont particulièrement inquiétantes dans la zone euro, tant au niveau de l'investissement privé que public.
Comme l'indique Natacha Valla[3], si la chute de l'investissement privé a été moins prononcée dans la zone euro qu'aux États-Unis entre la fin 2007 et le début de 2009, le rebond y est beaucoup plus faible. Le niveau de l'investissement privé dans la zone euro est, début 2014, de 15 points d'indice inférieur à celui de 2007 et il ne représente plus que 19% du PIB de la zone euro contre 25% aux Etats-Unis.
Le volume de l'investissement public dans la zone euro est, en 2013, deux fois inférieur à celui des États-Unis (2% de PIB contre 4% de PIB)[4]. Sa baisse date, comme celle d'autres pays industrialisés, depuis plus longtemps : en 35 ans, il a été divisé par deux. Le dernier épisode baissier est lié à la crise de 2008 lorsque certains pays, particulièrement en périphérie, ont dû effectuer des consolidations budgétaires rapides et, in fine, disproportionnées.
2. L'incertitude économique et la capacité des États à s'engager : obstacles importants
Il y a plusieurs causes à la baisse de l'investissement en Europe[5] :
- un " effet de base " (ou retour à un niveau " normal ") dans certains pays périphériques ayant trop investi dans certains secteurs par le passé,
- la baisse du taux de retour des projets, qui peut être due par exemple à une surconsommation de capital,
- la baisse des flux de capitaux transfrontaliers impliquant un retour à des financements d'origine domestique,
- les contraintes règlementaires des banques (Bâle III) les conduisant à réduire leurs actifs pondérés par le risque, particulièrement sur les PME, l'innovation, et les pays périphériques,
- le cloisonnement du marché intérieur restreignant les débouchés commerciaux des entreprises européennes mais aussi les capacités d'investissement privé et public[6].
Toutefois, il apparaît que l'incertitude économique est probablement la plus grande cause de la chute, puis de l'absence de reprise, de l'investissement. Celle-ci a d'abord été liée à l'évolution de l'économie mondiale, puis à celle de la gestion de la crise de la zone euro. Elle concerne actuellement la réduction des divergences macroéconomiques entre États membres avec, dans plusieurs cas, des inquiétudes émises sur la crédibilité des politiques économiques et l'instabilité de cadres règlementaires et fiscaux désincitatifs, contradictoires et instables.
La trajectoire de la France, pays dont l'économie est intermédiaire, tant dans sa structure que dans sa conjoncture, entre le Nord et le Sud, est à cet égard très importante tant sur le plus économique que politique[7].
Dans ce contexte, la capacité des États et des collectivités locales, à s'engager financièrement sur des projets d'investissement, à mobiliser les administrations concernées, à porter un engagement politique, est déterminante. Leur capacité à identifier des besoins d'investissements puis des financements privés et à se coordonner avec les investisseurs publics, nationaux ou européens, devient essentielle pour fédérer la décision d'investir et mobiliser les ressources du secteur privé dans des montages plus complexes même dans un contexte de faible taux d'intérêt
3. La baisse de l'investissement public comporte un risque pour la catalyse de l'investissement privé
La baisse de l'investissement public (capital humain, infrastructures, R&D) a des conséquences négatives sur la croissance potentielle. Elle diminue aussi ses effets de catalyse sur l'investissement privé. A titre d'exemple, les investissements de la Banque européenne d'investissement (BEI) fournissent un effet de levier de 2,5 à 3 sur l'investissement privé[8]. Natacha Valla confirme par ailleurs qu'une augmentation de l'investissement public dans la zone euro conduit à une hausse continue de la production et du stock de capital de l'économie d'autant plus forte que le stock de capital public est initialement élevé[9].
La baisse de l'investissement privé est également préoccupante, particulièrement à court terme. Elle peut conduire à ce que les stocks de capital baissent et restent durablement faibles. L'obsolescence naturelle du capital privé n'est pas compensée et les progrès technologiques ne sont pas bien diffusés. La chaîne de production en est perturbée et la productivité baisse. La croissance potentielle peut être affectée, de même que l'emploi.
II - La relance de l'investissement en Europe passe d'abord par une amélioration des dispositifs de soutien public existants
1. Ramener l'investisseur privé vers le financement à long terme de l'économie
Une des particularités de l'économie européenne est que les pays membres font face à des contraintes importantes de finances publiques alors que l'épargne privée est abondante (16.000 milliards € dans l'Union européenne) et placée majoritairement (40%) sur le court terme et souvent hors de l'Union. L'efficacité de toute mesure de relance de l'investissement doit donc être jugée à sa capacité à ramener l'investisseur privé sur le financement de l'économie à long terme.
Dans ce contexte, l'investissement public ne consiste plus à rendre disponible la plus grande enveloppe financière possible dans une logique de subvention propre aux impératifs politiques, mais bien à catalyser l'investissement privé dans une logique de partage de risques. Les investisseurs publics le font par nature, lorsqu'ils lèvent des fonds sur les marchés des capitaux (BEI) ou lorsqu'ils se voient confier une partie des fonds d'épargne (Caisse des Dépôts et Consignations)[10]. Ils peuvent le faire aussi en utilisant des instruments plus sophistiqués.
2. Agir en faveur des PME, de l'innovation, et des infrastructures
Les PME sont de première importance pour la croissance et l'emploi (peu ou pas du tout délocalisables) en Europe[11]. L'intermédiation bancaire représente 80% de leurs financements dans l'Union européenne, ce qui reflète une philosophie économique très heureuse et propre à l'Europe continentale. L'apport de fonds propres par le capital-investissement ne représente que 7% des besoins de financement. Ainsi, les PME sont d'autant plus ouvertes à des prêts qu'elles sont réticentes à ouvrir leur capital[12].
Les contraintes des banques sont un aspect du problème de financement des PME. Toutefois, l'instabilité des normes fiscales et règlementaires a des effets réels amplifiés par la défiance qu'ils instillent dans l'activité des entrepreneurs. Dans ce contexte, il est capital de veiller à conserver des règles incitatives et stables complétées par un horizon de politique économique crédible. Les mesures d'aide en faveur des prêts ou du capital-investissement s'inscrivent dans ce cadre général.
La microfinance peut jouer un rôle dans le développement et l'inclusion financière de très petites entreprises, généralement individuelles, tout comme dans l'économie sociale et solidaire (ESS). A l'instar des garanties de prêts et du capital-investissement, elles font l'objet de soutiens publics nationaux et européens par le biais de la BEI et du FEI comme de la Commission[13]. Toutefois, leur volume d'investissement est, par nature, très faible et destinés à financer des projets contenant une valeur ajoutée sociale plus qu'économique.
L'innovation est le deuxième domaine ou l'investissement est capital. Elle favorise la montée en gamme technologique, la productivité du travail et du capital, le développement de réseaux. Comme l'indique l'ancien Président de la BEI[14], son financement est rendu difficile par le risque inhérent à l'activité et par la difficulté de jugement des prêteurs. A l'heure actuelle, l'incertitude économique et règlementaire et l'approche de court terme des acteurs financiers est un problème.
Les infrastructures de réseaux représentent la plus grande part des besoins d'investissements. Les montants à mobiliser dans l'Union européenne seraient d'un trillion € jusqu'en 2020 pour les réseaux de transport, d'énergie, de télécoms, et de 1,6 trillion € si l'on y ajoute la gestion des déchets, de l'eau, et le secteur de la santé. Un trillion additionnel peut être consacré à l'efficacité énergétique.
Compte tenu des contraintes sur les finances publiques et de l'importance de ces investissements pour la modernisation de notre économie, l'essentiel de cet effort sera porté par le privé tant pour sa réalisation que pour son financement. Or leur financement, de long terme, est obéré par le tarissement des prêts des banques sur le long terme ainsi que par l'éloignement du marché des assureurs monolines[15]. Enfin, il convient également d'œuvrer à une plus grande influence européenne dans l'élaboration des normes comptables afin de mieux prendre en compte la rentabilité de long terme des investissements[16].
3. Les dispositifs de soutien publics existant peuvent toujours être améliorés
Le financement des PME peut d'abord être favorisé par des mécanismes publics de refinancement bancaire, de garanties de prêts ou de participation dans des fonds d'investissement. La BEI apporte ainsi plus de 20% de ses prêts annuels (18,5 milliards € en 2013) aux PME et le FEI y consacre 100% de ses activités (3,4 milliards € en 2013 sous forme de prise de participations dans des fonds de capital-investissement et de garanties). Ensemble, les deux institutions ont ainsi mobilisé 53 milliards € de financement avec le concours de plus de 700 intermédiaires[17]. La palette des instruments financiers à cette fin se diversifie continûment.
L'effet de levier des dispositifs spécifiques de soutien varie. Ceux du FEI, en 2013, sont par exemple les suivants :
- Pour 7,9 milliards € d'encours en fonds propres (capital-investissement), les participations du FEI catalysent 42 milliards €,
- Pour 8,6 milliards € de garanties de prêts, les fonds publics catalysent 36,8 milliards €,
- Pour 200 millions de financements d'entreprises de microfinance, les fonds publics catalysent 466 millions €.
Au niveau des fonds propres, le capital-investissement européen doit, en plus des activités de fonds propres des investisseurs publics européens et nationaux[18], bénéficier d'une législation favorisant les investissements transfrontaliers. C'est désormais possible avec le " passeport européen " visant à faciliter les investissements des fonds dans tous les pays de l'Union européenne, adopté au printemps 2014. Toutefois, les cadres règlementaires et fiscaux nationaux doivent également être incitatifs, ce qui est loin d'être le cas partout, notamment en France[19].
La titrisation de portefeuilles de prêts aux PME est une initiative sur laquelle se sont penchées la BEI puis la BCE dès 2013. L'idée consiste à titriser des petits portefeuilles de prêts bancaires ne suscitant traditionnellement pas l'intérêt des investisseurs institutionnels et ainsi à libérer du capital règlementaire (et donc les prêts) des banques. La place que peut prendre la BCE dans cette opération est questionnée, au regard des risques qu'elle porterait et de la place des États se portant éventuellement garants dans le dispositif[20] .
En attendant que ces réflexions aboutissent, la BEI et le FEI se sont entendus en juillet 2014 pour mettre en place un mécanisme de réhaussement de crédit sur des opérations de titrisation de portefeuilles ABS. Cet instrument dédié est le premier d'une série placée dans le nouveau mandat de réhaussement de crédit (EREM) de la Banque. Une première estimation laisse présager que le mécanisme pourrait soutenir 13 opérations représentant une levée de fonds proche de 1 milliard €.
Une solution nouvelle émise par Gilles Moëc, chef économiste Europe de la Deutsche Bank, consisterait à mettre en place une nouvelle structure de financement des entreprises gérée par la CDC française et la KfW allemande. Les deux investisseurs publics couvriraient la première perte en cas de défaut (10 ou 20% de l'ensemble des prêts financés). Des investisseurs institutionnels ajouteraient leur participation au passif de cette structure, puis les banques, et enfin la BCE[21].
Cette proposition paraît efficace et importante sur le plan politique : elle confirme l'importance des mécanismes de partage public-privé des risques, elle ne comporterait un coût pour les finances publiques que via la baisse des dividendes versés par les investisseurs publics, elle fournit un relais efficace au stimulus monétaire de la BCE, elle est un terrain d'entente pragmatique pour la France et l'Allemagne, confortant le partage d'objectifs entre investisseurs privés et publics et pouvoir politique.
L'investissement en infrastructures peut être favorisé par les investisseurs publics nationaux et européens, qui ont un effet déterminant sur la mobilisation des investisseurs institutionnels et bancaires. L'appui aux partenariats public-privés (PPP), par le développement de produits financiers de partage de risques (dettes subordonnées, prêts participatifs, préfinancement de fonds propres, garanties ou rehaussement de crédit pour des émissions obligataires) est également nécessaire[22].
III - Parfaire progressivement une plus grande coordination des investisseurs publics nationaux et européens
1. Faut-il créer un nouveau fonds d'investissement européen de long terme ?
Parmi les propositions émises par France Stratégie pour une nouvelle stratégie française en Europe[23] figure celle de créer un fonds d'investissement de long terme, développée par la suite par le Centre d'Études et de Prospective d'Informations internationales (CEPII)[24]. L'idée consiste à placer un " fonds fédéral " au cœur d'un " Système européen de banques d'investissement publiques " (SEBI) semblable à celui propre à la politique monétaire afin d'orienter l'abondante épargne européenne vers des priorités de croissance de long terme, d'emploi, et de bien-être dans l'ensemble de l'Union.
Le fonds fédéral serait placé au cœur d'une Banque européenne d'investissement restructurée pour avoir une action à la fois plus ample et plus contra-cyclique. Il serait doté à hauteur d'environ 2% du PIB de la zone euro par des ressources publiques et à hauteur d'environ 2% par des investisseurs privés (institutionnels, fonds de dette, de capital-investissement, voire " business angels " et entreprises) pour atteindre un capital de 4% du PIB de la zone euro, soit environ 383 milliards €.
Le fonds émettrait de la dette auprès de la communauté financière internationale pour atteindre un bilan de 10% du PIB de la zone euro, soit environ 950 milliards € (le double de la BEI), et investirait surtout en fonds propres dans des projets mieux identifiés et financés par le concours du secteur privé.
Cette proposition comporte plusieurs aspects positifs :
- Elle favorise un consensus entre Etats membres sur la nécessité d'une relance de l'investissement plutôt que de la dépense publique[25] et invite à mieux distinguer les deux[26],
- Elle met l'accent sur la nécessité de mobiliser une épargne européenne abondante, parfois utilisée de façon improductive, vers le financement de l'économie,
- Elle souligne le rôle des investisseurs publics de long terme, particulièrement depuis 2008[27], leurs initiatives communes, et leur effet de catalyse sur les investisseurs privés,
- Elle invite à créer des investisseurs publics dans les pays de l'Union européenne qui n'en ont pas, à améliorer ceux qui existent, voire à harmoniser leurs gouvernances et leurs ressources,
- Elle souligne le manque de prise de risque de la BEI, qui se caractérise par la gestion de produits financiers trop petits et trop peu durables,
- Elle relaye l'idée, émise par la France, de créer un produit d'épargne européen à même de financer des projets européens[28],
- Elle insiste sur la nécessité d'élargir et d'améliorer les dispositifs de conditionnalité en voulant associer aux financements du fonds des exigences en matière de réformes structurelles,
- Elle mentionne l'utilité de mandats d'investissement confiés de façon plus démocratique aux investisseurs publics, faisant écho aux propositions pour un Parlement de la zone euro[29].
Le projet soulève néanmoins certaines d'interrogations :
- La provenance des ressources publiques au capital n'est pas clairement définie : le surplus d'investissement public escompté ou les contributions d'États, d'institutions européennes ou d'investisseurs publics nationaux sont évoqués. Les contributions d'États peuvent être sérieusement questionnées[30],
- Sans remettre en cause la plus grande capacité d'emprunt envisagée, la capacité des États et des collectivités à contribuer à des projets, en fonds propres ou en prêts, à hauteur de 10 points de PIB est douteuse,
- La présence d'investisseurs privés au conseil du fonds ne permettrait vraisemblablement pas une meilleure identification des projets d'investissement, qui est effectuée au niveau des États, collectivités et entreprises[31],
- La concordance des investissements choisis (par un conseil très voire trop large) avec des priorités européennes dûment partagées par les États et leurs bras financiers publics pourrait être mise en cause,
- Les domaines d'investissement du nouveau système (énergie, capital humain, infrastructures, numérique) sont déjà couverts par la BEI,
- Le poids politique, comme la capacité d'arbitrage de la BEI dans le choix des projets d'investissement, pourraient être affectés par des dissensions nouvelles entre actionnaires,
- La pertinence de confier des missions de conditionnalité à un fonds ou à la BEI en parallèle d'activités de financement de l'économie n'est pas établie[32].
2. Renforcer le partage d'objectifs et d'instruments communs aux investisseurs publics nationaux et européens
Les dispositifs de soutien public à l'investissement évoqués démontrent que l'Union européenne est en train d'opérer une transition d'une " culture de la subvention " à une " culture du financement de l'économie ".
Cette transition bienvenue est relayée par trois vecteurs :
- une meilleure complémentarité des acteurs financiers aux niveaux locaux, nationaux et européens,
- une convergence des politiques structurelles nationales et européennes en matière économique[33],
- une complémentarité renforcée des outils budgétaires et de prêt au niveau local et européen[34].
Cette transition trouve des traductions très concrètes dans l'action de la BEI et du FEI, deux institutions ayant été recapitalisées récemment[35]. 8,1 milliards € du budget communautaire (un montant en hausse) ont ainsi été dégagés dans les perspectives financières 2014-2020 afin de mettre une série d'instruments financiers de partage des risques (de fonds propres ou de capital-risque, de garanties, ou autres, éventuellement combinés) au service de trois objectifs : les PME (50% de la dotation) ; l'innovation (25%) ; les infrastructures stratégiques (25%).
Ainsi, les responsabilités de la BEI dans la promotion et la gestion d'instruments de levier financier sont amenées à augmenter, de même que ses activités de conseil. Le programme Horizon 2020, qui inclut l'instrument financier ayant eu le plus de succès (RSFF)[36], fera par exemple l'objet du plus grand nombre d'opérations de conseil au profit de la recherche et du développement européens. En matière d'infrastructure, la facilité " Connecting Europe " promeut le développement de garanties (LGTT) et de " Project bonds " pour les infrastructures de réseaux européens.
Une initiative commune de la Commission et de la BEI devrait fournir une assistance particulière aux États membres sur les aspects opérationnels et méthodologiques, ainsi que financiers, de la mise en œuvre d'instruments financiers décentralisés. De telles coopérations sont déjà à l'œuvre dans certains pays, dont par exemple la France, où la BEI a signé des partenariats stratégiques avec la Banque publique d'investissement (BPI) et la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) qui permettent d'organiser la complémentarité de leurs produits financiers respectifs et des ressources de subventions européennes et nationales[37]. Elle l'est aussi lorsque le FEI recycle des fonds structurels dans les fonds " Jérémie ", redéployant ainsi des ressources au service de PME.
L'existence d'investisseurs publics nationaux agissant comme interfaces de l'action de la BEI et du Fonds européen d'investissement est essentielle à la réussite de cette politique. En effet, leur connaissance des instruments européens proposés, le développement d'instruments nationaux qui les prolongent, la confiance entretenue par toutes les équipes concernées, leur proximité avec les bénéficiaires finaux (collectivités ou entreprises) se révèlent déterminants pour assurer l'effet de levier et l'appropriation des moyens financiers européens. Ce réseau doit être conforté, élargi, amélioré au quotidien avant d'envisager de nouvelles solutions institutionnelles.
C'est bien ce qu'ont souhaité les ministres allemand et français des Finances, pour qui la BEI est une institution essentielle, au dernier ECOFIN de Milan les 12 et 13 septembre[38].
C'est aussi en bénéficiant de telles synergies que l'Union pourra converger vers la cible de 300 milliards € d'investissements souhaitée par Jean-Claude Juncker. La BEI est sans doute à même de conserver un volume de prêts de l'ordre de 65 à 70 milliards € annuels, mais ne peut à l'heure actuelle mobiliser autant de fonds privés. Cibler 300 milliards € annuels signifierait pour elle d'augmenter son volume d'activité à un minimum de 75 milliards € annuels dans la seule Union, ce qui pose la question de l'augmentation de son capital et de nouveaux instruments de partage de risques.
2. Inciter la BEI à être encore plus innovante et à prendre plus de risques
La BEI doit être en mesure de soutenir encore davantage la modernisation industrielle et la part d'investissements en RD/RDI dans le PIB des États membres. Dans cette perspective, il paraît souhaitable que " la banque de l'Union " puisse progressivement se voir confier des instruments financiers nouveaux, si possible plus larges, plus durables et plus compréhensibles tant par les opérateurs financiers que par les bénéficiaires finaux voire le grand public[39].
La dynamique actuelle, très positive, est en effet gênée par deux difficultés :
- d'une part, la réticence de l'autorité budgétaire européenne à investir d'importantes ressources au profit d'instruments techniques répondant à des demandes des marchés financiers,
- d'autre part, la faiblesse des moyens financiers disponibles qui pousse le Conseil à ne pas s'engager sur des montants importants et des durées longues.
Surmonter ces obstacles implique de poursuivre un dialogue toujours plus étroit entre la Commission et la BEI ainsi qu'entre la BEI, les investisseurs nationaux et les États membres afin de partager les succès des dispositifs existants et d'œuvrer à la résolution de leurs difficultés techniques. Ainsi, les bonnes pratiques deviendront-elles plus habituelles aux services de la Commission et aux administrations nationales, et le partage des objectifs et des méthodes de mise en œuvre des investissements sera mieux assuré au niveau des politiques européennes et nationales.
Dans un contexte plus large, la relance d'une politique industrielle plus offensive et véritablement européenne peut, selon Pierre Moscovici[40], faire l'objet d'un consensus incluant le Royaume-Uni dès lors que celle-ci serait couplée adéquatement avec la politique commerciale, de la concurrence, et du marché intérieur. Ce point fait partiellement écho aux mandats extérieurs de l'Union européenne et, partant, des activités hors-UE de la BEI, qui pourrait développer et/ou améliorer sa politique de soutien au financement de l'export et de soutien aux IDE. Enfin, avant une éventuelle nouvelle réforme du Pacte de stabilité et de croissance[41], l'application pratique des règles budgétaires européennes pourrait être modifiée à la marge[42].
Conclusion
L'investissement européen a chuté de manière préoccupante depuis le début de la crise et peine à rebondir. L'incertitude, liée tant à la situation macroéconomique de la zone euro qu'à la multiplication de règlementations, accentue la difficulté des États à s'engager sur des projets structurants et complexes. La nécessité de sauvegarder voire d'augmenter des investissements publics conçus de façon à assurer la meilleure catalyse de l'investissement privé est pourtant essentielle. Ces deux sources d'investissement ne peuvent être opposées : leur mutualisation à l'œuvre est au contraire nécessaire et à même de renforcer le consensus franco-allemand sur la mobilisation de la BEI Le partage par l'ensemble des investisseurs publics et privés de ressources et d'instruments harmonisés et pérennisés promeut ainsi une culture commune du financement de l'économie qui doit être confortée.
[1] Le Président de la Commission européenne désigné a exprimé, dans son discours au Parlement européen le 15 juillet 2014, le souhait de porter le volume d'investissement total dans l'UE à 300 milliards € sur trois ans, sans plus de précisions, sur la base de l'activité de la BEI et des instruments européens voire nationaux.
[2] Voir la note de l'ancien Président de la Banque européenne d'investissement (BEI) publiée par la Fondation Robert Schuman Investissement et financement de l'économie européenne, in Questions d'Europe n° 307.
[3] Voir N. Valla, T. Brand et S. Doisy, A new architecture for public investment in Europe, in CEPII Policy Brief n°4, juillet 2014.
[4] Ces proportions, très paradoxales, sont rappelées dans Valla et alii, op cit.
[5] Voir Maystadt, op cit.
[6] L'obstacle représenté par le cloisonnement du marché intérieur sur l'investissement est un consensus nouveau pour les États membres, comme le note Pierre Moscovici le 21 juillet 2014 (www.pierremoscovici.fr) même si les outils disponibles pour financer ces investissements ne semblent pas, aujourd'hui, faire l'objet d'un consensus.
[7] Il est très positif que France Stratégie, puis plus récemment le Ministre des Finances (Grand Jury RTL-Le Monde-LCI, 31 août 2014), aient souligné les caractéristiques intermédiaires de l'économie française, notée par les économistes de marché depuis longtemps. De même, il n'est pas inutile de rappeler que l'influence politique que peut avoir la France sur les projets d'approfondissement de l'Union monétaire, comme de l'UE, semble étroitement dépendre de sa capacité à ancrer les anticipations et la confiance de ses partenaires. A ce titre, le renforcement de première importance du lien franco-allemand pourrait aussi être plus aisé si les deux pays s'entendaient sur des initiatives pragmatiques plutôt que de s'opposer, trop souvent à l'initiative de la France, sur des concepts idéologiques ou par coalitions interposées. Le rétablissement de la crédibilité économique de la France constitue sans doute la toile de fond de ces mesures de rapprochement, comme l'ont confirmé certains compromis politiques européens en vue en matière de nominations.
[8] C'est pourquoi l'augmentation de son volume de prêts à 60 milliards € annuels, permise grâce à sa recapitalisation à hauteur de 10 milliards en 2012, est à même de catalyser, de 2012 à 2015, 180 milliards d'investissements.
[9] Voir N. Valla et alii, op cit. Notons également que, selon le même auteur, un point de PIB d'investissement public dans la zone euro augmente immédiatement le PIB de 1,42 point et que ce multiplicateur augmente les trois années suivantes avant de redescendre légèrement à horizon de 5 ans.
[10] La BEI a par exemple levé 72 milliards sur les marchés financiers en 2013. La CDC se voit confier 40% des montants des livrets d'épargne.
[11] Les 20 millions de PME de l'UE représentent environ 99% des entreprises, près de 60% de la valeur ajoutée, et 67% de l'emploi, selon la Commission européenne.
[12] De même, les bourses dédiées aux PME ont eu un succès mitigé, tant en France que préalablement au Royaume-Uni. Voir à ce sujet l'article de Catherine Karyotis, La bourse des PME est-elle réellement nécessaire ? in Revue Banque n° 761 de juin 2013.
[13] Citons par exemple la création de la facilité " Progress Microfinance " confiée au FEI en vue de financer des institutions de microfinance. Sur 201 millions € investis par le FEI dans des institutions de microfinance en Europe, l'investissement public a catalysé 466 millions €.
[14] Voir Maystadt, op cit.
[15] Compagnies d'assurance apportant un rehaussement de crédit aux intervenants des marchés financiers. Ces compagnies font bénéficier une obligation de leur propre notation (souvent élevée) en garantissant aux investisseurs le paiement des intérêts et le remboursement du capital.
[16] L'importance de cet enjeu, et la réforme de l'European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) afin que celui-ci pèse davantage au conseil de l'International Accounting Standards Board (IASB), est défendue par plusieurs personnalités du monde financier public et organismes. Voir à ce sujet l'interview de Philippe Maystadt dans la Revue Banque n° 772 d'avril 2014.
[17] Voir le SME Report de la BEI et du FEI, 2013.
[18] La BPI en France développe par exemple son activité de capital-investissement, gérant 17 fonds nationaux et investissant dans 249 fonds partenaires. L'activité fonds de fonds (2,2 milliards € de souscriptions en 2012) a un effet de catalyse sur l'investissement privé de 4,4, soit 9,68 milliards investis.
[19] L'activité du capital-investissement français rebondit en 2013 après un creux en 2012, affichant 8,2 milliards € de levées et 6,5 milliards d'investissements. Ces niveaux sont encore loin de la moyenne de 2005 à 2008 (10,5 et 10,2 milliards €).
[20] En effet, une solution envisagée était que les États membres garantissent les financements de la BCE, en contrepartie d'une implication dans la gestion du programme, mettant ainsi à mal l'indépendance de la BCE.
[21] Voir le point de vue de Gilles Moëc publié par Les Échos, Pour une relance franco-allemande du crédit, 18 juillet 2014. L'implication de la BEI ou d'investisseurs publics sous forme de garanties est également souhaitée par Benoît Coeuré, Membre du Directoire de la BCE. Voir B. Coeuré (BCE) demande un soutien public plus fort au marché ABS, Reuters Eco, 27 août 2014.
[22] Le potentiel des partenariats public-privé est un bon exemple du manque de " portage politique " d'instruments financiers complexes : il pourrait être bien plus souvent explicité par les autorités d'État ou les collectivités locales, notamment en France, où la ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux en construction représente le plus grand PPP jamais réalisé dans le pays (7,8 milliards €) sans que le montage n'ait été revendiqué.
[23] Voir à ce sujet l'article de l'auteur, France Stratégie fait des propositions innovantes pour la France en Europe, publié par Les Échos le 24 juillet 2014 (http://www.lesechos.fr/idees-debats).
[24] Voir Valla et alii, A new architecture for public investment in Europe, in CEPII Policy Brief n°4, juillet 2014, disponible sur http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications
[25] Les besoins d'investissement sont en effet communs à une variété d'États membres, dont l'Allemagne. Voir à ce sujet la présentation de janvier 2014 de J. Zeuner, chef économiste de la KfW, à l'institut Bruegel : www.bruegel.org/nc/events/ ou l'interview de M. Fratzscher, Directeur du DIW, au journal Les Echos du 15 septembre 2014, qui estime le manque d'investissement allemand entre 80 et 100 milliards d'Euros annuels, en particulier sur les investissements privés.
[26] Cette inflexion fait écho au débat initié, arrêté, mais sans doute amené à être repris, sur la comptabilisation de l'investissement public dans le Pacte de stabilité et de croissance. Zsolt Darvas (Bruegel) se prononce par exemple pour une exclusion à court-terme des co-financements publics d'investissements financés par l'UE dès règles du PSC, ce qui paraît être un très bon compromis initial. Voir Barbiero et Darvas (2014), In sickness and in health: protecting and supporting public investment in Europe, in Bruegel Policy contribution 2014/02.
[27] Considérant les plus grands investisseurs publics de la zone euro (KfW, CDC, CDP, ICO, BEI), les bilans ont augmenté de 30 à 90% de 2008 à 2012. Voir Valla et alii, op cit.
[28] Avant de créer un seul produit d'épargne pour l'Europe, un groupe d'États membres pourrait s'entendre sur le principe d'un véhicule national reversant une proportion progressivement plus importante de ressources à la BEI. Ce point fait écho à la proposition du Pr. Fratzscher, le Directeur de l'Institut allemand pour la recherché économique (DIW) et Président d'une nouvelle commission allemande sur le renforcement de l'investissement, qui s'oppose à une hausse de la dépense publique pour la relance de l'investissement et souhaite plutôt doter la BEI d'un nouveau fonds d'investissement en son sein pour développer les activités de garanties au profit des PME et financer des "joint ventures" transfrontalières. L'idée d'un nouveau fonds placé au sein de la BEI a également été émise par le Ministre des Finances polonais, Mateusz Szczurek, au début du mois de septembre à l'institut Bruegel. Le fonds envisagé aurait une taille de 700 milliards €.
[29] Voir sur les différentes options de Parlement envisagées, l'article de l'auteur dans la Revue Esprit d'août-septembre 2014.
[30] En faisant l'hypothèse que seuls les États contribueraient au capital à hauteur de 2 points de PIB, la contribution moyenne par pays de la zone euro, compte tenu du PIB de 2013, serait alors de 11 milliards. Ce montant serait vraisemblablement plus élevé pour les grands pays. Dans le contexte actuel des finances publiques, et à moyen terme, de telles enveloppes budgétaires paraissent tout à fait inenvisageables.
[31] A ce sujet, la demande des ministres des finances faite à la Commission européenne et à la BEI, en marge de l'ECOFIN de Milan des 12-13 septembre, de leur remettre un rapport de propositions de projets d'investissements paraît être une manœuvre politique.
[32] Il s'agit en effet de métiers différents. Cette mission devrait plutôt être dévolue à un Eurogroupe réformé en lien avec la Commission voire à un Trésor européen. Voir, au sujet des limites de la conditionnalité mise en œuvre par la Troïka, le rapport de Jean Pisani-Ferry, A. Sapir et G. Wolff, EU-IMF assistance to euro-area countries : an early assessment, publié par Bruegel en 2013.
[33] Le récent projet de loi de transition énergétique présenté le 30 juillet par la ministre française de l'Environnement, Ségolène Royal, est par exemple fortement inspiré du programme H 2020.
[34] La contribution des leviers budgétaires nationaux est toutefois encore en débat, suscitant par exemple une méfiance de l'Allemagne. Ce point fait écho, dans un autre registre, à l'opinion exprimée par Maurice Fratzscher, op cit.
[35] La BEI a été recapitalisée à hauteur de 10 milliards € en 2012. Ce capital a été intégralement versé afin d'induire une plus grande capacité d'emprunt. Le FEI a bénéficié d'une augmentation de 50% de son capital en mai 2014, de 3 à 4,5 milliards €.
[36] La "Risk sharing finance facility" (RSFF) ou "Mécanisme de financement avec partage des risques" (MFPR) est un instrument financier utile pour le financement de projets de recherche-développement et innovation (RDI) dans le cadre du programme Horizon 2020. En juin 2014, un nouvel accord avec la Commission baptisé " Innovfin " a étendu la partie de RSFF tant en termes de produits (quasi fonds propres et garanties) qu'en termes de bénéficiaires (PME et ETI).
[37] Citons par exemple l'apport, en juin 2013, par la BEI, d'un ensemble de financement (prêt à long terme de 750 millions et garantie de 200 millions) à la BPI afin d'assurer le lancement des " prêts pour l'innovation ".
[38] Pour Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, les dispositifs financiers de partage de risques qu'offre la BEI aux investisseurs privés doivent être accrus : les " project bonds ", qui peinent à se développer, sont cités en exemple, mais d'autres instruments sont nécessaires.
[39] Comme le souligne Pierre Moscovici, op cit, la perspective d'un renforcement des outils existants est accueillie très favorablement à Rome et à Madrid, et l'idée d'outils financiers nouveaux est accueillie favorablement d'un point de vue plus général.
[40] Voir Moscovici, op cit.
[41] Patrick Artus rappelle qu'en ce qui concerne l'investissement public, les normes de déficit public ont été fixées indépendamment des niveaux de taux d'intérêt et de taux de croissance, ce qui est l'un des freins à l'investissement de l'État en France, avec la difficile évaluation des rentabilités réelles. Voir Artus, Malgré des taux d'intérêt bas, la France n'investit plus, Les Echos, 28 août 2014.
[42] Comme l'indique Darvas, op cit, le semestre européen pourrait favoriser une meilleure coordination des programmes d'investissement nationaux. La règle d'or budgétaire pourrait, par ailleurs, mieux préserver les investissements selon le cycle.
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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