Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 20 février dernier, le Premier ministre maltais, Robert Abela (Parti travailliste, PL) annonçait que les prochaines élections législatives seraient organisées sur l'archipel le 26 mars. Les Maltais sont appelés à renouveler les membres de la Chambre des représentants, chambre unique du Parlement.
Pour la première fois, les jeunes âgés de 16 à 18 ans sont autorisés à voter à un scrutin de ce type. Ils avaient déjà pu remplir leur devoir civique lors des dernières élections locales et européennes le 25 mai 2019. La loi électorale a également été amendée pour qu'un mécanisme puisse être mis en œuvre pour augmenter le nombre de femmes élues au sein du Parlement.
La campagne électorale est la plus courte autorisée par la Constitution : elle dure cinq semaines. Les électeurs devant respecter une quarantaine pourront voter de leur voiture dans quatre bureaux de vote supplémentaires qui seront mis à leur disposition.
A une semaine du vote, l'archipel, dont les habitants se montrent toujours très intéressés par la joute politique, ne connaît pas de réelle fièvre électorale en raison notamment des inquiétudes liées à la guerre en Ukraine et sans doute également à cause de l'épidémie de coronavirus, pas encore éradiquée. Malte est très dépendant de l'Ukraine, mais aussi de la Russie, pour sa consommation de blé, de maïs et d'orge. Le gouvernement de Robert Abela a assuré qu'il subventionnerait la consommation d'énergie de ses compatriotes.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Malta Today et publiée le 20 mars, le Parti travailliste recueillerait 55,1% des suffrages, le Parti nationaliste (PN) en obtiendrait 43,5%. Chacun s'attend donc à ce que le 26 mars marque la troisième victoire consécutive des travaillistes.
Neuf années de gouvernement travailliste
Robert Abela dirige l'archipel de Malte depuis le 13 janvier 2020, soit le lendemain de sa désignation comme président du Parti travailliste, une fonction qui a automatiquement fait de lui le Premier ministre en titre. Il a succédé à Joseph Muscat, mis à mal par l'arrestation de l'homme d'affaires Yorgen Fenech, accusé de complicité dans l'assassinat de Daphne Caruana Galizia qui travaillait sur les Malta Files et qui a été tuée par l'explosion de sa voiture (qui avait été piégée) le 16 octobre 2017 à Bidnija.
Entre novembre 2019 et janvier 2020, de nombreuses manifestations ont été organisées dans l'archipel en réaction aux révélations faites sur l'assassinat de Daphne Caruana Galizia qui ont mis au jour les liens existants entre Keith Schembri, chef de cabinet du Premier ministre Joseph Muscat, et une entreprise de Dubaï, 17 Black, impliquée dans l'affaire des Panama Papers. Le PDG de cette dernière, Yorgen Fenech, avait été interpellé le 20 novembre 2019 alors qu'il tentait de fuir l'archipel. Les manifestants réclamaient la démission du gouvernement et Joseph Muscat, soupçonné d'ingérence dans l'enquête, a fini par se résoudre à quitter ses fonctions le 1er décembre de cette même année.
En 2017, le Premier ministre Joseph Muscat, déjà sous le coup des attaques de Daphne Caruana Galizia, avait convoqué des élections législatives anticipées. La bloggeuse avait en effet révélé que le chef de cabinet Keith Schembri et le ministre de l'Energie Konrad Mizzi (PL) étaient les propriétaires respectifs des entreprises Hearnville Inc et Tillgate Inc, deux sociétés panaméennes offshore, qu'ils auraient acquises à travers le cabinet d'avocats maltais Nexia BT grâce à leur confrère panaméen Mossack Fonseca, mis en cause dans le scandale des Panama Papers (le cabinet était notamment accusé d'avoir aidé des citoyens et des entreprises étrangères à frauder leurs administrations fiscales nationales). Joseph Muscat avait refusé de sanctionner les deux hommes, ce qui avait attisé la colère de ses compatriotes contre lui et entraîné des milliers de personnes à manifester contre son gouvernement. Le Parti travailliste s'était néanmoins imposé aux élections législatives le 3 juin 2017 avec 55,04% des suffrages, devançant le Parti nationaliste, qui avait recueilli 42,12% des voix.
En février 2021, une dizaine de personnalités maltaises ont été arrêtées et incarcérées dans l'enquête sur l'assassinat de Daphne Caruana Galizia.
Le chef du gouvernement Robert Abela fait campagne sur sa gestion de la pandémie de Covid-19, jugée plutôt correcte par ses compatriotes si l'on en croit les enquêtes d'opinion, et les résultats économiques de l'archipel qui a connu une forte croissance et qui possède un faible niveau de chômage. Il bénéficie sans doute de ce que l'on nomme le ralliement autour du drapeau, phénomène qui consiste à apporter en période de crise un soutien au dirigeant en exercice.
Robert Abela a annoncé au début du mois de février que le gouvernement verserait un chèque de 100 € à chaque étudiant et chaque travailleur de l'archipel et un chèque de 200 € à chaque retraité et à chaque personne récipiendaire d'une aide sociale.
Parmi les cinq principales promesses du programme électoral du Parti travailliste, on trouve l'investissement de 700 millions € pour créer des espaces verts dans les environnements urbains ; une réduction des impôts ; une diminution des taux d'imposition des entreprises ; une augmentation des pensions de retraites ; la garantie de la gratuité des médicaments et le versement d'une aide de 10 000 euros aux personnes faisant l'acquisition d'un premier bien immobilier.
Le parti travailliste reste cependant très critiqué sur sa gouvernance et sur sa gestion de l'Etat de droit. Plusieurs responsables travaillistes font face à des accusations de corruption.
L'ancien chef du gouvernement, Joseph Muscat, avait été désigné en 2019 homme de l'année pour le crime organisé et la corruption par l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium international de journalistes d'investigation. De même, Malte figure sur la liste noire établie par le Groupe d'action financière (GAFI) (Financial Action Task Force), organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Après l'invasion de l'Ukraine par les forces armées de Vladimir Poutine, le gouvernement maltais a beaucoup attendu avant de suspendre l'attribution de passeports dorés aux citoyens Russes, une mesure qui constituait une source de revenu importante pour l'archipel.
Une opposition qui peine à convaincre
Les nationalistes savent qu'ils sont les outsiders du scrutin du 26 mars. Ils tentent néanmoins de convaincre par tous les moyens les électeurs de la nécessité d'une alternance politique. Le parti de Bernard Grech peine cependant à s'affirmer comme une force politique alternative. Neuf ans d'opposition n'ont pas suffi aux nationalistes pour parvenir à s'unir autour d'un projet. Le parti a connu trois dirigeants depuis les dernières élections législatives du 3 juin 2017. Trois mois après le scrutin, Simon Busuttil avait démissionné de ses fonctions avec l'ensemble du comité exécutif du Parti nationaliste. Adrian Delia lui a succédé mais il a été poussé à quitter son poste après avoir été mis en cause dans plusieurs affaires de corruption et aussi dans une affaire de violence conjugale. II a été remplacé en octobre 2020 par Bernard Grech. Plus d'un an plus tard, les tensions internes demeurent vives au sein du Parti.
Les nationalistes ont identifié dix secteurs économiques dans lesquels ils souhaitent investir un milliard € pour renforcer l'économie maltaise. Par ailleurs, Bernard Grech ne cesse de dénoncer le bilan du gouvernement en matière de gouvernance, lui reprochant son non-respect de l'Etat de droit indiquant "Malte est dirigé par une organisation criminelle".
Le système politique maltais
Depuis l'indépendance de Malte le 21 septembre 1964, seules deux partis politiques ont obtenu des élus au Parlement: le Parti travailliste (PL), positionné à gauche sur l'échiquier politique, et le Parti nationaliste (PN), situé à droite. Les deux partis s'opposent notamment sur la question européenne, la fiscalité et les privatisations. Dans l'archipel, les divisions partisanes sont vives et la loyauté des électeurs à l'égard de leur parti est forte. Enfin, les Maltais sont, de loin, les plus nombreux des Européens à se rendre aux urnes à chaque élection, en dehors de toute obligation de vote.
Le parlement maltais est monocaméral. La Chambre des représentants élue le 3 juin 2017 comptait 67 députés, désignés au sein de treize circonscriptions (cinq députés par circonscription mais des élus supplémentaires peuvent être attribués afin de faire correspondre la part des suffrages des électeurs à celle des sièges des partis, qui doivent toutefois toujours être de nombre impair) pour cinq ans maximum selon un mode de scrutin complexe (scrutin plurinominal à la représentation proportionnelle appelé système de vote unique transférable) que l'île partage depuis 1921 avec seulement deux pays au monde : l'Irlande et l'Australie. Plusieurs réformes ont été envisagées pour simplifier ce mode de scrutin. En vain. En 1987 et en 1996, plusieurs amendements ont néanmoins été votés, notamment pour assurer l'obtention d'une majorité au parti ayant obtenu le plus grand nombre de premiers choix lors du scrutin. En effet, le 12 décembre 1981, le Parti nationaliste était arrivé en tête des élections législatives en nombre de suffrages mais il avait obtenu un nombre de sièges inférieur à celui remporté par le Parti travailliste, ce qui avait provoqué une crise politique dans l'archipel.
Lors des élections législatives, l'électeur classe par ordre de préférence sur la liste alphabétique des candidats ceux pour lesquels il souhaite voter. Il inscrit ainsi le chiffre 1 devant le candidat qui a sa première préférence, puis 2, 3, 4, etc. devant les noms des autres candidats de la liste. La première opération du dépouillement est le calcul du quotient électoral (celui de Hagenbach-Bischoff), c'est-à-dire du nombre minimum de voix que doit obtenir un candidat pour être élu. Ce quotient correspond à l'ensemble des suffrages exprimés divisé par le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription, augmenté d'une unité. Tout candidat atteignant ce nombre de voix est déclaré élu. Ses suffrages excédentaires sont alors répartis entre les candidats ayant été retenus en deuxième préférence. Les candidats qui recueillent le moins de suffrages sont éliminés et leurs gains sont transférés aux autres candidats encore en lice, au rang suivant des préférences indiquées sur le bulletin. La même opération est répétée jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sièges à pourvoir.
Les candidats peuvent se présenter dans deux circonscriptions au maximum. S'ils sont élus dans les deux, ils choisissent celle qu'ils vont représenter à l'issue du scrutin. Les sièges laissés vacants sont distribués par une élection dite ad hoc avant la première session de la Chambre des représentants (qui doit avoir lieu dans les deux mois suivant l'annonce des résultats). Tout candidat malheureux à l'élection peut se présenter à l'élection ad hoc de sa circonscription. Toutefois, dans la pratique, seuls les candidats du parti qui a laissé le siège vacant participent au scrutin (de sorte que le résultat global demeure inchangé).
Toute personne souhaitant se porter candidate aux élections législatives doit obtenir le soutien d'au moins quatre électeurs de sa circonscription et doit déposer une caution de 90 €, qui lui seront remboursés si elle recueille un nombre de suffrages supérieur au dixième du quotient électoral.
Les Maltais résidant à l'étranger doivent obligatoirement revenir sur l'archipel pour voter aux élections législatives. La compagnie aérienne Air Malta affrète d'ailleurs des vols pour leur permettre de remplir leur devoir civique.
A Malte, les dons à des partis politiques et pour des campagnes électorales sont anonymes (en Europe, seuls le Danemark et Andorre garantissent encore cet anonymat). Aucune loi n'oblige les partis politiques à rendre leurs comptes publics.
Enfin, le parlement maltais élit pour un mandat de cinq ans le président de la République de l'archipel qui dispose de faibles pouvoirs et dont la fonction est essentiellement honorifique. L'actuel chef de l'Etat, George Vella (PL), a été élu le 2 avril 2019.
2 partis politiques sont représentée dans l'actuelle Chambre des représentants :
– le Parti travailliste (PL), parti social-démocrate créé en 1920 et dirigé par le Premier ministre sortant Robert Abela, compte 37 députés ;
– le Parti nationaliste (PN), parti chrétien-démocrate fondé en 1880 et emmené par Bernard Grech, possède 30 sièges.
Rappel des résultats des élections législatives du 3 juin 2017 à Malte
Participation : 92,06%
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