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Direction-Démocratie sociale de Robert Fico peut-il se maintenir au pouvoir en Slovaquie ?

Élections en Europe

Corinne Deloy

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17 février 2020
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Les Slovaques sont appelés aux urnes le 29 février prochain pour renouveler les 150 membres du Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky), chambre unique du Parlement. Ce scrutin constitue un " test important pour le pays " a indiqué Tomas Koziak, analyste politique : " Les électeurs voteront-ils pour des partis qui tentent de limiter la démocratie, de compromettre les idées démocratiques ou bien se tourneront-ils vers des partis qui s'opposent à ces pratiques ? ". Ce scrutin se déroule dans une ambiance de protestation contre les autorités en place - et notamment contre la classe politique - accusées de corruption d'une part et de menace de vote en faveur des nationalistes d'extrême droite rassemblés au sein du Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS) dirigé par Marian Kotleba d'autre part. Cette atmosphère a également entraîné la création et la percée de nouveaux partis qui ont mis la lutte contre la corruption au cœur de leur combat et qui se posent comme des adversaires au pouvoir en place, et notamment de Direction-Démocratie sociale (SMER-SD) de Robert Fico et du Premier ministre sortant Peter Pellegrini : Slovaquie progressiste/Ensemble-Démocratie civique (SP-Spolu) et Pour le peuple (Za Ludi), parti créé par l'ancien chef de l'Etat (2014-2019) Andrej Kiska.

Ce scrutin est organisé quelques jours après le 2e anniversaire de l'assassinat du journaliste Jan Kuciak et de sa fiancée Martina Kusnirova, tous deux âgés de 27 ans, le 21 février 2018. Jan Kuciak enquêtait sur les soupçons de fraude aux subventions européennes organisées par la mafia italienne en Slovaquie avec l'aide de proches du gouvernement pour le site Internet aktuality.sk, site du premier quotidien du pays Novy cas. Plusieurs dizaines de milliers de Slovaques sont descendus dans les rues, ce qui a été la plus grande mobilisation depuis la révolution de velours de 1989. Cet assassinat a conduit à la démission en mars 2018 du Premier ministre Robert Fico, de deux ministres et du chef de la police.

Le scrutin se tient alors que se déroule le procès de l'homme d'affaires Marian Kocner, arrêté et incarcéré depuis octobre 2018 pour ce double assassinat et qui fait également l'objet d'autres poursuites pour des opérations financières suspectes et pour fraude fiscale, et de trois autres personnes, les deux tueurs, dont un ancien militaire qui a avoué l'assassinat, et Alena Szuzsova, fidèle de l'homme d'affaires accusée d'avoir joué les intermédiaires. Les accusés risquent une peine allant de 25 ans de prison à la réclusion à perpétuité. Le procureur a demandé une peine de 20 ans d'emprisonnement pour Marian Kocner. Le verdict devrait être rendu l'avant-veille du scrutin.

15 partis et mouvements présentent des candidats aux élections législatives. Selon la dernière enquête réalisée par l'institut Focus, Direction-Démocratie sociale arriverait en tête avec 17% des suffrages, suivie du Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes-Nouvelle majorité (OL'aNO-NOVA), 13,3%, des extrémistes de droite du Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS), 12,2%, et de Slovaquie progressiste/Ensemble-Démocratie civique, 9,3%. 4 autres partis seraient présents dans le prochain parlement : Pour le peuple, 8,2% ; Nous sommes une famille (Sme Rodina), 7,8% ; le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) dirigé par Alojz Hlina, qui retrouverait les bancs du parlement avec 5,4% et enfin, Liberté et solidarité (Sloboda a Solidarita, SaS), 5,3%.

Au regard de ces résultats, Direction-Démocratie sociale, qui a déclaré qu'il ne s'allierait en aucun cas avec le Parti populaire-Notre Slovaquie, devrait avoir des difficultés pour former un gouvernement. " Si 10 partis dépassent le seuil de 5% des suffrages, obligatoire pour entrer au parlement comme les sondages l'indiquent, il sera très difficile de gérer la traduction politique de élections législatives " a averti Juraj Hrabko, journaliste

Direction-Démocratie sociale peut-il se maintenir à la tête du gouvernement ?

Direction-Démocratie sociale domine la vie politique slovaque depuis 14 ans (avec un intermède de 2 ans entre 2010 et 2012). S'il est en recul dans les enquêtes d'opinion, il reste le premier parti du pays et le favori du scrutin. Le gouvernement dirigé par Peter Pellegrini, formé de Direction-Démocratie sociale, Most-Hid et du Parti national (SNS), a survécu à la crise qu'a entraînée l'assassinat de Jan Kuciak et de Martina Kusnirova. "Robert Fico n'est plus Premier ministre mais il reste le leader de Direction-Démocratie sociale, qui est le parti au pouvoir, et il est toujours puissant. D'ailleurs, le chef du gouvernement sortant, Peter Pellegrini (SMER-SD), lui est fidèle. Robert Fico veut être réhabilité mais le procès le met toutefois dans une position délicate" a déclaré Juraj Marusiak, politologue.

Dans la campagne électorale, Peter Pellegrini met en avant les résultats économiques obtenus par son gouvernement, et notamment la faiblesse du taux de chômage (4,92%). Selon les statistiques, le nombre de personnes sans emploi aurait chuté de 40% au cours des trois dernières années. Direction-Démocratie sociale fait campagne sur son programme social et vient de faire voter le versement d'un 13e mois de pension aux retraités, une mesure dont le coût s'élève à 442 millions € pour une pension moyenne de 460 €. Le parti a fait voter par le parlement le doublement de l'allocation versée aux familles avec enfant, qui passe de 24,5 à 50 €/mois pour un enfant. Le coût total de cette mesure s'établit à 300 millions €. Enfin, le gouvernement a supprimé les frais de péage d'autoroutes pour les véhicules supérieurs à 3,5 tonnes. Le parti souhaite mettre en place des mesures pour que les médecins formés en Slovaquie restent dans le pays en obligeant ceux qui veulent émigrer à rembourser leurs frais de scolarité, soit environ 55 000 €.

Du côté de l'opposition

Le Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS) se présente comme le principal adversaire de Direction-Démocratie sociale. Dirigé par Marian Kotleba, LSNS se pose en défenseur de l'identité et de la souveraineté slovaque. Economiquement positionnée à gauche sur l'échiquier politique, il se bat contre la " criminalité des Roms ", la présence des musulmans en Slovaquie, l'influence des Etats-Unis et de l'Union européenne dans le pays, le " pouvoir des sionistes " et tout ce qui peut menacer les valeurs de la famille traditionnelle. Le parti souhaite établir une flat tax (impôt à taux unique fixé à 15% pour la TVA, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés), contrer le " pouvoir de la finance " et remettre l'économie dans les mains des Slovaques, sortir le pays de l'OTAN, exclure les " personnes qui ne veulent pas travailler " du système des allocations sociales et organiser un référendum sur la sortie de l'euro. " Nous allons remettre la Slovaquie sur pieds " affirme son slogan.

Le parti se présente comme le successeur de Parti du peuple, parti fasciste qui a dirigé la Slovaquie entre les deux guerres mondiales. Il aime à honorer la mémoire de Jozef Tiso, prêtre catholique rallié à l'Allemagne nazie et président de la République slovaque entre 139 et 1945. Une demande de dissolution du LSNS formulée en 2017 a échoué. En avril 2019, la Cour suprême a en effet refusé d'interdire le parti au prétexte qu'elle ne disposait pas de preuves suffisantes que celle-ci défendait des " idées extrémistes aux tendances fascistes ". " Le Parti populaire-Notre Slovaquie profite de l'idée que tous les politiciens sont corrompus et ignorants. En outre, aucun autre parti ne se rend dans les villages slovaques ; il est le seul à le faire et à pour parler aux gens " a indiqué Jakub Drabik, professeur d'histoire à l'Académie des sciences. " Si Direction-Démocratie sociale, échoue à mobiliser ses électeurs et que certains d'entre eux cherchent une option alternative, les extrémistes du Parti populaire-Notre Slovaquie pourrait bien sortir vainqueurs des élections" a déclaré Martin Slosiarik, analyste à l'agence d'opinion Focus.

De son côté, le Parti national (SNS), qui prône un contrôle de l'immigration et la lutte contre l'" islamisation " de la Slovaquie ainsi que la fermeture des bases américaines et la protection de la famille traditionnelle, qualifie le Parti populaire-Notre Slovaquie, de " parti fasciste ". " Ceux qui votent pour Marian Kotleba travaillent à affaiblir les forces patriotiques chrétiennes et sociales " a déclaré Zuzana Skopcova, porte-parole d'Andrej Danko, dirigeant du SNS.

L'ensemble des partis politiques ont exclu de gouverner avec le Parti populaire-Notre Slovaquie après les élections, à l'exception des populistes de Nous sommes une famille (Sme Rodina).

Les partis de l'opposition libérale ont échoué à constituer une coalition. Liberté et solidarité (Sloboda a Solidarita, SaS) ; Slovaquie progressiste (SP) de Michal Truban, alliée à Ensemble-Démocratie civique (Spolu) conduit par Miroslav Beblavy ; Pour le peuple (Za Ludi), parti créée en 2019 par l'ancien président de la République (2014-2019) Andrej Kiska, et le Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes-Nouvelle majorité (OL'aNO-NOVA) ont tenté, en vain, de s'unir au sein d'un Bloc du changement. Son dirigeant, Igor Matovica, souhaitait former une alliance avec seulement Liberté et solidarité (SaS), ce que le leader de ce parti, Richard Sulik, a refusé.

Le programme de Slovaquie progressiste/Ensemble-Démocratie civique est centré sur les questions d'éducation et de santé tout comme celui de Pour le peuple, qui met également en avant la lutte contre les inégalités et la pauvreté à travers le pays et la hausse des investissements dans les infrastructures.

" J'ai battu Robert Fico à trois reprises. Je l'ai empêché de devenir président de la République en 2014, ce qui a constitué le premier échec de sa carrière. Ensuite, en 2018, il a dû démissionner du poste de Premier ministre puis, il a échoué à devenir président de la Cour constitutionnelle en 2019 " aime à répéter Andrej Kiska qui reproche à l'ancien chef du gouvernement sa réaction à l'assassinat de Jan Kuciak et Martina Kusnirova.

On rappellera que Slovaquie progressiste/Ensemble-Démocratie civique a remporté les élections européennes de mai 2019 en s'imposant avec 20,11% des suffrages devant Direction-Démocratie sociale 15,72% et le Parti populaire-Notre Slovaquie 12,07%.

Deux mois plus tôt, les Slovaques avaient élu Zuzana Caputova (PS) à la présidence de la République. Celle-ci avait battu avec 58,4% des suffrages Maros Sefcovic, soutenu par Direction-Démocratie sociale qui avait recueilli 41,6% des voix.

Enfin, les deux partis hongrois - Parti de la coalition hongroise (SMK-MKP), qui est devenu la Communauté hongroise (MKS), et Most-Hid - risquent de disparaître du parlement car ils ont échoué à constituer une alliance.

Le système politique slovaque

Le Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky) comprend 150 membres élus pour 4 ans au scrutin proportionnel sur des listes bloquées au sein d'une seule circonscription nationale. Chaque électeur exprime 4 votes préférentiels pour les candidats d'une même liste. La répartition des sièges se fait selon le système de Hagenbach-Bischoff. Un parti doit recueillir au moins 5% des suffrages exprimés pour être représenté au parlement ; une coalition, 7% (10% si elle réunit 4 partis ou plus).

Pour pouvoir se présenter aux élections, tout parti ou mouvement politique doit déposer une caution d'environ 17 000 € (qui lui sera restituée s'il recueille au moins 2% des suffrages exprimés) et rédiger une déclaration certifiant qu'il compte au moins 10 000 membres. Si ses effectifs sont inférieurs à ce nombre, un parti peut néanmoins déposer une pétition de soutien contenant un nombre de signatures lui permettant de l'atteindre. Les partis ayant recueilli plus de 3% des suffrages lors du précédent scrutin législatif ont droit à une subvention d'Etat. Les candidats aux élections législatives doivent être âgés d'au moins 21 ans et résider de façon permanente en Slovaquie. Enfin, la loi électorale limite les dépenses de campagne à 3 millions €.

8 partis politiques sont représentés dans l'actuel Conseil national de la République :

– Direction-Démocratie sociale (SMER-SD), parti social-démocrate du Premier ministre sortant Peter Pellegrini, créé le 29 octobre 1999 et dirigé par Robert Fico, possède 49 sièges ;

– Liberté et solidarité (Sloboda a Solidarita, SaS), parti libéral fondé en 2009 par l'économiste et père de l'impôt à taux unique, Richard Sulik, compte 21 députés.

– le Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes (OL'aNO), parti de droite créé en octobre 2011 et conduit par Igor Matovic, allié à Nouvelle majorité (Nova), créé en 2012 et dirigé par Gabor Grendel, possède 19 sièges ;

– le Parti national (SNS), parti nationaliste et populiste emmené par Andrej Danko, compte 15 élus ;

– le Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS), parti nationaliste d'extrême droite dirigé par Marian Kotleba possède 14 sièges ;

– Nous sommes une famille (Sme Rodina), parti populiste de droite conduit par Boris Kollar, compte 11 élus ;

– Most-Hid (qui signifie " pont "), parti libéral fondé en 2009 par des membres du Parti de la coalition hongroise (SMK-MKP) et emmené par Bela Burgar, compte 11 députés ;

– le Parti conservateur (SKS), anciennement " #SIET (qui signifie " réseau "), dirigé par Ivan Zuzula, possède 10 élus.

Les Slovaques élisent également leur chef de l'Etat au suffrage universel direct. Zuzana Caputova (Slovaquie progressiste, PS) a été élue présidente de la Slovaquie le 30 mars 2019 avec 58,4% des suffrages face au vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, soutenu par Direction-Démocratie sociale qui a obtenu 41,6% des voix. La participation s'est élevée à 41,79%.

Rappel des résultats des précédentes élections législatives

du 5 mars 2016

Participation  : 59,82%

Source : http://volby.statistics.sk/nrsr/nrsr2016/en/data01.html

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