Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
-
Versions disponibles :
FR
ENCorinne Deloy
En Pologne, les scrutins se suivent et pourraient bien se ressembler. Le 13 octobre prochain, 30 millions de Polonais renouvelleront les membres des deux chambres du Parlement (460 députés et 100 sénateurs) ainsi que l'a annoncé le président de la République Andrzej Duda (indépendant, ancien membre du PiS) le 6 août dernier.
Beaucoup présentent le scrutin à venir comme un clash de civilisation. Pourtant les Polonais ne semblent pas souhaiter changer l'équipe qui les gouverne. Les forces de l'opposition ont beau promettre de ne pas abandonner ou de ne pas amender les différentes mesures sociales prises par le PiS au cours des 4 dernières années, les électeurs se montrent peu motivés pour se tourner vers un autre parti, ou peu convaincus de la nécessité, dans ce contexte, de changer de gouvernants tant le PiS demeure plus crédible sur le terrain social que chacun de ses adversaires.
Le PiS, qui exerce un fort contrôle sur les médias, transformés pour certains en outils de propagande, est d'ores et déjà parvenu à imposer les grands thèmes de la campagne électorale : les bénéfices sociaux et la politique à adopter à l'égard des personnes LGBT, que le parti n'hésite pas à présenter comme des ennemis, une expression qu'il avait déjà utilisée - avec succès - pour désigner les réfugiés venus de Syrie et d'Ethiopie lors de la campagne des élections parlementaires du 25 octobre 2015. " La communauté LGBT constitue une menace à l'identité de la nation et de l'Etat polonais " a déclaré le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski, en avril dernier.
Selon l'enquête d'opinion réalisée les 6 et 7 septembre derniers par l'institut IBRiS, le PiS devrait recueillir 42,4% des suffrages le 13 octobre, devant la Coalition civique (KO), qui rassemble la Plateforme civique (PO) et .Moderne (Nowoczesna) 22,7%, Lewica (La Gauche), coalition de plusieurs partis de gauche dont l'Alliance démocratique de gauche (SLD), Wiosna et Razem, 13,1% ; la Coalition polonaise, qui regroupe le Parti populaire (PSL) et Kukiz'15, 5,6%.
Néanmoins, la campagne électorale peut encore changer la donne. Une chose est sûre : le PiS doit veiller à ne pas se croire d'ores et déjà assuré de la victoire et à ne pas négliger ses adversaires. " Je ne vais pas vous cacher que je souhaiterais que cette campagne soit la plus courte possible " a indiqué le chef de l'Etat Andrzej Duda, ajoutant " Les Polonais veulent que les disputes politiques cessent le plus vite possible. Elles sont naturelles durant la campagne électorale mais les gens ne les aiment pas ".
Droit et justice : la révolution conservatrice
Au cours des 4 dernières années, le PiS, aidé par un contexte de bonne conjoncture économique (la croissance du PIB a progressé en moyenne de 4% chaque année depuis 2015), a déployé un vaste et généreux programme d'aides sociales. Il a honoré ses promesses de campagne de 2015 en mettant en place une allocation mensuelle de 500 zlotys (125 €), appelée 500+, versée pour chaque enfant aux familles percevant les plus faibles revenus et à partir du deuxième enfant dans les familles recevant le salaire moyen (5 000 zlotys, 1 300 €). Pour les élections à venir, cette mesure a été élargie à tous les enfants. Le gouvernement a également alloué un 13e mois de pension aux retraités, baissé le taux de l'impôt sur le revenu de 18 à 17% et augmenté les aides sociales versées aux personnes handicapées et aux agriculteurs. En outre, depuis le 1er août dernier, les salariés âgés de moins de 26 ans ne paient plus d'impôt sur le revenu, une mesure prise pour lutter contre l'exode des jeunes, très important en Pologne.
Pour les 4 années à venir, le PiS promet d'augmenter le salaire minimum, de 2 250 à 3 000 zlotys à la fin de 2020. Celui-ci devrait atteindre 4 000 zlotys à la fin de la législature en 2023. Le 13e mois de pension alloué aux retraités sera reconduit, les personnes percevant les plus faibles retraites recevront un 14e mois. Le minimum retraite sera augmenté tout comme les aides perçues par les agriculteurs. Enfin, le Premier ministre sortant a déclaré que deux fonds spéciaux de 456 millions € chacun seraient créés, l'un pour l'éducation, l'autre pour la santé.
Le système de sécurité sociale n'est pas aussi développé en Pologne qu'il ne l'est dans la partie occidentale de l'Europe. Jaroslaw Kaczynski affirme d'ailleurs qu'il veut construire la " version polonaise de l'Etat-providence ". Le PiS mène donc une politique qui mêle redistribution sociale et conservatisme, répétant que son seul objectif est que chaque Polonais puisse bénéficier de la transition. De nombreux Polonais lui en sont très redevables et le mépris que manifestent certains membres de l'opposition à l'égard du PiS ne fait que consolider l'assise de ce dernier au sein de son électorat.
Parti très conservateur, le PiS attire notamment des électeurs ruraux, peu diplômés et peu fortunés. Cet électorat est important en Pologne où seuls 30% des habitants vivent dans de grandes villes. Le parti est notamment conservateur sur les sujets de société. Il a rendu plus difficile le droit à l'avortement et se pose en " rempart " contre les personnes LGBT en qui il voit une menace contre les valeurs familiales catholiques, soit, selon le PiS, l'identité polonaise.
Il a également fait adopter plusieurs réformes qui ont porté atteinte à l'indépendance de la justice qui ont amené l'Union européenne à déclencher en décembre 2017 l'article 7 du traité sur l'Union européenne contre Varsovie, une première dans l'Union. Cependant, cette procédure ne semble pas avoir affaibli le PiS qui a d'ailleurs promis de poursuivre ses réformes en cas de victoire le 13 octobre.
Une opposition divisée
La Plateforme civique
L'opposition polonaise est très divisée. Les différents acteurs qui la composent ont pourtant tenté de se rassembler, conscients que seule l'union pouvait permettre de faire chuter le PiS et que le système d'Hondt en vigueur pour la répartition des sièges à la Diète, chambre basse du parlement, favorise les plus larges partis (ou coalitions).
C'est pourquoi pour les élections européennes du 26 mai dernier, les forces de l'opposition se sont unies au sein de la Coalition européenne (KO). Celle-ci rassemblait la Plateforme civique (PO), l'Alliance démocratique de gauche (SLD), le Parti populaire (PSL) et .Moderne (Nowoczesna).
Le scrutin européen aurait dû logiquement favoriser cet ensemble de partis regroupés au sein d'un bloc qui se présentait comme pro-européen et pro-démocratique mais la Coalition européenne a été battue. Le PiS a recueilli 45,38% des suffrages le 26 mai, soit le " résultat le plus élevé jamais obtenu par un parti à des élections après 1989 " selon les propres mots de Jaroslaw Kaczynski ; 38,47% des voix se sont portés sur l'opposition. Wiosna (Printemps), parti de gauche fondé et dirigé par Robert Biedron et qui avait refusé de rejoindre la Coalition européenne, a recueilli 6,6% des suffrages. La participation a été élevée (45,68%), ce qui aurait dû favoriser les forces de l'opposition.
La coalition était sans doute trop disparate. L'alliance de la Plateforme civique (PO), parti fondé par des militants anticommunistes, et du parti post-communiste qu'est l'Alliance démocratique de gauche (SLD), n'a pas convaincu. Enfin, les partis n'ont pas toujours joué le jeu, certains se montrant réticents à faire campagne pour les candidats des autres.
En raison du résultat des élections européennes et des divisions qui ont suivi, la PO a annoncé la fin de la Coalition européenne le 18 juillet dernier. Dans la foulée, le SLD a déclaré qu'il formait une nouvelle alliance, baptisée Lewica (La Gauche), avec, entre autres, les partis Wiosna et Razem (qui signifie Ensemble).
La PO s'est alliée à .Moderne, parti libéral fondé en 2015 par l'économiste de la Banque mondiale Ryszard Petru, pour créer la Coalition civique (KO) en vue des élections parlementaires.
La PO, dirigée par Grzegorz Schetyna, n'a jamais surmonté le départ de Donald Tusk en 2014 pour la présidence du Conseil européen. Il a cru, à tort, que la société polonaise se libéraliserait plus vite qu'elle ne le fait. Son discours parle donc surtout aux citoyens les plus fortunés, urbains et diplômés, soit une minorité de la population.
Pourtant, la PO promet de ne pas revenir sur les différentes mesures sociales qui ont été prises le PiS au cours des 4 dernières années : " Ce qui a été donné ne sera pas repris " a déclaré Malgorzata Kidawa-Blonska, candidate du parti au poste de Premier ministre.
La PO, qui a choisi pour slogan " Des taxes plus faibles, des salaires plus élevés, propose de baisser les charges sociales pesant sur les salaires à 35% (50% actuellement) et d'accorder un bonus libre d'impôt de 500 zlotys aux personnes percevant le salaire minimum. Elle souhaite également exonérer d'impôt les bénéfices réinvestis par les entrepreneurs dans leur(s) société(s). Si elle ne veut pas toucher aux mesures sociales, la PO souhaite en revanche revenir sur les lois qu'elle juge antidémocratiques et anticonstitutionnelles adoptées par le PiS, notamment celles concernant la justice. Elle veut faire voter ce qu'elle appelle un " acte de renouveau de la démocratie ".
La PO connaît aussi un problème d'image et de leadership. En effet, son dirigeant Grzegorz Schetyna, fin stratège politique, manque cruellement de charisme. Le parti a d'ailleurs choisi Malgorzata Kidawa-Blonska, vice-présidente du Parlement, comme candidate au poste de Premier ministre. " Malgorzata Kidawa-Blonska est une personnalité peu controversée qui peut attirer davantage de suffrages que Grzegorz Schetyna. La PO n'arrivera pas à la première place à l'issue du scrutin mais l'addition des votes peut s'avérer décisive pour chacun des deux camps, centriste d'un côté et conservateur nationaliste de l'autre " a affirmé Anna Materska-Sosnowska, politologue. Malgorzata Kidawa-Blonska, tête de liste à Varsovie, affirme vouloir " changer la politique de façon à ce que les politiciens cessent de semer la haine ".
La Gauche (Lewica)
Après la dissolution de la Coalition européenne, le SLD a formé avec Wiosna, Razem, le Parti socialiste (PPS), l'Union du travail (UP) et plusieurs organisations féministes et laïques une coalition appelée Lewica.
Cette coalition souhaite, entre autres, augmenter le salaire minimum (jusqu'à 2 700 zlotys/mois), introduire une " retraite citoyenne ", permettre l'accès de tous aux médicaments en abaissant le coût de ces derniers, construire un million d'appartements, permettre un meilleur accès aux crèches, consacrer 7% du PIB au secteur de la santé, abolir l'éducation religieuse à l'école, créer un Etat laïque et légaliser l'avortement jusqu'à la douzième semaine de grossesse.
Reste à savoir si la coalition possède une véritable cohérence ou s'il s'agit d'un rassemblement opportuniste. Il est difficile pour les forces de gauche de faire entendre leur voix alors que le PiS occupe le terrain social et que les populations les plus pauvres sont par ailleurs les plus âgées et les plus conservatrices. Il serait bon que Lewica permette à la gauche polonaise de revenir dans un parlement dont elle est absente depuis 4 ans. Si elle échoue, l'avenir de cette famille politique deviendrait compromis.
Fondateur de Wiosna (Printemps), parti de gauche, anticlérical, écologiste, féministe et défenseur des droits des personnes LGBT, Robert Biedron n'a pas renoncé à son siège de député européen comme il l'avait promis durant la campagne électorale et il a rejoint la Coalition de gauche alors qu'il avait annoncé que Wiosna concourrait seul aux élections.
L'ancien maire de Slupsk (nord de la Pologne) qualifie son parti de progressiste et souhaite se tenir à égale distance de la PO et du PiS en développant une politique alternative à celles des deux partis. Robert Biedron se bat pour la hausse du salaire minimum et du minimum vieillesse, l'abandon du charbon d'ici 2035, la séparation de l'Eglise et de l'Etat, le droit à l'avortement, les droits des minorités et le mariage pour les couples de personnes du même sexe.
La Coalition polonaise
Lors des élections européennes, le Parti populaire (PSL) a perdu des électeurs, notamment au profit du PiS. Il a donc remis en question sa participation pour le scrutin du 13 octobre à une alliance de forces qu'il considère comme majoritairement de gauche. " Ce sera la gauche ou nous. Il faut que la PO nous dise clairement si elle veut construire une coalition centriste modérée avec nous ou si elle choisit de bâtir une coalition de gauche " a indiqué le président du PSL, Wladyslaw Kamysz.
Le PSL a finalement choisi de s'allier à Kukiz'15, parti populiste créé en 2015 par Pavel Kukiz. Ce dernier souhaite notamment supprimer les partis politiques et réformer le système électoral.
Le système politique polonais
Le parlement polonais est bicaméral : la Diète (Sejm), chambre basse, comprend 460 députés, et le Sénat (Senate), chambre haute, compte 100 membres. Les deux chambres se réunissent en Assemblée nationale (Zgromadzenie Narodowe) à trois occasions seulement : lors de la prestation de serment du président de la République, dans le cas d'une mise en accusation de celui-ci devant le tribunal de l'Etat ou lorsque le chef de l'Etat se retrouve dans l'incapacité d'exercer ses pouvoirs en raison de son état de santé.
Les élections parlementaires sont organisées en Pologne tous les 4 ans. A l'exception des listes représentant les minorités nationales, tout parti politique doit recueillir au moins 5% des suffrages exprimés pour être représenté à la Diète (8% pour une coalition).
Pour la Diète, la Pologne est divisée en 41 circonscriptions qui élisent chacune entre 7 et 20 députés. Les partis et les groupes comprenant au moins 15 citoyens sont autorisés à présenter des listes aux élections. Les listes doivent recueillir le soutien d'au moins 5 000 électeurs dans les circonscriptions où elles se présentent. La loi électorale oblige chaque liste à présenter au moins 35% de candidates.
Les sénateurs sont élus au suffrage universel direct au scrutin majoritaire à un tour selon le système de First past the post. Chaque circonscription du pays élit un sénateur. Les candidats à un poste de sénateur doivent recueillir le soutien d'au moins 3 000 électeurs de leur circonscription.
L'âge minimal est de 21 ans pour être élu député et de 30 ans pour devenir sénateur. Les candidats ne sont pas autorisés à concourir à la fois pour la Diète et pour le Sénat.
5 partis politiques sont représentés à la Diète (Sejm):
– Droit et justice (PiS), parti conservateur du Premier ministre sortant Mateusz Morawiecki fondé le 13 juin 2001. Dirigé par Jaroslaw Kaczynski, il compte 235 députés et 61 sénateurs ;
– la Plateforme civique (PO), créée en mars 2001 et conduite par Grzegorz Schetyna, possède 138 sièges à la Diète et 34 au Sénat ;
– le Parti populaire (PSL), parti centriste et agrarien, présidé par Wladyslaw Kosiniak-Kamysz. Plus ancien parti politique de Pologne (il a été fondé en 1895), il compte 38 députés et 1 sénateur ;
– Kukiz'15, parti populiste créé en 2015 par Pavel Kukiz, chanteur de rock, acteur et candidat malheureux à l'élection présidentielle des 10 et 24 mai 2015 (il avait obtenu 20,80% des suffrages au 1er tour de scrutin). Kukiz'15 possède 42 sièges à la Diète ;
– .Moderne (Nowoczesna), parti libéral fondé en 2015 par économiste de la Banque mondiale Ryszard Petru et dirigé par Katarzyna Lubnauer, compte 28 députés.
La minorité allemande possède 1 député et 4 sénateurs sont indépendants.
Les Polonais élisent également leur président de la République au suffrage universel direct tous les 5 ans. Andrzej Duda a été élu le 24 mai 2015 avec 51,55% des suffrages, s'imposant devant le chef de l'Etat polonais sortant, Bronislaw Komorowski (PO) (48,45%).
Rappel des résultats des élections parlementaires du 25 octobre 2015 en Pologne
Diète
Participation : 50,92%
Source : https://parlament2015.pkw.gov.pl/349_Wyniki_Sejm
Sénat
Participation : 50,91%
Sur le même thème
Pour aller plus loin
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
16 décembre 2024
Élections en Europe
6 décembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
2 décembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
2 décembre 2024
La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :