Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 27 octobre prochain, 3 537 249 Géorgiens éliront leur président de la République. Le scrutin est important même si la réforme constitutionnelle de 2010 a privé le chef de l'Etat d'une partie de ses pouvoirs au profit du Premier ministre et du parlement (Sakartvelos Parlamenti). Le Président de la République ne pourra plus durant son prochain mandat révoquer le gouvernement et convoquer un nouveau cabinet sans l'assentiment du parlement. Il lui reviendra également le soin de nommer les gouverneurs de régions, désignés jusqu'alors par le Président de la République.
La réforme constitutionnelle qui modifie les pouvoirs du chef de l'Etat a été approuvée par le parlement géorgien le 21 mars dernier par 135 voix, soit l'unanimité des députés présents.
Le président de la République sortant, Mikhail Saakachvili (Mouvement national uni, ENM), au pouvoir depuis le scrutin du 4 janvier 2004, ne peut se représenter à l'élection, la Constitution n'autorisant pas plus de deux mandats consécutifs.
Le Rêve géorgien-Géorgie démocratique en coalition avec Notre Géorgie-Démocrates libres dirigé par l'ancien représentant de la Géorgie aux Nations unies, Irakli Alassania, le Parti républicain conduit par Davit Usupashvili, le Forum national de Kakha Shartava, le Parti conservateur dirigé par Zviad Dzidziguri et l'Industrie sauvera la Géorgie, emmenée par le Premier ministre Bidzina Ivanichvili, est au pouvoir depuis les élections législatives du 1er octobre 2012.
Les nouveaux dirigeants du pays ont effectué de nombreuses arrestations de masse. D'anciens responsables administratifs sont accusés de mauvaise gestion des fonds de l'Etat et autres malversations.
"La prochaine élection présidentielle doit illustrer les changements fondamentaux survenus dans notre pays" a déclaré le chef du gouvernement Bidzina Ivanichvili qui souhaite "convaincre l'Europe que nous pouvons organiser une élection démocratique". "Le Rêve géorgien-Géorgie démocratique a des ambitions et la volonté de remporter une large victoire. Mais notre plus grande ambition est d'organiser une élection exemplaire, libre et juste, digne d'un pays qui s'achemine vers l'Europe. Ce sera notre victoire commune et le témoignage que de l'ordre politique et démocratique règne en Géorgie" a-t-il précisé.
Les candidats
23 personnes sont officiellement candidates à la succession de Mikhail Saakachvili. 10 ont été désignés par des partis politiques, 13 par des groupes d'initiative. 54 personnes au total avaient fait acte de candidature.
Les candidats sont les suivants :
– Giorgi Margvelashvili (Rêve géorgien-Géorgie démocratique), ancien ministre de l'Education et des Sciences et candidat du pouvoir en place ;
– Davit Bakradze (Mouvement national uni, ENM), ancien président du Parlement (2008-2012) ;
– Nino Bourdjanadze, dirigeante du Mouvement démocratique-Géorgie unie ;
– Shalva Natelashvili, leader du Parti travailliste ;
– Giorgi Targamadze, dirigeant du Mouvement chrétien-démocrate ;
– Akaki Asatiani, ancien président du Conseil suprême sous le gouvernement de Zviad Gamsakhourdia (1991-1992) et dirigeant de l'Union des traditionalistes ;
– Sergo Javakhidze, dirigeant du Parti pour une Géorgie juste ;
– Zourab Kharatishvili, Démocrates européens de Géorgie, président de la Commission électorale centrale ;
– Koba Davitashvili, Parti populaire ;
– Teimuraz Zhvania, Parti chrétien-démocrate populaire ;
– Nestan Kirtadze, président du Mouvement international pour la paix, la démocratie et le développement Géorgie-Abkhazie-Ossétie, nommé par un groupe d'initiative ;
– Mikhail Salukashvili, nommé par un groupe d'initiative ;
– Giorgi Liluaschvili, nommé par un groupe d'initiative ;
– Levan Chachua, nommé par un groupe d'initiative ;
– Avtandil Margiani, nommé par un groupe d'initiative ;
– Nugzar Avaliani, nommé par un groupe d'initiative ;
– George Chikhladze, nommé par un groupe d'initiative ;
– Teimuraz Bobokhidze, nommé par un groupe d'initiative ;
– Nino Chanishvili, nommé par un groupe d'initiative ;
– Kartlos Garibashvili, nommé par un groupe d'initiative ;
– Tamaz Bibiluri, nommé par un groupe d'initiative ;
– Mamuka Chokhonelidze, nommé par un groupe d'initiative ;
– Mamuka Melikishvili, nommé par un groupe d'initiative.
Tout candidat à l'élection présidentielle doit, en Géorgie, être âgé d'au moins 35 ans et vivre dans le pays depuis 5 années minimum. Il doit également recueillir les signatures d'au moins 0,75% du total des personnes inscrites sur les listes électorales, soit 26 530 électeurs.
L'ancienne ministre des Affaires étrangères (2004-2005), Salomé Zourabichvili, avait fait acte de candidature à l'élection présidentielle avant de se voir interdire de se présenter au scrutin en raison de sa double nationalité franco-géorgienne. Selon l'article 29 de la Constitution, le chef de l'Etat, le Premier ministre et le président du Parlement ne sont pas autorisés à posséder une autre nationalité que géorgienne.
"La Loi fondamentale interdit d'être président de la République à une personne possédant une double nationalité mais ne lui interdit pas d'être candidate à ce poste. Si je remporte l'élection, je renoncerai à ma nationalité française avant d'entrer en fonction" s'était défendue, en vain, Salomé Zourabichvili.
Giorgi Margvelashvili a été désigné candidat à l'élection présidentielle le 11 mai dernier. Représentant du pouvoir en place depuis les dernières élections législatives du 1er octobre 2012, sa victoire paraît acquise. Peu connu du grand public, Giorgi Margvelashvili, promu vice-Premier ministre, a été choisi par Bidzina Ivanichvili pour sa loyauté à son égard. "Voter pour Giorgi Margvelashvili, c'est m'accorder votre confiance" a déclaré le Premier ministre, ajoutant : "Giorgi Margvelashvili est pour moi le seul candidat qui possède les compétences pour devenir président de la République. C'est un homme moderne, éduqué, équilibré et honnête, dont le passé est sans tache. Je suis certain que nous allons élire Giorgi Margvelashvili et voter en faveur du développement et de la stabilité en Géorgie".
Le chef de l'Etat sortant Mikhail Saakachvili a indiqué que la nomination de Giorgi Margvelashvili par Bidzina Ivanishvili lui rappelait Caligula et son cheval Incitatus que l'empereur romain voulait nommer au poste de consul.
Le candidat au scrutin présidentiel a été remplacé à son poste de ministre de l'Education et des Sciences par Tamara Sanikidze.
Pour Giorgi Margvelashvili, la bonne santé de l'économie constitue une priorité pour la Géorgie. Selon lui, la tâche principale du chef de l'Etat est d'assurer la sécurité du pays. "La garantie de la sécurité nationale en Géorgie passe par l'appartenance du pays au monde libre qui sera achevée par son intégration dans l'Union européenne et dans l'OTAN" a-t-il déclaré. "La Géorgie a une mission historique : devenir un pôle de coopération, de dialogue et d'accord entre l'Europe et l'Asie" a-t-il souligné.
La candidate Nino Bourdjanadze est favorable au renforcement des liens de Tbilissi avec Moscou. Elle a rencontré à plusieurs reprises le président russe Vladimir Poutine et exprimé des positions pro-Kremlin. "Pour la Géorgie, il est important d'améliorer les relations et de maintenir le partenariat avec les pays de l'ouest car nous avons besoin de démocratie ; cependant, il est essentiel pour nous d'avoir de bonnes relations avec nos voisins les plus proches, l'Azerbaïdjan, l'Arménie et bien sûr la Russie" a-t-elle déclaré le 25 juillet dernier. Celle qui se targue de savoir "parler au président russe Vladimir Poutine" juge l'entrée de la Géorgie dans l'OTAN "irréaliste".
Proche de Bidzina Ivanishvili, Nino Bourdjanadze n'a cependant pas obtenu de poste ministériel à l'issue des élections législatives du 1er octobre dernier. Elle demande des mesures les plus strictes contre tous ceux qui ont contrevenu aux lois sous la présidence de Mikhail Saakachvili.
Un an de gouvernement du Rêve géorgien-Géorgie démocratique
La popularité de Bidzina Ivanichvili et de sa coalition du Rêve géorgien-Géorgie démocratique est en recul depuis le dernier scrutin législatif mais reste toutefois élevée.
En juin 2013, l'économie géorgienne s'est contractée pour la première fois depuis 2009 (-0,8%). En 2007, le taux de croissance du PIB s'établissait à 12,34% ; il s'élevait encore à 6,95% en 2011 après un recul (-3,78%) en 2009. Au 1er trimestre 2013, la croissance a atteint 2,4% et 1,3% au 2e. En réaction au recul des investissements, Bidzina Ivanichvili a créé un fonds d'investissement privé qui atteindra 10 milliards $ avant fin 2013. Le Premier ministre souhaite transformer la Géorgie et en faire d'ici vingt ans une société à la fois européenne et où le monde des affaires et de la finance pourra se développer sur le modèle de Dubaï.
Bidzina Ivanichvili souhaite à la fois normaliser les relations de Tbilissi avec Moscou et poursuivre le rapprochement de son pays de l'OTAN et l'Union européenne. L'accord d'association entre Bruxelles et Tbilissi pourrait être finalisé lors du sommet de Vilnius qui se tiendra fin novembre prochain et signé en 2014.
"Nous négocions avec les Russes sur les visas. Et sur la reprise des vols réguliers entre Moscou et Tbilissi" a déclaré le Premier ministre. Les exportations de vin et d'eau minérale vers Moscou ont repris en 2013. Le 4 septembre dernier, Bidzina Ivanichvili s'est publiquement interrogé sur une éventuelle participation de son pays à l'Union douanière, zone de libre-échange existant entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, qui prendra le nom d'Union eurasienne le 1er janvier 2015. "Je regarde cela avec attention et nous l'étudions. A cette étape, nous n'avons pas du tout de position. Si nous voyons que cela est intéressant pour la stratégie de notre pays, alors pourquoi pas ?" a-t-il déclaré.
Le chef du gouvernement a indiqué qu'il quitterait son poste après une année et demie de pouvoir. Il devrait donc, s'il respecte sa promesse, se retirer de la scène politique à la fin de l'année. "Il n'y a jamais rien eu de tel ; un homme qui vient avec son argent en politique, créé et finance une coalition, gagne des élections puis repart de lui-même. Vous verrez, ce sera un beau précédent" a affirmé Bidzina Ivanichvili. Le retrait du Premier ministre pourrait cependant créer un vide qui pourrait fragiliser des institutions géorgiennes encore instables.
3 personnes sont pressenties pour succéder au chef du gouvernement : le ministre de l'Intérieur Irakli Garibashvili, celui la Défense, dirigeant du parti Notre Géorgie-Démocrates libres, Irakli Alasania, et le vice-Premier ministre Kakha Kaladze, qui est le favori. Bidzina Ivanichvili a indiqué au début du mois de septembre qu'il choisirait lui-même son successeur.
Le Premier ministre voit le Mouvement national uni rapidement disparaître de la scène politique. Selon lui, sans opposition extérieure, sa coalition du Rêve géorgien se divisera jusqu'à "engendrer un nouveau système pluripartite dans le pays".
Quel avenir pour Mikhail Saakachvili ?
S'exprimant sur l'avenir du président de la République sortant, Bidzina Ivanichvili a déclaré qu'il était "très possible qu'il soit poursuivi" et qu'il doive "faire face à la justice". "Je ne veux pas que Mikhail Saakachvili soit arrêté mais je n'exclus rien. La loi s'applique à tous" a-t-il tenu à souligner fin juin dernier. "Occupant un poste à responsabilité, Mikhail Saakachvili prenait les décisions. Il prétendait être libéral mais en réalité, il contrôlait tous les médias, menaçait les familles, torturait les prisonniers, tuait les gens dans la rue ; dans le domaine des affaires, il contrôlait tous les secteurs de l'économie" a affirmé le Premier ministre.
L'ancien chef du gouvernement (2012) et ancien ministre de l'Intérieur (2004-2012) Vano Merashvili (ENM) a été arrêté le 21 mai dernier avec Zourab Tchiaberashvili, gouverneur de Kakheti, région située à l'est du pays. Il est soupçonné d'abus de pouvoir pour avoir détourné 5,2 millions $ de l'Etat pour financer la campagne électorale du Mouvement national uni, d'avoir créé des emplois fictifs pour des sympathisants de son parti et d'avoir illégalement saisi une villa dans le village de Kviriati situé sur la mer Noire et même d'être impliqué dans le meurtre de Sandro Girgvliani, agent de la banque United, le 28 janvier 2006.
Le 27 juin dernier, 23 employés de la mairie de Tbilissi, dirigée par le Mouvement national uni, ont également été convoqués par les enquêteurs du ministère des Finances qui ont mis à jour un détournement de 23 millions € au sein du fonds de développement de la ville en faveur du parti du président Saakachvili, en 2011 et 2012. Le maire-adjoint de la ville, Davit Alavidze, a été arrêté et placé en détention provisoire avec 3 autres employés municipaux. Le premier magistrat, Guigui Ougoulava, a été inquiété par la justice. In fine, à la suite de plusieurs défections dans les rangs du Mouvement national uni, le Rêve géorgien a réussi à prendre le contrôle de Tbilissi.
Quelques jours plus tôt, le 20 juin, le ministère de l'Intérieur avait convoqué les ambassadeurs étrangers, les organisations non gouvernementales et les médias à la projection d'un film montrant des scènes de viol et de torture (soit-disant) commis par des membres des forces de l'ordre sur des villageois. Les vidéos auraient été trouvées le 17 juin dans la région de Samegrelo dans un lieu où on aurait également découvert des armes et de la drogue.
Ces accusations et ces arrestations laissent planer un doute sur les intentions des nouvelles autorités géorgiennes et beaucoup, dans le pays comme à l'extérieur, redoutent que les méthodes du pouvoir ne respectent pas les principes élémentaires de la justice.
"En Géorgie, il s'agit de restaurer la justice. Nous n'autoriserons pas de politique répressive et de justice sélective" a affirmé Bidzina Ivanichvili. Pourtant, beaucoup d'analystes craignent qu'après l'élection présidentielle, Mikhail Saakachvili subisse un sort similaire à celui de Ioulia Timochenko en Ukraine. Le chef de l'Etat sortant, qui a accusé le Rêve géorgien et le Premier ministre de vouloir importer en Géorgie les méthodes des gangsters russes des années 1990, a affirmé qu'il poursuivrait son action politique à l'issue du scrutin présidentiel et qu'il resterait un combattant dans la lutte pour la démocratie et l'orientation européenne du pays.
Les forces de l'opposition
L'ancien président du Parlement (2008-2012) Davit Bakradze a été désigné candidat du Mouvement national uni au scrutin présidentiel le 28 juin 2013 à l'issue d'une élection primaire à laquelle les membres du parti et tous les citoyens intéressés par le scrutin pouvaient participer. Giorgi Baramidze, Zourab Japaridze et Shota Malashkhia étaient les rivaux de Davit Bakradze à ce scrutin inédit. "Le Mouvement national uni cherche à établir des normes nouvelles de transparence et d'ouverture afin que le choix d'un candidat ne soit pas celui d'un seul homme comme cela est le cas chez certains de nos concurrents" a déclaré Davit Bakradze.
Une piètre performance le 27 octobre prochain de Davit Bakradze, en qui beaucoup voient le futur dirigeant du Mouvement national uni, pourrait conduire Bidzina Ivanichvili à dissoudre le Parlement et à organiser des élections législatives anticipées pour renforcer sa majorité parlementaire.
Le 20 juillet dernier, de violents incidents ont opposé des partisans du Premier ministre avec des sympathisants du Mouvement national uni, dans le théâtre de Zougdidi où se tenait une réunion du parti de Mikhail Saakachvili en vue de l'élection pour désigner le candidat au scrutin présidentiel. Un journaliste et le candidat à la primaire, Giorgi Baramidze, ont été légèrement blessés. Bidzina Ivanichvili a condamné le geste de ses sympathisants et indiqué qu'il exclurait les membres de sa coalition qui perpétreraient de tels actes. 12 personnes présumées coupables des incidents ont été emprisonnées à la fin du mois de juillet.
Toutes les enquêtes d'opinion annoncent la victoire du candidat du pouvoir Giorgi Margvelashvili avec plus de 50% des suffrages. Davit Bakradze recueillerait un peu moins de 10%, Nino Bourdjanadze, 7% et le dirigeant du Parti travailliste, Shalva Natelashvili 4%. Ce dernier a demandé au Premier ministre Bidzina Ivanichvili de transférer la propriété de la chaîne de télévision 9, qui appartient à son épouse Yekaterina Khvedelidze, à son personnel.
Le futur président de la République résidera au 25 rue Atoneli à Tbilissi dans un bâtiment qui était auparavant le siège de l'ambassade américaine.
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