Elections législatives et référendum en Biélorussie, 17 octobre 2004

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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17 octobre 2004
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Indépendante depuis le 25 août 1991, la Biélorussie est, depuis dix ans, dirigée d'une main de fer par Alexandre Loukachenko. Nostalgique de l'ère soviétique et adepte de ses méthodes répressives, ce Président de pouvoir absolu règne en maître sur la petite République dont il contrôle l'ensemble de l'administration et de la société. Des élections législatives se dérouleront en Biélorussie le 17 octobre prochain, élections dont le caractère libre et démocratique suscite d'ores et déjà de sérieux doutes dans les Etats occidentaux.

Le système politique biélorusse

Le Parlement biélorusse est bicaméral. Il comprend la Chambre des représentants (Palata pretsaviteley) qui compte cent dix membres élus au scrutin majoritaire pour quatre ans et le Conseil de la République (Natsioalnoye sobranie) qui regroupe soixante-quatre membres, dont cinquante-six sont élus par les soviets de la capitale Minsk et des six régions du pays et huit sont désignés par le Président de la République.

La majorité (quatre vingt-douze) des cent dix membres de la Chambre des représentants se disent indépendants, les autres se répartissent comme suit :

six sont affiliés au Parti communiste (KPB) ;

cinq au Parti agrarien (AP) ;

deux au Parti républicain du travail et de la justice (RPPS) ;

un au Parti libéral démocrate (LDPB) ;

un au Parti social du sport (BSSP) ;

un au Parti social démocrate de l'entente populaire (PPA) ;

un à l'Union Iabloko ;

et un au Parti de l'union civique (CAB).

Les représentants affiliés au Parti social démocrate de l'entente populaire, à l'Union Iabloko et au Parti de l'union civique sont ouvertement opposés au Président.

Les candidats aux élections, législatives ou locales, sont généralement des hommes ou des femmes sans aucune expérience politique, désignés par l'administration présidentielle. Directeurs d'entreprises publiques, responsables de kolkhozes ou de sovkhozes, militaires, directeurs d'hôpitaux, responsables d'administrations locales, ils sont liés au régime actuel à qui ils doivent leur place dans la société. Les commissions électorales sont, quant à elles, composées exclusivement de représentants du pouvoir en place. Rappelons que l'opposition a boycotté les élections législatives des 15 et 29 octobre 2000.

Le régime biélorusse est présidentiel ; Alexandre Loukachenko rassemble tous les pouvoirs entre ses mains. Ancien professeur d'idéologie communiste dans l'Armée rouge, commissaire politique chez les garde-frontières, il a été nommé responsable de sovkhoze en 1987. Elu député du soviet suprême de la Biélorussie soviétique en 1991, il devient deux ans plus tard président de la commission parlementaire anti-corruption dans le soviet suprême de Biélorussie. Le 20 juillet 1994, à trente-neuf ans, il est élu Président de la République sur la base d'un programme populiste promettant le remboursement des pertes financières causées par la hausse vertigineuse de l'inflation. Depuis son accession à la tête de l'Etat, le Président, par ailleurs interdit de séjour dans de nombreux Etats européens et aux Etats-Unis, n'a eu de cesse que de parvenir à maintenir son pouvoir.

En novembre 1996, il a organisé un référendum lui permettant de prolonger de deux ans le terme de son mandat (qui s'est donc achevé en 2001) et d'élargir ses prérogatives présidentielles, alors que la loi électorale biélorusse n'autorisait pas la modification de la Constitution du pays par référendum.

Alexandre Loukachenko a été réélu à la tête de l'Etat au premier tour de scrutin le 9 septembre 2001 pour un mandat de cinq ans par 75,65% des suffrages, contre 15,65% à son principal adversaire, le candidat de l'opposition, Vladimir Gontcharik. Rappelons que cette élection présidentielle n'a pas été reconnue par les observateurs de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et contestée par l'opposition.

Le 7 septembre dernier, Alexandre Loukachenko a annoncé son intention d'organiser, le même jour que les élections législatives, un référendum sur la possibilité pour lui d'accomplir un troisième mandat de cinq ans à la tête de l'Etat, ce que la Constitution biélorusse lui interdit actuellement.

La question du référendum sera la suivante : « Autorisez-vous le Président de la République de Biélorussie Alexandre Loukachenko à être candidat à la Présidence de la République de Biélorussie ? ».

En juin dernier, des députés de l'opposition avaient, deux semaines durant, suivi une grève de la faim pour réclamer des amendements à la loi électorale afin d'empêcher le Président de se porter candidat pour un troisième mandat. Ces députés protestaient également contre l'arrestation en avril de l'un des principaux opposants à Alexandre Loukachenko, Mikhaïl Marinitch. En outre, dès l'annonce de la consultation, les Etats-Unis ont exprimé de « graves doutes » sur la régularité du futur référendum. « Alexandre Loukachenko offre au peuple l'opportunité d'édifier une monarchie médiévale en Europe » a déclaré de son côté, Vintsuk Vecherka, leader du Front populaire biélorusse (BNF), principale formation de l'opposition.

Un régime autoritaire

Le 30 janvier 2004, le Conseil de l'Europe a décidé de maintenir la Biélorussie au ban de l'Europe en refusant de lui redonner son statut d'invité spécial qui lui avait été retiré sept ans auparavant pour non-respect des normes démocratiques. La Biélorussie est le seul Etat européen n'appartenant pas au Conseil de l'Europe. Le 17 avril dernier, le pays a également été condamné, pour la première fois, par la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies pour détentions arbitraires, disparitions et exécutions d'opposants, harcèlement d'organisations non-gouvernementales, de formations d'opposition et de médias indépendants. La Commission a demandé le jugement et la condamnation des responsables des meurtres politiques, ainsi que l'indépendance de la justice du pays.

L'ancien ministre de l'Intérieur, Iouri Zakharenko, a disparu en mai 1999, cinq mois plus tard, c'était au tour de l'ancien président du Parlement, Viktor Gontchar, et de l'homme d'affaires, Anatoli Krassovski, de se volatiliser. Enfin, en juillet 2000, Dmitri Zavadski, journaliste de la chaîne télévisée publique russe ORT, disparaissait à son tour. L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a demandé, le 28 avril dernier, la rupture de tout contact politique avec la Biélorussie tant qu'une enquête sur l'implication de hauts responsables dans ces disparitions n'aura pas été ouverte.

Le régime biélorusse contrôle également les fonctionnaires, les syndicats, les associations et les médias. La Fédération biélorusse des syndicats, comptant plus de quatre millions d'adhérents, a été transformée en 2002 en organisme d'Etat et sa direction a été confiée à Leonid Kozik, proche d'Alexandre Loukachenko. Les ministères peuvent « avertir » toute organisation publique s'ils estiment que celle-ci a eu des pratiques contraires à l'intérêt de l'Etat. Après deux avertissements, l'organisation peut se voir interdite d'activité. Les associations font ainsi l'objet d'un contrôle serré et sont souvent suspendues. L'interdiction la plus spectaculaire a été, en novembre 2003 et après un simulacre de procès, celle de Viasna, association de défense des droits de l'Homme qui avait dénoncé l'élection présidentielle de 2001. En septembre 2003, le centre Oleg Voltchek, qui aidait gratuitement les personnes nécessitant des conseils juridiques, a également été fermé. Côté médias, les journaux indépendants sont tous en sursis, sous la menace constante d'une fermeture arbitraire ou d'une asphyxie économique. En 2002, la communauté internationale avait dénoncé unanimement les procès des rédacteurs en chef de deux publications indépendantes, Pahonia et Rabochiy. En août dernier, Narodnaïa Volia (la Volonté populaire) et Rabotchaïa solidarnost (la Solidarité ouvrière) ont été fermés par les autorités, le premier en raison de la publication d'un entretien qui accusait l'ancien directeur de la société de télévision et radio d'Etat, Egor Rybakov, de mauvaise gestion, le second pour cause de dissolution du Parti biélorusse du travail qui est son fondateur. En 2003, quatre journaux indépendants -Bielorousskaïa delovaïa gazeta, Solidarnost, Ekho et Predprinimatelskaïa- ont été suspendus durant trois mois. Enfin, le 7 septembre dernier, les autorités ont suspendu la parution de six nouvelles publications pour des raisons dérisoires.

Alexandre Loukachenko a mis en place une idéologie d'Etat, un ensemble de système de valeurs anti-libérales (le libéralisme y est défini comme une « idéologie symbole de l'inégalité sociale entre les hommes, du profit et de l'individualisme ») qui doit désormais être enseignée dans les établissements d'enseignement secondaire et supérieur et les entreprises (un chargé de l'idéologie officie désormais au sein de chacune d'entre elles). « L'idéologie doit empêcher la formation d'une brèche contestataire au sein des structures de l'Etat. La mobilisation des administrations est donc à la fois un moyen de contrôler l'activité des cadres tout en donnant une cohérence idéologique à la politique présidentielle et en évitant l'emploi de méthodes trop brutales à l'égard des employés de l'Etat » écrit Alexandra Goujon, doctorante à l'Institut d'Etudes politiques de Paris.

Le 23 juin dernier, l'OSCE estimait que la Biélorussie avait fait « des pas en arrière » en matière de démocratie. « L'atmosphère actuelle ne garantit pas la tenue d'élections libres et honnêtes en Biélorussie » déclarait Uta Zapf, responsable de l'Assemblée parlementaire chargée de la Biélorussie, dénonçant notamment les difficultés d'accès de l'opposition aux médias publics. Mais Alexandre Loukachenko n'a cure de ces critiques. « Nos élections n'ont pas besoin d'être reconnues par l'Occident. Elles doivent se dérouler selon nos lois, comme cela se fait aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou en France » a t-il récemment affirmé. C'est donc bien un simulacre d'élections législatives et de consultation populaire qui devrait avoir lieu en Biélorussie le 17 octobre prochain. Il est vrai que chaque scrutin, et les Géorgiens l'ont montré il y a bientôt deux ans, même le moins démocratique, n'est jamais joué d'avance.

Rappel des résultats des élections législatives des 15 et 29 octobre 2000 en Biélorussie

Participation : 61,1%

Source Union inter-parlementaire (UIP)

Goujon Alexandra « 2003 en Biélorussie : travail idéologique et dissolution des associations », synthèse n°122, Fondation Robert Schuman, 2004 (http://www.robert-schuman.eu/question_europe.php?num=sy-122).

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