Election présidentielle en Roumanie 22 novembre et 6 décembre 2009

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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26 octobre 2009
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Fixés à la fin du mois d'août dernier, le 1er tour de l'élection présidentielle roumaine aura lieu le 22 novembre et le 2e, le 6 décembre. Considérant que pour être élu dès le 1er tour, un candidat doit obligatoirement recueillir les suffrages de plus de la moitié des inscrits et que la participation moyenne à ce scrutin dépasse habituellement tout juste les 50%, le prochain Président de la République roumaine ne devrait pas être élu avant le 6 décembre prochain.

Les Roumains vivant à l'étranger pourront remplir leur devoir civique dans 294 bureaux de vote, soit +100 par rapport à la précédente élection présidentielle des 28 novembre et 12 décembre 2004. La campagne officielle a débuté le 22 octobre.

Un pays durement affecté par la crise économique

La Roumanie est très fortement touchée par la crise économique internationale. Après 10 années d'une exceptionnelle croissance, le PIB, qui s'élevait à 7,1% en 2008, devrait se contracter de 7,5% en 2009 (et de 1% l'année suivante). Le déficit public devrait atteindre 7,3% du PIB et le taux de chômage s'élever à 7,5% de la population active à la fin 2009.

Pour tenter de gérer au mieux la crise économique, la Roumanie a signé un accord avec le Fonds monétaire international (FMI). L'organisation internationale (conjointement à la Banque mondiale et à l'Union européenne) s'est engagée (à verser un prêt de 20 milliards € à Bucarest sous certaines conditions dont la réduction des dépenses publiques à hauteur de 0,8% du PIB. La Roumanie a reçu deux fois la somme de 6,5 milliards € et devait percevoir le reste de la somme avant la fin de cette année. "Nous attendons des autorités roumaines qu'elles poursuivent leurs efforts pour atteindre les objectifs fixés. Ce pari est loin d'être gagné" a affirmé Tony Lybek, représentant du FMI en Roumanie.

Le 5 octobre, 750 000 fonctionnaires roumains ont observé une journée de grève nationale. Ce mouvement social a été le plus important du pays depuis la chute du communisme en 1989. Les fonctionnaires ont manifesté contre le vote de la loi sur le gel des salaires dans la fonction publique (qui prévoit que tous les fonctionnaires seront mis en congé sans solde durant une période de 10 jours par an) et exigé l'augmentation du salaire minimum, actuellement de 145 €, à 170 € en 2010. Cette grève avait été précédée par celle des juges qui avaient cessé le travail durant plusieurs semaines et par une manifestation des forces de police protestant contre le manque de moyens. L'Union nationale de la police (SNPPC) a d'ailleurs indiqué que les forces de police refuseraient d'assurer leur mission les 22 novembre et 6 décembre prochains si elles n'obtenaient pas d'être payées en heures supplémentaires pour cette tâche. Le Président sortant Traian Basescu (Parti démocrate-libéral, PD-L) a proposé aux syndicats de signer un moratoire pour éviter tout mouvement de protestation durant quelques mois. Dumitru Costin, président du Bloc national syndical, lui a signifié une fin de non-recevoir.

Face à la situation économique, le gouvernement se voit dans l'obligation de mettre en œuvre une politique de rigueur et des réformes impopulaires. Etant donné la situation de grande pauvreté dans laquelle vit une partie de la population, la mise en place d'une politique d'austérité équivaut à un suicide politique, à un mois de l'élection présidentielle.

La chute de la coalition gouvernementale

Depuis les dernières élections parlementaires du 28 novembre 2008, le gouvernement roumain était formé par le PD-L et le Parti social-démocrate (PSD). Cette coalition atypique était dirigée par Emil Boc (PD-L). La pression économique exercée sur le gouvernement explique en grande partie les raisons pour lesquelles le 1er octobre, le PSD a choisi de quitter la coalition gouvernementale. Officiellement, il a justifié sa décision par sa volonté de protester contre le limogeage de l'un des siens, Dan Nica, ministre de l'Intérieur et vice-Premier ministre. Celui-ci avait insinué que le PD-L préparait une action frauduleuse dans la perspective du scrutin présidentiel des 22 novembre et 6 décembre en louant des bus afin de transporter les électeurs d'un bureau de vote à l'autre (la pratique du vote multiple n'a pas disparu en Roumanie). Le Chef du gouvernement, Emil Boc, s'est déclaré insatisfait de l'action de Dan Nica à qui il a reproché l'explosion de la criminalité et la détérioration de la sécurité des citoyens. "Le taux de délinquance a progressé de 13% par rapport à l'an passé, avec notamment une multiplication sans précédent des vols avec violence et des braquages de banques" avait affirmé le Premier ministre.

L'éclatement de la coalition gouvernementale n'a pas été une surprise, l'alliance du PD-L et du PSD étant véritablement contre nature. En outre, le PSD avait tout intérêt à quitter le pouvoir à quelques semaines de l'élection présidentielle afin de se positionner dans le camp de l'opposition et de pouvoir protester contre la politique d'austérité menée par le gouvernement. "Cette crise économique est maintenant leur crise économique" a déclaré Dan Nica après le retrait du PSD.

Le 13 octobre, le Parlement roumain a voté (par 254 voix, contre 176) une motion de censure entraînant la chute du gouvernement Ce vote constitue une première dans l'histoire de la Roumanie. "C'est un honneur pour un gouvernement de tomber alors qu'il promeut une réforme visant à annuler des privilèges" a déclaré le Premier ministre Emil Boc à l'issue du vote. Il faisait allusion à la réforme du système des retraites qui visait à éliminer les écarts existants entre la moyenne des pensions et les "retraites de luxe" dont bénéficient certains. "Le gouvernement que je dirige a eu le courage de faire ce qui doit être fait pour le bien des Roumains" a t-il indiqué (c'est-à-dire réduire les dépenses publiques et encourager les investissements). Il avait appelé les parlementaires à mettre l'intérêt national au-dessus de ceux de leur parti politique : "Si la Roumanie se retrouve à court de fonds pour payer les retraites et les salaires du secteur public, ce sera votre responsabilité".

Le Parti national-libéral (PNL) et l'Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR) sont les deux partis à l'origine de la motion de censure. Ils ont été rejoints dans leur démarche par le PSD, qui avait précédemment approuvé la loi d'austérité budgétaire mais qui reprochait à Emil Boc d'avoir, après la défection des ministres du PSD, mis en place un gouvernement illégitime formé uniquement de ministres du PD-L

"Mon objectif est de limiter au maximum la période de crise politique pourvu qu'un accord soit trouvé avec les partis" a déclaré le Président Traian Basescu après le vote de la motion de censure. La Constitution roumaine interdit toute dissolution du Parlement dans les 6 derniers mois du mandat du Président de la République. La chute du gouvernement est intervenue au pire moment pour la Roumanie. Elle risque en effet de durcir les pressions sur la monnaie nationale et d'entraîner une hausse des taux d'intérêt.

Le 15 octobre, le Chef de l'Etat désignait, lors d'une allocution télévisée, l'économiste Lucian Croitoru comme nouveau Premier ministre, une nomination contestée par les 3 partis d'opposition (PSD, PNL et UDMR), qui avaient proposé la candidature du maire de Sibiu, Klaus Johannis (Forum démocratique des Allemands de Sibiu, DFDH), qui bénéficie d'une réputation d'excellent gestionnaire. Les 3 partis ont rappelé qu'ils disposaient de 65% des sièges du Parlement. "Je suis le candidat de la majorité parlementaire" a déclaré Klaus Johannis. "Le Président de la République mène le pays vers le chaos. Cette nomination constitue un coup de bluff politique et un acte irresponsable" a déclaré Mircea Geoana, leader du PSD et candidat à l'élection présidentielle. Il a accusé le Président sortant de chercher à contrôler l'accès aux ressources financières et à peser sur les résultats du scrutin présidentiel. "La décision du Président est irresponsable du point de vue politique" a affirmé Crin Antonescu, leader du PNL et candidat à l'élection présidentielle.

Agé de 52 ans, Lucian Croitoru, actuel conseiller auprès du gouverneur de la Banque centrale de Roumanie, Mugur Isarescu, a été le représentant du pays auprès du FMI entre 2003 et 2007. Il dispose de 10 jours pour former son gouvernement et obtenir l'investiture du Parlement. Si celui-ci lui refuse par 2 fois la confiance, le Président roumain devra dissoudre le Parlement dans les 60 jours et convoquer de nouvelles élections parlementaires. Traian Basescu a indiqué qu'il aimerait voir l'ensemble des partis politiques représentés dans le prochain gouvernement.

Traian Basescu veut, avec la nomination de Lucian Croitoru, rassurer les bailleurs de fonds étrangers (Lucian Croitoru a été l'un des négociateurs du prêt de 20 milliards € consenti à la Roumanie, sous conditions, par le FMI). "Aggraver la crise politique commence à avoir des effets économiques. J'appelle les partis à comprendre que la Roumanie a rapidement besoin d'un gouvernement efficace" a-t-il déclaré, affirmant que le pays " risquait de se retrouver dans l'impossibilité de payer les salaires et les retraites". Dès sa désignation, Lucian Croitoru a réaffirmé la nécessité de la mise en place d'une politique d'austérité et de la réduction des dépenses publiques pour respecter les critères de Maastricht. La prochaine mission du FMI aura lieu en Roumanie du 28 octobre au 9 novembre.

Par cette nomination, le Président Basescu a renvoyé sur les forces d'opposition la responsabilité de la crise. "Je ne pense pas que les partis accepteront qu'un gouvernement conduit par Lucian Croitoru soit en charge d'organiser la prochaine élection présidentielle" a souligné l'analyste politique Stelian Tanase. "Le dénouement de la crise n'aura lieu que lorsqu'on connaîtra le résultat de l'élection présidentielle" a déclaré Ioan Stanomir, professeur de sciences politiques à l'université de Bucarest. "Le nouveau Président choisira un Premier ministre et la Roumanie aura de nouveau un gouvernement stable en décembre ou janvier prochains" souligne l'analyste politique Cristian Parvulescu.

Les candidats en lice

Le Président de la République est élu pour 5 ans (depuis la réforme constitutionnelle de 2004, l'élection du Chef de l'Etat est dissociée de celle du Parlement). Tout candidat à la magistrature suprême doit être âgé d'au moins 35 ans et déposer une liste d'au moins 200 000 signatures d'électeurs en faveur de sa candidature. Il doit également jurer sur l'honneur ne pas avoir collaboré avec les services de la Securitate, police secrète roumaine sous le régime communiste.

Le Chef de l'Etat dispose de pouvoirs limités. Il nomme le Premier ministre après "consultation du parti ayant la majorité absolue au Parlement ou, si cette majorité n'existe pas, des partis représentés au Parlement" (article 103-1 de la Constitution) et ne peut le révoquer.

La Roumanie possède un Parlement bicaméral renouvelé tous les 4 ans. La Chambre haute, le Sénat, compte 143 membres et la Chambre basse, la Chambre des députés (Camera deputatilor), 346. Les minorités nationales (Roms, Allemands, Arméniens, Italiens, Croates, Albanais, Serbes, etc.) disposent d'un nombre de sièges réservés à la Chambre des députés (18). Depuis 2008, les parlementaires sont élus au sein de 41 circonscriptions au système majoritaire mixte.

12 personnalités sont officiellement candidates à la fonction présidentielle :

- Traian Basescu (PDL), Président sortant ;

- Mircea Geoana, leader du PSD depuis 2005 et président du Sénat ;

- Sorin Oprescu, maire de Bucarest, ancien membre du PSD ;

- Crin Antonescu, leader du PNL ;

- Hunor Kelemen (UDMR) ;

- Vadim Tudor Corneliu, candidat du Parti de la grande Roumanie (PRM) (extrême droite);

- George Becali, homme d'affaires et patron du club de football du Steaua Bucarest, candidat du Parti de la nouvelle génération (PNG) ;

- Constantin Ninel Potirca, homme affaire, candidat de la communauté rom ;

- Iane Ovidiu Cristian, candidat du Parti écologiste;

- Cernea Remus Florinel, candidat du Parti vert ;

- Rotaru Constantin, candidat du Parti de l'Alliance socialiste ;

- Manole Gheorge Eduard, qui se présente en indépendant.

Radu Duda, gendre de l'ancien Roi de Roumanie, Michel 1er, forcé à l'abdication par les communistes, avait annoncé sa candidature le 9 avril avant de la retirer le 2 septembre. L'époux de Margareta, fille aînée du Roi, a annoncé qu'il soutenait Crin Antonescu.

"La meilleure façon pour un Président de la République de connaître le bilan de activité est de se présenter à nouveau devant les électeurs" répète Traian Basescu. Le Chef de l'Etat sortant avait affirmé à plusieurs reprises que sa décision de se porter ou non candidat était conditionnée à la situation économique du pays et qu'il aurait été lâche de sa part de ne pas solliciter un 2e mandat.

Le programme électoral de Mircea Geoana est centré sur les questions sociales : "Comme Président de la République, je veux donner à nos jeunes la chance de travailler dans leur pays". Il a indiqué vouloir développer les secteurs de l'agriculture et de l'industrie ainsi que les infrastructures du pays. "Je ne veux qu'une seule Roumanie et une Roumanie au travail. Je veux donner une nouvelle chance à l'industrie roumaine" a-t-il souligné.

La candidature de Sorin Oprescu complique la donne pour l'ensemble des candidats mais surtout pour le PSD. Le maire de Bucarest, qui se présente en candidat indépendant, pourrait, selon les enquêtes d'opinion, recueillir les suffrages des électeurs – nombreux – qui ne font plus confiance aux partis politiques. "Je suis un candidat indépendant sans la moindre obligation envers un parti quelconque et déterminé à représenter tous les Roumains quelle que soit leur idéologie" a t-il affirmé.

Un référendum conjoint à l'élection présidentielle

Le Président Traian Basescu souhaite organiser un référendum sur la réforme du Parlement le même jour que le 1er tour. Son projet est d'établir un système de vote uninominal (il est actuellement mixte), d'abolir le Sénat et de réduire le nombre des membres de la Chambre basse de 489 membres à moins de 300 (220 serait le nombre idéal mais il se dit prêt à en discuter avec l'ensemble des partis politiques). Il aime à rappeler que le Congrès des Etats-Unis, pays de 300 millions d'habitants, possède 535 élus pour 489 dans une Roumanie qui en compte seulement 22 millions. Le Chef de l'Etat estime qu'un Parlement monocaméral fonctionnerait de façon plus efficace et que la réduction du nombre de parlementaires permettrait de réaliser des économies substantielles (un parlementaire coûte 10 000 € par mois à l'Etat).

Le14 octobre, la commission du Parlement a émis (par 18 voix, contre 12) un avis négatif sur ce référendum. Traian Basescu avait préalablement indiqué qu'il n'hésiterait pas à passer outre l'avis du Parlement, celui-ci étant seulement consultatif. Le 21 octobre, les 3 partis d'opposition ont voté contre cette consultation populaire. Le Chef de l'Etat a précisé que si les Roumains acceptaient sa proposition de réformer le Parlement, il organiserait un nouveau référendum sur la modification de la Constitution conjointement à de prochaines élections. En Roumanie, seuls le Président de la République ou un quart des députés peuvent initier une révision de la loi fondamentale.

"Etes-vous d'accord avec un Parlement unicaméral ?" et "Etes-vous d'accord pour une réduction du nombre des parlementaires à un maximum de 300 ?" seront les 2 questions posées aux Roumains le 22 novembre.

Le fait que les 2 principaux candidats– Traian Basescu et Mircea Geoana – sont issus de partis ayant gouverné en coalition durant pratiquement une année rend la campagne électorale atypique. Il leur est difficile de s'élever contre les mesures qu'ils ont prises ou les choix qu'ils ont faits de concert. Conséquence : chacun des deux camps tente de discréditer l'autre en menant une campagne agressive.

Alors que le Président sortant figurait en tête de toutes les enquêtes d'opinion depuis plusieurs mois, le dernier sondage réalisé mi-octobre par l'institut INSOMAR pour le compte de la chaîne de télévision Realitatea révèle que les choses seront plus serrées. Mircea Geoana, recueillerait 30% des suffrages au 1er tour et Traian Basescu. 29%, Crin Antonescu en obtiendrait 20%, Sorin Oprescu et Corneliu Vadim Tudor, 8% chacun, Hunor Kelemen, 4% et George Becali, 3%. Cette enquête d'opinion montre que le Président serait battu au 2e tour par Mircea Geoana qui recueillerait 54% des suffrages. Un tiers des Roumains (33%) considèrent cependant que Traian Basescu remportera la prochaine élection présidentielle.

Source : Bureau central électoral roumain

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