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L'Irlande dit "non" au traité de Lisbonne

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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16 juin 2008
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Une enquête d'opinion l'avait laissé entrevoir à la veille du scrutin, les Irlandais ont finalement dit "non" à la ratification du traité de Lisbonne sur laquelle ils étaient appelés à se prononcer le 12 juin. Une majorité des électeurs (53,4%) se sont prononcés contre le texte européen, contre 46,6% qui ont dit "oui" à sa ratification. Une grande partie des Irlandais ont préféré ne pas se prononcer sur la question qui leur était posée puisque près d'un sur deux (46,9%) ne s'est pas rendu aux urnes.

Un coup d'œil à la répartition des votes sur l'ensemble du territoire irlandais montre que les électeurs vivant dans les campagnes ont plutôt voté "non" quand les urbains se prononçaient davantage pour le "oui". Dublin est coupée en deux : le "non" règne à l'Ouest, tandis que le "oui" est majoritaire à l'Est. Ainsi, dans les circonscriptions de Dublin-Sud et Dublin Sud-Est, il recueille respectivement 62,9% et 61,7% des suffrages. Au niveau national, seule la circonscription de Dun Laoghaire fait mieux avec 63,5% de "oui". En revanche, dans les circonscriptions de Dublin Sud-Ouest et Dublin Nord-Ouest, le "non" l'emporte avec respectivement 65,1% et 63,6% des voix. Résultat quasi identique dans la ville de Donegal (Donegal-Nord-Est : 64,7% de "non" et Donegal Sud-Ouest : 63,4%) et dans la circonscription de Cork Nord-Centre (64,4% de votes négatifs). Au total, 10 seulement des 43 circonscriptions ont voté pour la ratification du traité de Lisbonne. Il semble que les catégories socioprofessionnelles de moyennes à aisées aient plus souvent voté "oui" que ne l'ont fait, par exemple, les ouvriers. "Les classes défavorisées se sont probablement senties menacées par la concurrence étrangère, une baisse des salaires, un risque d'affaiblissement de la protection sociale" analyse Ben Tonra, spécialiste des questions européennes à l'université de Dublin. "Il n'y avait pas d'idée forte à vendre. "Le camp du "oui" est resté sur la défensive" explique l'universitaire selon qui les opposants à la ratification du traité ont eu beau jeu de mener une large campagne qui a regroupé l'ensemble de l'échiquier politique tout comme des organisations syndicales ou associatives aux intérêts parfois opposés.

"Le rejet du traité de Lisbonne est une immense déception et un revers potentiel pour l'Union européenne" a déclaré le Premier ministre Brian Cowen (Fianna Fail, FF). "Nous ne devons pas en tirer des conclusions hâtives. L'Union européenne s'est déjà retrouvée dans cette situation auparavant et à chaque fois, elle a trouvé par la concertation un moyen d'avancer. J'espère que nous pourrons encore le faire cette fois. Il est maintenant de notre devoir de réfléchir aux implications de ce vote pour l'Irlande pour que nous puissions aller de l'avant et maintenir ce pays sur la voie du progrès. Nous prendrons le temps d'expliquer cela à nos partenaires européens et au reste de la communauté internationale. Nous partageons toujours l'objectif d'une Union adaptée à ce siècle" a-t-il ajouté.

Gerry Adams, leader du Sinn Fein (SF), seul parti représenté à l'Oireachtas (Parlement) opposé à la ratification du traité de Lisbonne, s'est évidemment réjoui du résultat. "C'est la fin du traité de Lisbonne" a-t-il déclaré, ajoutant que la victoire du "non" constituait "une base pour une renégociation" du texte et appelant le Premier ministre irlandais à se rendre à Bruxelles pour "obtenir un meilleur accord".

Pour Declan Ganley, président de Rivada Networks, homme d'affaires millionnaire fondateur de l'organisation Libertas militant pour le rejet du texte, et figure de proue des adversaires du traité, le 12 juin "est une grande et belle journée pour tout Irlandais et tout Européen. C'est un grand jour pour la démocratie.C'est la troisième fois que le même message est envoyé par plusieurs millions de citoyens européens à une élite à Bruxelles non élue et qui n'a pas de comptes à rendre" a-t-il déclaré. La députée européenne Mary Lou McDonald (GUE, IE) a affirmé que nous étions face à "un moment de vérité politique". "Ecoutez-vous le peuple ou non ?" a-t-elle demandé en s'adressant aux hommes politiques irlandais.

Présentée comme le symbole de la réussite européenne, l'Irlande, devenue 35 ans près son adhésion, le pays le plus riche (derrière le Luxembourg) de l'Union européenne en termes de PIB par habitant (+ 10% par rapport à la moyenne), a donc choisi le "non". En dépit d'une économie dynamique, d'un faible taux de chômage et de finances publiques en bon état, les Irlandais sont inquiets. Longtemps récipiendaire des subventions de l'Union européenne, leur pays en est désormais un contributeur net et tout se passe comme si la population avait finalement du mal à accepter que la situation cesse de leur être toujours aussi profitable. Deux des slogans utilisés par l'organisation Libertas - "L'Europe a été bénéfique à l'Irlande, ne changeons rien" et "Lisbonne. Bon pour eux. Mauvais pour nous" - sont la parfaite illustration de cet état d'esprit.

Les électeurs ont manifesté tout d'abord leur désintéressement, puis leurs craintes face au processus d'intégration politique européen, à la récession économique, mais également aux capacités de leur gouvernement de répondre aux défis du XXIe siècle et d'assurer leur avenir. Le "non" irlandais révèle certainement des inquiétudes partagées par de nombreux autres Européens.

Il reste qu'il sera bien difficile, voire impossible, d'apporter une réponse homogène aux "nonistes", population diverse s'il en est puisqu'elle rassemble adversaires de l'avortement, antilibéraux, agriculteurs, ceux qui, en dépit de l'assurance qu'on peut leur apporter, restent persuadés que l'Irlande sera obligée d'adhérer à l'OTAN si le traité de Lisbonne est ratifié, ceux qui craignent une harmonisation fiscale européenne (l'Irlande protège sa taxe sur les entreprises qui a joué un rôle important dans son décollage économique et qui, à 12,5%, est l'une des plus faibles de l'Union), etc.

Alors que les "non" français et néerlandais de 2005 au traité établissant une Constitution pour l'Europe avaient stoppé le processus de ratification du texte, le rejet du texte par les Irlandais ne devrait pas avoir les mêmes conséquences. Ainsi, le Premier ministre britannique Gordon Brown a assuré à ses partenaires européens qu'il mènerait la ratification à son terme. La Chambre des Communes s'est déjà prononcé de façon favorable sur le texte et la Chambre des Lords doit examiner le texte en 3e lecture le 18 juin. La République tchèque, dont le Président Vaclav Klaus est très réservé sur une plus grande intégration européenne, devrait hésiter avant de prendre la responsabilité de stopper le processus de ratification du traité de Lisbonne en dépit de la déclaration du Chef de l'Etat qui, au lendemain du référendum irlandais, a souligné que le traité de Lisbonne était "fini" et qu'il n'était "plus possible de poursuivre sa ratification".

Le processus de ratification devrait donc se poursuivre.

Lors du Conseil européen qui se tiendra à Bruxelles les 19 et 20 juin, le Premier ministre Brian Cowen devra analyser la défaite du "oui" devant les chefs d'Etat et de gouvernement. Il devrait également annoncer les solutions qu'il envisage pour sortir de la crise dans laquelle le vote des Irlandais a plongé l'Union européenne. Après ce vote, l'Irlande pourrait bien se retrouver isolée, si, comme prévu, les 8 derniers Etats qui doivent encore se prononcer sur le texte le ratifient. Dublin devra alors se positionner face à ses partenaires européens convaincus que la ratification du traité de Lisbonne est le seul texte capable de permettre à l'Union européenne de continuer à avancer. "C'est au gouvernement irlandais de montrer comment la crise pourrait être résolue" a affirmé le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker.

Le texte soumis à la ratification des Irlandais est le fruit de longues et difficiles négociations. C'est pourquoi sa renégociation paraît à ce jour très improbable. Les 27 Chefs d'Etat et de gouvernement devront trouver une formule permettant d'aménager le traité qui pourrait être de nouveau présenté à la ratification des électeurs irlandais. Un tel scénario avait permis le 19 octobre 2002 l'adoption du traité de Nice rejeté lors d'un premier référendum le 7 juin 2001.

Le Président français, Nicolas Sarkozy, et la Chancelière allemande, Angela Merkel, ont publié un communiqué commun le 13 juin. Regrettant le vote des électeurs irlandais, "Nous prenons acte de la décision démocratique des citoyens irlandais avec tout le respect qui lui est due même si nous la regrettons", ils ont appelé à la poursuite du processus de ratification arguant que "le traité de Lisbonne a été signé par les chefs d'Etat ou de gouvernement des 27 Etats membres" et que "la procédure de ratification est déjà achevée dans 18 pays [1]". Nicolas Sarkozy et Angela Merkel se sont dits "convaincus que les réformes contenues dans le traité de Lisbonne sont nécessaires pour rendre l'Europe plus démocratique et plus efficace et qu'elles lui permettront de répondre aux défis auxquels sont confrontés ses citoyens".

Le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a également affirmé que "les ratifications qui restent à faire doivent suivre leur cours" et fait valoir que "18 Etats membres ont déjà validé le traité et tous les pays qui ne l'ont pas encore fait veulent ratifier. Il y a un consensus dans cette direction". "Ce vote ne doit pas être vu comme un vote contre l'Union européenne. Je crois que le traité de Lisbonne est en vie" a-t-il indiqué.

Enfin, le "non" des Irlandais devrait obliger la France, qui succèdera à la Slovénie le 1er juillet prochain à la Présidence du Conseil de l'Union européenne, à revoir certains de ses projets, par exemple le renforcement de l'intégration sur le plan militaire, et à se consacrer, plus qu'elle ne le souhaitait, aux questions institutionnelles.

Résultats du référendum sur la ratification du traité de Lisbonne du 12 juin 2008 en Irlande

Participation : 53,1%

[1] La Hongrie, la Slovénie, Malte, la Roumanie, la France, la Bulgarie, la Pologne, l'Autriche, la Slovaquie, le Portugal, l'Allemagne, le Danemark, la Lituanie, la Lettonie, le Luxembourg, la Finlande, l'Estonie et la Grèce.

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