Elections législatives en Serbie, Le point à une semaine du scrutin

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

5 mai 2008
null

Versions disponibles :

FR

EN

Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Le 11 mai prochain, près de 7 millions de Serbes sont appelés à renouveler leur Parlement lors d'élections législatives anticipées organisées à la suite de la démission du gouvernement de Vojislav Kostunica (Parti démocratique serbe, DSS) le 8 mars dernier. Ils voteront aussi pour leurs représentants provinciaux et locaux. Les autorités serbes ont déclaré que les 2 scrutins (législatif et local) seraient également organisés au Kosovo dont Belgrade refuse de reconnaître l'indépendance. "Nous croyons qu'il est important que partout au Kosovo où des citoyens reconnaissent la Serbie comme leur Etat, ils puissent choisir de façon démocratique leur propres autorités municipales et leurs représentants parlementaires" a souligné le Président de la République Boris Tadic (Parti démocrate, DS). Belgrade a prévu d'ouvrir 279 bureaux de vote dans l'ancienne province serbe dont 25 à Pristina et 20 à Mitrovica. Les élections municipales devraient se dérouler dans 16 villes. Cependant, à ce jour, l'administration des Nations Unies est la seule autorité à pouvoir décider de l'organisation d'élections sur le territoire kosovar (la Constitution du Kosovo n'entrera en vigueur que le 15 juin prochain) et si la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (Minuk) a accepté le scrutin législatif, elle refuse le scrutin local qui mettrait en danger la souveraineté du nouvel Etat et qui est illégal en vertu de la résolution 1244 de l'ONU. Le Président du Kosovo, Fatmir Sejdiu, a affirmé que les Serbes, possesseurs de la double nationalité (serbe et kosovare), pourraient voter pour les élections législatives serbes, déclarant illégales les élections municipales qui se tiendraient au Kosovo.

Le 29 avril dernier, après plusieurs reports, l'Union européenne et la Serbie ont finalement signé l'Accord de stabilisation et d'association (ASA), accord signé dans le cadre de la stratégie de préadhésion. Celui-ci, à la demande des Pays-Bas et de la Belgique, reste cependant conditionné aux efforts de coopération de Belgrade avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) notamment concernant l'arrestation de Radovan Karadzic, accusé de génocide et de crimes de guerre, et de Ratko Mladic, accusé de génocide et de crimes contre l'humanité. "C'est un jour historique pour la Serbie et pour l'Union européenne, nous sommes irréversiblement sur la route vers l'adhésion" a déclaré le ministre des Affaires étrangères Vuk Jeremic (DS). "La signature de cet accord nous permet d'avancer vers un nouveau chapitre de notre histoire" a souligné le Président de la République, Boris Tadic.

Par cette signature, l'Union européenne espère renforcer les partis pro-européens et notamment le Parti démocrate du Président Tadic dans la perspective des élections législatives. Si la majorité des Serbes restent favorables à l'intégration dans l'Union européenne, l'image de l'UE a toutefois été écornée par le soutien de Bruxelles à l'indépendance du Kosovo, indépendance reconnue par18 Etats membres de l'Union.

"Nous applaudissons au fait que l'Union européenne dise que la Serbie a sa place dans la famille européenne mais ces déclarations ne sont pas suffisantes surtout quand les nationalistes montrent que Bruxelles traite la Serbie moins bien que d'autres pays" a ainsi souligné le président du Parlement serbe, Oliver Dulic (DS), qui a rappelé que la Croatie avait signé l'Accord de stabilisation et d'association (ASA) alors que le général Ante Gotovina, accusé de crimes contre l'humanité pour des actes contre des civils serbes commis sous son commandement, était encore recherché.

Certaines organisations ont mis en garde les institutions européennes contre leur trop évident soutien aux partis pro-européens durant la campagne électorale et contre les conséquences que celui-ci pourrait entraîner. "La colère populaire envers le soutien de l'Ouest à l'indépendance du Kosovo est telle que toute tentative de l'Union européenne ou des Etats-Unis de soutenir les partis pro-occidentaux avant les élections législatives risque de renforcer le vote nationaliste" a déclaré James Lyon, conseiller au Crisis group, organisation non gouvernementale. "La déclaration d'indépendance du Kosovo a produit de telles ondes de choc dans le monde politique et dans la société serbes qu'elle les a polarisés d'une façon inédite depuis l'époque de Slobodan Milosevic (1989-2000)" met en garde le Crisis group. La directrice du programme Crisis group Europe, Sabine Freizer, a tenté jusqu'au dernier moment de dissuader Bruxelles de signer l'Accord de stabilisation et d'association avec la Serbie. Ces derniers jours, la Commission européenne a appelé les Etats membres à aider les Serbes à obtenir des visas pour voyager dans l'Union.

Le Parti radical serbe (SRS) tout comme le Parti démocratique serbe (DSS) du Premier ministre sortant Vojislav Kostunica ont rejeté la signature de l'Accord de stabilisation et d'association. Vojislav Kostunica a déclaré que cette signature était un acte "antinational et anticonstitutionnel" par lequel la Serbie "reconnaîtrait l'indépendance du Kosovo". Des affirmations que réfutent le DS et G17+, membre de la coalition gouvernementale sortante et dirigée par le ministre des Finances et du Développement régional Mladjan Dinkic, qui y voit un accord économique ne remettant nullement en cause la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Serbie.

"Nous disons au Président Boris Tadic que sa signature n'est pas celle de la Serbie mais qu'il a apposé le sceau de Judas sur le texte du Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana" a indiqué Andrija Mladenovic, porte-parole de Vojislav Kostunica. "Nous rejetons le sceau de Judas, Javier Solana ne gouvernera pas la Serbie" a affirmé le ministre de l'Education Zoran Loncar (DSS), ajoutant que le gouvernement et le Parlement issus des urnes pourraient annuler cette signature.

Le leader radical, Tomislav Nikolic, a souligné que l'Accord de stabilisation et d'association clarifiait la façon dont l'Union européenne voyait la Serbie, c'est-à-dire comme un Etat amputé d'une partie de son territoire, le Kosovo. Le SRS a indiqué qu'il demanderait un vote de confiance contre le Chef de l'Etat Boris Tadic.

Le Kosovo reste la question centrale de la campagne électorale. Vojislav Kostunica a promis de faire revenir l'ancienne province serbe dans le giron de Belgrade. "Pour moi, le Kosovo est plus que de la politique et davantage qu'un territoire. Pour moi, c'est plus qu'une position, plus que de simples concessions. Le Kosovo nous force à montrer si nous sommes un Etat qui se respecte comme nation ou si nous sommes des marionnettes qui n'hésitent pas à négocier leurs intérêts vitaux" déclare t-il, ajoutant : "si je dois choisir entre un avenir européen et l'intégrité du pays, je choisis l'intégrité du pays".

"Vojislav Kostunica n'a qu'une seule idée : prétendre que le Kosovo est serbe alors qu'il est désormais indépendant" indique Borka Pavicevic, directrice du Centre de décontamination culturelle. "L'impact réel de l'indépendance du Kosovo sur les Serbes est égal à zéro. Cette histoire n'est qu'une lutte politique" souligne le leader de la Ligue des sociaux-démocrates de Voïvodine (LSV), Nenad Canak. En effet, la chose semble entendue : la Serbie n'a ni les moyens ni même l'envie d'envoyer son armée au Kosovo. Après tant d'années d'affrontements et de violences, la population semble avoir fait son deuil de l'ancienne province serbe. Les discours radicaux ont certainement été encouragés par l'acquittement par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye (TPIY) début avril de l'ancien Premier ministre kosovar, Ramush Haradinaj, considéré comme un criminel de guerre par les Serbes. "Nous attendons maintenant la position de l'Union européenne sur la légitimité du TPIY et nous attendons de savoir si, selon elle, cette institution peut toujours être considérée comme un tribunal" a déclaré le Premier ministre après le verdict

Durant la campagne électorale, Vojislav Kostunica tente de se démarquer du SRS. "Les élections législatives sont une opportunité pour les citoyens d'évaluer notre politique et de nous soutenir. Chacun sait que j'ai accepté trois fois des responsabilités nationales, une fois celles de Président de la République et deux fois celles de Chef du gouvernement. Chacun sait également que j'ai démissionné par deux fois, ce qui veut dire que, pour moi, les principes politiques sont ce qu'il y a de plus important et que je n'accepte les responsabilités que si je suis capable de mettre en oeuvre les principes qui sont les miens et ceux de l'intérêt de l'Etat et de la nation" a-t-il affirmé.

De son côté, le Président de la République - et leader du Parti démocrate – Boris Tadic tente de persuader les électeurs qu'il n'y a pas d'alternative à l'Union européenne. Selon lui, un gouvernement emmené par le SRS et le DSS conduirait le pays à l'isolement, à un recul des investissements et à la destruction de tout ce qui a été accompli depuis la chute de Slobodan Milosevic en octobre 2000. "Je reste convaincu que nous défendrons mieux le Kosovo en étant dans l'Europe que contre elle" répète Boris Tadic. Il demande aux Serbes de le soutenir de façon à poursuivre les réformes qui permettront à Belgrade de rejoindre l'Union européenne. "Plus on maintiendra le rythme et le plus tôt la Serbie adhérera à l'Union européenne" répète-t-il, affirmant que 2012 lui paraît une date réaliste pour l'adhésion. Il espère que la Serbie obtiendra le statut de candidate officielle avant la fin de l'année 2008. "Les élections du 11 mai prochain sont un référendum sur l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne" répète le ministre des Affaires étrangères, Vuk Jeremic. "Si les gens disent non, cela entraînera l'isolement de la Serbie et des Balkans de l'Ouest ainsi qu'une grave déstabilisation".

Le SRS et le DSS tentent de transformer le scrutin en un référendum sur la question du Kosovo. Le leader du SRS, Tomislav Nikolic, a proposé une session parlementaire sur deux questions : la ratification d'un accord avec la Russie et l'adoption d'une résolution sur la sécurité des investissements étrangers en Serbie. Comme à son habitude, il a centré sa campagne électorale sur les questions sociales – inflation, chômage et coût de la vie – et sur la lutte contre la corruption, laissant le DSS faire de la coalition "Pour une Serbie européenne-Parti démocrate-G17+-Boris Tadic" conduite par le Chef de l'Etat un mouvement "anti-serbe". "Boris Tadic met en avant l'intégration européenne de la Serbie en dépit de ce que pourrait faire l'Union européenne avec le Kosovo, Tomislav Nikolic privilégie la justice sociale" analyse le politologue Dusan Pavlovic.

Si la Serbie connaît un taux de croissance de son PIB de 7,2% (au 3e trimestre 2007), soit un record depuis 2000, une grande partie des citoyens en profitent peu et l'inflation reste élevée (6,5% sur les 12 derniers mois). "L'instabilité politique a un impact sur les investissements étrangers, la stabilité monétaire et la croissance" souligne Goran Nikolic, analyste à la Chambre de commerce de Serbie. Ainsi, l'indice Belex 15 de la Bourse de Belgrade a chuté de 30% depuis le début de cette année. De même, on constate depuis quelques mois une nette diminution des investissements étrangers. Le Parti démocrate par la voix du vice-Premier ministre en charge de l'intégration dans l'Union européenne, Bozidar Djelic (DS), a promis une réduction du déficit budgétaire à 0,5% du PIB sans hausse des impôts.

Le Parti libéral-démocrate (LDP) souhaite créer une agence spécifique pour s'occuper directement des problèmes des plus jeunes. Son leader, Cedomir Jovanovic, promet de mettre l'accent sur l'éducation, la santé, les questions sociales, l'intégration européenne et la coopération du pays avec le Tribunal pénal international de La Haye. Il se dit prêt à gouverner avec le Parti démocrate de Boris Tadic et G17+.

Le 3 février dernier, Boris Tadic remportait le 2e tour de l'élection présidentielle sur son adversaire radical Tomislav Nikolic. Le 11 mai prochain, chaque voix comptera et à une semaine du scrutin, le Parti démocrate (DS) et le Parti radical (SRS) sont au coude à coude dans les enquêtes d'opinion. Le dernier sondage réalisé par le Centre pour les élections libres et la démocratie (CeSID) crédite le SRS de 36,5% des suffrages et le DS de 33,5%. Le DSS recueillerait 12,5% des voix et le LDP passerait le seuil des 5% des voix indispensables pour être représenté au Parlement.

"Il ne fait pas de doute qu'une entente post-électorale entre le Parti démocratique de Serbie et le Parti radical est la variante la plus réaliste en raison du degré d'entente qui règne entre ces partis sur les principales questions étatiques et nationales. Par ailleurs, de fortes oppositions continuent de séparer le Parti démocratique de Serbie et le Parti démocrate. Il me semble pratiquement impossible que ces deux formations s'entendent à nouveau. Elles seraient de nouveau confrontées aux problèmes qui les ont déjà divisées" analyse le sociologue Zoran Avramovic.

Beaucoup dépendra du parti qui arrivera en tête le 11 mai. Le SRS devancera-t-il le DS ? Le LDP parviendra t-il à dépasser le seuil de 5% pour être présent dans le Parlement ? La Constitution n'oblige pas le Président Boris Tadic à demander au leader du parti arrivé en première position de former le prochain gouvernement. Il dispose de la liberté de proposer cette charge à la personne qu'il estime la mieux placée pour dégager une majorité parlementaire. "Les probabilités d'avoir un gouvernement ultranationaliste ou un gouvernement pro-européen sont identiques" affirme Zoran Lucic du Centre pour des élections libres et la démocratie, qui n'écarte pas l'idée que de nouvelles élections pourraient suivre le scrutin législatif.

Pour aller plus loin

Élections en Europe

 
2013-05-28-15-22-56.7153.jpg

Corinne Deloy

30 septembre 2024

Le Parti de la liberté (FPÖ), dirigé par Herbert Kickl, est arrivé en tête des élections fédérales en Autriche le 29 septembre. C’est la prem...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-26-56.7014.jpg

Corinne Deloy

16 septembre 2024

Les Lituaniens renouvelleront les 141 membres du Seimas, chambre unique du Parlement, les 13 et 27 octobre. 1 740 personnes issues de 19 partis et mouvements politiques et 18 candidats indépend...

Élections en Europe

 
2013-05-28-15-22-56.7153.jpg

Corinne Deloy

9 septembre 2024

6 346 029 Autrichiens (dont 62 651 résidant à l’étranger), soit un peu moins que lors des précédentes élections fédérales de 2019, sont ap...

Élections en Europe

 
2017-11-08-10-59-32.2521.jpg

Corinne Deloy

7 juillet 2024

Grande surprise et manifeste soulagement pour beaucoup lors du 2e tour des élections législatives le 7 juillet : le Rassemblement national (RN), parti de droite radicale présid&ea...

La Lettre
Schuman

L'actualité européenne de la semaine

Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais

Versions :