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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le Parti de la liberté (FPÖ), dirigé par Herbert Kickl, est arrivé en tête des élections fédérales en Autriche le 29 septembre. C’est la première fois que le parti d’extrême droite s’impose dans un tel scrutin. Dominant les enquêtes d’opinion depuis la fin de l’année 2022, il a recueilli 28,9% des suffrages et remporté 57 sièges (soit + 26 par rapport aux précédentes élections fédérales du 29 septembre 2019). Il s’agit d’un résultat plus important que celui que lui prédisaient les enquêtes d’opinion et le plus élevé de son histoire. « C’est sans aucun doute un tremblement de terre, une onde de choc pour l’ensemble de la classe politique » a indiqué le politologue Thomas Hofer.
Le Parti populaire (ÖVP) du chancelier sortant Karl Nehammer a pris la 2e place avec 26,3 % des voix et 51 élus (- 20) au Conseil national (Nationalrat), chambre basse du parlement. Il est suivi par le Parti social-démocrate (SPÖ), conduit par Andreas Babler, avec 21,1% des suffrages et 41 sièges (+ 1).
La victoire du FPÖ repose en grande partie sur le recul des deux partis traditionnels. De même, les deux partis de la coalition gouvernementale sortante, l’ÖVP et Les Verts-L’Alternative verte (DG), paient chacun les tensions de la législature qui s’achève et se sont en sorte empêchés l’un l’autre.
NEOS-Nouvelle Autriche (NEOS), dirigé par Beate Meinl-Reisinger, a obtenu 9,1 % des voix et 18 députés (+ 3). Il devance Les Verts-L’Alternative verte (DG), membres de la coalition gouvernementale sortante et dont Werner Kogler est le porte-parole, qui enregistrent un net recul : 8,2% des suffrages et 16 sièges (- 10).
La participation a été élevée, 74,90%, soit un taux quasiment équivalent à celui enregistré lors des précédentes élections fédérales du 29 septembre 2019 (75,07%).
Résultats des élections fédérales du 29 septembre 2024 en Autriche
Participation : 74,90%
Source : https://www.bundeswahlen.gv.at/2024/nr
Le dirigeant d’extrême droite Herbert Kickl est parvenu à imposer son agenda durant la campagne électorale. Candidat clivant et personnalité controversée, il a su néanmoins rassembler et s’impose dans un contexte de montée des forces nationalistes à travers toute l’Europe.
Le FPÖ a prospéré sur l’exploitation de l’insatisfaction d’une grande partie des Autrichiens à l’égard de leur personnel politique, insatisfaction qui est au plus haut depuis 2018. Il s’appuie sur les frustrations exprimées par la population et produit un discours antisystème qui plaît à une grande partie des Autrichiens qui ne se sentent pas représentés par les partis. Nationaliste, il veut protéger l'identité autrichienne, qu’il prétend menacée, et il déploie des opinions hostiles à l’immigration et à l’islam.
Ainsi, son programme Forteresse Autriche, forteresse de la liberté prévoit de réduire aux seuls soins « élémentaires » ceux accordés aux immigrés illégaux et aux demandeurs d’asile et il s'oppose au regroupement familial des migrants déjà présents en Autriche. « Nous avons besoin d'une remigration » a souligné Herbert Kickl. « Son moteur a toujours été la critique de l'establishment, des élites européennes, de l'immigration et de l'insécurité » relève Benjamin Rojtman-Guiraud, doctorant en science politique de l'université de Lorraine.
En matière de politique étrangère, le FPÖ défend une position de neutralité dans la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine et il est opposé aux sanctions appliquées à la Russie. Son dirigeant veut aussi interdire le passage par l’Autriche d’armes venues d’autres pays à destination de l’Ukraine. Il souhaite encore conserver à s’approvisionner en gaz russe en dépit de l’engagement de l’Union européenne de sortir du gaz russe en 2027.
Celui qui veut se faire appeler Volkskanzler (chancelier du peuple), une expression utilisée par Adolf Hitler, a su attirer les antivax en tenant des propos conspirationnistes contre les mesures anti-Covid 19 lors de la pandémie en 2020.
Selon Reinhard Heinisch, professeur de politique comparée à l’université de Salzbourg, « ils sont forts parce que, comme les autres populistes, ils occupent une partie du spectre où ils ont peu de concurrence. Ils s'opposent aux positions de tous les autres partis et ils sont parfaitement positionnés pour attirer les personnes qui sont désillusionnées par la démocratie, déçues par les élites et qui ont des griefs à l'encontre du courant politique dominant ».
« Sur le plan politique, Herbert Kickl se distingue de ses prédécesseurs par une moindre disposition au compromis » affirme Bernhard Weidinger, spécialiste de l'extrême droite au Centre de documentation sur la résistance autrichienne (DÖW). « Non seulement Herbert Kickl a ramené son parti sur le devant de la scène en un temps record, mais il l’a fait sans modérer son style, ce qui le différencie de ses prédécesseurs » renchérit Laurenz Ennser-Jedenastik, chercheur en science politique de l’université de Vienne.
« Le parti a démontré qu'il disposait d’un appareil solide et d'un ancrage dans la société. Il n’est pas seulement la créature d'un dirigeant charismatique, comme on l'a longtemps pensé » souligne Kai Arzheimer, professeur de science politique de l'université de Mayence.
Le chancelier sortant Karl Nehammer avait appelé à voter « contre la radicalité, pour la stabilité et non le chaos ». Les deux partis de droite se sont néanmoins beaucoup rapprochés au cours de ces dernières années. L’ÖVP a repris une grande partie du discours anti-immigrés du FPÖ, demandant un durcissement des règles d'immigration, l’établissement de centres de rétention des réfugiés dans des Etats tiers, l’expulsion vers la Syrie et l'Afghanistan de certains réfugiés, la suppression de l'aide au développement aux pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants.
De son côté, le FPÖ est devenu plus libéral, rejetant toute augmentation d'impôts et se déclarant favorable aux réductions des impôts des sociétés et des charges salariales et à la réduction des remboursements de sécurité sociale.
Arrivée en tête des élections fédérales, l’extrême droite sera-t-elle en mesure de gouverner ? Le chancelier sortant Karl Nehammer a répété durant la campagne électorale qu’il ne s’allierait jamais avec Herbert Kickl : « J'ai toujours dit qu'avec Herbert Kickl, qui croit aux théories du complot, qui accuse l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) d'être le prochain gouvernement mondial et la réunion de Davos d'être une réunion préparatoire à la domination mondiale, nous ne pouvons pas gérer un État de manière sensée et responsable. Et je m'en tiens toujours à cela ».
Il a néanmoins toujours précisé qu’il n’était pas en soi opposé à une coalition gouvernementale avec le FPÖ, qui, selon lui, « compte des gens responsables ». Le FPÖ pourrait donc faire son retour au sein du gouvernement comme partenaire minoritaire. Les deux partis ont dirigé le pays ensemble à plusieurs reprises (entre 2000 et 2005, puis entre 2017 et 2019).
« Au pouvoir depuis 1987, l’ÖVP n’acceptera pas d’être le partenaire minoritaire du gouvernement » a déclaré Thomas Hofer, ajoutant « préférant s’associer avec les sociaux-démocrates et les libéraux de NEOS-Nouvelle Autriche, un format à trois qui serait inédit en Autriche ».
Jérôme Ségal, chercheur à l’université de la Sorbonne, considère peu crédible la possibilité qu’Herbert Kickl accède à la chancellerie. « Le chancelier est nommé par le président de la République. Il faut savoir que le président Alexander Van der Bellen n’acceptera jamais un gouvernement qui aurait à sa tête une personnalité d’extrême droite ». « C'est une pratique établie mais à ma connaissance, ce n'est pas dans la Constitution » a d’ailleurs déclaré le chef de l’Etat dès 2023 en s’exprimant sur le fait d’appeler à la chancellerie le dirigeant du parti arrivé en tête des élections. Le chef de l’Etat reproche notamment au dirigeant d’extrême-droite sa position « anti-européenne » et son refus de condamner l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes.
« Face au message très clair des urnes, nous tendons la main à tous les partis » a déclaré Herbert Kickl à l’annonce des résultats. Cependant, l’homme pourrait préférer ne pas participer au pouvoir. « Ne vous y trompez pas, il pourrait s'accommoder d'une telle situation qui lui permettrait de cultiver son message anti-élite » a souligné Thomas Hofer. « Herbert Kickl n’est pas vraiment pressé d’arriver au pouvoir car il est persuadé que le FPÖ continuera de se renforcer » affirme Patrick Moreau, qui précise : « Il préfère donc attendre et s’appuyer sur cette éventuelle montée en puissance ». Et sans doute, selon ses propres termes, « poursuivre sa lutte de libération contre le système ».
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