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Les forces de gauche arrivent en tête des élections législatives en France mais aucun parti n'a la majorité absolue

Élections en Europe

Corinne Deloy

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7 juillet 2024
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Grande surprise et manifeste soulagement pour beaucoup lors du 2e tour des élections législatives le 7 juillet : le Rassemblement national (RN), parti de droite radicale présidé par Jordan Bardella, a été largement devancé par les forces de gauche du Nouveau Front populaire (NFP) mais aussi par la coalition de la majorité présidentielle, Ensemble. Le RN a obtenu 32,05% des voix et 125 élus, soit + 36 par rapport aux précédentes élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Les forces du Nouveau Front populaire, coalition de gauche qui rassemble La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), le Parti communiste (PCF), les Ecologistes, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPa), Place publique (PP), le Parti ouvrier indépendant (POI), ont recueilli 25,68% des suffrages et ont remporté 178 sièges (+ 47). Au sein de cet ensemble, la France insoumise progresse peu contrairement au Parti socialiste.
Ensemble ! coalition de la majorité présidentielle d’Emmanuel Macron conduite par le Premier ministre Gabriel Attal (Renaissance (RE), Horizons, dirigé par l’ancien Premier ministre (2017-2020) Edouard Philippe et le Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou), a obtenu 23,15% des voix et 150 députés (- 95).
Les Républicains (LR) ont été fortement mis à mal après la décision de leur président Eric Ciotti de s’allier avec le RN. Ils ont obtenu (en dehors des dissidents qui ont rejoint les rangs de la droite radicale) 5,41% des voix et 39 députés (- 22). 


Le pari de la dissolution fait par Emmanuel Macron à l’issue des élections européennes du 9 juin est perdu mais de façon moindre que ce que l’on aurait pu penser au soir du premier tour du 30 juin dernier. Le front républicain a en effet une nouvelle fois privé le RN de la victoire. Entre les deux tours de scrutin, plus de 200 candidats des forces de gauche et de la majorité présidentielle se sont désistés pour éviter les élections triangulaires qui favoriseraient l'élection de députés RN. 
Le résultat des élections législatives des 30 juin et 7 juillet qui divise la France en trois parties est inédit dans le pays. Aucune force n’est en mesure d’atteindre une majorité absolue de gouvernement. Il est par conséquent bien difficile de dire avec certitude ce qui va se passer mais une chose est sûre : les politiques vont devoir inventer une nouvelle façon de diriger le pays. Comme le prévoyait il y a quelques jours, Anne-Charlène Bezzina, chercheuse en droit public de l’université de Rouen « Le 8 juillet, nous entrerons probablement dans quelque chose que nous ne connaissons pas ». 

Les Français se sont fortement mobilisés pour ce scrutin : la participation s’est élevée à 66,63%, soit + 20,43 points par rapport au 2e tour du 19 juin 2022. Elle est la plus importante depuis le scrutin législatif des 25 mai et 1er juin 1997. 

Source : https://www.resultats-elections.interieur.gouv.fr/legislatives2024/ensemble_geographique/index.html


Le RN a donc vu la victoire qu’il croyait certaine le 30 juin lui échapper. « On a déjà vu ce phénomène à l’œuvre plusieurs fois en France. Au 1er tour, on vote pour ceux qu’on veut voir au pouvoir. Au second, on indique plutôt qui on ne veut surtout pas voir au pouvoir. Il est clair que la majorité des Français ne veut pas d’un gouvernement RN » a indiqué Frederik Dhondt, historien de l’université libre flamande de Bruxelles (VUB). Si le parti a réalisé « la percée la plus importante de toute son histoire » selon Jordan Bardella, il a été privé de victoire par un barrage du front républicain qui a très bien fonctionné. « L'alliance du déshonneur et les arrangements électoraux dangereux passés par Emmanuel Macron et Gabriel Attal avec les formations d'extrême gauche privent ce soir les Français d'une politique de redressement » a-t-il encore indiqué. Marine Le Pen a affirmé que la victoire de son parti n’est que 
« retardée ». Elle voit « germer la victoire de demain ».

Le RN a une nouvelle fois progressé lors de ce scrutin législatif même si le mode de scrutin majoritaire l’empêche encore de s’imposer. « Le Rassemblement national n’a pas gagné l’élection mais il se rapproche de plus en plus de la majorité (…) Le « plafond de verre » recule à chaque élection. Et cette règle s’est encore vérifiée cette fois-ci. Seulement, les résultats sont trompeurs en raison de la forte amplification des rapports de force résultant du scrutin majoritaire » a écrit Jean-Yves Dormagen, professeur de science politique de l'université de Montpellier, précisant également que de nombreux candidats RN ont vu la victoire leur échapper de peu. 

Créé en quelques jours et destiné tout d’abord à éviter une victoire du RN, le Nouveau Front populaire a rempli sa mission. Les forces de gauche, qui cependant ne représentent qu’à peine un tiers des députés, vont désormais devoir se parler, négocier et s’accorder sur la façon dont elles voient leur avenir.  « C'est un immense soulagement pour une écrasante majorité de personnes dans notre pays (...) Ces personnes se sont senties menacées, terriblement. Qu'elles se rassurent, elles ont gagné » a déclaré le fondateur de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui a été le premier à s’exprimer publiquement le 7 juillet, après l’annonce des résultats. « Le président de la République a le devoir d'appeler le Nouveau Front populaire à gouverner » a-t-il précisé.
La France insoumise a exclu de participer à un gouvernement qui refuserait de mettre en œuvre le cœur du programme du Nouveau Front populaire, c’est-à-dire l'abrogation de la réforme des retraites de 2023 (qui a porté celle-ci à 64 ans progressivement d’ici quelques années) et de celle de l'assurance-chômage, l'augmentation du smic à 1 600 € nets par mois, le gel des prix des denrées alimentaires de base ainsi que ceux de l’énergie et l'indexation des salaires sur l'inflation. Manuel Bompard, qui dirige le parti LFI, a également affirmé que les Insoumis « ne gouverneront que pour appliquer leur programme. Rien que leur programme ».

Le chef de l’Etat Emmanuel Macron s’apprête à vivre une période de cohabitation puisque la règle veut que le Premier ministre soit issu des rangs du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, chambre basse du Parlement, Dans le camp de la majorité présidentielle, certains plaident pour une alliance de leurs forces avec une partie des forces de gauche. Edouard Philippe (Horizons) a appelé les « forces politiques centrales, soit toutes les formations à l’exclusion du Rassemblement national et de la France insoumise, à s’unir ». L’ancienne présidente de l'Assemblée nationale (2022-2024) Yaël Braun-Pivet (Renaissance) a demandé la formation d’une nouvelle coalition, «un grand bloc central, républicain, progressiste ». «J’ai toujours dit qu’il fallait vraiment que l’on soit alliés avec des personnes qui partagent nos valeurs et qui partagent nos objectifs. Ce n’est ni le cas de La France insoumise ni le cas du Rassemblement national » a-t-elle souligné, précisant « Les Français nous enjoignent à nouveau de travailler ensemble».

 

Certains à gauche n’y sont pas opposés et demandent à ce que cette proposition d’alliance soit examinée. Une union entre forces de gauche et forces centristes ferait par ailleurs du Rassemblement national le principal parti d’opposition. De même, une division des forces de gauche suivie d’une éventuelle crise du système pourrait faire du RN un élément de stabilité politique du pays. A noter que certains Républicains (LR) ne seraient pas non plus hostiles à une participation de leur parti à une large coalition qui rassemblerait une partie des forces de gauche et des membres de la majorité présidentielle. 

« Si le scrutin législatif anticipé devait conduire la coalition électorale menée par le Rassemblement national ou par le Nouveau Front populaire à obtenir une majorité de sièges de députés, relative ou absolue, nous entrerions dans une phase totalement inconnue pour nos institutions, au-delà de la simple cohabitation. Chaque institution politique serait contrôlée par trois forces politiques différentes, à savoir : Renaissance pour la présidence de la République, Les Républicains pour le Sénat et le Rassemblement national ou le Nouveau Front populaire pour l’Assemblée nationale. La France passerait donc d’une tripolarisation partisane, à l’œuvre dans la législature sortante, à une tripolarisation institutionnelle inédite » écrivent Julien Arnoult et Antoine Faye dans un article publié par Telos. « Le gouvernement issu du scrutin du 7 juillet pourrait, qui plus est, être minoritaire (…) une cohabitation avec un gouvernement minoritaire serait une première ». 
Une seule chose est certaine : il n peut y avoir de retour devant les électeurs avant une année. L’article 12 de la Constitution française affirme en effet qu’« il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections ». C’est pourquoi en cas de blocage du système, la possibilité de sortir de la crise par une nouvelle élection présidentielle pourrait réapparaître.
Le Premier ministre sortant Gabriel Attal a présenté sa démission à Emmanuel Macron le 8 juillet. Une démission refusée par le président de la République qui lui demande de rester "pour le moment" afin d'"assurer la stabilité du pays".
La nouvelle législature de l’Assemblée nationale débute le 18 juillet, date à laquelle se tiendra sa séance constitutive.  

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