Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 30 septembre prochain, les Slovaques sont appelés aux urnes pour renouveler les 150 membres du Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky), chambre unique du Parlement. Ces élections législatives sont anticipées d’un an. 72 993 Slovaques résidant à l’étranger se sont inscrits pour participer au scrutin, un record dans l’histoire du pays.
A l’issue des dernières élections législatives du 29 février 2020, Igor Matovic (Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes, OL’aNO) avait formé un gouvernement rassemblant 4 partis : OL’aNo, SME Rodina (Nous sommes une famille), SaS (Liberté et Solidarité) et ZL (Pour le peuple). Mettre fin au régime de Robert Fico (Direction-Démocratie sociale, SMER-SD) constituait le principal mot d’ordre et l’élément fédérateur de la coalition gouvernementale.
Le scrutin avait été organisé quelques jours seulement après le deuxième anniversaire de l’assassinat du journaliste Jan Kuciak et de sa fiancée Martina Kusnirova, tous deux âgés de 27 ans, le 21 février 2018. Jan Kuciak enquêtait pour aktuality.sk, site Internet du premier quotidien du pays Novy Cas, sur les soupçons de fraude aux subventions européennes organisées par la mafia italienne en Slovaquie avec l’aide de proches du gouvernement. Ce double assassinat avait conduit plusieurs dizaines de milliers de Slovaques à descendre dans la rue et avait poussé en mars 2018 le Premier ministre de l’époque Robert Fico, ainsi que 2 ministres et le chef de la police à la démission. Igor Matovic était alors apparu comme l’homme qui pouvait faire tomber le gouvernement. Son discours contre Fico lui avait en effet permis de remporter le scrutin législatif dans un contexte de fragmentation de l’opposition.
Les trois années suivantes ont été une accumulation de scandales et de décisions incohérentes. Au total, la Slovaquie a connu 3 gouvernements en 3 ans. Igor Matovic a gouverné le pays comme une entreprise, sans tenir compte de ses partenaires gouvernementaux, ce qui a provoqué de nombreux conflits. Le Premier ministre a, par exemple, géré de façon chaotique la pandémie de Covid-19, n’hésitant pas à commander des vaccins russes Spoutnik 5 en dépit de l’opposition des membres de sa coalition. Ses incohérences ont fini par diviser la majorité au pouvoir. Le 28 mars 2021, le Premier ministre a accepté de quitter ses fonctions mais a exigé d’être remplacé par son ministre des Finances, Eduard Heger (OL’aNO) et d’obtenir lui-même le portefeuille des Finances. Ce qui fut fait le 30 mars 2021.
Liberté et Solidarité (SaS) a été le premier parti à quitter la coalition le 13 septembre 2022. En juillet 2022, OL’aNO a en effet décidé d’augmenter l’aide versée aux familles, une mesure votée au Parlement malgré l’opposition de SaS mais avec les suffrages de députés d’extrême droite. Cet événement a été considéré comme une trahison par le parti de Richard Sulik et a entraîné la chute du gouvernement lors d’une motion de censure le 15 décembre 2022.
Le 23 janvier 2023, le gouvernement et le parti SaS se sont accordés sur une révision de la Constitution qui permet au Conseil national de convoquer des élections législatives anticipées. Le projet a été adopté par une majorité de parlementaires qui a accepté de dissoudre le parlement à la majorité des trois cinquièmes. Le vote a eu lieu le 31 janvier et le scrutin législatif anticipé est fixé au 30 septembre.
Eduard Heger a démissionné le 7 mai après le scandale provoqué par l’accusation portée contre le ministre de l’Agriculture, Samuel Vican, d’avoir reçu des subsides pour sa propre entreprise. Celui-ci a quitté ses fonctions ; le lendemain, le ministre des Affaires étrangères Ratislav Kacer a présenté sa démission.
Le 7 mai, le vice-président de la Banque nationale de Slovaque Ludovit Odor, a été nommé Premier ministre par la présidente de la République, Zuzana Caputova. Si le nouveau chef du gouvernement n’est pas parvenu à obtenir la confiance du Parlement (seuls 24 élus - sur 136 présents - ont voté en sa faveur), la cheffe de l’État, après avoir dissout le parlement, l’a reconduit dans ses fonctions le 15 juin et l’a chargé de conduire les affaires courantes jusqu’aux élections.
2 728 candidats, issus de 24 partis politiques et une coalition de partis, se présentent au scrutin le 30 septembre.
Selon une enquête d’opinion réalisée fin août par l’institut Median, SMER-SD (Direction-Démocratie sociale) arriverait en tête du scrutin avec 17,8% des suffrages d’une courte tête devant Slovaquie progressiste (PS) 17,5%. Mais le premier parti est en perte de vitesse sur les dernières semaines quand le second enregistre une lente mais certaine progression.
Republika (REP), parti d’extrême droite, dirigé par Milan Uhrik, arriverait en 3e position avec 10,2%. Hlas, (Voix en slovaque), créé en 2020 par l’ancien Premier ministre (2018-2020) Peter Pellegrini après sa sécession de SMER-SD, prendrait, en alliance avec le Bon choix (DV), autre parti issu d’une scission d’avec le parti de Robert Fico et emmené par Tomas Drucker, la 4e place avec 9,4%, Hlas est aussi en recul sur les dernières semaines.
Sme Rodina recueillerait 8,2% et OL’aNo 7,1%. Le Mouvement chrétien-démocrate (KDH) de Jan Figel obtiendrait 7,3%, SaS, 6,7% et enfin le Parti national (SNS), parti nationaliste et populiste de droite conduit par Andrej Danko, 5,3%, soit juste au-dessus du seuil indispensable pour être représenté au Conseil national de la République.
Le nombre de partis qui entreront au Parlement sera déterminant pour la construction de la future majorité. Robert Fico pourrait arriver en tête mais ne pas trouver d’alliés.
Vers un retour de Robert Fico ?
Si Robert Fico et SMER-SD sont en tête des intentions de vote, leur avance s’est cependant réduite au cours des dernières semaines. Comme Igor Matovic il y a 3 ans, l’ancien Premier ministre se veut le premier opposant au pouvoir en place. Il s’appuie sur les différentes crises gouvernementales, sur le mécontentement des Slovaques devant un taux d’inflation élevé (9,6% en août 2023, soit le plus élevé de la zone euro) dans lequel il voit la conséquence des sanctions économiques décidées contre la Russie qui était avant l’invasion de l’Ukraine par Moscou le principal fournisseur de gaz et de pétrole de la Slovaquie pour mettre en avant l’incapacité des gouvernants et la nécessité du changement. Robert Fico s’appuie également sur le sentiment prorusse d’une partie de la population, imputant aux Etats-Unis la responsabilité de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022. 30% des Slovaques seraient russophiles selon les dernières enquêtes d’opinion. Un sondage réalisé par le think tank Globsec montre que si 40% des Slovaques estiment que Moscou est responsable de la guerre actuelle, 34% considèrent que le conflit est le résultat de la provocation de la Russie par l’Occident et 17% que Kiev a oppressé la partie russophone de sa population.
Après que le Premier ministre Eduard Heger a décidé d’envoyer des avions MIG 29 à Kiev sans consulter le Parlement, Robert Fico a affirmé que la souveraineté du pays était menacée par la pression de l’OTAN (il n’a pas hésité à comparer les soldats allemands de l’OTAN stationnant en Slovaquie à ceux de la Wehrmacht) et l’appui de l’Union européenne à l’Ukraine. Il s’oppose au soutien de son pays à Kiev et promet de cesser toute livraison d’armes à destination de l’Ukraine.
Robert Fico s’est fortement radicalisé, une stratégie pour attirer sur son nom les suffrages des électeurs d’extrême droite dont il pourrait avoir besoin pour retrouver le pouvoir. Il se dit prêt à s’allier avec les partis représentant cette tendance politique comme le Parti national ou Republika. Ce faisant, l’ancien Premier ministre s’est rapproché des positions défendues par le chef du gouvernement hongrois Viktor Orban
Republika est un parti fondé en 2021 par Milan Uhrik et d’anciens membres du Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS). Il défend une idéologie d’extrême droite, voire néo-fasciste. Son dirigeant est opposé à toute aide à l’Ukraine et il est très critique des sanctions imposées à la Russie. Pour situer le personnage, il a refusé de condamner les déportations des juifs au cours de la Deuxième Guerre mondiale au motif qu’il n’est pas lui-même historien. De son côté, le Parti national (SNS), conduit par Andrej Danko, est un parti nationaliste et populiste de droite. Il a déjà gouverné en coalition avec SMER-SD entre 2006 et 2010 et entre 2016 et 2020. Les 2 partis ont fait certains efforts pour « nettoyer » leur image et tenter de paraître plus présentables à l’approche du scrutin.
Le retour de Robert Fico au pouvoir dépend aussi de la performance de Hlas, parti de Peter Pellegrini. Ce dernier est totalement opposé à toute alliance avec les partis d’extrême droite. Lors du congrès de SMER-SD en juillet 2020, l’ancien Premier ministre (2018-2020) Peter Pellegrini a choisi de faire sécession. Il a créé Hlas qui est très vite devenu populaire parmi les électeurs si l’on en croit les enquêtes d’opinion. Hlas se définit comme social-démocrate, une place laissée libre sur l’échiquier politique à la suite du virage de Robert Fico vers la droite. Celui-ci a d’ailleurs déclaré, après la sécession de Peter Pellegrini, que son parti s’orientait vers une « social-démocratie rustique » qui, selon ses termes, « perçoit parfaitement les spécificités de la réalité slovaque ».
La droite toujours très fragmentée
Igor Matovic (Ol’aNo) fait campagne en mettant en garde contre le retour au pouvoir de Robert Fico et des forces d’extrême droite. Il en appelle à Eduard Heger à qui il a demandé de revenir dans son parti d’origine afin d’assurer la victoire des forces démocratiques le 30 septembre. Ol’aNO se présente en coalition avec Pour le peuple, dirigé par Veronika Remisova, et avec l’Union chrétienne, conduite par Anna Zaborska.
De son côté, Eduard Heger va concourir sous les couleurs du parti centriste, écologiste et pro-européen qu’il a créé, Démocrates (D) et qui est présidé par Miroslav Kollar. L’ancien Premier ministre a déclaré qu’il ne collaborerait jamais avec SMER-SD ou avec Hlas.
Autre représentant de la droite, l’ancien Premier ministre (1998-2006) Mikulas Dzurinda mène campagne à la tête de son nouveau parti, Bleu-Slovaquie européenne (M). Ce nom fait référence à la coalition démocratique qui a rassemblé d’abord 3, puis 5 partis opposés à l’ancien Premier ministre (1994-1998) Vladimir Meciar (Mouvement pour une Slovaquie démocratique, HZDS) en 1998 et qui est devenue ensuite la Coalition arc-en-ciel, puis la Coalition démocratique et chrétienne (SDKU). Le parti est allié à Most-Hid (qui signifie pont), parti conduit par Lazlo Solymos qui défend l’intégration de la minorité d’origine hongroise en Slovaquie. Mikulas Dzurinda fait campagne en mettant en garde du danger que fait peser le retour de Robert Fico au pouvoir. Selon lui, ce dernier isolerait la Slovaquie sur la scène internationale et l’entraînerait dans le camp des démocraties il-libérales. Pour Mikulas Dzurinda, les élections du 30 septembre sont aussi importantes que celles des 25 et 26 septembre 1998 qui ont vu Mikulas Dzurinda mettre fin au règne de Vladimir Meciar qui avait contribué à l’isolement du pays à l’heure de l’intégration de Bratislava dans l’Union européenne et dans l’OTAN.
La Coalition bleue a publié ses Dix commandements, parmi lesquels figurent la promesse de demeurer pro-européen, de soutenir l'innovation et les réformes.
Parti d’opposition extra-parlementaire, Slovaquie progressiste est dirigé par Michal Simecka, une personnalité peu connue des Slovaques. Le parti est social-libéral et pro-européen. Il souhaite restaurer la confiance des Slovaques dans leurs institutions, milite pour une plus grande séparation des pouvoirs et, bien sûr, en faveur d’une lutte ferme contre la corruption. Slovaquie progressiste est opposé à toute collaboration avec les partis d’extrême droite (Republika, le Parti national et le Parti populaire-Notre Slovaquie (L’SNS) de Marian Kotleba) tout comme avec SMER-SD de Robert Fico.
Le système politique slovaque
Le Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky), chambre unique du Parlement, comprend 150 membres élus pour 4 ans au scrutin proportionnel sur des listes bloquées au sein d'une seule circonscription nationale. Chaque électeur exprime 4 votes préférentiels pour les candidats d'une même liste. La répartition des sièges se fait selon le système de Hagenbach-Bischoff. Un parti doit recueillir au moins 5% des suffrages exprimés pour être représenté au Parlement, une coalition, 7% (10% si elle réunit 4 partis ou plus).
Pour pouvoir se présenter aux élections, tout parti ou mouvement politique doit déposer une caution d'environ 17 000 € (qui lui sera restituée s'il recueille au moins 2% des suffrages exprimés) et rédiger une déclaration certifiant qu'il compte au moins 10 000 membres. Si ses effectifs sont inférieurs à ce nombre, un parti peut néanmoins déposer une pétition de soutien contenant un nombre de signatures lui permettant d'atteindre le chiffre de 10 000 personnes. Les partis ayant recueilli plus de 3% des suffrages lors du précédent scrutin législatif ont le droit de bénéficier d’une subvention. Les candidats aux élections législatives doivent être âgés d'au moins 21 ans et résider de façon permanente en Slovaquie. Enfin, la loi électorale limite les dépenses de campagne à 3 millions € par parti.
6 partis politiques sont représentés dans l'actuel Conseil national de la République :
– le Parti des gens ordinaires et des personnalités indépendantes (OL'aNO), parti de droite créé en octobre 2011 et conduit par l’ancien Premier ministre (2021-2022) Igor Matovic, possède 53 sièges ;
– Direction-Démocratie sociale (SMER-SD), parti social-démocrate créé en 1999 et dirigé par l’ancien Premier ministre (2006-2010 et 2012-2018) Robert Fico, compte 38 députés ;
– Nous sommes une famille (Sme Rodina), parti populiste de droite conduit par Boris Kollar, possède 17 sièges ;
– le Parti populaire-Notre Slovaquie (LSNS), parti nationaliste d'extrême droite, emmené par Marian Kotleba, compte 17 élus ;
– Liberté et solidarité (Sloboda a Solidarita, SaS), parti libéral fondé en 2009 par l'économiste et père de l'impôt à taux unique, Richard Sulik, qui le dirige toujours, possède 13 sièges ;
– Pour le peuple (Za Ludi, ZA), parti libéral et pro-européen créé en 2019 par l’ancien président de la République (2014-2019) Andrej Kiska. Conduit par Veronika Remisova, il compte 12 députés.
Les Slovaques élisent également leur chef de l'Etat au suffrage universel direct. Zuzana Caputova (PS) a été élue présidente de la Slovaquie lors du 2e tour de scrutin le 30 mars 2019 avec 58,41% des suffrages face au vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, soutenu par SMER-SD qui a obtenu 41,69% des voix. La participation s'est élevée à 41,79%.
Rappel des résultats des élections législatives du 29 février 2020 en Slovaquie
Participation : 65,8%
Source : https://volby.statistics.sk/nrsr/nrsr2020/sk/data01.html
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