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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Deux mois avant le Conseil Européen de Copenhague (12 et 13 décembre prochains) au cours duquel les Quinze devraient décider quels pays les rejoindront au sein de l'Union européenne à partir de 2004, les Lettons vont élire leur huitième Saeima (Parlement). Depuis l'indépendance obtenue par référendum le 3 mars 1991, le pays souffre d'une instabilité politique chronique ; en effet, la Lettonie a connu, en onze ans, pas moins de neuf gouvernements différents, toujours formés par des coalitions de centre-droit. Economiquement, la République balte peut s'enorgueillir de performances économiques honorables malgré des difficultés importantes. Autre grand chantier encore inachevé et primordial pour la stabilité du pays : l'intégration de la minorité russe (30,2% de la population) qui, n'ayant pas la nationalité lettone, ne pourra pas participer au scrutin législatif du 5 octobre prochain.
Le système politique letton
Tous les quatre ans, le premier samedi d'octobre, les Lettons élisent au scrutin proportionnel les cent membres de la Saeima, chambre unique de leur Parlement. Pour ce scrutin législatif, la Lettonie est divisée en cinq districts électoraux : Riga, Vidzeme, Latgale, Zemgale et Kurzeme. Pour les élections législatives du 5 octobre, la Commission centrale des élections vient d'établir que le district de la capitale Riga élira vingt-huit des cent membres de la Saeima, celui de Vidzeme vingt-six, celui de Latgale dix-sept, celui de Zemgale quinze et enfin le district de Kurzeme quatorze. Toute liste de candidats doit obtenir au minimum 5% des suffrages exprimés pour être représentée à la Saeima.
Six formations politiques sont représentées dans l'actuel Parlement :
- Le Parti du peuple (TP), formation majoritaire de centre-droit,
- La Voie lettone (LC), situé au centre-droit, longtemps parti dominant de la scène politique lettone (la Voie lettone a participé à tous les gouvernements depuis sa fondation en 1993), actuellement en légère perte de vitesse,
- L'Union pour la patrie et la liberté (TB/LNNK), parti nationaliste de droite fondé en 1988 contre la présence russe en Lettonie,
- Le Parti national de l'harmonie (TSP), situé à gauche de l'échiquier politique, successeur du Parti communiste de l'époque soviétique,
- Le Parti social démocrate des travailleurs (LSDA), formation de gauche,
- Le Nouveau Parti, fondé en 1998 par un compositeur et un ancien ministre de la Culture.
Le gouvernement, dirigé par Andris Berzins depuis le 5 mai 2000, est soutenu par quatre partis : le Parti du peuple, la Voie lettone (à laquelle appartient le Premier ministre), l'Union pour la patrie et la liberté ainsi que par la Nouvelle Fraction (parti créé après le changement de nom du Nouveau Parti devenu Nouveau Parti chrétien).
Le Président de la République est élu par le Parlement tous les quatre ans. Depuis juin 1999, cette fonction est occupée par Mme Vaira Vike-Freiberga, première femme Présidente d'Europe de l'Est, une universitaire brillante émigrée au Canada, dont elle a acquis la nationalité avant de revenir dans son pays. Elle dispose de pouvoirs limités : nomination du Premier ministre (avec l'accord du Parlement) et signature des lois, que le Président peut toutefois renvoyer devant les députés pour que celles-ci soient révisées ou amendées. Mais elle est très populaire. Mme Vaira Vike-Freiberga travaille à la promotion de son pays à l'étranger et s'est affirmée depuis 1999 comme le véritable porte-parole de la politique étrangère lettone. Elle dispose d'une grande autorité morale en Lettonie.
La Lettonie est particulièrement sujette aux crises gouvernementales. En 1998, à l'issue des élections législatives, il ne fallut pas moins de trois mois de négociations aux différents partis politiques pour former un nouveau gouvernement. Minoritaire, celui-ci ne dura qu'une année. En 1999, Andris Skele (Parti du peuple) devint le Premier ministre d'un gouvernement conservateur et libéral avant de démissionner en avril 2000 à la suite d'un désaccord entre les membres de sa coalition sur les procédures de privatisation et de céder la place à Andris Berzins (Voie lettone), à l'époque maire de la capitale Riga, qui constitua un gouvernement de centre-droit.
Les enjeux du scrutin
Depuis l'indépendance, les gouvernements de Lettonie ont travaillé à restaurer la démocratie et transformer l'économie dirigiste en économie de marché avec, pour principal objectif, de permettre au pays de rejoindre le plus rapidement possible l'Union européenne et l'OTAN. Aujourd'hui encore, l'adhésion à l'Union et l'intégration à l'OTAN constituent les points essentiels de l'agenda politique letton.
Si la volonté des élus est bien présente, qu'en est-il du côté de la population ? Alors qu'un référendum pourrait avoir lieu l'an prochain sur l'entrée de la Lettonie dans l'Union, la dernière grande enquête d'opinion, réalisée sur le sujet en février 2002 par l'institut de sondages Latvias Fatki, met à jour le décalage existant entre l'élite politique et les électeurs. En effet, le soutien à l'Europe s'effrite régulièrement au sein de la population : seuls 36% des Lettons se déclarent favorables à ce que leur pays rejoignent les Quinze (contre 37,6% en mai 2001, 41,52% en février 2001 et 43,5% en février 2000), 43% affirmant qu'ils voteraient contre en cas de référendum. Les analystes politiques expliquent cette perte d'enthousiasme pour l'Europe par la baisse prévue des aides agricoles lors de l'entrée de la Lettonie dans l'Union mais également par le discrédit qui touche l'ensemble des hommes politiques du pays, à l'exception notable de la Présidente, Mme Vaira Vike-Freiberga. Une majorité de Lettons soutient, en revanche, l'entrée de leur pays dans l'OTAN. Selon une enquête réalisée par l'institut Latvias Fatki en août 2002, 66% des personnes interrogées se déclaraient en faveur de l'entrée de la Lettonie dans l'organisation transatlantique contre 63% en février 2002.
Le passé de la Lettonie explique en partie cette réserve. La dernière « Union » à laquelle elle a été contrainte de participer était l'Union soviétique qui n'a eu de cesse de nier l'identité culturelle et nationale lettone qui demeure le symbole de la liberté retrouvée ! Mais les Lettons se sentent Européens et souhaitent se rapprocher des Démocraties de l'Europe.
Avec une croissance dynamique de 7,6% en 2001, la plus importante de l'ensemble des pays candidats à l'Union européenne ; l'un des taux d'inflation les plus bas de l'Europe centrale et orientale (3%) ; un taux de chômage de 7,7% ; des recettes d'exportation en hausse de 7,4% en 2002, la Lettonie possède de bons indicateurs économiques. Néanmoins, le pays souffre d'un mal endémique dont elle n'est pas parvenue à se débarrasser, la corruption (la Lettonie a été classée à l'avant-dernière place des pays candidats à l'Union européenne en matière de corruption par Transparency International). Un « Monsieur anti-corruption » vient d'ailleurs d'être nommé par le Gouvernement le 3 septembre dernier. Après des mois de recherche du candidat idéal, c'est un ancien haut-fonctionnaire du ministère de la Justice, Janis Jonass, qui a été désigné pour venir à bout de ce fléau qui gangrène le pays.
Autre enjeu majeur de la politique lettone : le statut de la minorité russe qui constitue, selon le recensement de 1999, 30,2% des 2,5 millions d'habitants. La Lettonie possède, en effet, la minorité russe la plus nombreuse des trois Etats baltes ; les Lettons ne représentent que 56,7% de la population du pays. Par ailleurs, seuls 1,4 million des habitants parlent la langue lettone. La minorité russe est particulièrement nombreuse dans les cités, elle est ainsi majoritaire dans sept des huit plus grandes villes du pays. Lors de l'indépendance, seuls les habitants de la République balte d'avant la deuxième guerre mondiale et leurs descendants ont été autorisés à devenir citoyens lettons. La minorité russe se retrouva donc sans nationalité. Il fallut attendre 1994 pour qu'une première loi autorise certains d'entre eux à demander la nationalité lettone. Obtenir la nationalité lettone n'est pas chose aisée : les frais financiers sont élevés et une bonne connaissance de la langue, mais aussi de l'histoire, de la culture et de la Constitution du pays, sont indispensables. En 1998, sous la pression internationale, la loi sur la citoyenneté a été amendée dans un sens plus favorable aux personnes désireuses d'acquérir la nationalité lettone. En mai dernier, le Gouvernement a dû, de nouveau, amender la loi qui exigeait une pratique courante du letton de toute personne souhaitant intégrer la fonction publique et en juin, il a lancé une campagne pour promouvoir la naturalisation. Aujourd'hui, 42,2% des Russes vivant en Lettonie sont désormais citoyens lettons. Cinquante-deux mille d'entre eux ont obtenu la nationalité durant les sept dernières années, onze mille durant la seule année 2001. La population russe semble dorénavant plus désireuse d'acquérir la nationalité lettone qui pourrait bien, d'ici quelques années, présenter l'immense avantage d'être synonyme de nationalité européenne.
Les élections législatives du 5 octobre prochain ne devraient pas apporter de véritables bouleversements sur la scène politique lettone. Néanmoins, le futur gouvernement de la République balte devra absolument parvenir à regagner la confiance de la population afin de continuer sur le chemin du redressement économique et sur celui menant à l'intégration européenne. Une tâche aussi lourde qu'exaltante pour un pays qui, onze ans après son indépendance retrouvée, vit l'une des époques les plus prometteuses de son histoire mouvementée.
Rappel des résultats des élections législatives du 3 octobre 1998:
Participation : 71,9%
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