Angela Merkel dirigera un gouvernement de grande coalition rassemblant l'Union Chrétienne-Démocrate et le Parti social-démocrate

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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21 novembre 2005
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

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A l'issue de vingt-six jours de négociation et près de deux mois après les élections législatives du 18 septembre dernier qui n'avaient pas permis de dégager une majorité claire, les deux principales formations politiques allemandes –l'Union chrétienne-démocrate (CDU-CSU) et le Parti social-démocrate (SPD)- ont approuvé le 14 novembre dernier un programme commun de gouvernement épais de cent quatre vingt onze pages pour la prochaine législature, baptisé « Ensemble pour l'Allemagne avec courage et humanité » et fondé sur le triptyque « assainir, réformer et investir ». Pour la deuxième fois depuis la deuxième guerre mondiale (la première grande coalition fût dirigée par le chancelier Kurt Georg Kiesinger de 1966 à 1969), les deux grands partis allemands gouverneront donc le pays rassemblés au sein d'une grande coalition, « seule perspective responsable » selon celle qui dirigera cette nouvelle équipe, Angela Merkel (CDU).

Le nouveau gouvernement comprend, outre la chancelière Angela Merkel, quinze ministres, sept membres du Parti social-démocrate, cinq de l'Union chrétienne-démocrate et deux de l'Union chrétienne-sociale (CSU) : Michael Glos à l'Economie et Horst Seehofer à l'Agriculture et à la Protection du consommateur. L'équipe compte également six femmes, dont trois sociaux-démocrates anciennes membres du gouvernement de Gerhard Schröder reconduites à leur poste (Brigitte Zypries à la Justice, Ulla Schmidt à la Santé et Heidemarie Wieczorek-Zeul à la Coopération et au développement). Les deux vraies surprises de cette nouvelle équipe gouvernementale sont les nominations de Thomas de Maizière (CDU) au poste de ministre de la Chancellerie, celle Horst Seehofer (CSU) au poste de ministre de l'Agriculture et de la Protection des consommateurs et de Franz-Josef Jung (CDU) à la Défense.

Le 14 novembre dernier, l'Union chrétienne-démocrate a largement voté en faveur du programme de gouvernement de grande coalition. Sur les cent seize délégués réunis en congrès, seuls trois ont voté contre et un s'est abstenu. Réunis à Munich, les délégués de l'Union chrétienne-sociale (CSU) ont voté à l'unanimité en faveur du texte rédigé par les deux principales formations politiques allemandes. « Nous sommes dans une situation dramatique. L'Allemagne est surendettée. Seule une grande coalition peut remédier à cette situation » a affirmé le président de la CSU, Edmund Stoiber, qui a pour sa part refusé d'entrer au gouvernement. Enfin, réunis en congrès à Karlsruhe, le Parti social-démocrate a également voté à une large majorité en faveur du programme de gouvernement, seuls vingt-cinq des cinq cents quinze délégués présents s'y sont opposés

« Il vaut mieux « participer au gouvernement avec la force que nous avons que de rester sans influence dans l'opposition » a déclaré Franz Müntefering, président sortant du parti et futur vice-chancelier et ministre du Travail du nouveau gouvernement. Les délégués du Parti social-démocrate ont, lors de leur congrès, élu Matthias Platzeck à la présidence de leur formation en lieu et place de Franz Müntefering, désavoué par un vote interne le 31 octobre. Le nouveau leader, qui conservera la présidence du Land de Brandebourg, a recueilli 99,4% des suffrages (cinq cent douze voix sur cinq cent quinze), un résultat inédit depuis l'élection de Kurt Schumacher en 1948. « Ce score rappelle une époque révolue » a ironisé le nouveau président du SPD. « Mais le résultat a sans doute été acquis de manière correcte » a-t-il ajouté.

L'arrivée d'Angela Merkel à la chancellerie et l'élection de Matthias Platzeck à la tête du Parti social-démocrate consacrent l'accession de la génération des Ossis, du nom donné outre-Rhin aux Allemands originaires de la partie orientale du pays, aux principales fonctions du pouvoir. Les présidents des deux principales formations politiques allemandes ont le même âge (cinquante et un ans) et sont tous deux de formation scientifique (Angela Merkel est physicienne et Matthias Platzeck est spécialiste de cybernétique biomédicale). Si le père du président du Parti social-démocrate était médecin, son grand-père était pasteur comme celui d'Angela Merkel.

Après la chute du Mur de Berlin, le nouveau leader du SPD a fait un bref passage chez les Verts (il fût élu en 1990 député sur la liste Alliance 90-Verts lors les élections du dernier Parlement de la République démocratique allemande) avant de rejoindre le Parti social-démocrate en 1994. Ministre de l'environnement du Land du Brandebourg, il fût notamment remarqué en 1997 pour sa gestion à la fois humaine et efficace des inondations de l'Oder. En 1998, il devient maire de Potsdam et en 2002, il remplace Manfred Stolpe, nommé au gouvernement de Gerhard Schröder, au poste de ministre-président du Brandebourg, Land actuellement dirigé par une coalition alliant le Parti social-démocrate et l'Union chrétienne-démocrate. Ces dernières années, Gerhard Schröder a plusieurs fois proposé à Matthias Platzeck de rejoindre son gouvernement ; Angela Merkel lui a également offert il y a quelques semaines de devenir vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères du gouvernement de grande coalition. Propositions toutes refusées par celui qui, jusqu'alors, déclarait vivre très bien son rôle de « politicien de province ». Rappelons qu'en 2002, l'ancien président du Land du Brandebourg, Manfred Stolpe, avait prédit à Matthias Platzeck qu'il serait « chancelier fédéral dans dix ans au plus ».

«Ensemble pour l'Allemagne avec courage et humanité » : le programme du gouvernement de grande coalition

Le futur gouvernement souhaite consolider le budget afin de le faire revenir dès 2007 dans les seuils exigés par le Pacte de stabilité que l'Allemagne ne respecte plus depuis quatre ans. Epargne et augmentation des impôts sont les deux principaux moyens choisis par Angela Merkel pour atteindre l'objectif numéro un qu'elle s'est fixé : réaliser un minimum de trente-cinq milliards d'euro d'économies en 2007. Les personnes percevant des revenus dépassant deux cent cinquante mille euro par an seront dorénavant imposées à 45% au lieu de 42% actuellement et, mesure phare du programme électoral de l'Union chrétienne-démocrate, la TVA passera de 16% à 19% au 1er janvier 2007. Les recettes supplémentaires que ces mesures produiront serviront à consolider les finances publiques et à baisser les cotisations sociales.

La future grande coalition investira également environ vingt-cinq milliards pour relancer la croissance et l'emploi. D'ici à 2010, 3% du produit intérieur brut allemand devrait être consacré à la recherche. Un salaire parental (fixé à 67 % du dernier salaire avec un plafond de mille huit cents euro mensuels) sera créé pour permettre aux parents qui le désirent de s'arrêter de travailler pour s'occuper de leurs enfants. Enfin, le gouvernement augmentera de 20 à 30 % l'amortissement dégressif pour les entreprises avant d'entreprendre une réforme plus générale de l'imposition des entreprises en 2008. Par ailleurs, les services à la personne (aides ménagères, gardes d'enfants mais également certains travaux d'artisans) pourront, sous certaines conditions, devenir déductibles des impôts, une mesure destinée à lutter contre le travail au noir. Concernant l'emploi, la période d'essai des nouveaux salariés sera prolongée de six mois à deux ans dans les entreprises d'au moins quinze salariés. En outre, les chômeurs de longue durée résidant dans la partie orientale du pays verront leur prestation mensuelle alignée sur celle versée à l'Ouest (soit 345 euro au lieu de 331 actuellement).

Notons que les Verts et le Parti libéral-démocrate (FDP) ont évoqué la possibilité de déposer une plainte contre le caractère inconstitutionnel du budget prévu pour 2006. En effet, celui-ci envisage un déficit de quarante et un milliards d'euro, donc supérieur aux vingt-trois milliards d'euro d'investissements prévus, ce qui est formellement interdit par la Constitution allemande.

Les principales critiques faites au programme de gouvernement adopté par les deux principales formations politiques allemandes reposent sur le fait que les réformes structurelles (réforme de la santé, consolidation des finances publiques) pour lesquelles tous considèrent que l'Allemagne a déjà trop attendu, se trouvent reportées à la deuxième moitié de la législature. Le futur gouvernement souhaite en effet relancer l'économie avant de s'attaquer à des réformes plus profondes et plus douloureuses. Les syndicats comme les fédérations patronales et de nombreux analystes politiques se déclarent très sceptiques sur le fait que ce gouvernement de coalition puisse aller au terme de la législature.

« Je sais que le succès de cette grande coalition sera mesuré dans les prochaines années à l'aune de cette question : y a-t-il plus d'emplois en Allemagne ? » a souligné Angela Merkel, faisant écho aux propos de Gerhard Schröder qui déclarait en 1998 « Si je ne réussis pas à réduire le chômage, je ne mériterai pas d'être réélu ». Si le futur gouvernement sera effectivement jugé sur les résultats qu'il obtiendra sur le front de l'emploi, il le sera également sur sa capacité à redonner confiance dans l'action politique aux citoyens allemands. Les deux principales formations ont donc mis leurs divergences –importantes- entre parenthèses et fait prévaloir le pragmatisme nécessaire pour s'accorder sur un programme de gouvernement qui leur permet d'éviter pour l'heure des élections législatives anticipées dont ne veulent ni la classe politique ni les citoyens allemands. Les résultats de l'ensemble des enquêtes d'opinion réalisées sur ce sujet depuis le 18 septembre dernier révèlent que 80% de la population se déclare opposés à l'organisation d'un nouveau scrutin.

Sauf énorme surprise, Angela Merkel sera élue chancelière par le Bundestag le 22 novembre prochain. Elle deviendra à cette occasion la première femme et la première personnalité originaire de l'ancienne Allemagne de l'Est à occuper cette fonction. Elle sera également la plus jeune chancelière que la République fédérale ait connue. Angela Merkel devrait prononcer son discours de politique générale à la fin du mois de novembre.

Les seize membres du nouveau gouvernement allemand

Angela Merkel (CDU), chancelière

Franz Müntefering (SPD), vice-chancelier, ministre du travail et des Affaires sociales

Michael Glos (CSU), ministre de l'Economie

Peer Steinbrück (SPD), ministre des Finances

Wolfgang Schäuble (CDU), ministre de l'Intérieur

Frank-Walter Steinmeier (SPD), ministre des Affaires étrangères

Franz-Josef Jung (CDU), ministre de la Défense

Brigitte Zypries (SPD), ministre de la Justice

Annette Schavan (CDU), ministre de l'Education, de la Formation et de la Recherche

Wolfgang Tiefensee (SPD), ministre des Transports et du Développement de l'Est

Ulla Schmidt (SPD), ministre de la Santé

Ursula von der Leyen (CDU), ministre de la Famille

Sigmar Gabriel (SPD), ministre de l'Environnement

Heidemarie Wieczorek-Zeul (SPD), ministre de la Coopération et du développement

Horst Seehofer (CSU), ministre de l'Agriculture et de la protection du consommateur

Thomas de Maizière (CDU), ministre de la Chancellerie

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