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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
Avec 51,99% des suffrages, Viktor Ioutchenko (Notre Ukraine) est élu Président de la République d'Ukraine à l'issue du troisième tour de l'élection présidentielle, organisé après l'invalidation, pour fraudes massives le 3 décembre dernier par la Cour suprême du pays, du deuxième tour qui s'était déroulé le 21 novembre. Son adversaire, Viktor Ianoukovitch (Parti des régions), recueille 44,19% des suffrages. La participation s'est élevée à 77,22%, soit 3,6 points de moins que le 21 novembre dernier.
« C'est une victoire du peuple ukrainien, de la nation ukrainienne. Nous avons été indépendants pendant quatorze ans, maintenant, nous sommes libres » a déclaré Viktor Ioutchenko à l'issue de l'annonce des premiers résultats devant ses partisans rassemblés Place de l'indépendance à Kiev. « L'avenir de l'Ukraine ne dépend ni de Moscou ni de la Pologne ni de l'Amérique ni de l'Europe. L'avenir de l'Ukraine ne dépend que de nous » a t-il ajouté, invitant la population à « se retrousser les manches pour servir le pays ». « Tout se déroulera conformément à la loi et personne n'a de craintes à avoir. Viktor Ioutchenko et moi-même ne mangeons pas d'enfants au petit déjeuner, nous sommes des personnes normales. (...) Des réformes seront menées à différents niveaux mais cela ne veut pas dire que nous serons cruels dans ce que nous ferons. Une nouvelle ère politique s'ouvre aujourd'hui en Ukraine C'est le début d'une nouvelle grande démocratie » a pour sa part affirmé la député Ioulia Timochenko sur la chaîne de télévision Kanal 5.
Cinq jours ont été nécessaires à Viktor Ianoukovitch pour sinon reconnaître sa défaite, ce qu'il n'a toujours pas fait, du moins accepter l'élection de son adversaire à la Présidence de la République. Le Premier ministre, bien décidé à « défendre le vote de (m)es électeurs par tous les moyens légaux possibles » avait déposé quatre plaintes devant la Commission électorale centrale pour « les violations systématiques aux droits constitutionnels des électeurs » constatées, selon lui, lors du scrutin. Il avait notamment dénoncé le fait que, selon lui, des millions d'électeurs –personnes âgées et malades- n'avaient pu voter en raison d'une loi limitant le droit de vote à domicile qui n'a été annulée que la veille du scrutin. Débouté de ses plaintes le 30 décembre, Viktor Ianoukovitch a annoncé sa démission lors d'une allocution diffusée par la chaîne de télévision TRK-Ukraïna. « J'ai pris une décision et je présente une demande formelle concernant ma démission. Dans les conditions actuelles, je considère qu'il est impossible d'occuper n'importe quel poste dans un Etat dirigé par ce pouvoir » a déclaré le candidat du pouvoir en place. « Notre pays est proche d'une défaite sérieuse pour la première fois en treize ans, son indépendance est mise en cause. Des forces extérieures se sont servies d'une crise intérieure pour montrer au monde entier leur force et leur influence » a t-il ajouté qualifiant « d'illégitime » le troisième tour de l'élection présidentielle. Viktor Ianoukovitch a également affirmé qu'il continuerait à lutter « avec tous les moyens possibles pour la préservation de l'Etat, le respect de la Constitution des droits civils et de la liberté du peuple ». Le Premier ministre sortant a désormais sept jours pour faire appel du rejet de ses plaintes par la Commission électorale centrale auprès de la Cour suprême. Il pourrait également contester le résultat du vote devant la Cour suprême après sa publication officielle dans les journaux gouvernementaux.
De son côté, le Président de la République sortant, Leonid Koutchma, a appelé, lors de la présentation télévisée de ses vœux pour la nouvelle année, le peuple ukrainien à « accepter le choix démocratique » de l'élection présidentielle du 26 décembre. « En 2005, l'Ukraine aura un nouveau Président et toute l'Ukraine doit accepter ce choix démocratique comme étant le sien car cette personne aura besoin de votre soutien » a t-il déclaré sans toutefois citer le nom de Viktor Ioutchenko. « Nous avons devant nous de nouvelles tâches importantes et derrière nous le chemin traversé. Des pays ont mis des décennies pour le parcourir et malheureusement ne l'ont pas fait de façon pacifique, sans que le sang soit versé. Je voudrais exprimer ma reconnaissance à ceux qui ont contribué à la mise en oeuvre de la réforme constitutionnelle, à tous ceux qui ont défendu leurs droits pour leur choix politique lors de la dernière élection présidentielle, peu importe leur préférence et à tous ceux qui ont permis que la récente crise politique trouve une issue pacifique » a ajouté le Président sortant.
« Ce dimanche est un bon jour pour la démocratie. Il est important maintenant que le processus démocratique puisse se poursuivre sans obstacle avec l'aide de toutes les parties » a déclaré le Président de la Commission européenne José Manuel Durao Barroso, ajoutant « C'est également un jour important pour les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine. La tenue d'élections libres et équitables ouvre la voie vers une coopération renforcée avec ce pays, faisant plein usage du plan d'action prévu dans le cadre de la politique de voisinage de l'Union ». De leur côté, les Etats-Unis, par la voix de leur Secrétaire d'Etat, Colin Powell, ont qualifié l'élection de « libre et juste » et de « moment historique ». « Les Ukrainiens peuvent être fiers de cette réalisation » a souligné Colin Powell.
Ce troisième tour de scrutin est en revanche une sévère défaite pour Vladimir Poutine qui, s'il déclare accepter le résultat des urnes, s'était personnellement engagé en faveur de Viktor Ianoukovitch et s'était rendu par deux fois en Ukraine avant les premier et deuxième tours de scrutin pour soutenir le candidat du pouvoir en place. Durant les jours qui ont suivi le deuxième tour de l'élection et alors que les partisans de Viktor Ioutchenko dénonçaient les fraudes massives, le Président russe n'avait pas hésité à dénoncer un « complot de l'étranger ». Vladimir Poutine s'est montré très critique envers la « révolution orange », intervenant un an après la « révolution des roses » en Géorgie qui a évincé Edouard Chevardnadze et porté à la tête du pays Mikhaïl Saakachvili. Ce dernier, qui a fait ses études dans le pays et qui parle très bien l'ukrainien, est d'ailleurs venu à Kiev fêter le passage à 2005 « Je suis venu à Kiev à l'invitation de Viktor Iouchtchenko pour féliciter tous les Ukrainiens à l'occasion du Nouvel an et pour leur victoire. Je vous souhaite une heureuse année avec votre nouveau Président » a déclaré Mikhaïl Saakachvili. Avec l'élection de Viktor Ioutchenko, la Russie va en effet devoir faire face à un pays plus indépendant avec lequel les tractations devraient être plus ardues que par le passé. Enfin, le scénario ukrainien, parce qu'il pourrait inspirer ses voisins russes, ne peut qu'effrayer le Président russe même si, à court terme, des manifestations populaires contre le régime de Vladimir Poutine paraissent exclues, aucune force démocratique ne semblant en mesure de mobiliser la population.
Plus de douze mille observateurs internationaux –un chiffre record- venus des Etats-Unis, du Canada, d'Europe (Parlement européen, Conseil de l'Europe et Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe, OSCE) et de la Communauté des Etats indépendants (CEI), étaient présents afin de veiller sur la régularité de cette élection présidentielle dans les trente-trois mille bureaux de vote répartis à travers le pays. Le 21 novembre dernier, cinq mille personnes avaient été mobilisées. Quatre des quinze membres de l'ancienne Commission électorale centrale avaient également été remerciés et un nouveau président, Iaroslav Davidovitch, nommé à la tête de l'institution.
« L'élection présidentielle ukrainienne s'est rapprochée substantiellement des normes de l'OSCE et d'autres normes européennes et nationales. Le peuple de ce grand pays a franchi un grand pas vers la tenue d'élections libres et équitables en élisant son prochain Président » a estimé le chef de la mission d'observation de l'OSCE, Bruce George. Ohor Popov, président de l'organisation non gouvernementale ukrainienne, le Comité des électeurs, a de son côté estimé qu'il « n'y avait eu certaines violations mais que celles-ci n'étaient ni importantes ni systématiques ».
21 novembre-26 décembre : Rappel des faits
Dès l'annonce des résultats du deuxième tour de l'élection présidentielle le 21 novembre dernier, des dizaines de milliers de partisans de Viktor Ioutchenko se sont mobilisés sur la Maïdan Nezalejnosti (Place de l'indépendance) dans la capitale Kiev. Le 23 novembre, les députés des formations de l'opposition proclament lors d'une séance boycottée par les membres du parti au pouvoir l'élection de Viktor Ioutchenko au poste de Président de la République. Le lendemain, la Commission électorale centrale annonce officiellement la victoire de Viktor Ianoukovitch au deuxième tour de l'élection présidentielle, une victoire contestée par les Etats-Unis, le Canada et les pays de l'Union européenne. Le 24 novembre, les formations d'opposition appellent à la grève générale. Trois jours plus tard, le Parlement ukrainien déclare invalide le résultat de l'élection présidentielle. Celui-ci est annulé le 3 décembre par la Cour suprême qui convoque un nouveau tour de scrutin pour le 26 décembre. Enfin, le 8 décembre, les députés adoptent une réforme constitutionnelle réduisant à partir de septembre 2005 les pouvoirs du Président de la République et votent des amendements à la loi électorale afin de limiter au maximum les risques de fraude lors du vote du 26 décembre.
Le 11 décembre, les médecins autrichiens de Viktor Ioutchenko affirment que celui-ci a été empoisonné à la dioxine, cette toxine lui ayant été administrée par voie orale sans doute « par une tierce partie ». Les dirigeants des services spéciaux ukrainiens (SBU), avec qui le candidat de l'opposition avait dîné la veille de la déclaration de sa maladie, continuent à nier toute implication dans cet empoisonnement. Le 11 décembre, l'assemblée régionale de Donetsk annule également le référendum initialement prévu le 9 janvier sur la création d'une fédération en Ukraine. « L'Ukraine est un Etat uni, indépendant et notre région, qui en fait partie, a travaillé et travaillera toujours pour l'Ukraine et le peuple ukrainien » déclare Anatoli Blizniouk, gouverneur de la région. « L'idée d'un référendum était fondée sur des émotions. Nous avons compris que l'autonomie serait une impasse » ajoute le porte-parole de l'administration de Donetsk, Ihor Tchitchassov.
L'avenir de l'Ukraine
Agé de cinquante ans, originaire de Khoroujivka dans la région de Soumi, à 350 kilomètres à l'Est de la capitale, Viktor Ioutchenko a étudié les sciences économiques à Ternopol dans l'Ouest du pays. En 1993 alors qu'il est vice-directeur d'une banque d'Etat à Kiev, il succède à la tête de la Banque centrale ukrainienne à son mentor Vadim Hetman. Il y restera six ans, réussissant à maîtriser l'inflation galopante et créant la monnaie nationale, la hryvnia. Nommé Premier ministre en 1999 par le Président de la République Leonid Koutchma, Viktor Ioutchenko supprime le troc encore largement pratiqué, réforme le secteur de l'énergie, organise des privatisations considérées comme transparentes et parvient à relancer l'économie. En 2001 après avoir été remercié par Leonid Koutchma, il fonde la coalition Notre Ukraine, qui devient la première force politique du pays en remportant cent douze des quatre cent cinquante sièges du parlement lors des élections législatives du 30 mars 2002, et s'allie au printemps 2004 avec le Bloc Ioulia Timochenko.
Le nouveau Président a promis de se rendre en Russie pour sa première visite officielle à l'étranger. « Je n'ai pas changé d'avis. J'irai en premier lieu à Moscou. Je dois montrer à la Russie que nos relations étaient faussées car elles servaient des clans ukrainiens. Cette page doit être tournée si nous sommes des amis, prêts à nous regarder droit dans les yeux. Nous pourrons oublier qu'à Moscou fleurissaient les portraits de Viktor Ianoukovitch. Je n'ai pas du tout apprécié le fait que la Russie soutienne ouvertement un candidat. Ce fût blessant pour des millions d'Ukrainiens. Il faudra plus d'un mois de travail pour que nos relations redeviennent ce qu'elles étaient » a déclaré Viktor Ioutchenko dans une interview au quotidien russe Izvestia le lendemain de son élection à la tête du pays.
Le nouveau Président a également affirmé, dans un entretien au quotidien néerlandais Algemeen Dagblad, que l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne constituerait « l'objectif principal » de son mandat.
Le 30 décembre, dans un entretien avec la chaîne de télévision Kanal 5, le nouveau Président de la République est revenu sur sa promesse de revoir certaines privatisations réalisées sous le régime de Leonid Koutchma, estimant « qu'une telle mesure sèmerait le chaos ». Durant sa campagne électorale, il avait déclaré que les privatisations « illégales », telle celle de l'aciérie Krivorijstal, dont 93% des actions ont été rachetées en juin dernier pour huit cent millions de dollars par le gendre du Président Leonid Koutchma, Viktor Pintchouk, et l'homme le plus riche d'Ukraine, Rinat Akhmetov, « seraient révisées conformément à loi ».
Plus qu'une bataille entre l'Est et l'Ouest du pays, le vote du 26 décembre s'est joué sur le désir des Ukrainiens de sortir du post-communisme et de vivre dans une société débarrassée de la corruption et dans laquelle règne l'Etat de droit. L'Ukraine paraît en effet moins divisée que ce que certains ont tenu à faire croire. Rappelons que plus de 80% de la population des régions orientales a voté pour l'indépendance lors du référendum de 1991 et qu'en 2001, la proportion d'habitants de Donetsk se prononçant en faveur d'une division du pays ne dépassait pas les 5%. Le « mythe » de la division de l'Ukraine, souvent utilisée par le Président de la République Leonid Koutchma pour justifier sa politique et son autoritarisme, n'a d'ailleurs jamais été aussi fréquemment mis en avant que lors de cette élection présidentielle.
Viktor Ioutchenko dispose d'un peu plus d'un an avant les prochaines élections législatives de 2006, mais de neuf mois seulement avant l'entrée en vigueur de la réforme constitutionnelle qui interviendra en septembre 2005 (ou, au plus tard, en janvier 2006) et qui réduira les pouvoirs du Président de la République au profit du Parlement. Le nouveau Chef de l'Etat a promis de former un gouvernement d'union nationale « pour panser les plaies de ces élections ». Un souhait qu'avait émis le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, Bernard Bot, dont le pays présidait l'Union européenne jusqu'au 31 décembre. « Ce serait une bonne solution car l'intérêt de l'Ouest est que l'Ukraine reste unie » a-t-il déclaré.
Selon Volodymir Litvin, président du Parlement ukrainien, les événements de ce dernier mois marquent « l'étape finale de la désintégration de l'Union soviétique ». Pour Vladimir Malinkovitch, directeur de l'Institut international d'études humaines et politiques de Kiev, « l'Ukraine est sortie de l'orbite russe et devient ainsi la première République ex-soviétique à sortir du moule de la Communauté des Etats indépendants –CEI- qui favorisait l'autoritarisme présidentiel ». Mais l'Ukraine aura désormais besoin de l'aide de l'ensemble des Etats occidentaux pour parvenir à trouver un équilibre entre les réformes prônées par l'Union européenne et les difficultés de la Russie à voir le pays s'échapper de sa sphère d'influence.
Résultats du troisième tour de l’élection présidentielle ukrainienne du 26 décembre 2004
Participation : 77,22%

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