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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Fondation Robert Schuman
Le Premier ministre Viktor Ianoukovich (Parti des régions, PR) et le principal candidat d'opposition, Viktor Ioutchenko (Notre Ukraine), sont arrivés quasiment à égalité lors du premier tour de l'élection présidentielle qui s'est déroulé en Ukraine le 31 octobre. Le candidat du pouvoir a recueilli 39,88% des suffrages, contre 39,22% à son principal adversaire. « Les forces démocratiques ont gagné en Ukraine. Les gens ont montré que ce régime peut être battu » a déclaré Viktor Ioutchenko à l'issue de l'annonce des premiers résultats. « Nous allons construire un pouvoir respecté dont personne n'aura peur. Nous allons construire un régime où seront représentées toutes les forces politiques. La démocratie est forte lorsqu'elle est portée par des millions de bras » a ajouté le leader de l'opposition, affichant son optimisme quant à sa capacité de mobilisation pour le deuxième tour. De l'avis des analystes politiques, Viktor Ioutchenko a réalisé un bon résultat lors de ce premier tour de scrutin, considérant sa difficile campagne électorale et les nombreux obstacles auxquels il s'est trouvé confronté, et notamment son accès limité aux médias nationaux. « Cet écart de moins d'un pour cent peut être considéré comme un succès relatif pour Viktor Ioutchenko » estime ainsi Mikhaïlo Pogrebinski, un politologue pourtant proche du pouvoir en place.
Oleksandr Moroz (Parti socialiste d'Ukraine, SPU) est arrivé en troisième position, obtenant 5,77% des voix, suivi par Petro Simonenko (Parti communiste d'Ukraine, KPU) qui recueille 5,20% des suffrages. Le taux de participation, l'un des plus forts jamais enregistré en Ukraine, s'est élevé à 74,48%. On note que les électeurs de l'Ouest du pays, plus largement favorables à Viktor Ioutchenko, se sont plus fortement mobilisés que ceux de l'Est.
De nombreuses violences et irrégularités ont été recensées lors de ce premier tour privant de nombreux électeurs de leur droit de vote. Des problèmes concernant les listes électorales ont été observés dans la capitale Kiev, à Kharkiv dans l'Est du pays, à Simféropol en Crimée et dans la région de Lviv dans l'Ouest où par exemple les habitants d'un immeuble de construction récente n'avaient pas été inscrits sur les listes. La Commission électorale régionale de Crimée a reçu deux cents plaintes d'électeurs empêchés de voter, a signalé Olena Kouzmina, présidente de cet organisme. Des pannes de système informatique ont été constatées à Novoukraïnsk au Sud-Est du pays ; dans certains bureaux, les bulletins de vote étaient en nombre insuffisant, dans d'autres, ils étaient barrés ou recouverts par un signe distinctif.
« Nous devons conclure que, sur la base de nos observations, le premier tour de l'élection présidentielle n'a pas répondu aux normes de l'OSCE, du Conseil de l'Europe et de nombreuses autres normes pour des élections démocratiques » a déclaré Geert Ahrens, chef de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ajoutant que « cette élection constitue un pas en arrière par rapport aux dernières élections législatives de 2002 ». L'OSCE avait envoyé en Ukraine six cents observateurs chargés de veiller à la régularité du scrutin.
« Nos observateurs ont rapporté que de nombreux électeurs n'ont pu voter parce que leurs noms n'étaient pas inscrits sur les listes électorales et que des pressions sérieuses étaient exercées sur des étudiants par les directeurs de leurs établissements » a déclaré Peter Novotny, responsable d'ENEMO, réseau européen d'organisations non gouvernementales veillant au bon déroulement des élections. Cette ONG regroupe des observateurs de seize pays d'Europe centrale et orientale ainsi que de l'ancienne URSS, qui lors, de ce premier tour de scrutin, étaient présents dans environ trois cents bureaux de vote à travers toute l'Ukraine.
Les Etats-Unis ont également mis en doute la régularité du premier tour de l'élection présidentielle. Si le département d'Etat, par la voix d'Adam Ereli, porte-parole adjoint du ministère américain des Affaires étrangères, a déclaré souhaiter attendre le résultat complet de l'élection pour juger de sa régularité, il a cependant souligné que le premier tour avait été terni par « de graves violations » et marqué par « des irrégularités significatives ». « Nous voyons le deuxième tour le 21 novembre comme une occasion pour l'Ukraine d'affirmer son attachement aux principes démocratiques et nous pressons les autorités de laisser le peuple faire son choix librement » a déclaré Adam Ereli. L'ambassade des Etats-Unis en Ukraine a également dénoncé « le saccage des locaux d'organisations non gouvernementales soutenant la démocratie et du domicile de leurs employés sous des prétextes fallacieux ainsi que des interpellations de militants pour la démocratie ». « Si cette élection ne respectait pas les normes internationales, diverses mesures seraient envisagées contre les responsables de cet échec électoral et les relations bilatérales, ainsi que l'intégration de l'Ukraine dans les institutions euro-atlantiques, en souffriraient » affirme un communiqué publié par l'ambassade des Etats-Unis à Kiev.
De son côté, l'Union européenne a « regretté » que le premier tour de ce scrutin présidentiel n'ait pas répondu aux normes démocratiques et appelé les autorités à améliorer la situation avant le deuxième tour du 21 novembre prochain. L'Union européenne a dénoncé les « problèmes importants avec les listes d'électeurs, le nombre insuffisant de bulletins de vote et le manque de transparence lors du dépouillement des bulletins », se félicitant néanmoins « d'un taux de participation élevé et de l'existence d'une société civile active pendant la campagne électorale, éléments encourageants pour le développement de la démocratie en Ukraine ».
Face à ces condamnations unanimes, le Premier ministre Viktor Ianoukovich a promis que « le pouvoir exécutif corrigera toutes les erreurs et les irrégularités qui le concernent, notamment sur les listes électorales ».
Lors de sa visite à Kiev le 28 octobre dernier pour commémorer le soixantième anniversaire de la libération de l'Ukraine des troupes nazies, le Président russe Vladimir Poutine avait apporté publiquement son soutien au Premier ministre Viktor Ianoukovich, soulignant « les tendances positives » de la politique menée par Leonid Koutchma et affirmant que si les Ukrainiens choisissaient une autre voie (que celle suivie par l'actuel régime), « il y aura un arrêt et peut-être même un retour en arrière ».
Les résultats de ce premier tour de l'élection présidentielle ont mis en évidence les divisions traditionnelles séparant les deux parties de l'Ukraine. Viktor Ioutchenko a ainsi recueilli des résultats approchant les 90% des suffrages dans les régions de Lviv et Ivano-Frankivsk, situées dans la partie occidentale du pays, plus tournée vers l'Europe tandis que Viktor Ianoukovich obtenait des scores comparables dans l'Est du pays, plus proche de la Russie, et notamment à Donetsk, ville dont il était gouverneur, et Louhansk. Le Premier ministre a d'ailleurs fait campagne pour un renforcement des liens de l'Ukraine avec la Russie, déclarant que l'adhésion à l'Union européenne et à l'OTAN ne présentait aucun intérêt pour l'Ukraine. Viktor Ianoukovich, qui s'était également rendu à Moscou durant sa campagne électorale pour rencontrer des Ukrainiens de la diaspora (environ trois millions d'entre eux vivent en Russie), est favorable à la création d'une union économique rassemblant l'Ukraine, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan.
De nombreuses mesures de sécurité avaient été prises par le pouvoir pour éviter tout débordement lors du premier tour de l'élection présidentielle. Cent cinquante policiers avaient été déployés à Kiev autour du siège de la Commission électorale centrale protégée également par une clôture de sécurité. En outre, des véhicules blindés et des canons à eau avaient été placés à l'intérieur de l'enceinte pour disperser les manifestants éventuels. Viktor Ioutchenko, craignant les fraudes électorales, avait appelé ses sympathisants à se regrouper dimanche soir autour des bureaux de vote mais finalement renoncé à l'idée d'un grand rassemblement devant le siège de la Commission électorale centrale.
Dix mille personnes, dont une grande majorité d'étudiants, se sont rassemblées à Lviv à l'appel de Viktor Ioutchenko, pour protester contre la falsification des résultats du premier tour. Les manifestants brandissaient des drapeaux ukrainiens ou oranges, couleur du candidat d'opposition. A Kiev, seuls trois cents membres du mouvement Pora (signifiant « Il est temps » en ukrainien) qui rassemble des étudiants soutenant la candidature de Viktor Ioutchenko à l'élection présidentielle, s'étaient réunis sur la place de l'Indépendance pour contester les résultats du premier tour. Mardi, deux mille personnes ont de nouveau exprimé leur soutien à Viktor Ioutchenko dans les rues de Kiev. « Le pouvoir ment » « Ioutchenko, OUI », « Non aux falsifications » scandaient les manifestants. « C'est une action préventive d'information et nous avons l'intention d'organiser quotidiennement des manifestations pacifiques à travers toute l'Ukraine » a déclaré Andriï Iousssov, l'un des responsables de l'organisation Pora.
Selon les analystes politiques, les votes en faveur d'Oleksandr Moroz pourraient au deuxième tour se reporter sur Viktor Ioutchenko tandis que ceux de Petro Simonenko, favorable à un rapprochement de l'Ukraine avec la Russie, devraient aller au Premier ministre Viktor Ianoukovich. « Cette élection est cruciale car le choix auquel l'Ukraine doit faire face est le suivant : ou elle bascule vers un régime autoritaire à la russe ou elle poursuit, même en boitant, son chemin vers la démocratie » a affirmé le politologue Alexandre Dergatchov. Les deux Viktor se retrouveront le 21 novembre prochain pour le second tour de cette élection présidentielle.
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