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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
Le 1er octobre dernier, une enquête d'opinion réalisée par l'institut Romir révélait qu'un Russe sur deux (51%) considère que la Russie n'est pas un Etat démocratique et que les deux tiers des habitants de ce pays (69%) ne pensent pas qu'un changement de pouvoir puisse advenir au travers d'élections libres et justes. C'est dans ce contexte que les électeurs russes sont appelés aux urnes le 7 décembre prochain afin de choisir leurs représentants à la Douma, Chambre basse du Parlement, pour la quatrième fois depuis la chute de l'Union soviétique.
A la veille de ces élections législatives, les analystes politiques mettent en avant l'absence de concurrence entre les formations politiques et la faible motivation des électeurs. Les hommes politiques sont particulièrement inquiets à la fois du fort taux d'abstention prévu par les enquêtes d'opinion et par le risque d'un vote massif « contre tous les candidats », une possibilité figurant sur le bulletin de vote et par laquelle un électeur peut exprimer son rejet de l'ensemble des candidats à l'élection. La faible participation enregistrée le 6 octobre dernier lors de l'élection de Valentina Matvienko au poste de gouverneur de Saint-Pétersbourg (28,25%) a fait l'effet d'un coup de semonce auprès des autorités politiques et sonné comme un avertissement pour le scrutin législatif du 7 décembre prochain. Le ministre des Situations d'urgence et catastrophes naturelles, Sergueï Choïgou, leader de la formation Russie unie, a même récemment proposé de priver de leur citoyenneté les Russes qui ne se rendraient pas aux urnes lors de trois élections successives.
Le système politique russe
L'Assemblée fédérale de la Fédération de Russie est composée de deux Chambres : le Conseil de la Fédération et la Douma. La Douma compte quatre cent cinquante membres élus pour quatre ans selon un mode de scrutin mixte. Deux cent vingt-cinq députés sont élus au scrutin uninominal au sein de circonscriptions territoriales et deux cent vingt-cinq au scrutin de liste. Dans ce dernier cas, la Russie toute entière constitue une seule circonscription électorale, les suffrages attribués aux formations politiques sont cumulés à l'échelle du pays tout entier. Un minimum de 5% des voix est nécessaire pour être représenté à la Douma. Vingt-trois partis ont été enregistrés et prendront part aux élections législatives du 7 décembre prochain.
Quatorze formations politiques sont représentées dans l'actuelle Douma dont les principales sont les suivantes :
Unité, formation majoritaire soutenant le Président Vladimir Poutine et dirigée par le ministre des Situations d'urgence et catastrophes naturelles, Sergueï Choïgou ;
Patrie-Toute la Russie (OVR), dirigé par Iouri Loujkov ;
Parti communiste (PCFR), formation dirigée par Guennadi Ziouganov, qui peine à représenter une alternative politique crédible ;
Union des forces de droite (SPS), parti dirigé par Anatoli Tchoubaïs ;
Iabloko, qui signifie la pomme, formation dirigée par Grigori Iavlinski ;
Parti démocrate libéral (LDPR), dirigé par Vladimir Jirinovski.
Le Conseil de la Fédération comprend cent soixante dix-huit membres, soit deux représentants du pouvoir législatif et exécutif pour chacune des quatre vingt-neuf entités composant la Fédération de Russie (vingt et une républiques, six territoires, quarante-neuf régions, une région autonome, dix districts autonomes et deux villes d'importance fédérale). Les membres du Conseil de la Fédération ont été nommés en juillet 2000. La Russie est divisée en sept circonscriptions fédérales (Centre, Nord-Ouest, Sud, Bassin de la Volga, Oural, Sibérie et Extrême-Orient), chacune étant dirigée par un représentant plénipotentiaire du Président de la République.
La campagne électorale
Dès le début de la campagne électorale, plusieurs formations (Parti communiste et Iabloko) ont dénoncé le non-respect du pacte de bonne conduite électorale, accusant notamment les médias d'être aux ordres du pouvoir et de ne pas respecter la pluralité politique. « Avec le Président », tel est le slogan et l'intégralité du programme de Russie unie (Edinaïa Rossia), emmenée par le ministre des Situations d'urgence et catastrophes naturelles, Sergueï Choïgou. « Nous ne voulons pas la pensée unique, le monopole politique, le parti Etat, nous voyons notre mission dans le rassemblement de la majorité pour régler les problèmes du pays. Nous sommes différents mais ensemble, avec le Président » déclarait le ministre de l'Intérieur Boris Gryzlov. De son côté, Vladimir Poutine a souhaité une « campagne propre et transparente » et que le scrutin soit l'occasion « d'une lutte d'opinions politiques et de programmes et non de révélations compromettantes ». Les précédentes élections législatives du 19 décembre 1999 avaient en effet été précédées d'une campagne au cours de laquelle les différentes formations s'étaient affrontées autour des « kompromaty », c'est-à-dire des documents compromettants (dossiers, écoutes téléphoniques ou cassettes vidéo) à l'authenticité invérifiable.
Le 3 septembre dernier, jour du lancement de la campagne électorale pour les élections législatives, entrait en vigueur la nouvelle loi sur les médias réduisant de beaucoup la liberté des journalistes. Cette loi interdit de « décrire les conséquences possibles de l'élection ou non d'un candidat », de parler des activités d'un candidat en dehors de celles liées à sa profession et bannit « toute action » des journalistes pouvant influencer le choix des électeurs. Après deux violations successives, un média peut être soumis à une amende puis suspendu jusqu'à la fin de la campagne sur demande de la Commission électorale. A la veille des élections législatives du 7 décembre prochain, l'ensemble des chaînes de télévision nationales, privées ou d'État, ont été placées sous le contrôle de groupes proches du Kremlin (la dernière télévision généraliste indépendante, TVS, a été fermée le 22 juin dernier). Enfin, l'État a décidé en septembre dernier de reprendre sous son strict contrôle le principal institut de sondages, dirigé depuis 1988 par Iouri Levada, sociologue renommé, qui à la fin des années soixante avait déjà été écarté de l'unique centre de sociologie existant en Union soviétique.
Guennadi Ziouganov, leader du Parti communiste (PCFR), a d'ores et déjà accusé la formation du Kremlin « Russie Unie » de préparer des fraudes et qualifié à l'avance les élections législatives du 7 décembre prochain de « sales élections de filous ». Le dirigeant communiste arpente les provinces en présentant son programme électoral, centré sur les thèmes de l'emploi et des retraites, du contrôle de l'Etat sur l'énergie, les transports et les richesses naturelles (terres, forêts, etc.) qui, selon le PC, appartiennent au peuple et ne peuvent être la propriété de particuliers. Guennadi Ziouganov accuse les réformateurs d'avoir « détruit » l'Union soviétique « pour s'emparer des ressources naturelles du pays ». Dans ses discours, il n'hésite pas à faire l'éloge de Staline « qui a construit neuf mille usines en dix ans alors que les réformateurs post soviétiques ont tué dix-neuf mille entreprises après la chute de l'URSS ».
Deux autres des plus importantes formations d'opposition, les partis libéraux, l'Union des forces de droite (SPS) et Iabloko, ont de leur côté manifesté dans le centre de la capitale Moscou, vendredi 7 novembre, journée de l'entente et de la réconciliation (férié en Russie) qu'elles ont rebaptisé « jour de la défense de la liberté et de la démocratie ». Une quinzaine d'intellectuels et représentants de la société civile ont demandé dans une déclaration publique aux deux partis libéraux de faire alliance pour défendre les valeurs démocratiques menacées selon eux par Vladimir Poutine. « La scission de la société démocratique russe, la confrontation entre Iabloko et l'Union des forces de droite se sont révélées stériles dans le passé. Aujourd'hui, cette stérilité peut se transformer en catastrophe. (...) Un ennemi commun doit rapprocher, devant lui, les ennemis d'hier doivent devenir des alliés » souligne le texte signé entre autres par les écrivains Vladimir Voïnovitch et Boris Akounine, le dramaturge Alexandre Guelman et l'ancien ambassadeur de la Russie en France, Iouri Ryjov. Les deux formations libérales ne sont jusqu'à aujourd'hui jamais parvenues à s'entendre.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Vtsiom-A et publiée le 17 novembre dernier, la formation présidentielle Russie unie arriverait en tête des intentions de vote, recueillant 29% des suffrages contre 23% pour le Parti communiste. Les deux formations étaient, selon le même institut d'opinion, au coude à coude dans les sondages d'octobre dernier (26% chacun). Le Parti libéral démocrate (LDPR) arrive en troisième position avec 8% d'intentions de vote (5% en octobre), suivi des formations libérales, Iabloko et l'Union des forces de droite, qui obtiendraient chacune 6%.
L'affaire Ioukos, nouvelle étape du combat entre siloviki et oligarques
Le 25 octobre dernier, au petit matin, le milliardaire Mikhaïl Khodorkovski, patron de IoukosSibneft, quatrième groupe mondial de l'industrie pétrolière, est arrêté et placé en détention provisoire jusqu'au 30 décembre prochain. Le milliardaire (sa fortune est estimée à huit milliards de dollars par le magazine américain Forbes) est accusé d'évasion fiscale et d'escroquerie à grande échelle, accusations pour lesquelles il risque jusqu'à dix ans de prison. Cette arrestation, qui intervient en pleine campagne électorale, n'est pas anodine. En effet, le milliardaire ne cachait pas ses ambitions politiques et semblait tout à fait à même de pouvoir un jour se poser en rival du Président.
Agé de quarante ans, Mikhaïl Khodorkovski a fait partie des Komsomols (Jeunesses communistes) avant de se lancer dans les affaires. Celui qui dès l'adolescence déclarait vouloir devenir « directeur d'une des plus grosses usines de l'Union soviétique » était jusqu'à il y a quelques semaines à la tête de Ioukos, groupe d'une valeur estimée à cinquante milliards de dollars, privatisé au milieu des années quatre vingt dix, employant deux cent mille personnes, produisant 2,3 millions de barils de pétrole par jour et représentant 20% de la production totale de la Russie et 3% de son PIB. Le patron de Ioukos avait récemment rendu public l'état de sa fortune et la structure de ses sociétés, souhaitant promouvoir la transparence au sein de la société russe. Mikhaïl Khodorkovski, qui a été vice-ministre du Pétrole et de l'Energie en 1993 sous Boris Eltsine, est également le fondateur de Russie ouverte (Otkrytaïa Rossia), organisation non gouvernementale se consacrant à l'éducation de la jeunesse et au soutien des initiatives de la société civile.
Neuf jours après son arrestation, Mikhaïl Khodorkovski a annoncé sa démission de ses fonctions de dirigeant et déclaré vouloir se consacrer à la poursuite de son travail en qualité de président de l'organisation non gouvernementale Russie ouverte. « Je dois tout faire pour préserver l'équipe de Ioukos des coups dirigés contre moi et mes partenaires. Je me retire de la compagnie. Mes projets sont liés à la poursuite de ma tâche à la tête de Russie ouverte afin de bâtir en Russie une société ouverte et véritablement démocratique. Je consacrerai toutes mes forces à mon pays, la Russie, parce que je crois fermement en son grand avenir » a t-il affirmé. Simon Kukes, membre du conseil des directeurs de Ioukos et ancien patron du pétrolier russe TNK, a été désigné pour lui succéder.
L'arrestation du milliardaire intervient après l'exil de Vladimir Goussinski, magnat des médias, qui fût le premier à être poursuivi pour fraude et contraint à l'exil en juillet 2000 en échange de la cession de ses biens à Gazprom, entreprise proche du pouvoir, et de celui de Boris Berezovski, proche de Boris Eltsine, ancien secrétaire adjoint du Conseil de sécurité russe, également magnat des médias, accusé de vol et d'escroquerie et qui a également dû céder l'essentiel de sa fortune avant de quitter la Russie. Néanmoins, si Vladimir Goussinski et Boris Berezovski peuvent être considérés comme des ennemis de Vladimir Poutine (Goussinski a soutenu une coalition de centre gauche aux élections législatives du 19 décembre 2000 et Berezovski a en 2002 créé Russie libérale pour s'opposer à Vladimir Poutine), tel n'est pas le cas de Mikhaïl Khodorkovski même si celui-ci s'était récemment impliqué dans la politique en finançant l'Union des forces de droite et Iabloko, partis d'opposition à Vladimir Poutine. L'arrestation du magnat du pétrole intervient également après l'emprisonnement le 2 juillet dernier de Platon Lebedev, numéro deux de Ioukos et patron du holding Menatep appartenant à Mikhaïl Khodorkovski, accusé d'avoir détourné, en 1994, 283 millions de dollars d'actions appartenant à l'Etat et la mise à l'écart de deux actionnaires de Ioukos, dont l'ancien responsable de la société Vladimir Doubov, d'une des listes Russie unie pour les prochaines élections législatives.
Vladimir Poutine l'avait annoncé dès le début de son mandat : pour lui, les oligarques doivent cesser d'exister ; le Président allant jusqu'à déclarer qu'il entendait « éradiquer les oligarques en tant que classe ». Pour le dirigeant de la Russie, le pays ne peut être gouverné que d'une main ferme et autoritaire, « la dictature de la loi », selon ses propres termes, devant s'imposer dans le pays. Depuis son arrivée au pouvoir le 26 mars 2000, les nombreuses entraves à la liberté des médias (en septembre dernier, et pour la première fois depuis la chute de l'Union soviétique, un journaliste a été condamné à un an de prison ferme pour diffamation ; Guerman Galkine, par ailleurs membre de Russie libérale, formation opposée à la politique de Vladimir Poutine, avait rédigé des articles critiques à l'égard de deux vice-gouverneurs), l'impossibilité d'exprimer sur la guerre en Tchétchénie un avis différent de celui du pouvoir ou encore la disparition des contrepouvoirs émergents attestent du caractère autoritaire du régime. Sous Vladimir Poutine, des gouverneurs ont été privés de leur siège au Conseil de la Fédération ainsi que de leur pouvoir et de leurs revenus. A la fin de l'année passée, le conseiller économique du Président, Andreï Illarionov, déclarait que les oligarques « constituaient la plus grande menace pour la société», lançant ainsi la campagne du pouvoir pour le contrôle des matières premières et donc pour celui du monde des affaires et de l'argent que rapportent à ceux qui en sont propriétaires les immenses richesses naturelles de la Russie.
L'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski atteste donc d'un renouvellement des élites au pouvoir, marquant une victoire de ceux que l'on nomme les siloviki (hommes de la force), personnalités issues des administrations « armées » que sont la police, l'armée et les services secrets. Les siloviki s'opposent aux oligarques, hommes d'affaires qui ont constitué leur empire lors des privatisations sous l'ère de Boris Eltsine et contrôlent les principales richesses du pays. Si les oligarques craignent plus que tout un retour en arrière et une dérive de la Russie vers un Etat policier, les siloviki considèrent que les richesses du pays ont été bradées et qu'il est grand temps que l'Etat retrouve sa véritable place. Lors de l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, celui-ci avait pris l'engagement de ne pas remettre en cause les privatisations réalisées dans les années quatre vingt dix. Si le Président a dit son opposition à toute remise en cause des privatisations, il a également affirmé que les oligarques « devaient apprendre à respecter la loi et à payer leurs impôts ». Souhaitant rassurer les financiers internationaux, il a récemment annoncé une nouvelle ouverture aux investisseurs étrangers du capital du géant Gazprom, société qui suscite toutes les convoitises.
L'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski n'a pas été sans provoquer de nombreuses réactions, y compris parmi les proches de Vladimir Poutine. Ainsi, dès le 31 octobre, le Premier ministre Mikhaïl Kassianov n'a pas hésité à exprimer son inquiétude : « Je suis profondément préoccupé. Le blocage des actions d'une société cotée en Bourse est un nouveau phénomène dont les conséquences sont difficiles à évaluer, c'est une nouvelle forme de pression » a t-il déclaré. De même, Alexandre Volochine, chef de l'administration présidentielle considéré comme la tête de file des oligarques, a démissionné de son poste, aussitôt remplacé par un proche de Vladimir Poutine, Dimitri Medvedev.
Les pays occidentaux ont préféré ne pas réagir à l'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski. Le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité en Europe, Javier Solana, a déclaré qu'il s'agissait d'une « affaire de politique intérieure russe », le Commissaire européen pour l'élargissement, Günter Verheugen, rappelant que « les investissements directs en Russie ne seront possibles que dans une situation de stabilité et de sécurité ».
L'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski n'a que peu affecté la population qui voit souvent d'un mauvais œil les oligarques qu'elle accuse d'avoir volé au peuple et à l'Etat les richesses naturelles. Ainsi, selon une enquête réalisée par l'institut d'opinion Romir et publiée le 5 novembre dernier, 54% de la population jugent de façon positive l'emprisonnement du milliardaire et les deux tiers que les accusations sont fondées. Le sondage mentionne également qu'un quart des personnes interrogées n'étaient pas averties de l'arrestation du milliardaire. Une autre enquête d'opinion a récemment révélé que huit Russes sur dix étaient favorables à la remise en cause des privatisations par lesquelles les oligarques comme Mikhaïl Khodorkovski se sont enrichis. L'affaire Ioukos non seulement n'ébranle pas la forte popularité dont jouit Vladimir Poutine mais la conforte : 73% des Russes déclarent approuver l'action de leur Président, la moitié de la population (53%) le citant comme l'homme politique dans lequel ils ont le plus confiance. Le maître du Kremlin peut donc aborder sereinement les élections législatives du 7 décembre.
Rappel des résultats des élections législatives du 19 décembre 1999:
Participation : 61,85%

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