Analyse

La Finlande va-t-elle virer à droite lors des élections législatives du 2 avril prochain ?

Élections en Europe

Corinne Deloy

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13 mars 2023
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

La Finlande va-t-elle virer à droite lors des élections législatives du 2 avril ...

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Le 2 avril prochain, les Finlandais sont appelés aux urnes pour renouveler les 200 membres de l'Eduskunta/Riksdag, chambre unique du Parlement. Les électeurs qui résident dans le pays et qui le souhaitent pourront remplir leur devoir civique par anticipation entre le 22 et le 28 mars, et entre le 22 et le 25 mars pour ceux qui résident et votent à l'étranger. 86 bureaux de vote sont ouverts dans plusieurs pays. Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Taloustutkimus et publiée par le quotidien Yle le 6 mars, le Parti de la coalition nationale (KOK) de Petteri Orpo arriverait en tête et recueillerait 20,8% des suffrages ; il devancerait le Parti social-démocrate de la Première ministre sortante, Sanna Marin, qui obtiendrait 19,9% des voix, et le Parti des Finlandais (Perus S), dirigé par Rikka Purra, 19%. Le Parti du centre (KESK) d'Annika Saarikko recueillerait 9,5%; l'Alliance des gauches (VAS) conduite par Li Andersson, 9%; la Ligue verte (VIHR), emmenée par Maria Ohisalo, 8,9% ; le Parti du peuple suédois (SFP) de Anna-Maja Henriksson, 4,4% ; le Parti chrétien-démocrate (SKL) dirigé par Sari Essayah, 3,6% et enfin le Mouvement maintenant (LN), parti libéral de Hjallis Harkimo, 1,5% des suffrages. Les 3 premiers partis se tiennent dans un mouchoir de poche. "La hausse du Parti des Finlandais est due aux femmes et aux abstentionnistes" a indiqué Tuomo Turja directeur de l'institut d'opinion Kantar. Le Parti du centre bénéficie aussi d'une dynamique. Les primo-votants plébiscitent également les nationalistes du Parti des Finlandais : plus d'un quart d'entre eux (28%) affirment qu'ils voteront pour lui. 23% choisissent les sociaux-démocrates et 11% la Ligue verte dans une enquête d'opinion réalisée par l'institut Kantar. Les négociations pour former le futur gouvernement pourraient donc être longues. En Finlande, les coalitions gouvernementales sont souvent larges et elles peuvent comprendre un grand nombre de partis. La recherche du consensus est un élément important de la vie politique finlandaise. Si l'on en croit les prévisions données par les enquêtes d'opinion, le prochain gouvernement pourrait être bleu-rouge, c'est-à-dire rassembler le Parti de la coalition nationale, le Parti social-démocrate, la Ligue verte et le Parti du peuple suédois. Il pourrait également être bleu, soit rassemblant le Parti de la coalition nationale et le Parti des Finlandais (si ce parti prend la deuxième place du scrutin), les sociaux-démocrates retrouveraient alors les rangs de l'opposition. De nombreux partis ont exclu toute alliance avec le Parti des Finlandais, dont les sociaux-démocrates, les écologistes, l'Alliance des gauches ou le parti du peuple suédois. L'Alliance des gauches se refuse à participer à un gouvernement avec le Parti de la coalition nationale. Le Kok et le Parti social-démocrate sont disposés à gouverner ensemble le cas échéant. Selon le Forum pour les affaires et la vie politique de Finlande (EVA) ; près d'un quart des Finlandais (23%) espèrent que le Parti de la coalition nationale et le Parti des Finlandais forment le prochain gouvernement. Un cinquième (19%) préfèrent une coalition formée par le KOK et les sociaux-démocrates et 10% une coalition regroupant le Parti social-démocrate et le Parti du centre. Enfin, les deux enjeux les plus importants aux yeux des électeurs sont la gestion des finances publiques et les questions sociales et sanitaires. A l'issue des précédentes élections législatives du 14 avril 2019, le social-démocrate Antti Rinne avait formé un gouvernement comprenant, outre son parti, le Parti du centre, la Ligue verte, l'Alliance des gauches et le Parti du peuple suédois. Cette coalition a cependant chuté fin 2019 lorsqu'il a été révélé que la ministre des Affaires locales et des Réformes, Sirpa Paatero (SDP), avait caché aux députés avoir été informée du projet du service postal de modifier le statut d'un grand nombre de ses agents, ce qui aurait contribué à une précarisation de ces derniers. Le 3 décembre 2019, Antti Rinne a donc démissionné. Il a été remplacé par Sanna Marin, alors ministre des Transports et des Communications. Agée de 34 ans à l'époque, elle est devenue la plus jeune Première ministre de l'histoire de la Finlande. Le gouvernement formé alors par Sanna Marin comprend 12 femmes sur 19 membres. Enfin, les 5 partis que compte sa coalition (Parti social-démocrate, Parti du centre, Ligue verte, Alliance des gauches et Parti du peuple suédois) sont tous dirigés par une femme dont 4 sont âgées de moins de 40 ans.

Des élections législatives organisées dans un contexte de guerre

En fin de mandature, cette coalition gouvernementale est à la peine. Les tensions sont nombreuses entre le Parti du centre et la Ligue verte, le premier ayant refusé de voter certains points de la loi sur la restauration de la nature, présentée le 22 juin 2022 par la Commission européenne qui oblige les Etats membres à restaurer les forêts, les zones humides et autres paysages marins et terrestres dégradés, endommagés ou détruits par le développement humain et qu'ils permettent une plus grande biodiversité sur les terres agricoles et forestières, dans l'environnement marin comme dans les espaces urbains. La Finlande connaît plusieurs problèmes dont les plus importants sont la hausse du prix de l'énergie, l'inflation, l'augmentation des actes de violence parmi les plus jeunes, souvent regroupés au sein de gangs, phénomène qu'on observe en Suède voisine. Bien sûr, Helsinki doit aussi faire face à la guerre en Ukraine. Dès l'invasion du pays par les forces armées russes, la Finlande, qui partage 1 340 km de frontières avec la Russie, s'est positionnée sur une ligne ferme face au président russe, notamment en livrant des armes aux Ukrainiens. Ce conflit a renforcé la cohésion de la population avec la classe politique. En effet, les Finlandais, qui conservent le souvenir d'expériences traumatiques dues aux Russes, s'identifient aisément aux Ukrainiens. La Finlande a en effet été l'enjeu de nombreuses batailles à travers l'histoire notamment entre Stockholm et Moscou : le pays a été propriété de la Suède jusqu'en 1809 avant de devenir un grand-duché russe. Le pays a déclaré son indépendance le 6 décembre 1917. Après la Seconde Guerre mondiale, il a échappé de peu à une annexion par l'URSS. Helsinki a alors recouvré son indépendance, amputé cependant de plusieurs territoires. La Finlande a également dû verser un lourd tribut aux Soviétiques et se résigner à subordonner sa politique étrangère à celle de Moscou en échange de la préservation de ses institutions démocratiques. Heksinki a été forcé à la neutralité par l'URSS, ce que l'on a appelé la finlandisation. La Finlande vient d'annoncer que des clôtures vont être installées sur de larges portions de la frontière qu'elle partage avec la Russie au printemps prochain. Aider Kiev, condamner Moscou, renforcer les forces de défense nationales et rejoindre l'OTAN, ces éléments de programme sont soutenus par tous les partis. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a en effet mis un terme à 50 ans de neutralité et 30 ans de non-alignement de la Finlande qui a fait acte de candidature au traité de l'Atlantique Nord le 18 mai 2022. Helsinki a été invité à rejoindre l'OTAN lors du sommet de Madrid tout comme la Suède, autre Etat jusqu'alors neutre. L'adhésion de Stockholm est pour l'heure bloquée par la Turquie et par la Hongrie. "Nous avons envoyé un signal très clair à la Turquie et à la Hongrie qui n'ont pas encore ratifié que nous voulons entrer dans l'OTAN ensemble" a déclaré la Première ministre lors la conférence sur la sécurité à Munich du 17 au 19 février derniers. Toutefois, le 1er mars, le Parlement finlandais a néanmoins approuvé l'entrée de la Finlande dans l'OTAN par 184 voix, contre 7. La cheffe du gouvernement a finalement préféré ne pas laisser la possibilité de voir un vide s'installer à l'issue des élections législatives du 2 avril dont les résultats pourraient faire prendre du retard au processus d'adhésion. Plus de la moitié des Finlandais (53%) sont favorables à une adhésion rapide de leur pays à l'OTAN, sans attendre la Suède.

La campagne électorale

Les sociaux-démocrates bénéficient d'un atout en la personne de Sanna Marin qui reste très populaire parmi ses compatriotes. Les autres partis évitent par conséquent de la critiquer trop ouvertement. De son côté, Sanna Marin répète que seule une victoire du Parti social-démocrate peut empêcher la formation d'une coalition de droite. Elle a affirmé que le Parti des Finlandais était un parti raciste, ce qui justifie que l'on renonce clairement à toute collaboration avec lui, une pique lancée en direction du Parti de la coalition nationale qui refuse de se positionner sur ce sujet. Les sociaux-démocrates se battent contre la réduction des budgets sociaux et ils veulent renforcer l'économie finlandaise en augmentant le taux d'emploi à 80% à la fin de la prochaine législature en 2027, un pourcentage qui mettrait la Finlande au niveau de ses voisins du nord de l'Europe. Premier parti d'opposions, le Parti de la coalition nationale (KOK) critique le Parti social-démocrate pour le manque de réalisme de son programme. "Parier à la fois sur la croissance et sur des hausses d'impôts est irréaliste" selon son dirigeant, Petteri Orpo, qui a déclaré que l'Etat-providence s'était dégradé sous le gouvernement de Sanna Marin contribuant à creuser encore davantage la dette publique. Le KOK refuse toute augmentation d'impôts pour la législature à venir. Selon lui, les actions les plus importantes sont de remettre les finances publiques à l'équilibre et de créer de la croissance. Il souhaite que la moitié des individus d'une classe d'âge obtiennent un diplôme universitaire d'ici à 2030 et veut parvenir à un taux d'emploi atteignant 80% de la population au cours de cette même année. Petteri Orpo nie toute velléité de former une coalition gouvernementale avec le Parti des Finlandais mais sa position reste néanmoins confuse et il refuse de dire avec quel partenaire il préfèrerait gouverner en cas de victoire du KOK. Le Parti des Finlandais se veut anti-élites, opposée à tout approfondissement de l'Union européenne et défenseur de la culture nationale finlandaise et de la souveraineté du pays. Il fait des services publics une priorité et il refuse toute coupe dans les services sociaux. Le but de l'Etat est d'assurer la sécurité et de protéger les Finlandais. Par ailleurs, sa dirigeante Rikka Purra souhaite que la neutralité carbone du pays soit reportée à 2050. Le Parti du centre s'est donné pour principal objectif de redresser les finances du pays, de réduire la dette nationale qui s'élève à 144 milliards €, soit 26 000 € par habitant, et de remettre le budget de la Finlande a l'équilibre. La ministre des Finances sortante et dirigeante des centristes Annika Saarikko a alerté à plusieurs reprises sur le fait que le gouvernement pourrait avoir à emprunter au moins 10 milliards € au cours des 4 prochaines années pour payer les seuls intérêts de la dette actuelle. Ceux-ci devraient augmenter à hauteur de 4 milliards € supplémentaires pendant la prochaine législature. Le Parti du centre veut réformer le système des allocations logements qu'il souhaite désindexer de la hausse des prix. Il souhaiterait voir le nombre des employés augmenter de 150 000 et voir la moitié de chaque classe d'âge obtenir un diplôme universitaire d'ici à 2030.

Le système politique finlandais

L'Eduskunta/Riksdag compte 200 députés élus tous les 4 ans au sein de 12 circonscriptions désignant entre 7 et 36 représentants selon leur population (à l'exception des îles Aland qui n'élisent qu'un seul député). Archipel situé entre la Finlande et la Suède, les îles Åland abritent une population de 25 000 suédophones qui jouissent depuis le 12 octobre 1951 du statut administratif particulier d'Etat libre associé. Les institutions des îles légifèrent dans les domaines de l'éducation, des affaires sociales et de la santé, de la sécurité, de la culture. En 1995, l'Union européenne a accordé au territoire démilitarisé des îles Åland une dérogation pour rester en dehors de l'Union douanière européenne. Depuis 1922, celles-ci possèdent leur propre gouvernement et leur propre parlement (Alands lagting ou Lagtinget) qui compte 30 députés. Lors de chaque scrutin législatif, le nombre de citoyens de chaque circonscription est divisé par la population totale du pays, le résultat obtenu étant ensuite multiplié par 199 afin d'obtenir le nombre de sièges à pourvoir par circonscription. Les élections législatives se déroulent au scrutin proportionnel selon la méthode d'Hondt (au scrutin uninominal à un tour dans les îles Åland). Les électeurs votent à la fois pour un parti et pour un candidat. Ils ont la possibilité d'exprimer un vote préférentiel pour un candidat de la liste pour laquelle ils votent. Particularité finlandaise : il n'existe pas de seuil électoral à atteindre pour entrer au Parlement. Un tel seuil aurait, en effet, rendu difficile la représentation de la minorité suédophone du pays, voire aurait privé le Parti du peuple suédois de tout député. Les candidats aux élections législatives sont désignés par des partis politiques ou par des associations d'électeurs. Pour participer au scrutin, un parti doit recueillir la signature d'au moins 5 000 citoyens afin d'être enregistrée auprès du ministère de l'Intérieur. Les associations d'électeurs qui souhaitent concourir doivent compter un minimum de 100 membres. Entre 1981 et jusqu'au début des années 2010, 3 partis se sont partagés les deux tiers des suffrages aux élections législatives. Cette situation a pris fin lors du scrutin du 17 avril 2011 où les Vrais Finlandais (PS) ont recueilli un nombre de voix quasiment similaire à celui obtenu par le Parti social-démocrate. Enfin, l'Eduskunta/Riksdag compte 94 femmes, soit 47% du total des députés. En matière de féminisation du parlement, la Finlande se situe au premier rang européen. 9 partis politiques sont représentés à l'Eduskunta/Riksdag depuis les élections législatives du 14 avril 2019 : – le Parti social-démocrate (SDP), créé en 1899 sous le nom de Parti ouvrier et conduit par la Première ministre sortante Sanna Marin, compte 40 députés ; – le Parti des Finlandais (PS), parti populiste de droite, nationaliste et eurosceptique, né en 1995 et issu du Parti rural (SMP), lui-même créé en 1959. Dirigé par Rikka Purra depuis août 2021, il possède 39 sièges ; – le Parti de la coalition nationale (KOK), parti de centre-droit, fondé en 1918 et emmené par Petteri Orpo, compte 38 députés ; – le Parti du centre (KESK), successeur du Parti agrarien fondé en 1906 et libéral/ Conduit par la ministre des Finances sortante Annika Saarikko, il possède 31 sièges ; – la Ligue verte (VIHR), créée en 1987 et premier parti écologiste européen à obtenir un ministère (en 1995). Dirigée par la ministre de l'Intérieur sortante Maria Ohisalo, elle compte 20 députés ; – l'Alliance des gauches (VAS), parti de gauche radicale fondé en 1990, issu de la Ligue démocratique du peuple (SKDL), de la Ligue démocratique des femmes (SNDL) et du Parti communiste (SKP). Emmenée par la ministre de l'Education sortante Li Andersson, elle possède 16 sièges ; – le Parti du peuple suédois (SFP), parti libéral créé en 1906, représentant les intérêts de la minorité suédophone de Finlande et dirigé par la ministre de la Justice sortante Anna-Maja Henriksson, compte 9 députés ; – le Parti chrétien-démocrate (SKL), fondé en 1958 et conduit par Sari Essayah, possède 5 sièges ; – le Mouvement maintenant (LN), fondée en 2018 par Hjallis Harkimo après son départ du Parti de la coalition nationale, ne possède qu'un siège. En Finlande, le président de la République est désigné au suffrage universel direct tous les 6 ans. Sauli Niinistö (KOK) a été réélu le 28 janvier 2018 pour un deuxième mandat dès le premier tour en remportant 62,7% des suffrages.

Rappel des résultats des élections législatives du 14 avril 2019 en Finlande

Participation : 68,73%

Source : https://tulospalvelu.vaalit.fi/EKV-2019/en/tulos_kokomaa.html et https://www.eduskunta.fi/FI/taysistunto/Documents/SALI_istumajarjestys_vaalikausi_2019_2022.pdf

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