Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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ENCorinne Deloy
Le 28 novembre 2022, le président de la République, Alar Karis, a annoncé à ses compatriotes l'organisation des élections législatives le 5 mars 2023 pour renouveler les 101 membres du Riigikogu, chambre unique du Parlement. Le chef de l'Etat a tenu à mettre en garde les électeurs en demandant à ne pas faire de ce scrutin législatif "une bataille entre deux partis ... Faire de l'Estonie un système bipartisan serait une erreur dans le sens où cela contribuerait à affadir la vie politique nationale et à réduire les choix de société". 9 partis politiques et 11 candidats indépendants sont en lice pour ce scrutin. Les Estoniens peuvent remplir leur devoir civique de façon anticipée dans un bureau de vote et sur internet. Selon Toni Saarts, professeur de science politique de l'université de Tallinn, les Estoniens ont le choix entre deux projets politiques : l'un est national-conservateur, l'autre social-libéral. Dans un article publié dans le quotidien Postimees le 9 janvier, il indique que le premier modèle voit dans l'Etat un bouclier qui protège des dangers dont la mondialisation est porteuse (mouvements de populations incontrôlés, érosion des valeurs traditionnelles, dilution de la souveraineté du pays en conséquence de son appartenance à l'Union européenne) tandis que pour le deuxième modèle, la mission de l'Etat est de garantir la projection de tous les citoyens, indépendamment de leurs origines, et de faire de la protection de la planète une priorité absolue. Deux partis, le Parti conservateur populaire (EKRE) et Isamaa (I), de façon moindre, défendent un projet national-conservateur : les autres partis : Parti de la réforme (ER), Parti social-démocrate (SDE), Eesti 200 et Parti du centre (K) sont favorables à un projet social-libéral. Le thème de la sécurité (l'Estonie compte près de 300 km de frontières avec la Russie) et les questions économiques, notamment la crise de l'énergie et l'inflation, constituent les sujets majeurs de la campagne électorale. L'Estonie est gouvernée depuis juillet 2022 par une coalition qui rassemble le Parti de la réforme (ER) de la Première ministre Kaja Kallas, le Parti social-démocrate (SDE), dirigé par Lauri Läänemets, et Isamaa (I), parti chrétien démocrate et conservateur emmené par Helir-Valdor Seeder. Le Parti de la réforme a gouverné avec le Parti du centre (K) de Juri Ratas entre janvier 2021 et juillet 2022 avec Kaja Kallas comme chef du gouvernement. Cette coalition avait succédé à celle formée par le Parti du centre, Isamaa et les populistes du Parti conservateur populaire (EKRE) de Mart Helme qui avait été formée à l'issue des précédentes élections législatives du 3 mars 2019. Ce gouvernement était dirigé par Juri Ratas. Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Norstat au début du mois de février, le Parti de la réforme arriverait en tête du scrutin législatif avec 31,9% des suffrages. Viendrait ensuite le Parti conservateur populaire, 22,8% et le Parti du centre 18,1%. Eesti 200, le Parti social-démocrate et Isamaa se tiennent au coude-à-coude avec respectivement 8,4%, 7,1% et 7%. Si les Estoniens pouvaient désigner leur Premier ministre, ils choisiraient, selon le sondage réalisé par Kantar Emor, la cheffe du gouvernement sortante Kaja Kallas. Près de quatre électeurs sur dix (36,70%) la plébiscitent. Un cinquième (21,3%) lui préfèrent le dirigeant du parti du centre, Juri Ratas et 15,6% le leader du Parti conservateur populaire, Martin Helme. Selon les analystes politiques, 4 coalitions gouvernementales sont possibles à l'issue des élections. La première rassemblerait le Parti de la réforme, le Parti social-démocrate et Eesti 200 (qui pourrait éventuellement être remplacé par Isamaa). La deuxième comprendrait ces 4 partis. La troisième, en cas de victoire de l'opposition, rassemblerait le Parti conservateur populaire, le Parti du centre et Isamaa. Enfin, la quatrième, qui paraît fort improbable, réunirait le Parti de la réforme et le Parti du centre. Pour savoir quelle coalition privilégier, il sera important de voir quel thème de la défense ou de l'économie dominera la campagne. 30% des électeurs se déclarent encore indécis. 10% à 15% des votants se décident la semaine précédant le scrutin, voire le jour même.
Deux années de gouvernement de Kaja Kallas
La Première ministre Kaja Kallas a traversé des moments difficiles en 2021-2022 en raison de la crise de l'énergie qui a fortement affecté l'économie, obligeant de nombreuses entreprises à fermer temporairement. Le gouvernement a longtemps refusé de leur verser des aides arguant que le pays se devait d'adopter des solutions de long terme avant de reconnaître que les tensions entre l'Ukraine et la Russie (avant février 2022) allaient encore augmenter le prix élevé du gaz. En janvier 2022, Kaja Kallas a finalement annoncé la mise en place d'un plan de 245 millions € pour aider les Estoniens à faire face à la hausse du coût de l'énergie. L'Estonie a été l'un des premiers pays à aider l'Ukraine, à laquelle elle a envoyé des missiles antichars dès les premières semaines de février 2022. Kaja Kallas a également demandé à l'Union européenne d'imposer des sanctions à la Russie après la reconnaissance par Vladimir Poutine des républiques de Donetsk et de Louhansk. Les Estoniens ont particulièrement apprécié la gestion de la crise puis de la guerre entre Moscou et Kiev de la part de Kaja Kallas, qui a regagné une forte popularité. L'Estonie reste le pays du monde qui a le plus contribué à l'équipement militaire des Ukrainiens proportionnellement à son PIB par habitant. Le Parti de la réforme fait du Parti conservateur populaire son principal adversaire. "Le choix est clair pour les élections à venir : soit le Parti de la réforme remporte le scrutin, soit c'est le Parti conservateur populaire" a déclaré Kaja Kallas. Le programme du Parti de la réforme est centré sur les questions de défense, de développement économique et de réforme environnementale. "L'Estonie est entre de bonnes mains" a déclaré la Première ministre en conclusion de son discours annonçant le programme de son parti en janvier. Kaja Kallas souhaite que le pays devienne à terme indépendant sur le plan énergétique. Le Parti de la réforme est favorable à l'établissement d'une flat tax (impôt à taux unique fixé à 10% pour la TVA, l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés). Il prévoit d'augmenter l'exemption d'impôt à 700 € par mois pour tous. Il est favorable à la poursuite des privatisations, il veut réformer la loi sur le travail, augmenter de 400 € la pension de retraite minimum et exonérer d'impôt les personnes percevant la pension moyenne. Il promet enfin de porter le salaire des enseignants à un niveau représentant au moins 120% du salaire moyen. Partenaire du Parti de la réforme dans le gouvernement sortant, le Parti social-démocrate veut augmenter les salaires. "Les prix ont augmenté, les salaires doivent donc augmenter" répète Lauri Läänemets, ministre de l'Intérieur sortant et dirigeant du SDE. Le parti prévoit de porter le salaire minimum de 725 €, à 1 000 € en 2024, 1 100 € en 2025 et 1 200 € en 2026. Il veut aider les entreprises à assurer ces hausses de salaire durant 2 ans. Un demi-milliard € sera consacré au développement des entreprises dont les salariés perçoivent de faibles salaires et au soutien de la formation. Le SDE souhaite que le salaire des enseignants représente au minimum 130% du salaire moyen. Favorable à la progressivité de l'impôt sur le revenu, il souhaite taxer à hauteur de 25% les revenus dès 3 000 €. Il propose d'allouer une allocation de 150 € par naissance dès le premier enfant. Le parti a choisi pour slogan "La coopération, c'est la sécurité". Autre membre de la coalition gouvernementale, Isamaa a centré sa campagne sur les questions de défense et de sécurité, la protection de la population, la défense de la langue, de la culture et de l'esprit estonien. Le parti, dont le slogan est "Il n'y a qu'une patrie", veut mettre en place une réforme des pensions de retraite et une réforme fiscale. Il promet de verser une allocation de 5 000 € pour chaque enfant ou chaque personne dépendante et un mois de pension de retraite supplémentaire pour chaque enfant élevé. Isamaa souhaite revaloriser le salaire des enseignants et le porter à 125% du salaire moyen.
L'opposition de gauche
Le programme du Parti du centre s'appuie sur cinq piliers : l'augmentation de la pension moyenne de retraite à 1 000 €, le soutien aux entreprises qui luttent contre la crise énergétique, l'établissement d'un impôt progressif sur le revenu, la réforme du système de santé pour réduire le temps d'attente des personnes malades et la construction de logements locatifs dans toutes les régions du pays. Le parti d'opposition, qui a choisi "Avec courage et pour le peuple" comme slogan, souhaite que l'élection du président de la République se fasse au suffrage universel direct. Actuellement, le chef de l'Etat est élu soit par les 101 députés du Riigikogu, soit - si les députés ne parviennent pas à s'entendre sur un nom- par un collège électoral qui rassemble les 101 députés et les membres des assemblées représentatives des municipalités estoniennes. Le Parti du centre aimerait développer le pouvoir des citoyens et leur permettre de s'engager davantage dans le débat public en accordant à un minimum de 25 000 personnes le droit de déposer un projet de loi dont le parlement aurait obligation de s'emparer et de discuter. Il est favorable à une fiscalité progressive sur le revenu et il désire taxer les revenus à hauteur de 60% dès que ceux-ci atteignent 3 400 €, ce qui correspond au double du salaire moyen. Il promet de réduire la TVA sur les produits alimentaires et de réduire de moitié les dépenses d'électricité des ménages.
L'opposition de droite
Le Parti conservateur populaire est l plus grand parti d'opposition, et le plus détesté. Avec le Parti du centre, le Parti conservateur populaire est aussi le parti le plus clivant. Pour son dirigeant Martin Helme, "l'Estonie souffre du niveau élevé des prix, de l'immigration et de la menace que fait peser la guerre en Ukraine ...Si rien ne change dans les quatre années à venir, le pays sera bientôt en voie de disparition". Le parti a choisi comme slogan "Laissez-nous sauver l'Estonie !". "Soit l'Estonie reste une nation, soit elle ne l'est plus et les Estoniens deviennent une minorité dans leur propre pays et l'estonien devient une langue de troisième ordre derrière l'anglais et le russe" a indiqué le dirigeant d'EKRE qui dénonce régulièrement ce qu'il appelle le "bloc des globalistes", c'est-à-dire le Parti de la réforme, Eesti 200 et le Parti social-démocrate. Le parti demande une réduction de la TVA sur les produits alimentaires (de 20% à 6,5%) et sur les médicaments (de 9% à 5%). Il rappelle que l'Estonie est l'un des quatre seuls pays de l'Union européenne à ne pas avoir de TVA réduite sur les produits alimentaires.
Le système politique
Le Riigikogu, chambre unique du Parlement, compte 101 membres, élus tous les 4 ans au scrutin proportionnel au sein de 12 circonscriptions plurinominales comprenant au minimum 5 sièges (Lääne-Viru) et au maximum 16 (Harju et Rapla). Le mode de scrutin est proportionnel et les électeurs peuvent choisir l'ordre des candidats sur leur bulletin de vote. Pour la répartition des sièges, un quotient est établi pour chaque circonscription en divisant le nombre de suffrages valides par le nombre d'élus alloués à la circonscription. Tout candidat qui obtient un nombre de suffrages supérieur à ce quotient est déclaré élu. Les sièges non attribués au niveau de la circonscription appelés mandats de compensation sont répartis selon la méthode d'Hondt modifiée entre les partis dont les candidats ont obtenu au moins 5% du total national des suffrages exprimés. Les candidats aux élections législatives, qui doivent être âgés de 21 ans minimum, peuvent se présenter sous l'étiquette d'un parti politique (un parti est autorisé à présenter jusqu'à 125 candidats) ou avec le soutien des électeurs. Un dépôt d'environ 700 € par candidat est obligatoire pour participer au scrutin, cette somme est rendue au candidat ou à son parti s'il recueille un nombre de voix égal à la moitié du quotient de sa circonscription ou encore si le parti auquel il appartient recueille au moins 5% des votes au niveau national. 5 partis politiques sont représentés dans l'actuel Riigikogu : – le Parti de la réforme (ER), parti libéral fondé en 1994 par l'ancien président de la Banque centrale et ancien Premier ministre (2002-2005) Siim Kallas et dirigé depuis avril 2018 par sa fille, Kaja, Première ministre sortante, possède 34 sièges ; – le Parti du centre (K), créé en 1991 et emmené par Juri Ratas. Situé à gauche sur l'échiquier politique, très populaire parmi la minorité russophone du pays, il compte 26 députés ; – le Parti conservateur populaire (EKRE), parti populiste de droite conduie par Martin Helme, possède 19 sièges ; – Isamaa (I), parti chrétien-démocrate et conservateur créé en 2008, dirigé par Helir-Valdor Seeder et membre du gouvernement sortant, compte 12 députés ; – le Parti social-démocrate (SDE), créé en 1990, membre du gouvernement sortant et emmené par Lauri Läänemets, possède 10 sièges. En Estonie, le président de la République est élu pour 5 ans au suffrage indirect. Alar Karis a été élu à la tête de l'Etat le 31 août 2021 par le Riigikogu à l'issue du 2e tour de scrutin.
Rappel des résultats des élections législatives du 3 mars 2019 en Estonie
Participation : 63,67%
Source : https://rk2019.valimised.ee/et/election-result/election-result.html
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