Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 5 février prochain, les Chypriotes sont appelés aux urnes pour le premier tour de l'élection présidentielle afin de désigner le successeur de l'actuel chef de l'Etat, Nicos Anastasiades (Rassemblement démocratique, DISY), en poste depuis 2013. 14 personnes sont candidates, soit un nombre record pour l'île. Si aucun candidat ne recueille la majorité absolue le 5 février à Chypre, un deuxième tour sera organisé le 12 février. Au total, 561 000 personnes se sont inscrites sur les listes électorales pour participer au scrutin. Environ 1 150 bureaux de vote seront ouverts dont 35 à l'étranger, principalement en Grèce et au Royaume-Uni. 10 737 Chypriotes résidant hors de l'île sont enregistrés pour ce scrutin présidentiel. La population ayant plus de 18 ans représente 724 619 personnes à Chypre. 166 000 électeurs potentiels ne sont donc pas inscrits pour l'élection présidentielle. 72 000 d'entre eux ont entre 18 et 25 ans. L'année 2023 est une année électorale importante dans la région puisque la Turquie voisine procédera à une élection présidentielle et à des élections législatives en juin et que la Grèce votera en juillet pour renouveler son Parlement. La Constitution de 1960 n'est plus appliquée dans l'île depuis les troubles intercommunautaires de 1963. Par conséquent, le président de la République de Chypre, élu au suffrage universel pour un mandat de 5 ans, occupe la fonction de chef du gouvernement. Après deux mandats consécutifs, le chef de l'Etat sortant Nicos Anastasiades n'est pas autorisé à se représenter. A l'heure du bilan, le président de la République a déclaré que son plus grand regret était de ne pas être parvenu à réunifier Chypre, ce qui constituait son premier objectif. Il a mis en avant le fait qu'il avait pris la tête il y a 10 ans d'un Etat surendetté qui n'était plus autorisé à emprunter sur les marchés et qui avait été placé sous assistance financière (plan de sauvetage du FMI et de l'Union européenne) et qu'il laisse un pays en pleine croissance (6% de hausse du PIB en 2022) et qui connaît le plein emploi.
Les candidats en présence
Les 14 personnes officiellement candidates sont : - Averof Neophytou, président du Rassemblement démocratique (DISY) ; - Andreas Mavroyiannis, indépendant, soutenu par le Parti progressiste des travailleurs (AKEL) et le parti de gauche Génération changement. Il est diplomate, ancien négociateur de la communauté chypriote grecque sur la question de la partition de l'île, ex-représentant permanent de Chypre aux Nations unies et ancien représentant permanent de Chypre auprès de l'Union européenne ; - Nicos Christodoulides, indépendant, membre du Rassemblement démocratique, soutenu par le Parti démocratique (DIKO), le Mouvement pour la social-démocratie (EDEK), le Mouvement de solidarité (DIPA). Il est ancien ministre des Affaires étrangères (2018-2022) et porte-parole du gouvernement (2013-2018) ; - Christos Christou, président du parti populiste de droite radicale et nationaliste, le Front populaire national (ELAM) ; - Achilleas Demetriades, indépendant, avocat ; - George Colocassides, indépendant, ancien vice-président du Parti démocratique ; - Constantinos Christofides, indépendant, ancien recteur de l'université de Chypre, membre du mouvement progressiste Nouvelle vague ; - Andreas Efstratiou, indépendant, commerçant, candidat malheureux aux quatre dernières élections présidentielles (2003, 2008, 2013 et 2018) ; - Loucas Stavrou, président du Parti de la Reconstruction nationale communautaire ; - Celestina De Petro, indépendante, ancienne membre du Front populaire national ; - AndroNicos Zervides, indépendant, fondateur et P-DG de l'entreprise GPG Cyprus ; - Alexios Savvides, indépendant, mathématicien ; - Charalambos Aristotelous, indépendant, membre de l'Organisation de la jeunesse démocratique unie (EDON), branche jeunesse du Parti progressiste des travailleurs ; - Julia Hovrina Komninou, présidente du Parti républicain uni. Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Rai consultants, Nicos Christodoulides arriverait largement en tête du 1er tour de scrutin avec 39,73% des suffrages, devant Andreas Mavroyiannis, 23,79% des voix, et Averof Neophytou, 21,62% des suffrages. Christos Christou prendrait la 4e place avec 4,95%. Les dix autres candidats recueilleraient moins de 2% chacun. Deux débats télévisés ont d'ores et déjà eu lieu entre les candidats : le 4 novembre et le 1er décembre 2022. Le prochain aura lieu le 11 janvier. Un dernier est prévu le 3 février. Enfin, les deux candidats qualifiés pour le 2e tour s'affronteront le 9 février.
La campagne électorale
"Il est certain que Nicos Christodoulides dispose d'une avance importante dans les sondages, ce qui s'explique en partie par le fait qu'il a commencé sa campagne électorale, même si cela a été de façon discrète, longtemps avant ses concurrents. Mais si l'on regarde de plus près, on s'aperçoit que son avantage a décliné au cours des dernières semaines" a déclaré Pambos Papageorgiou, professeur à l'université européenne de Chypre, ajoutant "En 2018, à peu près à la même période avant l'élection présidentielle, Stavros Malas candidat du Parti progressiste des travailleurs, était crédité de 15% des suffrages mais il a finalement obtenu 30% des voix. Les sondages ne disent pas toute l'histoire" Nicos Christodoulides devrait se qualifier pour le 2e tour mais il est difficile de dire quel sera le candidat qu'il affrontera le 12 février. "Les carences des autres candidats profitent à Nicos Christodoulides" a encore affirmé Pambos Papageorgiou. Pour l'heure, la stratégie de Nicos Christodoulides de refuser le conflit comme le fait de se poser en victime dès qu'il est attaqué lui profite. Il a promis de former un gouvernement d'union nationale s'il est élu à la présidence de la République. Il s'est engagé à ne pas créer son propre parti mais à poursuivre sa coopération avec le Parti démocratique. Nicos Christodoulides et Averof Neophytou se sont déchirés pour obtenir le soutien du président sortant, Nicos Anastasiades. Averof Neophytou avait proposé à Nicos Christodoulides d'organiser une primaire au sein du Rassemblement démocratique, estimant sans doute être avantagé dans un tel combat en tant que président du parti. Ce dernier a refusé la bataille. Averof Neophytou défend l'adhésion de Chypre à l'OTAN. Il souhaite que l'Union européenne joue un plus grand rôle dans les négociations menées pour résoudre la question de la division de l'île et il souhaite la nomination d'une personnalité européenne au sein d'un cadre qui serait défini par l'ONU pour faire entendre raison à la Turquie. De son côté, Andreas Mavroyiannis a affirmé que la Turquie était à un doigt de réaliser la partition de Chypre et que le gouvernement de Nicos Anastasiades ne fait rien pour l'en empêcher. Il répète que Nicos Christodoulides et Averof Neophytou ne peuvent en aucun cas se présenter comme des candidats du changement puisque tous deux sont issus de la majorité sortante et que celle-ci s'est montré incapable de tenir ses promesses, pas plus celles qu'elle a faites en 2018 que celles qu'elle avait faites en 2013. Après deux défaites consécutives, le Parti progressiste des travailleurs a choisi de soutenir pour cette élection présidentielle un candidat capable de rallier et d'unir un grand nombre de personnes sur son nom, au-delà des lignes partisanes traditionnelles. Par conséquent, Andreas Mavroyiannis et Averof Neophytou font face à la même question : Seront-ils en mesure de réaliser une percée parmi les électeurs sympathisants d'autres partis que le leur le 5 février prochain ?
Une île divisée depuis bientôt quarante-huit ans
De très nombreux Chypriotes n'ont jamais connu leur île unifiée. Depuis juillet 1974, celle-ci est traversée par une "ligne verte" contrôlée par les Casques bleus de l'ONU. Cette organisation est présente à Chypre depuis 1963, année des premiers affrontements entre les deux communautés grecque et turque qui peuplent l'île. Le 15 juillet 1974, la Garde nationale, inspirée par la junte militaire en place en Grèce depuis 1967, a renversé le président chypriote, l'archevêque Makarios III, et l'a remplacé par Nicos Sampson. Le 20 juillet, les troupes turques ont débarqué à Kyrénia pour protéger la minorité turque. Avec l'aide de l'armée grecque, le gouvernement de Nicos Sampson est parvenu à les maintenir derrière une ligne (la ligne verte) avant de s'effondrer quatre jours plus tard. La Turquie a toutefois refusé de quitter la partie nord de l'île qu'elle occupait, y compris après la chute de Nicos Sampson. Le 30 juillet 1974, la Turquie, la Grèce et le Royaume-Uni ont institué une zone de sécurité gardée par les Casques bleus de l'ONU et les trois pays ont reconnu l'existence de deux administrations autonomes. Le 13 février 1975, le dirigeant turc, Rauf Denktash, a proclamé l'Etat autonome, laïc et fédéré dont il a été élu président en 1976. En janvier 1977, Rauf Denktash et Makarios III se sont accordés sur le principe d'un Etat fédéral bicommunautaire mais la mort de ce dernier, le 3 août 1977, a mis un terme aux négociations. La République turque de Chypre du Nord a proclamé son indépendance en 1983. La Turquie est le seul Etat à la reconnaître au niveau international. A ce jour, 35 000 soldats turcs sont toujours stationnés dans la partie nord de l'île. Le conflit a fait environ 4 000 morts, 1 400 disparus et des dizaines de milliers de déplacés. Le 11 novembre 2002, l'ONU a proposé un troisième plan de paix et de réunification (après ceux de 1986 et de 1992). Ce plan Annan (du nom du Secrétaire général de l'ONU de l'époque) proposait la création d'une République unie de Chypre sous la forme d'une confédération de deux Etats constituants largement autonomes inspirée du modèle de la Confédération helvétique. Ce plan a été soumis par référendum à l'ensemble des habitants de l'île le 24 avril 2004. Les Chypriotes l'ont rejeté à 75,83% quand 64,9% des habitants de la partie septentrionale de l'île l'ont approuvé. 89,18% des électeurs se sont rendus aux urnes à Chypre et 87% dans la partie nord. Alors qu'elles s'étaient intensifiées en 2016, les négociations sur la réunification de l'île entre la République de Chypre et la partie nord de l'île sont à l'arrêt depuis le 6 juillet 2017, les deux parties n'ayant pas réussi à se mettre d'accord sur le statut des forces turques présentes sur l'île (le président turc Recep Tayyip Erdogan s'élevant contre le départ des 35 000 militaires turcs stationnés dans la partie nord de l'île) et Ankara ayant refusé de renoncer à ses droits d'intervention lors de discussions qui se sont tenues sous l'égide de l'ONU à Crans-Montana en Suisse. Depuis lors, les deux parties se sont peu vues et aucun point commun n'est apparu qui aurait pu permettre la reprise des discussions pour résoudre la question de la division de l'île. La dernière fois, entre le 27 et le 29 avril 2021, le Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a réuni à Genève le président chypriote, Nicos Anastasiades, et celui de la partie nord, Ersin Tatar, et les chefs de délégation des trois "garants" de la sécurité de l'île (Turquie, Grèce et Royaume-Uni, ancienne puissance coloniale). "La vérité c'est qu'au terme de nos efforts, nous n'avons pas encore trouvé assez de points communs pour permettre la reprise de négociations formelles en relation avec le règlement du problème chypriote" a déclaré Antonio Guterres. Les Chypriotes continuent de soutenir une réunification de l'île sous la forme d'un Etat fédéral tandis que ceux de partie Nord sont favorables à la reconnaissance de deux Etats indépendants et égaux sur l'île, qui se verrait donc divisée entre une communauté turque et une communauté grecque. Pour beaucoup d'analystes, c'est de la société civile plus que des pouvoirs en place que viendra le règlement du problème chypriote.
Rappel des résultats de l'élection présidentielle des 28 janvier et 4 février 2018 à Chypre
Participation : 71,88% (1er tour) et 73,97% (2e tour)
Source : http://results.elections.moi.gov.cy/English/PRESIDENTIAL_ELECTIONS_2018/Islandwide
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