Analyse

Les Bulgares, dont le pays traverse une grave crise politique, sont appelés aux urnes pour la quatrième fois en dix-huit mois

Élections en Europe

Corinne Deloy

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19 septembre 2022
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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PDF | 179 koEn français

Le 2 août dernier, le président de la République, Roumen Radev, a annoncé aux Bulgares que des élections législatives anticipées seraient organisées le 2 octobre. Ce scrutin, consécutif à la chute le 22 juin du gouvernement dirigé par Kiril Petkov, est le quatrième de ce type en 18 mois.

Après que les partis politiques ont échoué à former un nouveau gouvernement[1], le chef de l'Etat a nommé l'ancien ministre du Travail et actuel conseiller de Roumen Radev pour les politiques sociales, Galab Donev, Premier ministre par intérim jusqu'à la désignation d'un nouveau chef de gouvernement issu du scrutin à venir

La Bulgarie, un pays en crise depuis plus de deux ans

A l'été 2020, la Bulgarie a connu d'importantes manifestations exprimant le mécontentement d'une partie de la population. Celles-ci étaient consécutives à un scandale immobilier dans lequel plusieurs membres du parti Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), du Premier ministre Boïko Borissov (2009-2013, 2014-2017, 2017-2021), dont les ministres de la Justice, des Sports, de l'Énergie et de la Culture, étaient impliqués. Le chef du gouvernement avait alors remanié sa coalition mais le GERB avait fortement chuté dans les enquêtes d'opinion.

Quelques mois plus tard, les élections législatives du 4 avril 2021 n'avaient pas permis de dégager de majorité. Aucun des 3 partis arrivés en tête du scrutin - GERB, Un tel peuple existe (Ima takuv narod, ITN) et le Parti socialiste (BSP) - n'est parvenu à rassembler une majorité sur son nom ou à trouver un accord pour mettre en place un gouvernement d'experts, entraînant l'organisation le 11 juillet 2021 d'un nouveau scrutin législatif. Les dirigeants de ces 3 partis ont de nouveau été sollicités par le chef de l'Etat pour former un gouvernement. Une fois encore, ils ont chacun échoué. Le 14 novembre 2021, Poursuivons le changement, coalition fondée par Kiril Petkov et Asen Vassilev, avait créé la surprise en arrivant en tête du nouveau scrutin avec 25,32% des suffrages, remportant 67 des 240 sièges de l'Assemblée nationale, chambre unique du Parlement. Le GERB de Boïko Borissov avait pris la 2e place avec 22,44% des voix et 59 élus, devançant le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), parti représentant la minorité turcophone du pays, qui a recueilli 12,83% et 34 sièges.

La participation avait été très faible, ce qui s'explique en partie par une certaine fatigue électorale après 3 scrutins législatifs en 7 mois. Moins d'un électeur sur quatre (38,43%) avait rempli son devoir civique.

Poursuivons le changement a pu former en décembre 2021 un gouvernement avec le Parti socialiste, Un tel peuple existe et Bulgarie démocratique, coalition libérale qui rassemble Oui Bulgarie, les Démocrates pour une Bulgarie forte et les Verts. L'accord de coalition qui a uni ces 4 partis était centré sur la lutte contre la corruption, la réforme de la justice et la modernisation du système de santé.

Mais c'était sans compter sans Vladimir Poutine. En effet, l'agression de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a considérablement ébranlé le gouvernement formé par Kiril Petkov qui s'est fortement divisé sur le soutien à Kiev. Poursuivons le changement a fortement condamné Moscou et s'est engagé aux côtés de Kiev. Le Premier ministre a refusé d'ouvrir un compte en roubles pour payer ses livraisons de gaz. Par conséquent, Moscou a coupé le robinet du gaz vers Sofia. Cette décision a provoqué une rupture complète des relations entre Kiril Petkov et le président de la République Roumen Radev. Au sein du gouvernement, le Parti socialiste s'est opposé à toute livraison d'armes à l'Ukraine et Un tel peuple existe a choisi de quitter la coalition en juin.

Le GERB a vu dans les divisions du gouvernement une opportunité à saisir et a très vite déposé une motion de défiance à l'égard de la coalition gouvernementale, pointant la hausse des prix de l'énergie et dénonçant "l'échec de la politique économique et financière du gouvernement".

Le gouvernement de Kiril Petkov a donc chuté sur le vote de cette motion le 22 juin : 123 députés ont voté la motion de défiance contre 116. Il s'agit d'une première dans l'histoire de la Bulgarie.

"Dans ce pays traditionnellement proche de Moscou, la guerre a accentué les divisions, fragilisant le gouvernement" a déclaré Rouslan Stefanov du Centre d'étude de la démocratie. "La coupure des livraisons de gaz russe, événement sans précédent, a joué un rôle clé dans la crise actuelle. Les oligarques bulgares qui touchaient des commissions sur ces livraisons se sont retrouvé privés de revenus, ce qui a aggravé les tensions au sein de la coalition gouvernementale ainsi qu'entre les cercles d'affaires et le gouvernement" a indiqué Ognyan Mintchev, directeur de l'Institut d'études internationales de Sofia.

Au-delà des tensions à propos des livraisons d'armes à l'Ukraine, de l'interruption des livraisons de gaz russe qui entraîne d'importantes incertitudes sur l'approvisionnement de la Bulgarie en énergie et une très forte inflation, les partis de la coalition se sont aussi divisés sur le veto apposé par la Bulgarie au lancement de négociations d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'Union européenne.

La campagne électorale

La campagne électorale est quasi inexistante. Elle porte principalement sur les aides de l'Etat face à l'inflation (des carburants et des denrées alimentaires) et sur la nécessité de se ravitailler en gaz pour l'hiver. Les observateurs politiques s'attendent à une faible participation le 2 octobre, les Bulgares étant fatigués de ces élections à répétition (ils ont également élu leur président de la République les 14 et 21 novembre 2021). Enfin, beaucoup pensent que le scrutin législatif ne permettra pas de former un gouvernement stable, ce qui pourrait conduire à l'obligation d'organiser un nouveau scrutin en 2023, ce qui serait catastrophique dans un contexte de forte inflation et de stagnation économique. L'actuelle ministre des Finances, Rositza Velkova-Zheleva, a récemment averti que le déficit budgétaire atteindrait 6,8% du PIB en 2023.

En outre, la Bulgarie a chuté de quatre places dans l'Indice de développement humain 2021. Classée 68e, le pays devient aussi l'unique Etat membre de l'Union européenne à ne pas intégrer la catégorie des pays les plus développés. Sofia est désormais devancée par tous ses voisins à l'exception de la Macédoine du Nord, ainsi que par le Monténégro et la Géorgie.

Les trois quarts des Bulgares pensent que la situation de leur pays va se détériorer dans les mois à venir (72%), seulement 4% croient à une amélioration, un Bulgare sur cinq (21%) estime que rien ne changera dans un sens ou dans l'autre, selon une enquête d'opinion réalisée par l'institut Mediana au début du mois de septembre.

Les deux tiers des Bulgares (64%) sont favorables à ce que Sofia achète du gaz à Moscou si celui-ci est meilleur marché que celui proposé par les autres pays fournisseurs. Seulement 14% d'entre eux sont opposés à cette idée, 22% se déclarant sans opinion.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Sova Harris mi-septembre, le GERB arriverait en tête des élections législatives du 2 octobre avec 28,8% des suffrages devant Poursuivons le changement, qui recueillerait 18,8% des voix. Le Parti socialiste (BSP) prendrait la 3e place avec 12,7%, suivi par Renaisssance (V) (10,4%), parti russophile qui défend une position de neutralité pour Sofia. 4 autres partis politiques seraient représentés au Parlement : le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), 8,7%, Bulgarie démocratique 5,7%, Un tel peuple existe 5,1% et enfin Bulgarie lève-toi, parti créé par Stefan Yanev, ancien Premier ministre d'un gouvernement d'experts (mai-décembre 2021) et ministre de la Défense (décembre 2021-mars 2022), limogé par Kiril Petkov en raison de sa tiédeur à soutenir l'Ukraine (4,80%).

Le prochain parlement risque donc d'être aussi fragmenté que le précédent.

A deux semaines du scrutin, le GERB devance donc largement ses concurrents mais le parti ne possède aucun allié, à l'exception du DPS. Tous les autres partis ont d'ores et déjà annoncé qu'elles ne collaboreraient pas avec le parti de Boïko Borissov.

"Vous devez décider le 2 octobre si vous souhaitez vivre dans un Etat européen normal ou si vous voulez retourner à la pauvreté" a déclaré Asen Vassilev, cofondateur de Poursuivons le changement, lors d'un meeting électoral. Il a rappelé que le gouvernement sortant avait augmenté l'indemnité de congé maternité et les pensions de retraite et baissé les impôts des parents qui travaillent.

Pour le scrutin, le parti a toujours les mêmes priorités, entre autres, mettre fin à la corruption et au vol, ne pas augmenter les impôts mais améliorer la collecte des taxes, réformer les secteurs de la santé et de l'éducation, répartir équitablement la prospérité et rétablir la confiance des citoyens dans leurs institutions. Il est favorable à l'ancrage de la Bulgarie dans l'Union européenne et dans l'OTAN. Dans le pays, les personnes vivant dans des zones urbaines partagent majoritairement cette position tandis que celles résidant dans des zones rurales comme les Bulgares les plus âgés sont le plus souvent russophiles.

Le BSP aime à assurer que si les socialistes accèdent au gouvernement, l'Etat sera présent aux côtés des Bulgares pour les aider à traverser l'hiver. Traditionnellement russophile, il est partisan de la reprise des négociations avec Gazprom sur les livraisons de gaz de la Russie. Il se dit également favorable à une solution diplomatique pour mettre fin à la guerre en Ukraine et à la fin des sanctions à l'égard de Moscou.

Le système politique bulgare

Le Parlement bulgare est monocaméral. L'Assemblée nationale (Narodno sabranie), compte 240 députés, élus tous les 4 ans au sein de 31 circonscriptions électorales plurinominales qui correspondent aux oblasti (départements) du pays. Le mode de scrutin est mixte : 31 députés sont élus au scrutin majoritaire (selon le système du First past the post) et 209 au scrutin proportionnel (listes fermées). La méthode de Hare-Niemeyer est utilisée pour la distribution des sièges.

L'obtention d'un minimum de 4% des suffrages exprimés est indispensable à un parti politique pour être représenté au Parlement. Les candidats doivent être âgés d'au moins 21 ans. Les partis doivent recueillir les signatures d'au moins 15 000 électeurs et ils doivent déposer 10 000 lev (5 113 €) qui leur seront remboursés s'ils recueillent un minimum de 1% des suffrages exprimés.

Les candidats indépendants doivent être soutenus par un minimum de 10 000 électeurs de la circonscription électorale dans laquelle ils se présentent.

Depuis 2016, les Bulgares ont également la possibilité, à l'élection présidentielle et au scrutin législatif, de glisser dans l'urne un bulletin mentionnant expressément "Je ne soutiens aucun des candidats".

7 partis politiques sont représentés dans l'actuel Parlement :

- Poursuivons le changement, coalition fondée par Kiril Petkov, et Asen Vassilev, possède 67 sièges ;

Les Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), créé en 2006 par Boïko Borissov, compte 59 élus ;

- Le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), fondé en 1989 et dirigé par Mustafa Karadayi, possède 34 sièges ;

- Le Parti socialiste (BSP), conduit par Korneliya Ninova, compte 26 élus ;

- Un tel peuple existe (Ima takuv narod, ITN), parti populiste créé par le chanteur et présentateur de télévision Slavi Trifonov, possède 25 sièges ;

- Bulgarie démocratique, coalition libérale qui rassemble Oui Bulgarie, les Démocrates pour une Bulgarie forte et les Verts et dirigée par Hristo Ivanov, compte 16 députés ;

- Renaissance (Vazrazhdane, V), parti nationaliste, fondé en 2014 et conduit par Kostadin Kostanidov, possède 13 sièges.

Les Bulgares élisent également leur président de la République au suffrage universel direct. Le 21 novembre 2021, Roumen Radev, soutenus par le Parti socialiste, Poursuivons le changement, Un tel peuple existe et Lève-toi Bulgarie ! Nous arrivons ! (Izpravi se BG! Nie idvame!), a remporté le deuxième tour de l'élection présidentielle avec 66,72% des suffrages. Il a devancé Anastas Guerdjikov, appuyé par le GERB et l'Union des forces démocratiques (ODS), qui a recueilli 31,8% des voix. La participation s'est élevée à 33,55%.

Rappel des résultats des élections législatives du 14 novembre 2021 en Bulgarie

Participation : 38,43%

Source : Commission électorale

[1] La loi électorale bulgare prévoit trois tentatives de formation d'un gouvernement à l'issue des élections ou de la chute d'une équipe en place. Trois échecs entraînent automatiquement la convocation d'élections législatives.

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