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Élections en Europe
Corinne Deloy
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Le 24 janvier prochain débutera la procédure de l'élection du président de la République italienne. Le mandat du chef de l'Etat sortant, Sergio Mattarella, arrive à échéance le 3 février. A deux semaines du scrutin, les jeux sont très ouverts. Aucune personnalité ne s'est imposée pour accéder à la magistrature suprême.
Le président de la République est, en Italie, une figure importante qui, même s'il dispose de pouvoirs restreints, a souvent rassuré les Italiens lors des crises politiques, fréquentes dans la péninsule.
Sergio Mattarella avait été désigné président de la République italienne le 31 janvier 2015 par 655 voix (sur 995 votants) lors du quatrième tour de scrutin. Il avait succédé à Giorgio Napolitano, qui avait démissionné de ses fonctions le 14 janvier.
L'option Silvio Berlusconi
Silvio Berlusconi (Forza Iatlia, FI) a rendu public son désir d'accéder à la magistrature suprême. Considérant la composition du collège des grands électeurs, la partie semble mathématiquement jouable pour l'ancien président du Conseil (1994-1995, 2001-2006 et 2008-2011). Les partis de droite disposent en effet d'un nombre suffisant de voix (environ 45% des grands électeurs) pour imposer leur candidat au quatrième tour de scrutin. Si tant est qu'elles soient unies derrière une personnalité.
Forza Italia, Frères d'Italie (Fratelli d'Italia, FdI) dirigé par Giorgia Meloni et la Ligue du Nord (Lega) conduite par Matteo Salvini, soutiennent Silvio Berlusconi mais chacun de ces partis pense en fait au coup d'après. Matteo Salvini a tout intérêt à voir l'ancien président du Conseil accéder au Quirinal, nom de la résidence des chefs d'Etat italiens : cela lui ferait "quitter" la scène politique et l'empêcherait de peser sur la droite italienne. Quant à Giorgia Meloni, elle préfèrerait sans doute voir l'actuel président du Conseil, Mario Draghi, accéder à la magistrature suprême, ce qui pourrait entraîner la convocation d'un scrutin parlementaire anticipé. "Soutenir publiquement Silvio Berlusconi pour Frères d'Italie et la Ligue est une manière de s'assurer que Forza Italia restera dans l'alliance de droite en vue de l'après-législatives" analyse Giovanni Orsina, politologue de l'université Luiss.
De nombreux analystes politiques doutent cependant de la capacité de Silvio Berlusconi à incarner l'unité nationale. "Silvio Berlusconi, qui estime être l'homme politique italien le plus important de la fin du XXe siècle et du début du XXIe, considère que l'Italie n'a pas reconnu son importance dans l'histoire. Se faire élire président de la République en fin de carrière serait pour lui une réhabilitation de son rôle et de sa personne" a déclaré Giovanni Orsina, ajoutant : "s'il était élu, le risque existe que la moitié de l'Italie considère son élection comme scandaleuse".
Celui que l'on appelle le Cavaliere a été condamné en 2013 à plusieurs années d'interdiction d'exercer un mandat public après avoir été reconnu coupable dans une affaire de fraude fiscale. Plusieurs procédures judiciaires sont toujours en cours contre lui pour suspicion de corruption de témoins et de prostitution de mineures. Silvio Berlusconi dispose néanmoins de ses droits politiques qui lui ont été restitués en 2018.
L'option Mario Draghi
Mario Draghi, président du Conseil depuis février 2021, est le candidat favori de nombreux responsables politiques. Néanmoins, ses partisans aimeraient qu'il reste en fonction jusqu'aux prochaines élections parlementaires prévues au début de 2023.
L'ancien président de la Banque centrale européenne (BCE) (2011-2019), qui se décrit comme "un grand-père au service des institutions", a indiqué que son cabinet avait "créé les conditions pour poursuivre le travail, quelle que soit la personne en place à la tête du gouvernement" jusqu'à la fin de la législature. "La décision revient entièrement aux forces politiques, qui en formant une très large coalition ont permis à ce gouvernement d'agir" a déclaré Mario Draghi.
Cependant, si ce dernier était élu à la présidence de la République, nul ne sait si son successeur à la tête du gouvernement pourrait rassembler les partis politiques et obtenir un soutien aussi large que celui dont il bénéficie. Le président du Conseil est à la tête d'une large coalition gouvernementale qui rassemble des partis de droite (la Ligue, Forza Italia), des partis de gauche (Parti démocrate (PD) d'Enrico Letta, Libres et égaux (LeU) dirigés par Pietro Grasso), le Mouvement cinq étoiles (M5S) conduit par Giuseppe Conte et plusieurs indépendants.
Les partis sont unis autour de la nécessité de gérer au mieux les 209 milliards € des fonds européens alloués à l'Italie dans le contexte de la crise sanitaire et destinés à la relance du pays.
Cependant, si les partis se divisent sur l'élection du chef de l'Etat, pourront-ils rester unis au sein du gouvernement, notamment à l'approche des élections parlementaires ? Rien n'est moins sûr.
Nombreux sont ceux qui voient le ministre de l'Economie et des Finances, l'indépendant Daniele Franco, comme le successeur à Mario Draghi si celui-ci rejoignait le Quirinal.
Des analystes ont envisagé ce qu'ils appellent un scénario Mattarella II qui verrait la réélection de l'actuel président de la République qui en quelque sorte "s'engagerait" à démissionner de ses fonctions dans un ou deux an(s).
Ce scénario, une première dans l'histoire de la péninsule depuis l'établissement de la présidence de la République en 1948, s'est concrétisé en 2013 lorsque le chef de l'Etat, Giorgio Napolitano, a été réélu après six tours de scrutin et de nombreux coups de théâtre et à la suite d'une nouvelle crise consécutive aux élections parlementaires des 24 et 25 février 2013.
En Italie, aucun président du Conseil n'est encore jamais devenu directement président de la République.
La fonction présidentielle en Italie
Le président de la République occupe dans la péninsule une fonction essentiellement honorifique. Il est d'ailleurs traditionnellement une figure prestigieuse. Garant de la Constitution et de l'unité du pays, il dispose de trois pouvoirs essentiels : celui de dissoudre le Parlement (sauf au cours du dernier trimestre de son mandat), celui d'apposer son veto à la proposition de gouvernement qui lui est faite à l'issue des élections parlementaires et celui de renvoyer, pour deux motifs (s'il juge le texte anticonstitutionnel ou s'il considère qu'une mesure envisagée n'est pas correctement financée), une loi devant les parlementaires.
En avril 2018, Sergio Mattarella a ainsi refusé de nommer Paolo Savona au poste de ministre de l'Economie et des Finances en raison de ses positions eurosceptiques, une décision qu'il a expliquée à ses compatriotes lors d'une allocation télévisée. Trois ans plus tard, en janvier 2021, il a annoncé qu'en dépit de la chute du gouvernement du président du Conseil, Giuseppe Conte (M5S), l'Italie n'organiserait pas d'élections parlementaires anticipées en raison de la pandémie de coronavirus et de la nécessité de relancer économiquement le pays.
Le président de la République italienne est élu pour sept ans (sans limitation du nombre de mandats) à bulletins secrets par un collège de grands électeurs qui se rassemble dans le palais de Montecitorio, siège de la Chambre des députés. Ce collège est composé des 630 membres de la Chambre des Députés, des 315 sénateurs, des 6 sénateurs à vie (les anciens présidents de la République) et de 58 représentants des 20 régions du pays (3 par région à l'exception du Val d'Aoste qui n'en désigne qu'un), soit au total 1 009 grands électeurs en 2022.
Le président, qui sera élu en 2022, sera par ailleurs le dernier à l'être avec un collège de grands électeurs aussi large. En effet, la Constitution a été modifiée en 2020 : la révision a réduit le nombre de députés de 630 à 400 et le nombre de sénateurs de 315 à 200. Le nombre de membres des conseils régionaux siégeant au sein du collège de grands électeurs est également réduit pour conserver l'équilibre existant entre ces derniers et les parlementaires. Cette mesure, adoptée lors du référendum organisé les 20 et 21 septembre 2021 (69,96% de "oui", participation
Lors des trois premiers tours de scrutin de l'élection présidentielle, un candidat doit, pour être élu, recueillir au moins les deux tiers des suffrages des grands électeurs, soit 673 voix. A partir du quatrième tour, la majorité simple (505 suffrages) est suffisante pour accéder à la magistrature suprême.
La tradition veut que le président de la République italienne soit un homme de consensus qui rassemble au-delà des partis politiques. Il recueille habituellement sur son nom les suffrages de la majorité des grands électeurs.
Si aucun candidat n'est élu président de la République après les trois premiers tours de scrutin, l'Italie n'est pas contrainte d'organiser des élections législatives anticipées. Le scrutin se poursuit jusqu'à ce qu'un chef de l'Etat soit finalement désigné. En 1971, Giovanni Leone avait été élu après 23 tours de scrutin.
Selon une enquête d'opinion réalisée par Demos et l'université d'Urbine, trois Italiens sur quatre sont favorables à l'élection au suffrage universel direct du chef de l'Etat. La procédure actuelle de désignation du président en Italie s'explique par le fait qu'après la Deuxième Guerre mondiale, les constituants ont souhaité se prémunir contre l'émergence d'un nouveau Benito Mussolini.
Un autre sondage de Demos révèle que Mario Draghi est la personnalité qui recueillerait le plus grand nombre de suffrages de la part de ses compatriotes, suivi de Silvio Berlusconi et du président de la République sortant, Sergio Mattarella.
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