Analyse

ANO, parti du Premier ministre sortant, Andrej Babis, favori des élections législatives tchèques, pourrait ne pas être en mesure de former une coalition gouvernementale

Élections en Europe

Corinne Deloy

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20 septembre 2021
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Le 28 décembre 2020, le président de la République tchèque, Milos Zeman (Parti des droits des citoyens, SPOZ), annonçait de façon exceptionnellement précoce la date fixée pour le prochain scrutin législatif : les 8 et 9 octobre 2021. La campagne électorale a donc débuté très tôt, dix mois avant le vote. 7 533 candidats, dont plus de 30% de femmes, issus de 31 partis et regroupements politiques participent au scrutin.

La République tchèque est dirigée par un gouvernement qui rassemble ANO, dont l'acronyme signifie à la fois "oui" et "action des citoyens insatisfaits", parti du Premier ministre sortant, Andrej Babis, et le Parti social-démocrate (CSSD). Cette coalition, soutenue au Parlement par le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM), a dû faire face au dépôt de 3 motions de censure depuis son arrivée au pouvoir ; aucune de celles-ci n'a cependant abouti. La dernière date de juin dernier ; le gouvernement a obtenu le soutien des 2 partis qui le composent et les communistes n'ont pas pris part au vote, exprimant de fait leur soutien au Premier ministre.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Phoenix entre le 1er et le 10 septembre, ANO arriverait en tête du scrutin avec 25,4% des suffrages. Le parti serait suivi de la coalition Spolu (qui signifie Ensemble et qui rassemble le Parti démocrate-civique (ODS), l'Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple (KDU-CSL) et Tradition, responsabilité, prospérité 09 (TOP 09)), qui obtiendrait 17,1% des voix, de la coalition Pirati a Starostove (Pirates et Maires) qui regroupe le Parti pirate (CSP) et Maires et indépendants (STAN), qui recueillerait 15,6%. Viennent ensuite Liberté et démocratie directe (SPD), parti populiste de droite dirigé par Tomio Okamura, avec 11,5%, et le Parti social-démocrate avec 6%. Le partenaire gouvernemental d'ANO flirte dangereusement avec le seuil électoral de 5% des suffrages exprimés, indispensable pour obtenir des députés. Le Parti communiste de Bohème et Moravie n'obtiendrait que 3,3% des suffrages et ne pourrait donc pas être représenté à la Chambre des députés.

La coalition Pirati a Starostove a devancé ANO dans les sondages au printemps dernier, entre mi-mars et mi-juin. ANO a cependant repris l'avantage. "ANO était en baisse pendant la pandémie lorsque les gens étaient fatigués des restrictions et de la mauvaise gestion de la situation par le gouvernement" a déclaré Otto Eibl, professeur de science politique de l'université Masaryk de Brno. Le coronavirus a fait plus de 30 400 morts en République tchèque qui compte 10,7 millions d'habitants.

Selon un sondage réalisé par l'agence Median en août dernier pour la radio tchèque, les deux tiers des électeurs (65%) ont l'intention de se rendre aux urnes les 8 et 9 octobre prochains. Les personnes âgées de plus de 60 ans, les habitants de Prague et des grandes villes du pays se montrent parmi les plus motivés pour participer.

"ANO va remporter le scrutin législatif : les résultats des sondages sont stables depuis longtemps et démontrent qu'ANO devance les deux coalitions formées par l'opposition. Néanmoins, même si le mouvement du Premier ministre sortant gagne les élections, il ne pourra, seul, constituer un gouvernement. Il lui faudra trouver des alliés et former une coalition" a déclaré Jiri Pehe, directeur de l'Université de New York à Prague. "La popularité du mouvement ANO était au plus bas pendant la crise la plus profonde de Covid-19. Je crois que seul un nouveau confinement ou la fermeture des écoles pourraient encore éventuellement baisser la cote d'ANO avant le scrutin mais c'est peu probable" a t-il ajouté.

ANO et Liberté et démocratie directe ont annoncé qu'ils ne gouverneraient pas avec le Parti pirate. Les coalitions Pirati a Starostove et Spolu récusent toute alliance avec ANO, Liberté et démocratie directe et le Parti communiste, bien que Spolu pourrait accepter de négocier avec ANO mais sans Andrej Babis.

D'après l'enquête de l'agence Median, l'accès à des soins de santé de qualité, l'indépendance de la justice et l'accès de tous à l'éducation constituent les enjeux prioritaires pour les électeurs tchèques.

4 années de gouvernement ANO-CSSD

ANO possède un électorat stable parmi lequel figurent nombre de personnes âgées de plus de 55 ans. Il est parvenu à séduire certains électeurs sociaux-démocrates, notamment par sa généreuse politique sociale à l'égard des retraités et des personnes les plus démunies. Si ANO devrait arriver en tête les 8 et 9 octobre prochains, le parti aura néanmoins besoin de trouver des alliés pour gouverner, ce qui pourrait s'avérer difficile.

Au cours des dernières années, ANO a pris la première place lors du scrutin européen des 24 et 25 mai 2019. Il s'est également imposé lors des dernières élections régionales des 2 et 3 octobre 2020, même si le Parti pirate a progressé. Cependant, alors qu'il est arrivé en tête dans 10 des 13 régions, recueillant un plus grand nombre de suffrages que lors des précédentes élections du même type des 7 et 8 octobre 2016, ANO n'a finalement obtenu que 3 présidences de région.

"Vous voulez renverser un gouvernement qui a augmenté les pensions de retraite et les salaires et qui a baissé les impôts, qui a amélioré le niveau de vie des Tchèques, qui pense aux familles et aux consommateurs, un gouvernement qui a enfin commencé à investir et à protéger les intérêts de la République tchèque ?" répète Andrej Babis. Ce dernier promet d'augmenter de nouveau les retraites de façon à ce qu'en 2025, la pension moyenne atteigne 20 000 couronnes tchèques (790 €).

"J'ai déjà dit que la République tchèque est un Etat souverain et que nous sommes les seuls à pouvoir décider de qui peut y travailler et y vivre. Je ne veux pas d'une Europe musulmane. Nous ne voulons pas d'un Etat pirate multiculturel et écofanatique en République tchèque" affirme encore le chef du gouvernement sortant qui n'hésite pas à recourir à la thématique populiste. Il qualifie les Pirates "d'activistes pro-migration", ajoutant "Ils ne sont pas des politiques mais des activistes qui veulent subvertir la République tchèque".

Sans être anti-européen, Andrej Babis affirme rejeter l'euro et veut conserver la couronne. La Commission européenne a convoqué Prague, comme Varsovie, à répondre devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) des restrictions dont sont victimes les citoyens européens qui souhaitent participer à la vie politique domestique. S'il leur est possible de se présenter aux élections locales ou européennes, ils ne peuvent toutefois le faire qu'en candidats indépendants, ce qui avec un système proportionnel ne leur laisse quasiment aucune chance d'être élus. "Nous sommes un pays souverain et le Parlement européen est en train d'essayer de peser sur nos élections législatives. Et bien sûr, l'initiative vient de l'opposition tchèque" a répondu Babis.

La préservation de la gratuité du système de santé constitue la priorité du Parti social-démocrate (CSSD), partenaire d'ANO au sein du gouvernement sortant. Le CSSD veut améliorer l'accès aux soins dans les zones rurales et réduire le nombre de compagnies d'assurance-maladie. Enfin, il souhaite que Prague augmente ses dépenses en matière de santé, celles-ci représentent actuellement 7,8% de son PIB.

L'aide aux enfants, l'amélioration des conditions de vie et de la sécurité, le droit à une vie digne et à un meilleur environnement, l'augmentation du salaire minimum et la réduction du temps de travail constituent les priorités du Parti communiste (KSCM) dirigé par Vojtech Filip qui souhaite voir la République tchèque quitter l'OTAN et établir de meilleures relations avec la Chine et la Russie. Enfin, les communistes sont favorables à l'organisation d'un référendum sur l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne, tout comme d'ailleurs Liberté et démocratie directe.

Quelle opposition ?

L'opposition tchèque a une priorité : écarter Andrej Babis. Pour ce faire (et aussi en raison du changement de seuil électoral), les partis mettent leurs forces en commun. Plusieurs coalitions se sont ainsi formées pour les élections.

- Pirati a Starostove (PaS) constitue un alliage qui "peut raisonnablement envisager de menacer la suprématie d'ANO" selon Lubomir Kopecek, professeur de science politique de l'université Masaryk de Brno. Au programme de cette coalition libérale (même si le Parti pirate reste difficilement classable sur un axe politique) figurent la réduction des impôts, un meilleur accès aux services de santé dans les régions, la protection du climat, la transparence de la gouvernance, un plus grand soin accordé aux finances publiques, la modernisation et la numérisation du pays.

- La coalition Spolu regroupe une alliance "de centre droit libérale et conservatrice" selon les termes de la dirigeante de TOP09, Marketa Adamova, et qui a pour slogan "Nous allons rassembler la République tchèque". Petr Fiala (ODS) est le candidat de cette coalition au poste de Premier ministre. L'accord électoral que les 3 partenaires ont scellé le 27 octobre dernier prévoit que l'ODS dirige les listes électorales dans 9 circonscriptions, le KDU-CSL dans 3 et TOP 09 dans 2. Spolu promet une réforme des impôts, une simplification du système social et des systèmes de retraite et de santé. La coalition souhaite mettre en place une pension de retraite minimum et réduire la dette publique, mais elle ne prévoit pas d'augmentation des impôts.

- Enfin, Liberté et démocratie directe (SPD) se dit prête à négocier avec tous les partis qui seraient disposés à appliquer certaines parties de son programme, dont notamment la loi sur le référendum. Comme son nom l'indique, le parti souhaite un plus large recours à la démocratie directe.

Le système politique tchèque

Le Parlement tchèque, bicaméral, comprend le Sénat et la Chambre des députés. Cette dernière compte 200 députés élus pour 4 ans au scrutin plurinominal au sein de 14 circonscriptions (les 13 régions du pays et Prague) dans lesquelles la répartition des voix s'effectuait jusqu'alors selon la méthode d'Hondt. Mais cette année la méthode de calcul a été modifiée afin que la répartition des sièges soit mieux équilibrée entre partis.

Chaque parti devait, jusqu'à présent, recueillir un minimum de 5% des suffrages exprimés au niveau national (10% pour les coalitions regroupant 2 partis, 15% pour les coalitions rassemblant 3 partis et 20% pour les coalitions de 4 partis et plus) pour être représenté à la chambre basse du Parlement. Les listes de candidats indépendants devaient obtenir un minimum de 5% des voix préférentielles dans la circonscription où elles se présentaient. Cette année, le seuil électoral pour les coalitions de 2 partis a été fixé à 8% des suffrages et celui pour les alliances de 3 partis et plus à 11%. Les candidats doivent être âgés d'au moins 21 ans.

En République tchèque, le vote s'effectue sur deux jours (vendredi et samedi matin). Durant la nuit, les urnes restent à l'intérieur des bureaux de vote, installés généralement dans les bâtiments publics, mais également parfois dans des bâtiments privés comme par exemple dans les auberges de certains villages. Aucun résultat d'élections n'a jamais été contesté depuis le retour de la Tchécoslovaquie (nom du pays à l'époque) à la démocratie.

Le Sénat tchèque compte 81 membres élus pour 6 ans au scrutin uninominal majoritaire à deux tours et renouvelables par tiers tous les 2 ans. Le choix de ce mode de scrutin répond à la volonté des rédacteurs de la Constitution, et notamment à celle de l'ancien président de la République (1993-2003), Vaclav Havel, de faciliter l'élection de personnalités indépendantes et solidement établies au sein des circonscriptions.

Enfin, les Tchèques élisent leur président de la République au suffrage universel. Milos Zeman (Parti des droits des citoyens, SPOZ) a été réélu à ce poste le 27 janvier 2018. Avec 51,37% des suffrages, il a battu Jiri Drahos (indépendant), qui a obtenu 48,63% des voix lors du 2e tour de scrutin. La participation s'est élevée à 66,6%.

9 partis politiques ont obtenu des élus à la Chambre des députés lors des élections législatives des 20 et 21 octobre 2017:

- ANO, parti populiste fondé en 2012 par Andrej Babis, Premier ministre sortant, 2e homme le plus riche du pays et propriétaire du conglomérat Agrofert et du groupe de médias Mafra. Il compte 78 députés ;

Le Parti démocrate-civique (ODS), parti eurosceptique de droite créé en 1991 et emmené par Petr Fiala, possède 25 sièges ;

- Le Parti pirate (CSP), fondé en 2009 et inscrit dans le mouvement pirate international. Dirigé par Ivan Bartos, il compte 22 élus ;

- Liberté et démocratie directe (SPD), parti populiste de droite créé en 2015 et conduit par Tomio Okamura, possède 22 sièges ;

- Le Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM), fondé en 1989, dernier parti communiste non réformé d'Europe centrale. Dirigé par Vojtech Filip, il possède 15 sièges ;

- Le Parti social-démocrate (CSSD), créé en 1878, présidé par Jan Hamacek et membre de la coalition gouvernementale sortante. Il compte 15 députés ;

- L'Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple (KDU-CSL), parti centriste fondé en 1919 et conduit par Marian Jurecka, possède 10 sièges ;

- Tradition, responsabilité, prospérité 09 (TOP 09), parti de centre droit créé en 2009 et présidé par Marketa Pekarova Adamova, compte 7 députés ;

- Maires et indépendants (STAN), parti de défense des intérêts locaux et favorable à la décentralisation. Fondé en 2004, dirigé par Vit Rakusan, il possède 6 sièges.

Rappel des résultats des élections législatives des 20 et 21 octobre 2017 en République tchèque

Participation : 60,84%

Source : https://www.volby.cz/pls/ps2017/ps2?xjazyk=CZ

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