Analyse

Au pouvoir depuis plus de dix ans, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie du Premier ministre sortant Mark Rutte, favori des élections législatives aux Pays-Bas

Élections en Europe

Corinne Deloy

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22 février 2021
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Au pouvoir depuis plus de dix ans, le Parti populaire pour la liberté et la démo...

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Le 17 mars, les Néerlandais sont appelés à renouveler les 150 membres de la Chambre des Etats généraux, chambre basse du Parlement. En raison de la situation sanitaire qui complique l'organisation des élections législatives, le scrutin aura lieu sur trois jours (entre le 15 et le 17 mars) de façon à ce que les personnes fragiles puissent disposer du temps et de l'espace nécessaires pour accomplir leur devoir civique.

La pandémie (et le couvre-feu en vigueur) rend impossible toute réunion électorale aux Pays-Bas, la campagne se déroulera donc essentiellement via les médias, ce qui favorise indéniablement le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) du Premier ministre Mark Rutte, davantage présent à la télévision ou sur les ondes.

Les Pays-Bas sont gouvernés selon le modèle du polder qui repose sur la discussion et le consensus. Les gouvernements comprennent toujours plusieurs partis politiques. Le gouvernement sortant rassemble ainsi 4 partis : le Parti populaire pour la liberté et la démocratie, l'Appel chrétien-démocrate (CDA) emmené par Wopke Hoekstra, les Démocrates 66 (D66) conduits par Sigrid Kaag et l'Union chrétienne (CU) dirigée par Gert-Jan Segers.

Le grand nombre de partis politiques concourant aux élections législatives (37 partis sont en lice pour le scrutin du 17 mars, soit un nombre record pour un tel scrutin depuis près d'un siècle (1922)) témoigne de l'importante fragmentation de la scène politique néerlandaise qui rend la constitution d'une coalition gouvernementale solide et cohérente de plus en plus difficile (la moyenne est de 3 mois (94 jours)). Jusque dans les années 1990, les gouvernements regroupaient 2 partis, ce chiffre est ensuite passé à 3. Lors du dernier scrutin législatif du 15 mars 2017, pas moins de 225 jours de négociations ont été nécessaires pour former un gouvernement composé de 4 partis.

Je ne sais pas si on peut en attribuer directement la faute à Mark Rutte, mais l'individualisme a grimpé en flèche au cours des 10 dernières années. L'idée de collectivité a disparu. Les liens de la société sont en miettes " affirme Sheila Sitalsing, chroniqueuse au quotidien de Volkskrant.L'écart se creuse entre le citoyen et le gouvernement, de même qu'entre les communautés à faible et à haut niveau d'éducation " indique Joost de Vries, journaliste, auteur d'un livre sur le Premier ministre intitulé L'homme le plus heureux des Pays-Bas.

Depuis 2017, l'affrontement entre le Parti populaire pour la liberté et la démocratie et le Parti de la liberté (PVV), parti populiste de droite dirigé par Geert Wilders, est au cœur du débat politique. La situation sanitaire actuelle a fait oublier aux Néerlandais leur légendaire discipline budgétaire. A court terme et en dépit des dépenses qu'a entraîné la gestion de la pandémie, le retour à une politique d'austérité est assez improbable, celle-ci serait en effet néfaste pour la croissance. Au contraire, l'ensemble des partis politiques se déclarent favorables à l'augmentation des investissements publics.

Le contexte électoral

Le royaume batave est, depuis quelques mois, secoué par un scandale dans lequel plusieurs responsables politiques, y compris des ministres et d'anciens ministres, sont mis en cause.

Entre 2013 et 2019, 26 000 familles ont été accusées à tort de fraude aux allocations familiales (elles recevaient une aide pour les frais de garde de leurs enfants âgés de moins de 12 ans) et ont été sommées de rembourser des dizaines de milliers €, soi-disant perçus de façon indue. Par voie de conséquence, de nombreuses personnes ont dû quitter leur domicile, travailler plus pour trouver l'argent nécessaire, d'autres ont traversé des périodes difficiles qui les ont été conduites parfois à divorcer, etc. Aucune explication n'a jamais été fournie aux familles accusées d'avoir frauduleusement perçu de l'argent.

En outre, il a été démontré qu'une partie des allocataires faussement accusés, environ 11 000 personnes, ont été ciblés par un profilage ethnique comme le fait de détenir une double nationalité, ce qui est totalement illégal.

L'Etat se doit de protéger ses citoyens d'un gouvernement tout puissant. Cela a échoué de manière horrible. Des innocents ont été criminalisés, leurs vies ont été détruites. Ces erreurs ont provoqué la ruine, des divorces et des naufrages pour des milliers de familles " a déclaré Mark Rutte. Le Premier ministre sortant a indiqué qu'il offrirait une compensation financière de 30 000 € à chacune des victimes de ce scandale. Plusieurs responsables politiques, dont l'ancien ministre des Affaires sociales et de l'Emploi (2012-2017) Lodewijk Asscher (Parti du travail, PvdA) et l'actuel ministre des Finances Wopke Hoekstra (CDA), sont accusés d'avoir fermé les yeux sur ces dysfonctionnements. 20 familles ont d'ailleurs déposé plainte devant la Cour suprême du pays contre 5 ministres et haut-fonctionnaires.

La démission du dirigeant du Parti du travail (PvdA), principal parti d'opposition, et ancien ministre des Affaires sociales (2012-2017) sous le précédent gouvernement, Lodewijk Asscher, a conduit le chef du gouvernement sortant, Mark Rutte, qui craignait un vote de défiance du parlement après la révélation du scandale, à remettre la démission de son gouvernement le 15 janvier dernier. Le système politique permet à un gouvernement démissionnaire de gérer les affaires courantes jusqu'à l'organisation des prochaines élections législatives.

Les sympathisants du PvdA condamnent néanmoins plus sévèrement que les proches du VVD les responsables de ce scandale des allocations sociales. Le Premier ministre a réussi à convaincre ses compatriotes que les responsabilités étaient collectives et, donc, partagées par tous. Il bénéficie sans doute de la situation singulière créée par la pandémie qui a contribué à atténuer les réactions des Néerlandais à l'égard de cette affaire de fausse fraude aux allocations familiales.

Mark Rutte, en route vers une nouvelle victoire ?

Mark Rutte conduit la liste du VVD, il a promis de renouveler entièrement le système de l'aide aux familles et de créer une commission gouvernementale qui sera chargée d'enquêter sur le scandale et, notamment, de mettre à jour ce qui relève du racisme ou de la discrimination dans celui-ci.

Dans une lettre publiée il y a quelques jours et intitulée Ensemble jusqu'à la ligne d'arrivée. Et au-delà, le Premier ministre écrit : " Nous devons chercher à travailler ensemble car ce n'est que de cette façon que nous pourrons surmonter la crise actuelle ". Il exprime son souhait de voir l'actuelle coalition gouvernementale poursuivre son travail, c'est-à-dire " créer des emplois et faire repartir la croissance économique ".

Le gouvernement a mis en place un plan massif de soutien à l'économie qui a permis de limiter la récession à un recul de 3,8% du PIB en 2020. La croissance devrait rester négative au premier trimestre 2021 pour atteindre 1,8% sur l'année, soit le plus faible niveau de l'Union européenne. La dette publique, inférieure à 50% du PIB avant la pandémie, est désormais supérieure à 60%.

En dépit de ce que pourraient laisser accroire les émeutes - un phénomène d'une violence très inhabituelle aux Pays-Bas -, qui ont éclaté en janvier à la suite de l'imposition par le gouvernement d'un couvre-feu entre 21h et 4h30, qui constitue la première mesure de restriction de la mobilité des Néerlandais depuis l'apparition du covid-19, l'opinion publique néerlandaise soutient la façon dont le gouvernement sortant a géré la crise sanitaire. Le couvre-feu a été annulé en justice avant d'être restauré par une Cour d'appel.

Mark Rutte a longtemps fait confiance au " sens de la responsabilité " et à la " maturité sociale " de ses compatriotes ; au début de la pandémie, il a parié sur l'immunité collective. Seuls des conseils et des recommandations étaient prodigués à la population. Cependant, après l'été, le nombre de personnes affectées par le virus avait considérablement augmenté et le gouvernement a été contraint de prendre des mesures plus strictes. Le confinement intelligent est devenu un " confinement partiel ". Enfin, le confinement décidé par l'Allemagne voisine il y a quelques semaines a finalement eu raison des réticences du Premier ministre sortant. En effet, Mark Rutte a eu peur que les Allemands, comme les Belges quelques mois plus tôt, traversent la frontière. Il a donc décidé que les Pays-Bas seraient confinés du 14 décembre au 9 février.

Surnommé Teflon Mark pour sa capacité à esquiver les crises, le Premier ministre sortant, qui a dirigé trois gouvernements depuis 2010, devrait conserver le pouvoir à l'issue du scrutin du 17 mars.

Le VVD mène une campagne très centrée sur les questions nationales pour répondre à la pression qu'exerce sur lui le PVV de Geert Wilders. Il demande l'établissement de quotas pour l'accueil des réfugiés et souhaite rendre obligatoire l'apprentissage du néerlandais par tous les immigrants. En outre, le parti n'exclut pas de fermer les frontières du pays en cas de nouvelle " crise migratoire ".

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Ipsos, le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) arriverait en tête le17 mars avec 38 des 150 sièges de la Chambre des Etats généraux. Il serait suivi par le PVV, 22 sièges, le CDA, 20 élus, D66 15 députés, le PvdA, 12 ; la Gauche verte (GL), l1 ; le Parti socialiste (SP), 10 ; le Parti des animaux (PvdD), 7 et l'Union chrétienne, 6.

Selon de nombreux analystes politiques, la coalition gouvernementale sortante pourrait être reconduite. Cependant, les différends entre D66 et l'Union chrétienne sur des questions morales pourraient conduire Mark Rutte à tenter de réduire le nombre de partis de son gouvernement et à renoncer à la présence en son sein de l'Union chrétienne.

Le changement de leadership au sein de 3 partis - le PvdA, D66 et le CDA -, les deux derniers appartenant à la coalition gouvernementale sortante, pourrait également avoir des conséquences inattendues dans les urnes. En outre, les partis partenaires du VVD du Premier ministre au sein du gouvernement subissent souvent le jour du vote, davantage que cette dernière, les effets d'un éventuel vote sanction.

Quid du poids réel de Geert Wilders ?

Le scrutin législatif constitue un moment important pour le dirigeant du PVV, Geert Wilders, affaibli par son opposition systématique à la gestion de la pandémie par le gouvernement sortant dont les Néerlandais s'estiment majoritairement satisfaits.

Il a publié un programme de 51 pages publié le 9 janvier qui prône le retrait des Pays-Bas de l'Union européenne, la fermeture du pays aux migrants en provenance de pays musulmans. Pour Geert Wilders, l'islam ne doit pas être considéré comme une religion mais comme une " idéologie totalitaire ". De ce fait, le Coran, les mosquées et les écoles coraniques doivent, selon lui, être interdits. Geert Wilders propose également de modifier la Constitution pour y inscrire que la culture judéo-chrétienne est la culture dominante des Pays-Bas. Il souhaite que soient enseignées dans les écoles les " libertés occidentales ".

Le PVV a élargi sa vision depuis le scrutin de 2017. Il se bat désormais pour une hausse du salaire minimum, une augmentation des aides pour le logement ou des allocations destinées aux personnes âgées, ainsi que pour une baisse des frais médicaux et de l'âge du départ à la retraite.

Les dirigeants du CDA et de D66 comme ceux de la Gauche verte ont d'ores et déjà exclu toute alliance avec le PVV et le Forum pour la démocratie (FvD), parti populiste de droite dirigé par Thierry Baudet.

Le système politique néerlandais

Les Etats généraux sont un parlement bicaméral. La Première chambre (Eerste Kamer der Staten-Generaal), le Sénat, compte 75 membres, élus tous les 4 ans au suffrage indirect par les membres des assemblées des 12 Etats provinciaux du royaume. La Deuxième chambre (Tweede Kamer der Staten-Generaal), la Chambre des Etats généraux, compte 150 députés élus tous les 4 ans au sein de 18 circonscriptions, au scrutin de liste à la proportionnelle intégrale (il n'existe pas de seuil électoral), un système qui favorise la représentation d'un grand nombre de partis.

Les sièges sont répartis au niveau national entre les listes qui ont atteint le quotient national (le nombre de suffrages valides recueillis au niveau national divisé par le nombre de sièges à pourvoir, soit 150), c'est-à-dire au moins 0,67% des suffrages exprimés sur l'ensemble du royaume. Les sièges non pourvus à l'issue de cette première répartition sont attribués selon le système d'Hondt à la plus forte moyenne.

Les électeurs peuvent voter de façon préférentielle. Les sièges obtenus par une liste sont en premier lieu attribués aux candidats qui, dans les votes préférentiels, ont obtenu au moins 25% du nombre de suffrages nécessaires pour un siège (0,17% du total des voix). Si plusieurs candidats d'une liste dépassent ce seuil, leur classement est déterminé en fonction du nombre de votes reçus. Les sièges restants sont attribués aux candidats en fonction de leur classement sur la liste électorale.

Tout parti politique qui souhaite présenter des candidats aux élections législatives doit recueillir au minimum 25 déclarations de soutien venant d'électeurs dans chacune des 18 circonscriptions du royaume, soit au total 450 signatures. En outre, si le parti n'est pas représenté à la Chambre des Etats généraux, il doit déposer une caution de 11 250 €, qui lui sera remboursée si le parti recueille au moins 75% du quotient national requis.

13 partis politiques sont représentés au Parlement :

– Le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), parti libéral créé en 1948 et dirigé par le Premier ministre sortant Mark Rutte, a remporté 33 sièges ;

– Le Parti de la liberté (PVV), parti populiste de droite créé en 2002 par Geert Wilders, a obtenu 20 députés ;

– L'Appel chrétien-démocrate (CDA), parti de centre-droit né en 1980 de la fusion de 3 partis : le Parti populaire catholique (KVP), le Parti antirévolutionnaire (ARP) et l'Union chrétienne historique (CHU). Dirigé par Wopke Hoekstra, il a remporté 19 sièges ;

– Les Démocrates 66 (D66) regroupent les libéraux réformateurs de centre gauche. Conduits par Sigrid Kaag, ils ont obtenu 19 députés ;

– La Gauche verte (GL), parti écologiste emmené par Jesse Klaver et fondé en 1989, a remporté 14 sièges ;

– Le Parti socialiste (SP), parti d'extrême gauche emmené par Lilian Marijnissen, a obtenu 14 élus ;

– Le Parti du travail (PvdA), fondé en 1946 et issu du mouvement syndical, conduit par Lilianne Ploumen, a remporté 9 sièges ;

– L'Union chrétienne (CU), née en janvier 2000 de la fusion de la Fédération politique réformée (RPF) et de l'Alliance politique réformée (GPV), dirigée par Gert-Jan Segers, a obtenu 5 députés ;

– Le Parti des animaux (PvdD), fondé en 2002 et conduit par Esther Ouwehand, a remporté 5 sièges ;

– 50 Plus, parti fondé en 2009 pour défendre les intérêts des retraités et emmené par Liane den Haan, a obtenu 4 députés ;

– Le Parti politique réformé (SGP), fondé en 1918 et dirigé par Kees van der Staaij, regroupe l'électorat protestant orthodoxe (calvinistes de stricte obédience). Il a remporté 3 sièges ;

– Denk, parti fondé en novembre 2014 par Tunahan Kuzu et Selcuk Öztürk, anciens membres du Parti du travail, prône le multiculturalisme et la décolonisation. Conduit par Farid Azarkan, il a obtenu 3 députés ;

– Le Forum pour la démocratie (FvD), parti populiste de droite dirigé par Thierry Baudet, a remporté 2 sièges.

Source : https://www.kiesraad.nl/adviezen-en-publicaties/rapporten/2017/3/kerngegevens-tweede-kamerverkiezing-2017/kerngegevens-tweede-kamerverkiezing-2017

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