Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
-
Versions disponibles :
FR
ENCorinne Deloy
Au début du mois d'avril, alors que les Lituaniens étaient confinés, le président de la République Gitanas Nauseda a annoncé que ses compatriotes seraient appelés aux urnes les 11 et 25 octobre pour renouveler les 141 élus du Seimas, chambre unique du Parlement. 22 partis politiques sont en lice pour ces élections législatives, 332 personnes, dont 282 affiliées à un parti et 38 qui se présentent en indépendants, sont candidates.
La Lituanie est gouvernée par une coalition gouvernementale dirigée par le Premier ministre Saulius Skvernelis, qui rassemble le Parti paysan et vert (LVZS) et le Parti social-démocrate du travail (LSDDP) de Gediminas Kirkilas. Le gouvernement bénéficie du soutien de Pour le bien-être de la Lituanie et de l'Action électorale polonaise-Alliance des familles chrétiennes (LLRA-KSS) de Waldemar Tomaszewski et Rimantas Dagys.
Après le scrutin législatif des 9 et 23 octobre 2016, le Parti paysan et vert, dirigé par Ramunas Karbauskis, a constitué un gouvernement avec le Parti social-démocrate de Gintautas Paluckas (LSP). Ce dernier s'est divisé sur la question de sa participation au pouvoir. En 2017, certains de ses membres ont fait sécession et fondé le Parti social-démocrate du travail, qui a choisi de rester au gouvernement que le Parti social-démocrate a quitté. La coalition gouvernementale ne bénéficiait dès lors plus de la majorité absolue. Avec seulement 66 députés, elle devait négocier et constituer des majorités ad hoc pour faire passer ses projets de loi. En septembre 2018, elle a signé un accord de coopération avec Pour l'ordre et justice (TT) (devenu pour le bien-être de la Lituanie), puis en juillet 2019, avec l'Action électorale polonaise-Alliance des familles chrétiennes[1], dirigée par Waldemar Tomaszewski et Rimantas Dagys, ce qui lui a permis de retrouver la majorité absolue au Seimas (76 députés).
Les observateurs politiques attendent peu de changement du scrutin des 11 et 25 octobre. Ils anticipent que la négociation sur la future coalition gouvernementale sera longue. Celle-ci pourrait être aussi instable.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Spinter tyrimai, l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates (TS-LKD), principal parti d'opposition dirigé par Gabrielius Landsbergis, arriverait en tête des avec 21,7% des suffrages. Il devancerait le Parti paysan et vert, qui recueillerait 19,4% des voix, le Parti social-démocrate, 12,6% et le Parti du travail 8,6%, suivi du Parti de la liberté (Laisves), parti social-libéral conduit par Ausrinė Armonaite 6,8%, et le Mouvement libéral (LRLS) de Eugenijus Gentvilas, 5,9%.
Un autre sondage réalisé par l'institut Norstat pour la radiotélévision LRT montre par ailleurs que 42% des Lituaniens aimeraient voir Ingrida Simonyte, tête de liste de l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates, accéder au poste de Premier ministre. Un cinquième (20%) préfèrent l'actuel chef du gouvernement Saulius Skvernelis.
Contrairement à la grande majorité de certains Etats membres de l'Union européenne, la Lituanie est un pays où les villes votent en majorité pour les partis de droite quand les campagnes font davantage confiance aux partis de gauche. En effet, Vilnius, Kaunas ou Panevezys sont des municipalités conservatrices. " Dans les grandes municipalités, la population est plus aisée et n'apprécie pas toujours l'intervention de l'Etat dans la sphère sociale. Généralement, les électeurs désapprouvent les régulations de l'Etat, ils ne souhaitent pas se voir dicter la façon dont ils vivent leur vie " souligne Tomas Janeliunas, professeur à l'institut des relations internationales et de science politique de l'université de Vilnius.
Comme dans de nombreux pays, la pandémie de coronavirus a renforcé l'unité nationale en Lituanie. D'une part, les Lituaniens considèrent en majorité que le Premier ministre sortant Saulius Skvernelis et son gouvernement ont correctement géré la crise sanitaire (la population a été confinée entre le 16 mars et le 17 juin). D'autre part, en dépit du déclin du PIB attendu cette année, le plan sur l'avenir économique du pays présenté le 20 mai par le ministre des Finances Vilius Sapoka (indépendant), qui prévoit que 6,3 milliards € seront investis dans le pays avant la fin de l'année 2021, a rassuré la population dont de larges pans ont déjà reçu des aides. On observe une évolution des enjeux du scrutin : si auparavant, la question des valeurs était prégnante, les problèmes socioéconomiques ont pris le dessus dans la campagne électorale.
" La poussée du Parti paysan et vert est certainement le résultat d'une bonne gestion de la pandémie de Covid-19 par le gouvernement. Les membres du parti ont été très présents dans l'espace public et ils n'ont commis aucune faute majeure sur le plan sanitaire. Pour accompagner la population à affronter la crise économique qui s'annonce, le Parti paysan et vert a injecté des millions d'euros dans l'économie ; les entreprises ont obtenu des aides importantes, les retraités recevront également un soutien financier au cours du mois de septembre, soit à la veille des élections" a indiqué Liutauras Gudzinskas, professeur de politique comparée à l'université de Vilnius.
Reste à savoir avec qui gouvernera le Parti paysan et vert s'il peut se maintenir au pouvoir. Saulius Skvernelis a d'ores et déjà affirmé qu'il ne formerait pas de coalition avec l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates, sauf si le parti changeait de dirigeant (actuellement Gabrielius Landsbergis).
Principal parti d'opposition, l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates tente de capitaliser sur la crise économique annoncée. Le parti a choisi de partir au combat électoral sous la houlette d'Ingrida Simonyte, qui n'est pas membre du parti mais qui appartient au groupe parlementaire au Seimas. Ancienne ministre des Finances (2009-2012), elle a été candidate à l'élection présidentielle des 12 et 26 mai 2019. Soutenue par l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates, elle avait recueilli 33,47% des suffrages au 2e tour de scrutin, battue par Gitanas Nauseda (66,53%). Si les Lituaniens ont voté pour la personne d'Ingrida Simonyte, il est difficile de savoir combien d'entre eux sont prêts cette fois à donner leur voix à l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates. Le parti est tiraillé entre une aile conservatrice, l'aile chrétienne, positionnée à droite et qui défend les valeurs traditionnelles, et une autre plus libérale, à laquelle appartient Gabrielius Landsbergis.
Le choix d'une tête de liste pour les élections qui n'est pas le dirigeant du parti est une pratique répandue en Lituanie. Outre le Parti paysan et vert et l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates, le Parti social-démocrate du travail a désigné le ministre des Affaires étrangères sortant Linas Linkevicius comme tête de liste. Comme les dirigeants des 2 autres partis, son dirigeant Gediminas Kirkilas occupe la 2e place sur la liste.
Mazvydas Jastramskis, professeur de science politique à l'institut des relations internationales et de science politique de l'université de Vilnius, estime que si la candidature d'Ingrida Simonyte renforce l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates et devrait permettre au parti d'attirer des sympathisants du Mouvement libéral et du Parti de la liberté, l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates pourrait rencontrer du fait de ce soutien plus de difficultés à obtenir l'appui de ces partis à l'issue des élections. Ceux-ci pourraient ne pas atteindre le seuil de 3% indispensable pour être représenté au Parlement. L'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates serait alors dans l'obligation de trouver d'autres partenaires de coalition. Gabrielius Landsbergis se dit prêt coopérer avec tous les partis politiques à l'exception de l'Action électorale des polonais en Lituanie-Alliance des familles chrétiennes.
Le système politique lituanien
La Lituanie possède un parlement monocaméral. Le Seimas compte 141 membres, élus tous les 4 ans selon un mode de scrutin mixte : 71 députés sont désignés au système majoritaire et 70 au scrutin proportionnel de liste avec répartition proportionnelle des sièges sur la base du quotient simple et au plus fort reste, la Lituanie formant, pour ce système de vote, une circonscription unique. Les électeurs peuvent exprimer un vote préférentiel.
Un parti doit obligatoirement recueillir 3% des suffrages exprimés pour être représenté au parlement (5% dans le cas d'une coalition). Dans les circonscriptions où l'on vote au scrutin majoritaire, tout candidat obtenant la majorité absolue des suffrages dès le 1er tour, à condition que la participation atteigne au moins 40%, est déclaré élu. Si la participation est inférieure à ce pourcentage, le candidat ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages (et les voix d'au moins un cinquième des inscrits) est élu. Un 2e tour est organisé si ces conditions ne sont pas remplies. Tout parti souhaitant participer aux élections législatives doit compter au minimum 1 000 membres. Les candidats doivent être âgés d'au moins 25 ans. Les Lituaniens résidant à l'étranger seront pour la première fois représentés dans une circonscription spécifique.
Les Lituaniens se sont prononcés le 12 mai 2019 sur la réduction du nombre de députés de 141 à 121. Si la majorité des votants s'y sont déclarés favorables (76,16%), le référendum n'a pas rempli les conditions nécessaires à sa validation, à savoir l'obtention de la majorité absolue des suffrages exprimés (celle-ci représentant au moins un tiers du total des inscrits) et la participation d'au moins la moitié des inscrits.
7 partis sont actuellement représentés au Seimas :
– l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates (TS-LKD), principal parti d'opposition fondé en 1993 et dirigé depuis 2014 par Gabrielius Landsbergis, a remporté 31 sièges ;
– le Parti paysan et vert (LVZS), dirigé par Ramunas Karbaukis et emmené par le Premier ministre sortant Saulius Skvernelis, a conquis 54 élus ;
– le Parti social-démocrate (LSP), créé en 1896 et conduit depuis 2017 par Gintautas Paluckas, a remporté 17 sièges ;
– le Mouvement libéral (LRLS), fondé en 2006 et dirigé par Eugenijus Gentvilas, a conquis 14 députés ;
– l'Action électorale polonaise (LLRA), créée en 1994 et emmenée par Waldemar Tomaszewski, a remporté 8 sièges ;
– Pour l'ordre et la justice (TT), créé en 2002, qui s'est depuis lors dissout, dont plusieurs membres ont fondé Pour le bien-être de la Lituanie, a conquis 8 élus ;
– le Parti du travail (DP), fondé en 2003 et emmené par Viktor Ouspaskich, a remporté 2 sièges.
3 sièges ont été gagnés par de " petites " listes et 4 par des indépendants.
La Lituanie élit son président de la République au suffrage universel direct tous les 5 ans. Le 26 mai 2019, Gitanas Nauseda (indépendant), économiste, a devancé Ingrida Simonyte, soutenue par l'Union de la patrie-Chrétiens-démocrates.
Rappel des résultats des élections législatives des 9 et 23 octobre 2016 en Lituanie
Participation : 50,64%
Source : Commission électorale https://www.vrk.lt/en/2016-seimo/rezultatai
Sur le même thème
Pour aller plus loin
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
18 novembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
12 novembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
12 novembre 2024
Élections en Europe
Corinne Deloy
—
28 octobre 2024
La Lettre
Schuman
L'actualité européenne de la semaine
Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais
Versions :