La prochaine élection présidentielle pourrait se dérouler uniquement par voie postale en Pologne, un processus qui fait douter de son caractère démocratique et de sa légitimité

Élections en Europe

Corinne Deloy

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20 avril 2020
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Une décision inédite

La Pologne pourrait vivre en mai prochain une élection présidentielle inédite : un scrutin sans bureaux de vote et sans urnes qui se déroulera uniquement par voie postale. Le contexte est le suivant : le 13 mars, pour lutter contre la pandémie de Covid-19, la Pologne a fermé ses frontières, interdit les rassemblements et imposé le confinement. Celui-ci va être progressivement levé mais les écoles et les universités comme les magasins, hormis les magasins d'alimentation, vont rester fermés et les transports internationaux de passagers suspendus au moins jusqu'au 26 avril. Les frontières resteront fermées jusqu'au 3 mai.

Le vote par correspondance n'était jusqu'alors autorisé en Pologne que dans les cas de maladie grave ou de handicap empêchant de se rendre au bureau de vote.

Comment pourrait donc se dérouler l'élection présidentielle préviue pour les 10 et 24 mai prochains pour désigner le successeur d'Andrej Duda (Droit et justice, PiS) ? 30 millions de Polonais sont appelés à déposer leur bulletin de vote dans des boîtes aux lettres spéciales, dédiées à cette fin. Environ 25 000 employés de la Poste livreront et récupéreront les bulletins de vote qui seront comptabilisés par des comités électoraux mis en place à cette intention.

La loi électorale laisse une marge de manoeuvre à la présidente du Parlement pour la décaler d'une semaine, au 17 mai, ce qui reste constitutionnellement possible.

"Nous devons combattre le virus et probablement la longue crise économique qui s'ensuivra, nous devons donc consolider le pouvoir et c'est ce que cette élection présidentielle va rendre possible" a indiqué le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski.

Le 6 avril, la proposition de loi du gouvernement dirigé par Mateusz Morawiecki (PiS) sur le vote par correspondance avait d'abord été rejetée par la Diète (Sjem), chambre basse du parlement : 228 pour, 228 contre. 3 députés de PiS s'étaient opposés au texte, 3 autres s'étaient abstenus et un autre n'avait pas voté. Quelques minutes après le vote, certains de ces députés "rebelles" ont fait volte-face. Grzegorz Puda a affirmé s'être trompé de bouton. Andrzej Kryj, qui n'avait pas voté, a indiqué avoir donné sa voix sans que le système de vote en ligne ne la prenne en compte. Un nouveau vote a été organisé quelques heures plus tard et le texte a été adopté.

Les réactions

De nombreux juristes, responsables politiques et journalistes ont mis en garde contre les risques de fraude qui pèsent sur le scrutin, exécuté par voie postale, et les violations de la Constitution et du Code électoral. Selon une enquête d'opinion réalisée par l'agence Pollster et publiée par Rzeczpospolita le 23 mars, près des trois quarts des Polonais (72,2%) et 43% des électeurs de PiS sont favorables à un report de l'élection.

"Si l'idée de maintenir le scrutin du 10 mai passe en force, ce sera le début de la mise en place d'un régime autoritaire en Pologne car cette élection ne peut avoir lieu de manière pleinement légale, constitutionnelle et en accord avec les bonnes pratiques démocratiques. La légitimité du vainqueur ne pourra qu'être douteuse" a souligné Antoni Dudek, politologue et historien de l'université du cardinal Wyszynski de Varsovie

Le 8 avril, dans un entretien accordé au journal Rzeczpospolita, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence. Vera Jourova, s'est déclarée " inquiète pour l'élection présidentielle, la qualité du processus de vote ainsi que la légalité et la constitutionnalité d'un tel scrutin ". La cheffe du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'Homme (BIDDH) de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Ingibjörg Solrun Gisladottir, a affirmé que " dans les conditions actuelles, la tenue de l'élection présidentielle pourrait ne pas être conforme aux normes internationales ".

"Maintenir l'élection présidentielle dans les conditions actuelles de confinement total n'est pas la solution" ont affirmé Pieter Omtzigt et Azadeh Rojhan Gustafsson, co-rapporteurs à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne. Les deux hommes ont recommandé que le scrutin soit reporté au deuxième semestre 2020. "Leur organisation dans les circonstances actuelles pourrait compromettre la légitimité du président de la République élu, quel que soit le résultat du scrutin" ont-ils déclaré.

"L'élection présidentielle soulève de graves inquiétudes quant aux normes démocratiques fondamentales (...) La loi sur le vote postal universel entrera en vigueur au plus tôt le 7 mai, après être passée par la procédure parlementaire. Il est administrativement impossible d'organiser des élections dans un délai de trois jours sans encourir un grave risque de fraude électorale" a déclaré Piotr Buras, membre de l'ECFR, qui a rappelé qu'aucun représentant du Conseil de l'Europe ni aucun observateur de l'OSCE ne pourront se rendre en Pologne pour suivre le scrutin.

La proposition de loi sur le vote postal attend désormais l'aval du Sénat où l'opposition est majoritaire. Le gouvernement peut cependant passer outre un éventuel refus de la Chambre haute. Le 18 avril, le PiS a déposé un projet de loi modifiant la Constitution en vue d'étendre la durée du mandat du chef de l'Etat sortant Andrzej Duda de 2 ans (de 5 à 7 années). Le texte prévoit que le premier tour de l'élection présidentielle prévu pour le 10 mai sera annulé en vertu des nouvelles règles.

Les candidats en présence

10 personnes sont officiellement candidates à l'élection présidentielle des 10 et 24 mai prochains :

- Andrzej Duda (PiS), président de la République sortant, brigue un second mandat ;

- Malgorzata Kidawa-Blonska a remporté la " primaire " organisée par la Coalition citoyenne (PO) dirigée par Grzegorz Schetyna ;

- Wladyslaw Kosiniak-Kamysz, président du Parti paysan (PSL) ;

- Robert Biedron, député européen, dirigeant du parti de gauche Wiosna (Printemps) ;

- Szymon Holownia, journaliste et présentateur, se présente en candidat indépendant ;

- Krzysztof Bosak, Mouvement national (RN), député ;

- Mirosław Piotrowski, Mouvement de l'Europe réelle ;

- Stanisław Zołtek, Congrès de la nouvelle droite (KNP) ;

- Marek Jakubiak, ancien député, indépendant ;

- Paweł Tanajno, chef d'entreprise, indépendant.

La campagne électorale

Le maintien du scrutin avantage indéniablement le président de la République sortant, Andrzej Duda, qui est le seul en mesure de faire campagne dans un pays confiné. L'interdiction des rassemblements et le confinement ont obligé les autres candidats à annuler leurs meetings de campagne. Déjà favori des enquêtes d'opinion avant l'apparition de la pandémie, Andrzej Duda a vu les intentions de vote en sa faveur croître et celles en faveur de ses rivaux chuter au même rythme depuis le confinement. De nombreux observateurs s'attendent à une forte abstention en cas de vote par correspondance, ce qui favoriserait le chef de l'Etat sortant. Seuls un tiers des Polonais se déclarent prêts à aller voter dans ces conditions.

Le PiS anticipe le fait que la réélection d'Andrzej Duda serait sans doute plus difficile dans quelques semaines ou quelques mois alors que la Pologne sera confrontée aux conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ainsi que, peut-être, à la colère ou au mécontentement de la population à l'égard de la façon dont ses dirigeants ont géré la crise. L'élection d'un chef de l'Etat issu des rangs de l'opposition constituerait une mauvaise nouvelle pour le PiS puisque celui-ci pourrait utiliser son droit de veto pour s'opposer aux lois votées par le parlement : la Diète (Sejm) ne peut rejeter qu'à la majorité des 3/5e des voix le veto du chef de l'Etat, une majorité dont le PiS ne dispose pas.

Andrzej Duda est le premier président de la République à s'être rendu dans chcune des 380 circonscriptions électorales que compte la Pologne au cours de son mandat. Il aime à montrer l'intérêt et l'estime qu'il a pour les "Polonais ordinaires" qui vivent dans de petites villes et dans les zones rurales. Ceux-ci, qui se se sentent parfois considérés comme des citoyens de " seconde zone ", apprécient l'attitude d'Andrzej Duda à leur égard.

A l'inverse, sa principale rivale, Malgorzata Kidawa-Błonska, est vue comme une personnalité représentant les Polonais urbains et les élites libérales. Le PiS l'accuse de ne pas avoir de programme politique à l'exception de celui consistant à dénigrer l'action du président sortant ou du gouvernement. Cette stratégie de l'opposition qui consiste à faire de chaque scrutin national un vote sur le gouvernement ne s'est pas révélée payante lors des élections législatives du 13 octobre 2019.

Si tous les candidats de l'opposition comme les maires des plus grandes villes du pays ont demandé un report de l'élection présidentielle, arguant du fait que le scrutin par correspondance était injuste et antidémocratique, ils restent néanmoins divisés sur la stratégie à suivre pour y parvenir.

Selon l'enquête réalisée par l'institut Changement social entre le 10 et le 13 avril, le président de la République sortant Andrzej Duda serait élu dès le 1er tour du 10 mai avec 59% des voix. Wladyslaw Kosiniak-Kamysz recueillerait 10%, Malgorzata Kidawa-Blonska 9%, Krzysztof Bosak et Szymon Holownia, 8% chacun, et Robert Biedron, 5%.

La fonction présidentielle

Principalement honorifique, le rôle du chef de l'Etat polonais est cependant non négligeable. Elu pour 5 ans, il dispose d'un droit de veto que la Diète, Chambre basse, ne peut rejeter qu'à la majorité des 3/5e des voix, un vote qui doit en outre intervenir en présence d'au moins la moitié des députés. Le président de la République peut décider seul de la tenue d'un référendum, une procédure toutefois peu utilisée en raison des faibles taux de participation enregistrés dans le pays pour ces consultations électorales. Il est le chef des forces armées ; il ratifie les accords internationaux, nomme et révoque les ambassadeurs et exerce un droit de grâce par lequel il peut casser les décisions en appel des tribunaux. En vertu de la Constitution, il ne peut effectuer plus de deux mandats consécutifs.

Tout candidat à la fonction présidentielle doit être âgé d'au minimum 35 ans. Pour se présenter au scrutin, il doit recueillir 1 000 signatures d'électeurs qu'il présente à la Commission électorale polonaise. Sa candidature ne sera enregistrée qu'après le dépôt de 100 000 signatures de votants.

Rappel des résultats de l'élection présidentielle des 10 et 24 mai 2015 en Pologne

Participation : 48,96% (1er tour) et 44,63% (2e tour)

Source : https://prezydent2015.pkw.gov.pl/

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