Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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ENCorinne Deloy
Le 26 mai dernier, quelques heures après l'annonce des résultats des élections européennes, régionales et municipales qui s'étaient déroulées en Grèce, le Premier ministre Alexis Tsipras (Coalition de la gauche radicale, SYRIZA), dont le parti était devancé par le principal parti d'opposition, Nouvelle Démocratie (ND), déclarait : "Je ne peux pas ignorer ce résultat. C'est au peuple de décider et je vais donc demander l'organisation d'élections législatives anticipées". L'organisation d'un scrutin législatif anticipé (de 3 mois) a surpris une partie des observateurs de la vie politique grecque qui pensaient que le chef du gouvernement appellerait ses compatriotes le plus tardivement possible aux urnes afin que la situation du pays s'améliore autant qu'elle le pouvait. Nouvelle démocratie s'est imposée lors du scrutin européen avec 33,12% des suffrages devant SYRIZA, qui a recueilli 23,76% des voix. Le Mouvement pour le changement (Kinima allagis, KINAL), parti d'opposition de gauche qui regroupe le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK), le Mouvement des socialistes démocrates (KIDISO), La Rivière (To Potami) et la Gauche démocrate (DIMAR), a recueilli 7,72% des suffrages et le Parti communiste grec(KKE), 5,35% des voix.
Alexis Tsipras avait fait de ces scrutins un référendum sur l'action de son gouvernement. " Nous ne votons pas pour un nouveau gouvernement mais il est évident que ce vote n'est pas sans conséquence. Le peuple vote pour la politique qui sera menée en Grèce au cours des prochaines années" avait-il déclaré à la chaîne de télévision ERT quelques jours avant le scrutin.
La participation aux scrutins a été plus élevée que prévue (elle est obligatoire en Grèce). L'écart entre Nouvelle Démocratie emmené par Kyriakos Mitsotakis et SYRIZA est le plus important jamais enregistré lors d'élections dans la péninsule hellénique depuis le retour du pays à la démocratie en 1981. "La Grèce a envoyé un message fort. La population a retiré sa confiance au gouvernement d'Alexis Tsipras. La meilleure chose que ce dernier puisse faire est d'assumer ses responsabilités et de démissionner" a déclaré Kyriakos Mitsotakis.
Le 2e tour des élections régionales et municipales a eu lieu le 2 juin. Nouvelle Démocratie a remporté 12 des 13 régions du pays dont la plus étendue, l'Attique, qui entoure Athènes et qui était gouvernée par SYRIZA depuis 2014. Seule la Crète reste dans les mains des forces de gauche (alliance de la Coalition de la gauche radicale et du Mouvement du changement).
Costas Bakoyannis (ND), nouveau maire d'Athènes, appartient à une dynastie politique : il est le fils de Dora Bakoyannis, ancienne ministre de la Culture (1992-1993) et des Affaires étrangères (2006-2009), ancienne maire d'Athènes (2003-2006) et le petit-fils de l'ancien Premier ministre (1990-1993) Constantin Mitsotakis et le neveu de l'actuel leader de Nouvelle Démocratie, Kyriakos Mitsotakis. ND s'est également imposée dans Thessalonique et au Pirée. Le Parti communiste, parti fermement opposé à SYRIZA, a remporté la ville de Patras.
"C'est un véritable tournant pour le pays. La série de mesures sociales adoptées en mai dernier - baisse de la TVA, aides aux petites retraites, etc. –, après l'augmentation du salaire minimum en février n'ont pas suffi à balayer la vague anti-gouvernement dans les urnes" a indiqué Elias Nikolakopoulos, politologue à l'université d'Athènes. "La principale raison du succès de Nouvelle Démocratie réside dans le fait que les Grecs avaient placé beaucoup d'espoir dans la Coalition de la gauche radicale et son leader Alexis Tsipras. Malheureusement, leurs espoirs ne se sont pas concrétisés, puisque la classe moyenne paie beaucoup d'impôts et que cette politique n'a pas été expliquée au citoyen ordinaire" a souligné Maria Kara Klioumi, analyste politique pour le site Rass.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut PulseRC/Skai et publiée à la mi-juin, Nouvelle Démocratie arriverait en tête des élections législatives du 7 juillet prochain avec 37,9% des suffrages devant la Coalition de la gauche radicale, qui recueillerait 28,8% des voix. Le Mouvement pour le changement prendrait la 3e place du scrutin avec 7,3% des suffrages. Le Parti communiste obtiendrait 6,2% des voix et Aube dorée (XA), parti d'extrême droite, dirigé par Nikolaos Michaloliakos, 5,3% des suffrages.
Où en est Alexis Tsipras après quatre années et demi à la tête de la Grèce ?
"La Coalition de la gauche radicale n'est pas perdante dans l'absolu car le parti est parvenu à maintenir son résultat des élections européennes de 2014. Ce qu'il a perdu, c'est son pari sur le vote de confiance qu'il a demandé aux Grecs la veille du scrutin" a indiqué Elias Nikolakopoulos.
Alexis Tsipras avait promis la poursuite de la hausse des aides sociales si son parti obtenait la confiance du peuple le 26 mai. "La légitimation du verdict populaire va nous donner la force d'appliquer les mesures sociales et il nous permettra de lutter contre l'élection de Manfred Weber (PPE), fervent soutien de la discipline budgétaire la plus stricte, à la tête de la Commission européenne" avait déclaré le Premier ministre.
Alexis Tsipras, qui se présente depuis toujours comme la "voix des gens ordinaires", propose aux Grecs de choisir entre "l'ombre et la lumière", soit entre son parti, qui promet une sortie de l'austérité, et des rivaux, favorables à l'austérité, défenseurs des élites et du Fonds monétaire international (FMI).
Alexis Tsipras est cependant menacé sur deux côtés. D'une part, un grand nombre de Grecs lui reprochent d'avoir polarisé la scène politique. Cette polarisation, bien réelle, a empêché la SYRIZA de rechercher des alliances, notamment avec les forces de gauche, qui étaient au plus bas il y a 4 ans. Celles-ci se sont renforcées et le Mouvement pour le changement est désormais le 3e parti politique de Grèce. D'autre part, de nombreux soutiens d'Alexis Tsipras lui reprochent d'avoir au fil du temps dérivé vers le centre de l'échiquier politique. Le parti du Premier ministre cherche à réinstaller un clivage gauche/droite, progressistes/néolibéraux. Selon certains observateurs politiques, SYRIZA se "social-démocratise" et qualifie Nouvelle démocratie de parti des extrêmes.
"La Coalition de la gauche radicale a mis en place une stratégie perdante. Après 10 années d'austérité, il était impossible de convaincre l'électorat rien qu'en affirmant "la Nouvelle Démocratie est pire que nous". Cette comparaison, négative, éliminait complètement la question des politiques européennes" a souligné Vangelis lagos, professeur de sociologie de l'université Panteion d'Athènes. "Alexis Tsipras n'a pas saisi l'occasion d'implanter durablement son parti dans la société pour être en mesure de rivaliser avec les partis traditionnels présents depuis des décennies" affirme Manos Papazoglou, politologue de l'université du Péloponnèse.
Le 7 mai dernier, Alexis Tsipras a annoncé des baisses d'impôt, une diminution de la TVA sur certains produits alimentaires, sur la restauration et sur l'électricité et il s'est engagé à rétablir l'allocation en faveur des plus faibles retraites (celles-ci ont été réduites 23 fois au cours des 8 dernières années). Le Premier ministre a augmenté le salaire minimum mensuel qui est passé de 586 à 650 €, une première depuis 10 ans (le salaire minimum s'établissait à 751 € avant la crise) et il a offert un 13e mois aux retraités. Il a également permis le retour aux conventions collectives dans plusieurs branches professionnelles.
La Grèce est sortie le 20 août dernier de son 3e plan d'aide internationale de 86 milliards € en dépassant les objectifs budgétaires qui lui avaient été fixés par les créanciers internationaux, ce qui a offert une certaine marge de manœuvre au gouvernement d'Alexis Tsipras. "L'odyssée moderne que notre pays a traversée depuis 2010 a pris fin. Il importe maintenant que les sacrifices qu'ont fait les Grecs soient récompensés" a déclaré le Premier ministre. Cette sortie du plan d'aide ne semble cependant pas avoir eu de réelle portée, réelle ou symbolique. Si l'économie grecque a retrouvé la croissance depuis 2017 (2%), la population peine toujours à se remettre de 8 années de récession. Le PIB grec est au niveau de celui de 2003. Selon les prévisions, le taux de croissance devrait s'établir à 2,3% en 2019. Le chômage s'élève à 18,3%, soit le taux le plus élevé de la zone euro. Le chômage des jeunes atteint 27,9%. Selon Alexis Tsipras, 350 000 emplois ont été créés au cours des 4 dernières années.
"Je ne fuirai ni n'abandonnerai le combat pour l'égalité, la solidarité et la justice sociale" répète le Premier ministre. Celui-ci promet la création de 500 000 emplois pour la législature à venir, l'augmentation du salaire minimum de 15 points d'ici 2021 et de nombreux recrutements dans les domaines de la santé et de l'éducation. Il a indiqué qu'il souhaitait baisser la TVA en passant le taux le plus élevé à 13% et le plus faible à 11% (ils sont actuellement respectivement de 24% et 13%). Le chef du gouvernement veut aussi supprimer le paiement de la taxe de solidarité pour les personnes percevant des revenus annuels inférieurs à 20 000 € et diminuer cet impôt pour les autres revenus et il veut ramener le taux de l'impôt sur les sociétés de 28% à 25% d'ici 2021.
Le "problème" Macédoine du Nord
Le 12 juin 2018, les deux Premiers ministres grec Alexis Tsipras et macédonien Zoran Zaev (Union sociale-démocrate de Macédoine, SDSM) ont signé près du lac Prespes, situé aux confins de l'Albanie, de la Grèce et de la Macédoine, l'accord dit de Prespa qui met fin à 27 ans de querelles sur l'utilisation du nom de Macédoine. Le pays a dorénavant officiellement pris le nom de "Macédoine du Nord".
Cet accord a été très mal reçu par la majorité des Grecs, qui ont vu dans l'adoption du nom de Macédoine par leurs voisins une menace sur l'intégrité territoriale de leur pays et un viol de leur histoire et de leur identité nationales.
Les partis d'opposition se sont tous élevé contre la signature de l'accord de Prespa. Panos Kammenos, dirigeant du Parti des Grecs indépendants (ANEL), membre de la coalition gouvernementale de l'époque, a déclaré "Alexis Tsipras s'est suicidé avec l'accord de Prespa". ANEL a d'ailleurs quitté le gouvernement après que le Premier ministre eut remporté le vote de confiance initié le 16 janvier 2019, soit 7 mois après la signature de l'accord.
De même, Kyriakos Mitsotakis (ND) ne cesse de critiquer l'accord de Prespa même s'il a à plusieurs reprises affirmé qu'il ne le modifierait en rien s'il accédait au pouvoir.
Dans le nord de la Grèce, le ressentiment est très fort et SYRIZA a été lourdement sanctionnée par les électeurs.
Les forces de l'opposition
"Le soleil s'est levé sur une Grèce plus brillante, qui a beaucoup souffert mais qui a trouvé la force de changer" a déclaré Kyriakos Mitsotakis, ajoutant "Les citoyens mettent leur confiance en nous, pas seulement pour nos promesses de réduire les taxes, de créer de bons emplois et de garantir la sécurité mais aussi pour notre éthique et pour notre style de pouvoir". "Nous avons montré qu'un parti de centre-droit peut marginaliser l'extrême droite et cependant continuer à s'élargir vers le centre" a-t-il indiqué en se référant au faible résultat obtenu par Aube dorée (XA), (4,88% des suffrages) aux élections européennes.
Comme c'est souvent le cas pour les hommes politiques grecs, Kyriakos Mitsotakis appartient à une dynastie. Il est le fils de l'ancien Premier ministre (1990-1993) Constantin Mitsotakis.
Si Alexis Tsipras polarise la scène politique, ce n'est pas le cas de Kyriakos Mitsotakis, qui se présente comme un conciliateur à la recherche de l'équilibre en toutes choses. Le dirigeant de ND souhaite faire redémarrer l'économie grecque en attirant les investisseurs et en réformant le système fiscal du pays. Il veut conserver le plafond d'exonération d'impôt à son niveau actuel mais baisser de 28% à 20% le taux d'imposition des sociétés, diminuer le plus bas niveau de la TVA à 11% et plafonner le plus haut à 22% et enfin baisser de 30 points l'impôt uniforme qui est prélevé sur les biens immobiliers des particuliers et des personnes morales comme sur les terrains.
Selon Elias Nikolakopoulos, "il n'est pas exclu que Nouvelle Démocratie décroche la majorité absolue". Les dernières élections ont recomposé le paysage politique de la Grèce. Ainsi, le Parti des Grecs indépendants n'a recueilli que 0,8% des suffrages aux élections européennes. Sanctionnée pour sa participation au gouvernement durant 4 ans, ANEL a même choisi de ne pas participer au scrutin législatif du 7 juillet. Aube dorée est tombée sous le seuil de 5% des voix, concurrencée par un nouveau parti nationaliste, Solution grecque (EL) fondée en juin 2016 par Kyriakos Velopoulos, qui a recueilli 4,18 % des suffrages. Enfin, à gauche, l'ancien vice-Premier ministre (2013-2015) et ministre des Affaires étrangères (2013-2015) Evangelos Venizelos a quitté le Mouvement pour le changement après la décision de sa dirigeante Fofi Gennimata d'ouvrir le parti accueillant sur ses listes le maire sortant d'Athènes, Giorgos Kaminis.
Le système politique grec
Le Parlement (Vouli Ton Ellinon) est monocaméral et compte 300 membres, élus pour 4 ans au sein de 59 circonscriptions au scrutin proportionnel (proportionnelle renforcée). Un parti doit atteindre 3% des suffrages exprimés pour être représenté au Parlement. Les électeurs votent sur une liste ouverte au sein de laquelle ils peuvent exprimer leurs préférences. 51 circonscriptions élisent 288 députés désignés selon la méthode de Hagenbach-Bischoff ; 12 sièges restants sont répartis selon les résultats de chacun des partis politiques dans une circonscription représentant l'ensemble de la Grèce (ces élus sont appelés députés nationaux et occupent une position honorifique). Enfin, 7 autres circonscriptions ne comptent qu'un seul siège.
Le parti arrivé en tête bénéficie d'un bonus de 50 sièges. Ce système a été récemment aboli mais cette modification de la loi électorale ne sera pas appliquée pour les élections du 7 juillet, faute d'avoir été approuvée par la majorité nécessaire du Parlement. Les candidats aux élections législatives doivent être âgés de 25 ans minimum. Le droit de vote a été porté à 17 ans en juillet 2016.
Le vote est obligatoire en Grèce jusqu'à l'âge de 70 ans. L'abstention est officiellement punie d'une peine d'emprisonnement allant d'un mois à un an ainsi que par un licenciement du contrevenant mais ces sanctions ne sont pas appliquées.
7 partis politiques sont actuellement représentés au sein de la Vouli :
– La Coalition de la gauche radicale (SYRIZA), parti d'extrême gauche né en 2004 et issu du rassemblement de l'ancien parti Synaspismos et de plusieurs organisations de gauche radicale de militants communistes et écologistes. Dirigée par le Premier ministre sortant Alexis Tsipras, elle possède 145 députés ;
– La Nouvelle démocratie (ND) fondée en 1974 par l'ancien président de la République (1980-1995) et Premier ministre (1955-1963 et 1974-1980), Constantin Caramanlis. Conduite par Kyriakos Mitsotakis, elle compte 75 sièges ;
– Aube dorée (XA), parti d'extrême droite, créé en 1980 et emmené par Nikolaos Michaloliakos, possède 18 députés ;
– Le Mouvement socialiste panhellénique-Gauche démocratique (PASOK-DIMAR), parti créé en 1974 par l'ancien Premier ministre (1981-1989 et 1993-1996) Andreas Papandreou, devenu en mars 2018 le Mouvement pour le changement (Kinima allagis, KINAL) après la fusion du PASOK et du Mouvement des socialistes démocratiques (KIDISO), parti créé par George Papandreou après son départ du PASOK. Dirigé par Fofi Gennimata, il compte 17 sièges ;
– Le Parti communiste (KKE), fondé en 1918 et conduit par Dimitris Koutsoumbas, possède 15 députés ;
– To Potami (La rivière), parti centriste de Stavros Theodorakis, compte 11 sièges ;
– Le Parti des Grecs indépendants (ANEL), parti de droite populiste créé le 24 février 2012 et emmené par Panos Kammenos, possède 10 députés.
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