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Au Royaume-Uni, la Première ministre sortante Theresa May perd sa majorité absolue

Élections en Europe

Corinne Deloy

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12 juin 2017
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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La Première ministre sortante Theresa May (Parti conservateur) a perdu son pari. Alors qu'elle avait convoqué des élections législatives anticipées (de 3 ans) pour asseoir sa légitimité dans le pays, renforcer son autorité personnelle et élargir sa majorité afin de négocier au mieux la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, la dirigeante des Tories a perdu la majorité absolue que son parti détenait à la Chambre des Communes. Les conservateurs ont reculé dans les urnes : le 8 juin, ils ont recueilli 42,3% des suffrages et ont remporté 318 sièges, soit -13 par rapport au précédent scrutin législatif du 7 mai 2015. 8 ministres du gouvernement sortant ont été battus.

A l'inverse, le Parti travailliste, conduit par Jeremy Corbyn, est sorti renforcé du scrutin : il a obtenu 40% des voix et 262 élus (+ 30).

Le Parti national écossais (SNP), parti indépendantiste dirigé par Nicola Sturgeon, a également enregistré un recul recueillant 3% des suffrages et 35 sièges (- 21). Le parti avait néanmoins réalisé un résultat record en 2015. Etonnamment toutefois, les électeurs du SNP ont préféré les conservateurs aux travaillistes dont ils sont pourtant plus proches. Avec 13 sièges, les Tories, emmenés dans la région septentrionale du Royaume-Uni par Ruth Davidson, sont devenus le deuxième parti d'Ecosse, leur résultat le plus élevé depuis 1983.

Les Libéraux-démocrates (LibDem), emmenés par Tim Farron, ont également amélioré leur nombre de députés. Ils ont obtenu 7,40% des voix et 12 sièges (+ 4).

Pour conserver la tête du gouvernement et obtenir une majorité à la Chambre des Communes, la Première ministre Theresa May a choisi de faire alliance (accord sur un soutien parlementaire mais pas de coalition gouvernementale) avec le Parti démocratique d'Ulster (DUP), parti unioniste qui défend les intérêts de la communauté protestante en Irlande du Nord et emmené par Arlene Foster. Ce parti a recueilli 0,9% des suffrages et 10 élus (+ 2). Le DUP aurait obtenu des Tories la promesse qu'il n'y aura pas de statut spécial pour l'Irlande du Nord dans les négociations sur le Brexit (rappelons que 56% des électeurs d'Irlande du Nord ont voté pour que leur pays reste dans l'Union européenne).

Le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), conduit par Paul Nuttall, a perdu son unique siège à la Chambre des Communes,. Militant pour le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, il pâtit du mode de scrutin majoritaire mais a surtout perdu sa raison d'exister.

Enfin, le Sinn Fein (SF), parti républicain et nationaliste irlandais conduit par Gerry Adams, a obtenu 0,7% des voix et 7 élus (+ 3) ; le Plaid Cymru (PC), parti régionaliste gallois dirigé par Leanne Wood, 0,5% des suffrages et 4 sièges (+ 1) et le Parti vert d'Angleterre et du Pays de Galles (G), conduit par Caroline Lucas et Jonathan Bartley, 1,3% des voix et 1 député (=).

La participation a été la plus élevée depuis les élections législatives du de mai 1997. Elle s'est élevée à 68,7%, soit +2,60 points par rapport au scrutin du 7 mai 2015.

Theresa May n'a pas commenté son échec. " Je vais former un gouvernement. Ce gouvernement va guider le pays à travers les négociations cruciales sur le Brexit, qui commencent dans seulement 10 jours. Et maintenant, au travail ! " a-t-elle déclaré.

Pour beaucoup d'analystes politiques, Theresa May a mené une mauvaise campagne électorale. Celle-ci a été fortement perturbée par deux attentats terroristes revendiqués par l'Etat islamique, le premier a à Manchester le 22 mai qui a fait 22 morts et 116 blessés et le second à Londres le 3 juin (8 morts, 2 disparus et 48 blessés). Après ces deux attentats, de nombreuses voix se sont élevées pour remettre en cause la politique d'austérité menée par les Conservateurs depuis 2010. Entre 2010 et 2016, environ 20 000 postes de policiers ont en effet été supprimés ; le budget de la police a également été réduit de 20%. A cette époque, Theresa May était ministre de l'Intérieur dans les gouvernements dirigés par David Cameron. " Cela suffit (Enough is enough). Il y a bien trop de tolérance à l'extrémisme dans notre pays " avait souligné la chef du gouvernement. Après l'attentat de Londres, elle avait également eu cette phrase étonnante : " Nous ne devons pas vivre comme des communautés séparées et ségréguées mais comme un véritable royaume uni ", semblant remettre en cause le multiculturalisme britannique. Jeremy Corbyn a eu beau jeu d'appeler à la démission de Theresa May. " L'austérité doit s'arrêter à la porte des service d'urgence et des stations de police. Nous ne pouvons pas être protégés et soignés à bon marché " avait indiqué le dirigeant travailliste en promettant l'embauche immédiate de 10 000 policiers et de 1 000 agents supplémentaires pour les services de renseignement.

Dès le départ cependant, Theresa May a sans doute fait l'erreur de trop centrer sa campagne sur sa personnalité et de refuser de débattre avec les autres candidats ou, parfois, de répondre aux médias. Elle est apparue trop confiante et, erreur fatale, a négligé son adversaire travailliste. " Femme de dossiers, Theresa May est dénuée de tout charisme, et mal à l'aise avec le public comme avec les journalistes. Elle n'a jamais été très présente dans le débat public auparavant " a noté Chris Bickerton. " Sûre d'elle, méprisant son adversaire, son refus de participer aux débats télévisés a accru son image de leader craignant la confrontation " a affirmé Philippe Marlière, professeur de science politique à l'University College de Londres.

Elle s'est également focalisé sur le Brexit et, par conséquent, a laissé au Parti travailliste toute latitude pour investir les autres sujets et notamment les thèmes socioéconomiques. Elle a défendu un Etat protecteur et social mais sans parvenir à véritablement convaincre les Britanniques après la politique d'austérité menée par les conservateurs depuis 2010. " Les électeurs ne votent pas pour les Tories pour des raisons sociales " souligne Chris Bickerton, politologue de l'université de Cambridge.

Enfin, ceux-ci ont en outre annoncé une réforme des aides sociales qui prévoyait que les soins liés à la dépendance des personnes âgées propriétaires d'un logement estimé à plus de 100 000 £ seraient financés par un prélèvement sur les successions. Ce projet a troublé jusqu'aux plus fidèles des sympathisants des conservateurs.

Alors que tous les analystes politiques pensaient que le Parti travailliste était au fond du gouffre, celui-ci aura su surfer sur les insuffisances de la campagne électorale de Theresa May et finalement réaliser un résultat que personne n'aurait imaginé il y a encore quelques semaines. Jeremy Corbyn a fait le bon choix en mettant l'accent sur les problèmes socioéconomiques et en proposant des réformes soutenues par de nombreux Britanniques comme la renationalisation des transports ferroviaires ou des services postaux ou encore la gratuité des études supérieures et qui ont remobilisé l'électorat travailliste. Le résultat du dirigeant travailliste, plus élevé que celui que lui prédisaient les enquêtes d'opinion, rappelle les performances de Jean-Luc Mélenchon (France insoumise, FI) au premier tour de l'élection présidentielle française le 23 avril dernier.

Jeremy Corbyn est parvenu à établir une véritable relation avec les Britanniques, ce que sa rivale n'a jamais su faire. A un moment dans cette campagne électorale, la dynamique a changé de camp. Par la suite, les deux attentats terroristes ont contraint Theresa May à revenir à une campagne plus classique, Tories vs Labour, qu'elle avait tout fait pour éviter.

Selon les sondages sortie des urnes, les travaillistes doivent en partie leurs " bons " résultats aux plus jeunes des électeurs (18-24 ans) qui se sont fortement mobilisés et ont largement voté pour l'opposition. Près de trois quarts d'entre eux (72%) se sont rendus aux urnes le 8 juin (ils n'étaient que quatre sur dix lors des précédentes élections législatives du 7 mai 2015). La réaction des jeunes s'explique sans doute par le " choc " qu'a constitué pour certains d'entre eux le choix de leurs compatriotes de quitter l'Union européenne le 23 juin 2016.

En 2010, le Labour avait été victime entre autres de l'usure du pouvoir ; cinq ans plus tard, en 2015, les Britanniques ont sans doute davantage voté pour la tenue du référendum sur la sortie de leur pays dans l'Union européenne promis par les conservateurs que pour les Tories. Le 8 juin, les travaillistes sont donc enfin parvenu à stopper le déclin qu'ils connaissaient depuis plusieurs années.

Pour de nombreux analystes politiques, les Britanniques ont, par leur vote, voulu exprimer leur souhait d'un Brexit doux. " Je pense que la majorité des personnes qui ont voté pour le Brexit le 23 juin 2016 l'ont fait en espérant une sortie de l'Union européenne, mais en restant proche de l'Union européenne, avec une participation au marché unique et à l'union douanière. L'option du Brexit dur privilégiée par Theresa May n'était pas leur souhait " a ainsi déclaré Simon Hix, professeur de science politique à la London School of Economics (LSE). La contre-performance de Theresa May, elle-même favorable à une sortie du marché unique, à la fin de l'union douanière et de la libre-circulation et désormais à la tête d'une majorité relative à la Chambre des Communes, renforce cependant les partisans d'un Brexit dur au sein des Tories.

Aucun doute, le Royaume-Uni sort affaibli des élections législatives du 8 juin. A dix jours de l'ouverture des négociations de Londres avec ses 27 partenaires européens sur le Brexit (prévues le 19 juin), le pays sera difficile à gouverner. " Nous ne savons pas quand les négociations commenceront mais nous savons quand elles doivent se terminer (le 29 mars 2019 puisque le gouvernement britannique a invoqué la clause de retrait de l'article 50 du traité sur l'Union européenne le 29 mars dernier) " a cependant tenu à rappeler le président du Conseil européen Donald Tusk.

Theresa May ne pourra pas se maintenir au pouvoir et elle devra démissionner : elle a perdu toute crédibilité au sein de son parti " ont indiqué Simon Tilford et John Springford, du think tank Centre for European Reform. De nombreux analystes politiques anticipent en effet la tenue de nouvelles élections législatives, estimant que la Première ministre britannique ne sera pas en mesure de gouverner alors que les mois à venir sont cruciaux pour l'avenir du pays.

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