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Nouvelle victoire d'Angela Merkel et percée des populistes aux élections fédérales allemandes

Élections en Europe

Corinne Deloy

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25 septembre 2017
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Les élections fédérales allemandes ont, sans surprise, consacré la chancelière sortante Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU) qui va donc accomplir un 4e mandat à la tête du gouvernement. Elles ont également contribué à " normaliser " l'Allemagne qui, comme de nombreux pays européens, voit ses partis politiques traditionnels s'essouffler (et la social-démocratie s'effondrer) et un parti populiste de droite entrer au Bundestag, chambre basse du parlement pour la première fois depuis 1949.

L'Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière sortante, Angela Merkel, au pouvoir depuis 2005, est arrivée en tête des élections le 24 septembre. Avec son alliée l'Union chrétienne-sociale (CSU) qui ne se présente que dans le Land de Bavière, l'Union CDU-CSU a recueilli 33% des suffrages et remporté 238 sièges (- 84 par rapport aux précédentes élections du 22 septembre 2013). "Le résultat des élections législatives constitue une amère déception. Nous avons délaissé notre flanc droit et il nous appartient à présent de combler le vide avec des positions tranchées" a indiqué le dirigeant de la CSU, Horst Seehofer, dont le parti a réalisé le plus faible résultat de son histoire avec moins de 40% en Bavière (45 sièges, - 11).

" Je me réjouis de la victoire mais ne tournons pas autour du pot, nous espérions un meilleur résultat " a déclaré Angela Merkel, qui obtient sa quatrième victoire électorale d'affilée. "Nous ne devons pas oublier que nous sortons d'une législature exceptionnellement difficile, je suis donc heureuse que nous ayons atteint les objectifs stratégiques de notre campagne électorale. Nous sommes le premier parti, nous avons un mandat pour former le prochain gouvernement et il ne peut y avoir de gouvernement de coalition contre nous " a ajouté la chancelière sortante. " Nous sommes face à un nouveau grand défi, l'entrée de l'Alternative pour l'Allemagne ( AfD)." Angela Merkel, au pouvoir depuis 12 ans, a certainement aussi pâti d'une certaine usure.

En recul, la droite allemande a néanmoins largement devancé le Parti social-démocrate (SPD), emmené par Martin Schulz, qui, scrutin après scrutin, continue de sombrer. Le SPD a obtenu 20,50% des voix et 148 sièges (- 45), soit le résultat le plus faible de toute son histoire. Le dirigeant du parti Martin Schulz en a tiré les conclusions rapidement et annoncé que " Cette soirée marque l'arrêt de notre travail avec la CDU ". " Les ministres sociaux-démocrates ont fait passer de vieilles revendications de la social-démocratie, comme le salaire minimum mais au final, c'est la chancelière à qui on a décerné des lauriers " a indiqué Siegfried Heimann, historien et politologue, ajoutant " Après les revers électoraux du début d'année[1], Martin Schulz n'a pas modifié son discours et ses méthodes de campagne. Son équipe s'est avérée incapable d'analyser la situation et de changer de stratégie ".

La percée de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD) constitue le deuxième événement de ces élections. Le parti a rempli son objectif en recueillant un score à 2 chiffres, 13% des suffrages ( dont 21 % dans les Länder de l'Est) et 95 sièges (+ 95). "Nous allons changer ce pays" a déclaré l'une de ses deux têtes de liste, Alexander Gauland, promettant de "combattre et pourchasser la chancelière sortante Angela Merkel"! Fondée au printemps 2013 par des économistes pour protester contre les plans de sauvetage de l'euro, l'AfD s'est "reconvertie" deux ans plus tard dans la lutte contre l'islam et l'immigration et est désormais représentée dans 13 des 16 parlements des Länder. Le parti devient donc la troisième force politique du pays. Elle est fortement divisée entre un courant conservateur, centré sur les enjeux comme l'immigration, le maintien de l'ordre et la place de l'islam dans la société, et un courant plus réaliste, représenté par Frauke Petry, mise en minorité par la direction du parti lors du congrès de Cologne les 22 et 23 avril derniers. A cette occasion , Alexander Gauland, ancien membre de la CDU, et Alice Weidel avaient été désignés à 67,7% par les 600 délégués du parti pour mener la campagne électorale.

Selon les sondages sortie des urnes, lAfD aurait pris un million de voix à la CDU, environ 400 000 au SPD et convaincu un million d'abstentionnistes.

L'AfD est le premier parti d'extrême droite[2] à entrer au Bundestag depuis 1949. "A droite de la CSU, il ne peut exister de parti démocratiquement légitime" avait indiqué Franz-Josef Strauss, dirigeant historique de la CSU (1961-1988) et ancien ministre-président de Bavière (1988-1998). "Le parti ne peut jouer un rôle politique en Allemagne que s'il se concentre fortement sur sa gauche. Un parti de droite qui ne se limite pas sur son extrême droite n'a aucune chance en Allemagne, à cause de notre passé" analyse Oskar Niedermayer, professeur de science politique à l'université libre de Berlin

Le Parti libéral-démocrate (FDP), dirigé par Christian Lindner, 38 ans, retrouve les bancs du Bundestag dont il avait été chassé lors des dernières élections de 2013. Le FDP a recueilli 10,7% des suffrages et remporté 78 sièges (+ 78).

Les Verts/Alliance 90 (Grünen), emmenés par Katrin Göring-Eckhardt et Cem Özdemir, progressent très légèrement sans parvenir à franchir la barre de 10% des voix (ce qu'ils n'ont fait qu'une seule fois lors des élections de 2009) et à profiter de l'effondrement du SPD. "Les candidats des Verts font campagne au centre. Or cet espace est déjà occupé par la CDU et le SPD" a souligné Andreas Stifel, professeur de science politique à l'université de Fribourg. Les Verts ont obtenu 8,9% des voix et 65 élus (+ 2).

Enfin, le Parti de gauche (Die Linke), parti populiste de gauche emmené par Katja Kipping et Bernd Riexinger, a recueilli 9,20% des suffrages et remporté 66 sièges (+ 2).

6 partis politiques seront représentés au Bundestag, qui compte 709 membres, soit le nombre le plus important de son histoire (le précédent record était de 673 députés après les élections de 1994).

La participation a été supérieure de 5,1 points. à celle enregistrée lors des précédentes élections de 2013 : 76,2%.

Agée de 63 ans, Angela Merkel est née à Hambourg avant que sa famille ne quitte la ville pour s'installer dans l'ancienne République démocratique allemande (RDA). Diplômée de physique-chimie de l'université Karl-Marx de Leipzig, elle a travaillé à l'Institut de physique-chimie de Berlin-Est jusqu'en 1990, année où elle est devenue porte-parole adjointe du dernier gouvernement de la RDA dirigé par Lothar de Maizière (CDU). Cette même année, elle a adhéré à la CDU après la fusion de l'Eveil démocratique (DA), mouvement qu'elle avait rejoint en décembre 1989, avec ce parti. Elle a été élue députée en décembre 1990 et nommée l'année suivante ministre de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse dans le gouvernement dirigé par le chancelier Helmut Kohl (CDU), qui lui a donné alors son surnom de " gamine " (Das Mädchen).

Elue présidente de la CDU du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale en 1993, un poste qu'elle a occupé jusqu'en 2000, Angela Merkel a été nommée l'année suivante ministre de l'Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire. En 2000, elle a pris la tête de son parti, un poste auquel elle a depuis été sans cesse réélue.

A l'issue des élections fédérales du 18 septembre 2005, Angela Merkel devient la première femme, la première protestante et la première issue de l'ex-RDA à accéder au poste de chancelière. Elle est cependant contrainte de diriger une " grande coalition " regroupant la CDU-CSU et le SPD. Elle conduit son parti à la victoire aux élections du 22 septembre 2009 et conserve donc la tête du gouvernement, qu'elle dirige cette fois en alliance avec le FDP. Après sa troisième victoire le 22 septembre 2013, une nouvelle "grande coalition " avec le SPD voit le jour. Le 24 septembre, celle que les Allemands surnomment Mutti (Maman) a réussi l'exploit de s'imposer pour la quatrième fois devant les électeurs comme avant elle Konrad Adenauer et Helmut Kohl.

Angela Merkel va désormais devoir trouver des partenaires pour former la prochaine coalition gouvernementale. Le SPD ayant exprimé le souhait de rejoindre l'opposition pour revoir notamment sa ligne politique et analyser les raisons de sa déroute, elle ne peut faire appel aux seuls libéraux-démocrates car les deux partis ne peuvent pas atteindre la majorité. Elle doit donc imaginer une nouvelle coalition avec les libéraux et les verts pour former ce que l'on qualifie de "coalition Jamaïque" en raison des trois couleurs (noir, jaune et vert) qui composent le drapeau de cette île des Caraïbes et qui sont aussi respectivement celles de la CDU, du FDP et des verts.. Un gouvernement formé d'une coalition de trois partis constituerait une première pour l'Allemagne. Les Verts et le FDP s'opposent sur de nombreux thèmes et notamment sur la fiscalité, l'énergie et l'environnement, la sécurité et l'Europe.

Selon toute vraisemblance, plusieurs semaines d'intenses négociations devraient être nécessaires à Angela Merkel pour former son futur gouvernement d'autant plus que les négociations ne devaient commencer qu'après les élections dans le Land de Basse-Saxe prévues le 15 octobre. Comme il est d'usage qu'elles durent environ 2 mois, on ne devrait connaître le résultat que juste avant Noël... ou après. D'ici là, le Bundestag se sera réuni et aura constitué son bureau et ses commissions dont celle du budget reviendra au premier parti d'opposition, soit le SPD, compte tenu de sa décision de rester en dehors du gouvernement.

Comme la Chancelière l'a indiqué, elle a reçu le mandat de former le gouvernement et va donc tout faire pour parvenir à bâtir la seule coalition possible tenant compte du vote des Allemands et elle y consacrera le temps qu'il faudra.

[1] L'Union chrétienne-démocrate a remporté les trois élections régionales qui se sont tenues en 2017 en Allemagne : le 26 mars dans la Sarre, le 7 mai dans le Schleswig-Holstein et une semaine plus tard, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, région industrielle d'où sont originaires de nombreux dirigeants sociaux-démocrates dont Martin Schulz. [2] L'Alternative pour l'Allemagne est de plus en plus souvent qualifiée de parti d'extrême droite. Le 8 mai dernier, l'AfDva organisé à Dresde un meeting commun avec les Européens patriotes contre l'islamisation de l'Occident (Pegida), association qui lutte contre l'islamisme radical et l'" islamisation de l'Allemagne ". Plus récemment, le 15 septembre, Alexander Gauland n'a pas hésité à vanter "les performances " des soldats de l'armée d'Hitler.

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