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Élections en Europe
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ENL'Espagne, gouvernée depuis son retour à la démocratie en 1975, en alternance par les deux grands partis que sont le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste ouvrier (PSOE), avec l'aide des partis régionalistes lorsque PP ou PSIE avaient échoué à obtenir la majorité absolue, s'est retrouvée le 20 décembre dernier devant un parlement fragmenté, divisé en 4 partis principaux : le Parti populaire du Premier ministre sortant Mariano Rajoy (28,92% des voix, 123 députés), le PSOE (22,16%, 90 députés), Podemos (20,83%, 69 députés) et Ciudadanos (C's) (13,7%, 40 députés). Un résultat qui rendait compliquée la formation d'un gouvernement.
Un gouvernement introuvable
Mariano Rajoy a faiblement bataillé pour tenter d'obtenir une majorité sur son nom. Il s'est déclaré favorable à une "grande coalition" qui rassemblerait son parti et le PSOE. "Cela n'a pas été possible, parce que les socialistes ne l'ont pas voulu. Ils n'ont même pas voulu nous parler" a-t-il affirmé pour expliquer son échec. Mariano Rajoy a en réalité tout de suite misé sur l'organisation de nouvelles élections parlementaires. Si le dirigeant de Ciudadanos, Alberto Rivera, était prêt à se rapprocher du Parti populaire, il était en revanche opposé à la présence de Mariano Rajoy à la tête du futur gouvernement. "Vous incarnez la corruption institutionnalisée, monsieur Rajoy. Avec vous, toute régénération démocratique est un voeu pieux" avait-il déclaré au Premier ministre sortant.
Le 2 février dernier, après le refus de Mariano Rajoy de briguer l'investiture, le dirigeant socialiste Pedro Sanchez se lançait dans la course à l'investiture à la tête du gouvernement en demandant le soutien de Ciudadanos et de Podemos. Ce dernier parti a toutefois immédiatement exigé la vice-présidence du gouvernement pour son dirigeant Pablo Iglesias, la moitié des ministères (dont la création d'un ministère de la "plurinationalité"), ou plus précisément une composition du gouvernement proportionnelle aux résultats des élections parlementaires du 20 décembre, la promesse de dépenses sociales supplémentaires et surtout l'organisation d'un référendum d'autodétermination en Catalogne, une mesure à laquelle les socialistes et les membres de Ciudadanos sont totalement opposés. L'accord signé entre les deux partis s'opposait d'ailleurs à "toute tentative de convoquer un référendum ayant pour objectif l'autodétermination d'un territoire du royaume". Enfin, le parti de Pablo Iglesias avait mis son veto à la participation aux négociations de Ciudadanos, considéré par lui comme le "nouveau Parti populaire".
Débutées le 7 avril dernier, les négociations à trois ont échoué. Pablo Iglesias a surpris tout le monde en demandant aux 400 000 membres de son parti de se prononcer entre le 14 et le 16 avril sur la réponse à apporter à la proposition de coalition. Finalement, 88,2% des militants de Podemos se sont prononcé contre un gouvernement fondé sur l'accord d'investiture signé entre le secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, et le président de Ciudadanos, Alberto Rivera. Environ 150 000 personnes ont pris part au scrutin, soit dix fois plus que lors du vote de novembre 2015 sur le programme électoral de Podemos. "En réalité, Podemos n'a aucun intérêt à s'allier avec les socialistes. Leur objectif réel est de réaliser le sorpasso, soit devancer le PSOE comme en Grèce où le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK) a été supplanté par la Coalition de la gauche unie (SYRIZA) ; ils veulent éliminer le PSOE. Ils souhaitent donc de nouvelles élections parlementaires, persuadés qu'ils sont que leur électorat va augmenter et qu'ils peuvent devenir la seule et vraie opposition de gauche" a souligné le journaliste du quotidien El Pais Patxo Unzueta. "Le PSOE a surévalué ses forces. En s'alliant avec Ciudadanos, Pedro Sanchez pensait faire pression sur Podemos en le présentant comme une force de blocage, opposée au changement. Il pensait qu'il capitulerait mais il n'a pas compris que Podemos lui dispute l'hégémonie de la gauche et ne pouvait pas accepter d'être un sujet passif" analyse Pablo Simon, professeur de sciences politiques à l'université Carlos III de Madrid.
Pedro Sanchez a accusé le dirigeant de Podemos d'avoir fait échouer la formation d'un gouvernement de gauche. "Pablo Iglesias n'a jamais voulu d'alliance avec les socialistes" a-t-il déclaré. Ce dernier a répondu que les socialistes avaient préféré s'entendre avec Ciudadanos.
"Il n'existe aucun candidat qui compte les soutiens nécessaires pour que le Congrès des députés (chambre basse du parlement) lui accorde sa confiance" a déclaré le roi Felipe VI le 26 avril dernier. Selon la Constitution espagnole, le parlement doit absolument désigner un Premier ministre dans les 2 mois qui suivent le premier vote du Congrès des députés sur la formation d'un gouvernement. Celui-ci avait eu lieu le 2 mars dernier. Felipe VI a refusé de désigner un nouveau candidat après l'échec de Pedro Sanchez le 4 mars dernier, indiquant que les partis politiques devaient être en mesure d'avancer une proposition d'accord pour pouvoir demander le vote des députés. Le roi a clairement tenté de se dégager de l'emprise des partis. Pour la première fois dans l'histoire de la démocratie espagnole, les Cortes generales, soit les deux chambres du parlement que sont le Congrès des députés et le Sénat, ont été dissous le 3 mai dernier par le roi et non par le Premier ministre.
Un scrutin anticipé
Le 9 mai dernier, Podemos a finalisé son accord avec Gauche unie (Izquierda Unida, IU). Les deux partis se présenteront donc ensemble le 26 juin prochain sous le nom d'Unidos Podemos et avec un programme qui compte 50 mesures, parmi lesquelles une réforme fiscale, la mise en place d'un revenu minimum garanti, l'abrogation de la réforme du marché du travail mis en œuvre par le gouvernement de Mariano Rajoy.
Les 2 partis espèrent que l'addition de leurs suffrages leur permettront de tirer profit d'un système de vote qui favorise les plus "grands" partis. "En politique, les additions arithmétiques fonctionnent rarement. Tout dépendra de la mobilisation. Il est possible que des électeurs de Gauche unie, déçus par ce pacte, s'abstiennent ou, à l'inverse, si la polarisation droite-gauche est importante pendant la campagne électorale, il se peut que la coalition entre Podemos et Gauche unie soit supérieure à l'addition de leurs votes lors des élections parlementaires précédentes" a indiqué Fernando Vallespin, professeur de sciences politiques à l'université autonome de Madrid.
Le dirigeant de Gauche unie, Alberto Garzon, a cependant obtenu que son parti puisse mener sa propre campagne électorale et maintienne son indépendance dans le futur parlement.
Pablo Iglesias envisage de devenir le prochain Président du gouvernement (Premier ministre). "Son objectif est la conquête du gouvernement central" a indiqué le politologue Joan Subirats. "Essayer de dépasser le PSOE plutôt que de tenter d'entrer dans un jeu politique qui impose de négocier avec lui" a souligné Daniel Innerarity, directeur du think tank Globernance.
"Si les socialistes parviennent à se présenter comme des centristes radicaux, qui représentent l'Espagne majoritaire, celle qui ne veut ni des aventures de Podemos ni de l'immobilisme du Parti populaire, alors ils peuvent améliorer leur résultat" estime Fernando Vallespin. Dans le cas contraire, Podemos peut réaliser le sorpasso en devançant le PSOE.
Dans une telle situation, les socialistes seraient alors face à l'alternative suivante : le soutien à un gouvernement formé par le Parti populaire, soit reconduire au poste de Premier ministre Mariano Rajoy que Pedro Sanchez a qualifié de "malhonnête" et "une droite rance, corrompue, antisociale" selon ses dires, au risque de renforcer Podemos qui deviendrait le principal parti d'opposition, soit aller à la crise et donc vers de nouvelles élections parlementaires. "Il n'y aura pas de 3e scrutin" a déclaré Pedro Sanchez le 27 mai dernier. Doit-on comprendre que le PSOE est également prêt, s'il échoue, à sceller un accord avec Podemos ?
Le 17 mai dernier, Pedro Sanchez est intervenu pour empêcher Ximo Puig (PSOE), président de la région de Valence, de s'allier avec Podemos et un autre parti, Compromis, dans le but de présenter une liste unique pour les élections sénatoriales dans cette région du Sud-Est de l'Espagne.
"La campagne électorale sera marquée par les reproches, surtout au sein de chaque bloc, PSOE et Podemos d'une part, Parti populaire et Ciudadanos d'autre part" estime Pablo Simon. "Si Unidos Podemos devance le PSOE, cela fera les affaires du Parti populaire car il sera très difficile pour les socialistes de soutenir un gouvernement Podemos. On ne peut pas non plus écarter que, cette fois-ci, l'un des deux blocs, gauche ou droite, se rapproche de la majorité absolue, ce qui faciliterait une investiture" a souligné le politologue, concluant : "On ne peut pas aller vers un troisième scrutin. Que cela leur plaise ou non, les partis devront passer des alliances".
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut IBES et publiée le 26 mai, le Parti populaire arriverait en tête des élections du 26 juin avec 30% des suffrages. Il serait suivi de Unidos Podemos, qui recueillerait 25% des voix, et devancerait donc le PSOE de 5 points (20%). Ciudadanos obtiendrait 14% des suffrages. Les derniers sondages montrent une hausse de l'abstention. Celle-ci pourrait renforcer le Parti populaire de Mariano Rajoy.
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