Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
Le 5 octobre prochain, les Bulgares sont appelés aux urnes pour renouveler les 240 membres de leur Assemblée nationale (Narodno sabranie), chambre unique du Parlement. Ces élections législatives sont les deuxièmes à être anticipées après, celles du 12 mai 2013. Sofia a connu pas moins de 3 gouvernements en moins de 2 ans, attestant de la durée - et donc de la gravité - de la crise politique dans laquelle se débat la Bulgarie. 18 partis et 7 coalitions électorales sont en lice pour ce scrutin législatif.
Le parti de l'ancien Premier ministre (2009-2013) Boïko Borissov, Les Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie (GERB), est en tête des enquêtes d'opinion. Son dirigeant répète cependant qu'il n'acceptera pas le poste de Premier ministre s'il n'obtient pas la majorité absolue. Nombreux sont les observateurs qui doutent que les élections améliorent la situation politique du pays. La formation du prochain gouvernement pourrait s'avérer longue et difficile alors même que le pays a plus que jamais besoin de stabilité et de confiance.
La Bulgarie est l'Etat le plus pauvre de l'Union européenne et le plus instable politiquement. Le PIB par habitant atteint seulement 46% du PIB européen moyen ; le salaire moyen est de 425 € et la pension de retraite de 150 €. Le 13 juin dernier, l'agence de notation Standard and Poor's a baissé la note de la dette souveraine de Sofia à BBB, en raison de l'instabilité politique qui, selon elle, empêche la mise en place des réformes indispensables au pays, une situation que l'agence ne voit pas s'améliorer prochainement.
L'administration est largement inefficace (la collecte d'impôts est ainsi très partiellement réalisée), le marché du travail est stagnant, la concurrence est faible et la main d'œuvre peu qualifiée. Le système éducatif est en effet peu performant et aurait besoin d'être réformé. Mais le principal problème de la Bulgarie réside dans la faiblesse de son Etat de droit et dans l'importance de la corruption et du crime organisé dans le pays. Sept ans après son entrée dans l'Union européenne, Sofia est toujours sous contrôle de Bruxelles en raison de l'inachèvement de ses réformes de la police et du système judiciaire.
Quatorze mois de gouvernement Oresharski
L'ancien ministre des Finances (2005-2009) Plamen Oresharski, qui était le candidat du parti socialiste (BSP), est devenu Premier ministre à l'issue des élections législatives du 12 mai 2013. Il a formé avec le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), dirigé par Lioutvi Mestan, une coalition soutenue par le parti d'extrême droite Ataka.
Dès le début de son mandat, le gouvernement a renversé le processus de décentralisation, attaché de nouveau le Directorat général pour combattre le crime organisé (GDBOB) à l'Agence de sécurité nationale (DANS) et modifié les règles de nomination de son directeur (désormais désigné par le seul parlement sans recommandation du président de la République), annoncé le redémarrage du projet de construction de la centrale nucléaire de Béléné et modifié les règles de fonctionnement de l'Assemblée nationale (les députés sont autorisés à quitter leur groupe et à en former un nouveau et le quota de députés présents pour le travail des comités parlementaires a été réduit).
Mais le plus grand changement a consisté en la nomination le 14 juin 2013 de Deylan Peevski, propriétaire du groupe de médias New Bulgarian et député controversé du DPS à la tête de l'Agence de sécurité nationale (il a été accusé de corruption dans le passé). Cette désignation a entraîné de nombreuses manifestations qui dénonçaient un gouvernement contrôlé par l'oligarchie et a fortement entamé la confiance, déjà faible, dans le nouveau gouvernement. La décision a finalement été annulée.
Le gouvernement a également relancé la construction du gazoduc South Stream financé par la Russie qui aggrave la dépendance énergétique du pays vis-à-vis de Moscou et à laquelle l'Union européenne s'était déclaré défavorable. Bruxelles a d'ailleurs décidé d'enquêter sur la légalité de la procédure.
Depuis, Plamen Oresharski a annoncé la suspension de South Stream et le 2 juin 2014, Bruxelles a ouvert une procédure d'infraction contre la Bulgarie pour violation des lois européennes sur l'énergie.
Au cours de ses 14 mois à la tête du gouvernement, le Premier ministre n'est pas parvenu à mettre en place les réformes qu'il avait promises, notamment en raison des discordes entre partis et des conflits internes au sein de son parti. Les députés du GERB et d'Ataka ont ainsi boycotté les sessions du parlement.
Le gouvernement a néanmoins survécu à 5 votes de défiance déclenchés par l'examen de lois sur les investissements, le développement régional, la sécurité, l'énergie et la politique fiscale.
Le 25 mai dernier, les 2 partis gouvernementaux ont été largement devancés par le GERB aux élections européennes. Le BSP a recueilli 18,93% des suffrages (4 sièges) et le DPS, 17,27% (4 députés) tandis que le parti de Boïko Borissov a remporté 30,4% des suffrages (6 élus) Un tiers des Bulgares se sont rendus aux urnes (35,84%).
Ces résultats ont conduit le DPS à envisager le retrait de son soutien au gouvernement lequel a fini par démissionner le 23 juillet, une démission acceptée le lendemain par le Parlement par 180 voix, contre 8 et 8 abstentions qui a ouvert la porte à la tenue d'élections législatives anticipées. Comme l'y oblige la Constitution bulgare, le président de la République Rossen Plevneliev a proposé aux 2 principaux partis politiques - GERB et BSP - puis à un 3e de former un gouvernement. Après le refus de chacun d'entre eux, il a nommé le 5 août dernier un gouvernement intérimaire conduit par Gueorgui Bliznachki chargé de conduire les affaires courantes jusqu'au 5 octobre. Professeur de droit constitutionnel et dissident du BSP, le nouveau Premier ministre avait soutenu les manifestants de l'été 2013, qui accusaient le gouvernement du Premier ministre Plamen Orecharski d'être " lié aux oligarques ". " Une stabilisation politique et morale et le rétablissement de la confiance de la société civile dans les institutions politiques du pays sont indispensables pour assurer le déroulement d'élections législatives anticipées " a-t-il déclaré lors de sa prise de pouvoir.
Le nouveau gouvernement a immédiatement décidé de créer un groupe de consultation composé d'experts indépendants pour promouvoir la transparence dans la prise de décision des questions liées à l'énergie.
En juin dernier, la Bulgarie a également connu une crise financière. Les Bulgares se sont rués aux guichets des banques pour retirer l'argent qu'ils y avaient déposé à la suite d'informations faisant état de la faillite de plusieurs établissements, et notamment de la Corporate Commercial Bank et de la First Investment Bank, respectivement 4e et 3e banques du pays. La Corporate Commercial Bank, qui représentait 8,4% du secteur bancaire bulgare, a été fermée et placée sous supervision spéciale de la Banque centrale le 20 juin après que 700 millions $, soit un cinquième des dépôts de l'établissement, ont été retirés.
La crise financière est consécutive aux soupçons de corruption pesant sur le patron de la Corporate Commercial Bank, Tzvetan Vassilev. En effet, les dossiers d'un portefeuille de 1,8 milliard €, soit 65% des prêts accordés par la banque, ont disparus.
La banque a finalement été fermée le 11 juillet dernier. Trois jours plus tard, un audit a révélé que 3,5 milliards de leva (soit 1,7 milliard € et 65% du portefeuille de la banque) avaient été accordés en 2013-2014 à des entreprises liées à Tzvetan Vassilev.
Conséquence de cette crise bancaire, le président de la République Rossen Plevneliev a demandé au gouvernement d'ouvrir une procédure d'adhésion au Mécanisme de surveillance unique (MSU) de l'Union européenne. La Bulgarie sera le premier pays hors zone euro à rejoindre ce programme qui permettra à la Banque centrale européenne de contrôler la banque bulgare. Celui-ci ne pourra cependant entrer en vigueur avant novembre prochain.
Le refus du parlement d'adopter le 4 août dernier un budget rectificatif permettant un déficit budgétaire de 2,7% (au lieu de 1,8%), notamment pour garantir les dépôts de la Corporate Commercial Bank et financer des programmes sociaux, a conduit le président de la République à dissoudre l'Assemblée nationale le 6 août.
Enfin, la Bulgarie a récemment dû accueillir de nombreux réfugiés syriens. Le pays n'étant pas vraiment préparé à cet afflux, Sofia a bâti une clôture de barbelés le long de sa frontière avec la Turquie pour contenir l'arrivée de nouveaux réfugiés.
Quelle alternance ?
La crise est si profonde que nul ne croit que les élections législatives permettront de dégager une majorité ou qu'elles peuvent déboucher sur un projet d'alternance crédible. Les Bulgares sont désillusionnés à l'égard de l'ensemble de la classe politique. " La crise de confiance et de légitimité est si forte que le fonctionnement même de la société est remis en cause " affirme Antoniy Galabov, professeur de sociologie à la Nouvelle université bulgare de Sofia.
Boïko Borissov répète que son parti ne participera à aucune coalition gouvernementale s'il n'obtient pas la majorité absolue des suffrages. Tsvetan Tsvetanov, chef de la campagne du GERB et ancien ministre de l'Intérieur (2009-2013), a indiqué que son parti favorisera le dialogue avec d'autres partis du centre droit afin de trouver un consensus sur les priorités nationales.
On notera que Tsvetan Tsvetanov a été condamné le 30 mai dernier par la Cour de Sofia à 4 années de prison après avoir été reconnu coupable d'avoir empêché des écoutes téléphoniques autorisées par un juge. L'ancien ministre de l'Intérieur a fait appel de ce jugement.
Boïko Borissov agite le spectre d'une aggravation de la crise en cas de dispersion de l'électorat au scrutin législatif. " En l'absence de gouvernement, la Bulgarie sera balayée par une spirale d'instabilité et les gens crèveront de faim " a-t-il souligné. Selon le leader de l'opposition, la Bulgarie a besoin d'un prêt de 5 ou 6 milliards de leva de la part du Fonds monétaire international (FMI).
Le leader de l'opposition a déclaré à Pripek, village du district de Kardzhali, fief du DPS, que le futur gouvernement devrait compter au moins 10 ministres de religion musulmane. " Les musulmans bulgares doivent être un pont entre les partis et pas un clivage " a-t-il indiqué.
Boïko Borissov refuse par ailleurs toute alliance avec le Bloc réformiste. " Nous ne nous engageons pas avec des charlatans " a déclaré l'ancien Premier ministre. La coalition du Bloc réformiste rassemble les Démocrates pour une Bulgarie forte de Radan Kanev qui se présente à Varna; le Mouvement Bulgarie pour les citoyens de l'ancienne Commissaire européenne (2007-2009) et ancienne ministre des Affaires étrangères (2002-2006) Meglena Kouneva qui sera candidate à Sofia ; l'Union des forces démocratiques dirigée par Bozhidar Loukarski, candidat à Varna, le Parti national Liberté et Dignité et l'Union nationale agraire bulgare. La coalition a été formée le 20 décembre 2013 dans la perspective des élections européennes du 25 mai dernier.
Le Bloc réformiste est favorable à une coalition de droite qui exclurait le BSP et le DPS. Il souhaiterait également amender la Constitution de façon à faire coïncider la prochaine élection présidentielle prévue en 2016 avec des élections législatives.
Le Parti socialiste a désigné son nouveau président le 27 juillet dernier. Mihail Mikov a été élu par 377 voix lors du 48e congrès, devançant le ministre de l'Economie et de l'Energie sortant, Dragomir Stoïnev, qui en a obtenu 333. Il succède à Serguei Stanichev, actuel président du Parti socialiste européen (PSE), dont il est un proche. Lors du congrès, ce dernier a demandé pardon aux socialistes pour les fautes qu'il aurait pu commettre. Il a également affirmé que le GERB, le DPS et le président de la République Rossen Plevneliev se sont alliés pour le scrutin. " Nous n'allons pas les autoriser à piller la Bulgarie " a-t-il indiqué.
Mihail Mikov a beau affirmer qu'" Octobre est une bataille sur la route d'une Bulgarie meilleure et plus ouverte et d'un Parti socialiste plus responsable ", il hérite d'une tâche bien difficile avec la reconstruction d'un parti miné par les divisions internes et les échecs politiques. Le nouveau dirigeant socialiste, qui se présente à Sofia, a indiqué que 20% des candidats présentés par son parti sont de nouvelles personnalités.
L'ancien président de la République (2002-2012) Georgi Parvanov a quitté le Parti socialiste au début de l'année 2014 et fondé l'Alternative pour la renaissance bulgare (ABV) avec l'ancien ministre des Affaires étrangères (2005-2009) et candidat malheureux de la dernière élection présidentielle des 23 et 30 octobre 2011, Ivaïlo Kalfin. Le parti se bat pour l'établissement d'une république présidentielle et se dit prêt à participer à toute coalition gouvernementale qui n'inclurait pas le Mouvement pour les droits et les libertés.
L'ancien journaliste de télévision Nikolay Barekov a formé au début de l'année 2014 Bulgarie sans censure (BBC). Le parti s'est présenté aux élections européennes du 25 mai dernier en coalition avec le Mouvement national bulgare (VMRO) de Krasimir Karakachanov, l'Union populaire agrarienne de Roumen Yonchev et le Mouvement du jour de la Saint-Georges de Dragomir Stefanov. Il a recueilli 10,66% des suffrages et remporté 2 élus à ce scrutin.
Nikolay Barekov, qui est candidat à Varna, se positionne principalement comme un pourfendeur de la corruption et du crime organisé mais fait lui-même l'objet d'une enquête pour des irrégularités dans sa campagne électorale des européennes.
La coalition connaît quelques problèmes internes. Le Mouvement national bulgare l'a récemment quittée pour former le Front patriotique avec le Front national pour la sauvegarde de la Bulgarie de Valeri Simeonov. Le Mouvement se bat pour un gouvernement de salut national, affirmant qu'" après 25 ans d'expériences de gauche et de droite, la Bulgarie est dans une situation désastreuse ". Il affirme qu'il soutiendra une coalition emmenée par le GERB sous certaines conditions.
Le système politique bulgare
Le parlement bulgare est monocaméral. La Narodno sabranie compte 240 députés, élus tous les 4 ans au sein de 31 circonscriptions électorales plurinominales qui correspondent aux oblasti (départements) du pays. Le mode de scrutin est mixte : 31 députés sont élus au scrutin majoritaire (selon le système du First past the post) et 209 au scrutin proportionnel (listes fermées) selon la méthode de Hare-Niemeyer.
Les candidats doivent être âgés d'au moins 21 ans. Un minimum de 4% des suffrages exprimés est indispensable à un parti politique pour être représenté au parlement.
Les partis qui veulent participer aux élections législatives doivent déposer 10 000 leva (qui leur sont remboursés s'ils obtiennent au moins 1% des suffrages exprimés) et recueillir les signatures d'au moins 7 000 électeurs. Les candidats indépendants doivent être soutenus par au moins 10 000 électeurs de la circonscription électorale où ils se présentent.
Actuellement, les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale sont:
– Le GERB, qui signifie " blason " en bulgare), principal parti d'opposition créé en 2006 et dirigé par l'ancien Premier ministre (2009-2013) Boïko Borissov, compte 97 députés ;
– La Coalition pour la Bulgarie (KzB), alliance de 4 partis de gauche : le Parti des sociaux-démocrates, l'Union agraire, le Mouvement de l'humanisme social et le Parti socialiste (BSP), possède 84 sièges ;
– Le Mouvement pour les droits et les libertés (DPS), fondé en 1989 par Ahmed Dogan et dirigée depuis le 19 janvier 2013 par Lioutvi Mestan, représente la minorité turque. Il compte 36 députés ;
– Ataka, parti d'extrême droite créé en 2005 et dirigé par Volen Siderov, possède 23 sièges.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut Sova Harris et publiée le 3 septembre, le GERB devrait recueillir 42,2% des suffrages. Il devancerait le parti socialiste qui obtiendrait 31,4% des voix, le Mouvement pour les droits et les libertés qui remporterait 11,1%, Bulgarie sans censure créditée de 7,3% et le Bloc réformiste qui recueillerait 7,1%.
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