Analyse
Élections en Europe
Corinne Deloy
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Corinne Deloy
1,7 million de Macédoniens éliront leur président de la République le 13 avril prochain. Si lors du 1er tour de scrutin, aucun candidat ne recueille plus de 50% des suffrages, un 2e tour aura lieu deux semaines plus tard, soit le 27 avril. Ce même jour seront organisées des élections législatives, les troisièmes organisées de façon anticipée (d'un an) depuis celles du 1er juin 2008. Ce scrutin est consécutif aux tensions entre l'Organisation révolutionnaire-Parti démocratique pour l'unité nationale, (VMRO-DPMNE), du Premier ministre Nikola Gruevski, et son partenaire au gouvernement, l'Union démocratique pour l'intégration (DUI-BDI).
La campagne électorale pour le scrutin présidentiel débutera le 24 mars, celle des élections législatives le 6 avril.
Un pouvoir sortant qui devrait se renforcer
A la fin du mois de février dernier, le chef de l'Etat sortant Gjorgji Ivanov (VMRO-DPMNE) a déclaré qu'il était candidat à sa succession. Il aurait pris sa décision après la publication d'une pétition signée par des personnalités publiques (médecins, athlètes, artistes) en faveur de sa réélection. Gjorgji Ivanov a été officiellement désigné candidat le 1er mars. Il a annoncé que sa campagne serait fondée sur trois principes : l'honnêteté, la sincérité et les valeurs.
La DUI-BDI, partenaire de la VMRO-DPMNE au gouvernement et représentant la population albanophone du pays (soit un quart des Macédoniens), a demandé au Premier ministre de nommer un candidat de consensus, qu'il pourrait soutenir, à l'élection présidentielle. Nikola Gruevski a refusé ce qu'il a qualifié d'ingérence du DUI-BDI dans les affaires de son parti et affirmé que le choix du candidat au scrutin présidentiel relevait d'une décision interne du parti. "Nous devons défendre notre dignité et la volonté des Albanais" a déclaré Bujar Osmani, porte-parole de la DUI-BDI, ajoutant "Gjorgji Ivanov n'a pas su répondre aux demandes des Albanais".
L'ONG albanophone Réveillez-vous, dirigée par Artan Grubi, a appelé au boycott du scrutin présidentiel : "Nous demandons aux organisations de la société civile, à la communauté religieuse musulmane et aux médias de langue albanaise de s'engager pour empêcher l'élection d'un président de la République que les Albanais ne reconnaîtraient pas". Cette décision de boycott constitue une menace sur le taux de participation qui, selon la loi électorale, doit impérativement être au-dessus de 40% pour que le scrutin soit valide.
Bujar Osmani a demandé aux Albanais de ne soutenir aucun candidat et à la VMRO-DPMNE, d'organiser des élections législatives anticipées, afin de mettre fin aux tensions entre les deux partis du gouvernement.
En annonçant la candidature de Gjorgji Ivanov à la présidence de la République, la VMRO-DPMNE ne pouvait qu'ensuite accéder à la demande de la DUI-BDI d'organiser un scrutin législatif anticipé. Une demande à laquelle le parti a agréé puisque toutes les enquêtes d'opinion le donnent largement vainqueur.
Pour beaucoup d'analystes politiques, la "dispute" entre les deux partenaires gouvernementaux n'a été qu'un prétexte pour organiser des élections législatives anticipées auxquelles les deux partis ont intérêt. Selon les sondages, elles devraient en effet recueillir la majorité des sièges de la Sobranie, chambre unique du parlement. Les deux partis gouvernementaux aiment à mettre en avant leur fermeté et leur nationalisme. "vIls veulent augmenter leur popularité au sein de la population et détourner l'attention des électeurs des problèmes socioéconomiques du pays" affirme Zravko Saveski, enseignant à l'université FON de Skopje.
"Pour le bien de l'Etat et les intérêts nationaux, j'accepte que des élections législatives anticipées soient organisées" a déclaré le 1er mars Nikola Gruevski. Le scrutin se tiendra le 27 avril, jour de l'éventuel 2e tour de l'élection présidentielle.
Le Premier ministre affirme que la DUI-BDI s'est fixé pour objectif d'obtenir, à l'issue du scrutin, l'un des trois postes clefs du pays (la présidence, Premier ministre ou président du parlement) et que le VMRO-DPMNE a impérativement besoin de recueillir la majorité absolue (soit 62 sièges) aux élections législatives pour empêcher le parti albanophone d'imposer ses conditions de participation au gouvernement. Nikola Gruevski a demandé à ses militants de se mobiliser "de façon à ce que son parti ne puisse être soumis à de quelconques pressions ou à un chantage de la part de son partenaire albanais". La DUI-BDI a rappelé à ses partisans qu'ils devaient exercer leurs droits civiques pour permettre au parti d'être un acteur qui compte au parlement. Il affirme avoir besoin d'obtenir au moins 25 sièges pour peser sur les décisions.
En Macédoine, la tradition veut que la coalition gouvernementale regroupe un parti macédonien et un parti albanophone de façon à ce que les deux principaux groupes ethniques du pays soient représentés.
Le Premier ministre Nikola Gruevski met en avant son bilan économique. La Macédoine a connu une croissance de 2,8% en 2013, grâce notamment à la consommation des ménages et aux exportations. Le taux de chômage, qui atteignait 36% en 2006, année où Nikola Gruevski a pris la tête du gouvernement, s'élève à 28%. L'inflation s'établit à 1,4%. Selon les analystes, elle devrait être de 2,7% en moyenne pour les quatre années à venir. Nikola Gruevski aime mettre en avant la faible dette publique de son pays. Celle-ci s'établit en effet à 35,5% du PIB.
Le gouvernement a augmenté de 5% les salaires et les pensions de retraites, ainsi que les aides sociales. Nikola Gruevski a promis que le pays ne connaîtrait pas de hausse d'impôts au cours de l'année 2014 et que la TVA serait réduite dans plusieurs secteurs. Enfin, il envisage d'accorder des aides à hauteur d'un million € aux entreprises qui recruteraient. Selon lui, cette mesure permettrait l'embauche de 4 000 personnes.
Une opposition largement devancée
Lors d'un congrès organisé le 4 mars, l'Union sociale-démocrate (SDSM) a désigné Stevo Pendarovski, professeur de science politique à l'université américaine de Skopje, comme candidat à l'élection présidentielle. Il a été président de la Commission électorale centrale lors du scrutin présidentiel des 14 et 28 avril 2004 et conseiller pour la sécurité nationale et la politique étrangère de deux anciens présidents de la République, Boris Trajkovski (1999-2004) et Branko Crvenkovski (2004-2009). Il souhaite accroître les pouvoirs du chef de l'Etat, accusant Gjorgji Ivanov d'avoir exercé ses fonctions sous le contrôle du gouvernement.
Le dirigeant du principal parti d'opposition, Zoran Zaev, a également accusé le président sortant d'être l'homme du Premier ministre Nikola Gruevski et non comme il le devrait, le président de tous les Macédoniens. L'Union sociale-démocrate a perdu toutes les élections organisées dans le pays depuis 2006, soit 7 scrutins au total.
En dépit du faible résultat dont elle est créditée dans les enquêtes d'opinion, l'opposition de gauche, qui reproche au gouvernement le retard pris par les réformes, est favorable à l'organisation d'élections législatives anticipées. La SDSM a rédigé un nouveau programme électoral qui propose de "restaurer" la classe moyenne, mise à mal par le gouvernement, Elle accuse le gouvernement d'avoir rendu la Macédoine dépendante de ses emprunts, d'avoir creusé les inégalités entre riches et pauvres et de ne pas respecter l'Etat de droit. Stevo Pendarovski affirme ainsi qu'il existe des prisonniers politiques. Elle envisage également le développement du réseau du gaz naturel et la construction de trois tronçons d'autoroutes entre Veles (centre) et Prilep et Bitola, entre Stip et Kocani, et entre Strumica et la frontière bulgare.
Le Premier ministre Nikola Gruevski juge les promesses de l'opposition déraisonnables. "Vous devez être soit totalement ignorant de la façon dont les investissements sont faits soit un fieffé menteur pour promettre un investissement de 3 milliards €" a-t-il souligné.
Côté albanophone, Iljaz Halimi sera le candidat du Parti démocratique albanais (PDA-PDSh) à l'élection présidentielle. Il sera donc le seul candidat de la plus importante des minorités du pays. "Les choses sont claires : Gjorgji Ivanov est le favori de l'élection. Notre objectif est d'arriver au 2e tour" a indiqué le dirigeant du parti, Menduh Thaci. Il a condamné l'appel au boycott de la DUI-DBI. Iljaz Halimi se veut le candidat du rassemblement des Albanais et souhaite réaffirmer que la Macédoine est aussi le pays des Albanais. Nombre de ces derniers déplorent par exemple que l'albanais ne soit toujours pas considéré comme une langue officielle dans les régions où vivent plus de 20% d'albanophones.
Enfin, Zoran Popovski sera le candidat à l'élection présidentielle de l'Option citoyenne pour la Macédoine (GROM), parti fondé en 2013 par le maire de Karposh et ancien vice-président de la SDSM, Stevce Jakimovski. Il se positionne au centre de l'échiquier politique.
Le système politique macédonien
La fonction présidentielle
Le président de la République est élu pour 5 ans et son mandat est renouvelable une seule fois. Ses pouvoirs sont relativement limités et le poste est essentiellement honorifique. Le chef de l'Etat est le commandant des forces armées et préside le Conseil de sécurité de la République composé du Premier ministre, du président de la Sobranie, des ministres en charge de domaines ayant à voir avec la sécurité, les relations extérieures et la défense et de trois personnalités nommées par lui.
Selon la loi électorale, l'élection présidentielle doit être organisée dans les 60 jours précédant la fin du mandat. Pour pouvoir présenter sa candidature à la fonction suprême, toute personne doit être âgée d'au moins 40 ans et recueillir le soutien d'un minimum de 10 000 électeurs ou celui d'au moins 30 députés.
La participation doit atteindre au moins 40% pour que le scrutin soit validé.
Le système législatif
Le parlement macédonien est monocaméral. La Sobranie compte 120 membres élus au scrutin proportionnel (selon la méthode d'Hondt) pour 4 ans. Pour les élections législatives, le pays est divisé en 6 circonscriptions élisant chacune 20 députés. Le système électoral garantit la représentation des minorités (albanophone, turque, serbe, rom, etc.) ainsi que celles des femmes puisque les listes électorales doivent obligatoirement comprendre au moins 30% de candidats du sexe opposé. Les partis politiques, les coalitions de partis et les groupes comprenant au moins 500 électeurs sont autorisés à concourir aux élections législatives.
Les partis politiques représentés dans l'actuel parlement sont:
– la coalition de 6 partis emmenée par la VMRO-DPMNE), parti chrétien-démocrate nationaliste, fondé en 1990 par l'ancien Premier ministre (1998-2002) Ljubco Georgievski et dirigé depuis 2005 par le chef du gouvernement sortant Nikola Gruevski, compte 63 élus ;
– la coalition de 3 partis conduite par la SDSM, créée en 1991 et dirigée par le maire de Strumica (Sud), Zoran Zaev, possède 27 sièges ;
– l'Union démocratique pour l'intégration (DUI-BDI), parti fondé en 2001 et qui a succédé à l'Armée de libération nationale (UCK) officiellement démantelée en 1999. Membre de la coalition gouvernementale sortante et dirigé par Alija Ahmeti, le parti compte 18 élus ;
– le Parti démocratique albanais (PDA-PDSh), créé en 1997 par Arben Xhaferi, dirigé par Menduh Thaci, possède 11 sièges ;
– le Renouveau démocratique (RDK), parti albanophone fondé en 2011 et conduit par Rufi Osmani, compte 2 élus.
La VMRO-DPMNE s'est largement imposée lors des dernières élections municipales des 24 mars et 7 avril 2013. Le parti a remporté 56 villes et recueilli 41,75% des suffrages tandis que la SDSM en a conquis 4 avec 26,64% des voix. La DUI-BDI a remporté 14 localités et 11,84% des suffrages et le Parti démocratique albanais (7,02%), 2.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée en mars par l'Institut des études politiques de Skopje (IPIS), le président sortant recueillerait 29,3% des suffrages le 13 avril, Stevo Pendarovski 19,4% des voix; Iljaz Halimi 6,1% des suffrages et Zoran Poposki, 1,5%.
La VMRO-DPMNE arriverait en tête des élections législatives avec 24,2% des voix, suivie par la SDSM qui recueillerait 17,4% des suffrages, la DUI-BDI 6,9%, le Parti démocratique albanais 3,9% et le Renouveau démocratique national, 1,2%.
Un tiers des personnes interrogées se déclarent encore indécises.
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