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Les élections parlementaires accouchent d'une Italie ingouvernable

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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26 février 2013
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Les élections parlementaires accouchent d'une Italie ingouvernable

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Le scénario du pire s'est finalement imposé lors des élections parlementaires en Italie les 24 et 25 février. La coalition de l'opposition de gauche Italie Bien commun (Parti démocrate (PD), Gauche, écologie et liberté (SEL), Parti populaire du Tyrol du Sud (SVP) et Parti socialiste italien (PSI)) emmenée par Pier Luigi Bersani a recueilli 29,54% des suffrages et remporté 340 sièges à la Chambre des députés (Camera dei Deputati), devançant de justesse la coalition de droite (Parti du peuple pour la liberté (PdL)-Ligue du Nord (LN)) conduite par l'ancien président du Conseil (1994-1995, 2001-2006 et 2008-2011) Silvio Berlusconi (PdL) qui a obtenu 29,18% des voix et 124 sièges. A la Chambre haute du Sénat (Senato della Repubblica), la coalition Italie Bien commun est arrivée en première position avec 31,63% des voix et 113 sièges mais avec une trop faible avance pour pouvoir constituer une majorité, la coalition PdL-LN recueillant 30,72% des suffrages et 116 sièges. Le Mouvement cinq étoiles (M5s) du populiste Beppe Grillo a recueilli 25,55% des suffrages et remporté 108 sièges à la Chambre des députés et 23,79% des voix et 54 sièges au Sénat. La coalition centriste Choix civique (Scelta Civica), avec Monti pour l'Italie (Union des démocrates chrétiens et du centre (UDC)-Futur et liberté pour l'Italie (FLI)) emmenée par le président du Conseil sortant Mario Monti est arrivée en 4e position remportant 10,56% des voix et 45 sièges à la Chambre basse et 9,13% et 18 sièges au Sénat. La coalition de gauche Révolution civile (Italie des valeurs (IdV), Parti de la refondation communiste (PRC), Parti des communistes italiens (PdCI) et Fédération des Verts) conduite par Antonio Ingroia n'a pas atteint le seuil de 10% des suffrages exprimés pour être représentée à la Chambre des députés (2.25%).

Le bicaméralisme égalitaire en vigueur en Italie où les deux Chambres possèdent des pouvoirs identiques (article 55 de la Constitution), la péninsule devient ingouvernable si la Chambre des députés et le Sénat ne disposent pas de la même majorité. La situation sur laquelle ont débouché les élections parlementaires, inédite depuis que ce système électoral a été mis en œuvre en 2005 par Silvio Berlusconi, conduit donc à un blocage à court terme et à l'ingouvernabilité du pays.

Il faut rappeler que la prime de majorité accordée à la coalition arrivée en tête du scrutin est calculée de façon différente dans chacune des deux chambres du parlement : elle est attribuée au parti (ou coalition) arrivé en tête au niveau national à la Chambre basse mais accordée par région, à la Chambre haute, où elle revient au parti arrivé en tête dans chacune d'entre elles. "Un pays ingouvernable, politiquement mais aussi techniquement avec peu d'issues basées sur des alliances presqu'impraticables et numériquement insuffisantes" a indiqué Massimo Razzi, journaliste du quotidien La Repubblica, au sujet de la situation à laquelle ont abouti les élections des 24 et 25 février.

La participation s'est élevée à 75,19% pour la Chambre des députés et à 75.11% pour le Sénat

"S'il y a une majorité à la Chambre des députés et une autre au Sénat, il n'y a pas de gouvernement" a déclaré Stefano Fassina du Parti démocrate. "Le pays affronte une situation très délicate" a déclaré le leader de l'opposition de gauche, Pier Luigi Bersani "Nous allons gérer la responsabilité que ces élections nous ont donnée dans l'intérêt de l'Italie" a-t-il ajouté. La gauche voit s'envoler ses rêves d'union avec le centre de Mario Monti, celui-ci ayant essuyé un camouflet. Elle ne peut obtenir de majorité au Sénat et in fine gouverner le pays. L'opposition est victime du M5S qui a réalisé une véritable percée, prenant des voix aussi bien à la gauche qu'à la droite.

Pier Luigi Bersani avait fait campagne en assurant qu'en cas de victoire il ne reviendrait pas sur la politique d'austérité menée par le président du Conseil sortant Mario Monti, qu'il ne modifierait pas la réforme des retraites, ne réduirait pas les impôts et n'augmenterait pas la dépense publique. "Nous poursuivrons la politique d'examen systématique des dépenses qu'il a mise en place et ne remettrons pas en cause la réforme des retraites" avait indiqué Enrico Letta, secrétaire général adjoint du Parti démocrate. La gauche avait seulement promis de mener une politique plus sociale.

Le président du Conseil sortant Mario Monti est le grand perdant du scrutin. Les Italiens ont voté contre la politique de rigueur qu'il a mise en place depuis son accession à la présidence du Conseil en novembre 2011. Le Professore a subi un véritable revers ; il a indéniablement raté son pari de devenir le leader d'un centre réformateur, débarrassé de Silvio Berlusconi et de la Ligue du Nord. "La seconde erreur de Mario Monti est la suivante : un gouvernement technique doit se fixer deux ou trois objectifs à atteindre et non pas une durée. En disant qu'il gouvernerait jusqu'aux élections, Mario Monti s'est assujetti à des partis qui lui ont dicté le rythme et l'ampleur des réformes" a souligné Franco Debenedetti, chef d'entreprise.

"Les gens l'appréciaient pour ses capacités techniques ainsi que pour son sang-froid, qui le plaçaient au-dessus de la mêlée et lui ont permis de rendre sa crédibilité à l'Italie. Mais à partir du moment où il s'est lancé dans le combat politique, il en a épousé les règles au point de devenir franchement agressif avec ses adversaires" a indiqué Stefano Folli, éditorialiste au journal économique Il Sole 24 Ore. "Sa popularité tenait en grande partie à son statut de non-politique" analyse l'historien et sociologue Marc Lazar, qui rappelle le "malaise" créé par le soutien des institutions et dirigeants européens au président du Conseil qui souhaitaient que les réformes mises en place par Mario Monti se poursuivent.

Si Mario Monti a indéniablement contribué à écarter tout risque de crise systémique dans la péninsule et rassuré les marchés financiers durant son mandat à la tête de l'Italie, il n'a cependant pas pu mener à terme nombre de réformes qu'il a dû laisser inachevées. Pire, il a parfois donné l'impression de se démentir durant sa campagne électorale, par exemple lorsqu'après avoir expliqué durant des mois que la réintroduction de l'impôt sur la résidence principale (Imposta municipale unica, IMU) était absolument indispensable, il a envisagé de le réduire tout comme l'impôt sur le revenu. "Je ne resterai pas dans la politique à n'importe quel prix" avait affirmé Mario Monti dont l'avenir politique paraît en effet compromis.

Silvio Berlusconi, au contraire de Mario Monti, a remporté son pari et réussi, quinze mois après son départ du gouvernement sous les huées, un impressionnant come-back. "C'est un résultat extraordinaire qui montre que ceux qui croyaient Silvio Berlusconi mort devront y repenser" s'est réjoui Angelino Alfano, dirigeant du PdL. Le Cavaliere a véritablement ressuscité son parti, pourtant affaibli par de multiples scissions internes. Ses promesses de remboursement de l'impôt sur la résidence principale (IMU), d'amnistie fiscale ou de réduction de la pression fiscale -qu'il déclarait financer par la réduction des dépenses publiques- et surtout de création de 4 millions d'emplois ont visiblement séduit des Italiens affectés par la politique d'austérité du gouvernement de Mario Monti. Lors de son dernier passage à la télévision, le Cavaliere avait encore promis une hausse des pensions de retraites les plus faibles. "Ces Italiens-là veulent continuer à rêver comme si l'Italie ne traversait pas sa plus grande crise depuis la guerre" a souligné Ilvo Diamanti, professeur de science politique à l'université d'Urbino.

La droite reste incontestablement forte en Italie. "L'hostilité à la gauche est très ancrée dans le pays réel. C'est le fruit de l'ancienne puissance du Parti communiste et, à mesure que la possibilité d'un gouvernement de gauche se précise, ce sentiment renaît" explique Marc Lazar.

Le populiste Beppe Grillo apparaît comme le véritable vainqueur du scrutin. Une partie importante des Italiens a obéi au dernier mot d'ordre qu'il avait lancé sur la grande place Saint-Jean de Latran à Rome durant son "tsunami tour", nom donné à sa campagne électorale menée hors des plateaux de télévision qu'il a boycottés à bord d'un minibus et par des réunions publiques organisées dans de nombreuses villes : "Renvoyons-les tous chez eux !". "En 3 ans, nous sommes devenus le plus grand parti d'Italie (...) L'histoire va changer un peu, on verra comment" a-t-il déclaré, ajoutant "Ils ont fait faillite aussi bien à gauche qu'à droite. Ils peuvent durer 7-8 mois mais nous serons un vrai obstacle pour eux" Il a qualifié les résultats de "nouvelle d'importance mondiale". "Nous serons une force extraordinaire. Nous serons 110 au parlement mais dehors, nous serons des millions. Nous ferons tout ce que nous avons dit et nous ne laisserons personne derrière" s'est écrié le dirigeant du M5S. Il a réussi à attirer sur son nom le mécontentement d'électeurs très affectés par la crise socioéconomique - la péninsule est en récession depuis le 3e trimestre de 2011 (- 2,2% en 2012) et ne devrait pas en sortir avant la fin 2013- et la politique d'austérité du président du Conseil sortant et lassés par les frasques d'une classe politique vieillissante et éreintée par les scandales de corruption. En outre, sa dénonciation des "élites pro-européennes" et ses différentes promesses (réduction du temps de travail à 20 heures hebdomadaires, versement d'un revenu de citoyenneté de 1 000 € par mois durant 3 ans à tout Italien dans le besoin, suppression des financements publics pour les partis politiques, réduction du nombre et de la rémunération des parlementaires, référendum sur l'adhésion de l'Italie à l'Union européenne et à la zone euro) lui ont permis de prendre des suffrages à gauche comme à droite. Silvio Berlusconi l'avait bien compris qui avait déclaré : "Voter Beppe Grillo, c'est voter pour la gauche".

Si l'on additionne les suffrages recueillis par le M5S, les "petits" partis d'extrême droite et d'extrême gauche, les partis hostiles à l'Union européenne ont fait un belle percée, sans parler de la coalition PdL-LN. "C'est la première fois depuis les années 1970 que l'Europe est au cœur du débat, et elle est devenue l'objet de clivage politique alors que jusqu'ici elle représentait un sujet de consensus" a souligné Marc Lazar, ajoutant "Ce n'est pas encore de l'euroscepticisme, mais les doutes croissants sur la construction européenne, palpables depuis des années, se sont désormais cristallisés autour de l'euro, devenu le symbole de la vie chère, mais aussi autour d'interrogations sur l'opacité des institutions européennes et de leur manque de démocratie. Et à cela, s'est ajouté le rejet de politiques d'austérité perçues comme imposées de l'extérieur".

Après cette percée du M5S, on peut cependant s'interroger sur la solidité dans la durée de l'organisation, au sein duquel des tensions internes se sont fait jour.

Il revient désormais au Président de la république, Giorgio Napolitano, de tirer les conclusions des résultats du scrutin des 24 et 25 février. Celui-ci pourrait chercher à former un gouvernement d'unité nationale qui s'engagerait sur des objectifs de rigueur budgétaire et d'une nouvelle loi électorale. En effet, de nouvelles élections organisées avec le mode de scrutin actuellement en vigueur risqueraient d'aboutir à un résultat similaire.

Le vice-président du Parti démocrate, Enrico Letta, a exclu la possibilité de nouvelles élections. "Quel que soit le vainqueur, celui-ci a la responsabilité de faire les premières propositions au président de la République Giorgio Napolitano" a-t-il souligné ajoutant : "Revenir aux urnes se semble pas la meilleure option à suivre".

Si la situation de blocage perdure et rend impossible la formation d'une coalition gouvernementale, l'Italie devra organiser un nouveau scrutin parlementaire. Comme la Grèce l'an passé dont la péninsule s'est rapprochée et pas seulement pour des raisons d'instabilité politique. Selon l'article 61 de la Constitution, de nouvelles élections pourraient être convoquées dans les 70 jours.

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