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Giorgio Napolitano est réélu à la présidence de la République d'une Italie en pleine tourmente

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Corinne Deloy

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23 avril 2013
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Giorgio Napolitano est réélu à la présidence de la République d'une Italie en pl...

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Si les Italiens avaient pu élire le président de la République au suffrage universel, ils auraient désigné l'ancienne commissaire européenne à la Pêche, la Politique des consommateurs et la Protection de la santé (1995-1999), Emma Bonino. Tel est en tout cas ce que montraient les enquêtes d'opinion à la veille de l'élection du chef de l'Etat dans la péninsule. Mais en Italie, le chef de l'Etat est élu par un collège de grands électeurs. Traditionnellement, les partis politiques désignent pour ce poste une personnalité sur laquelle ils se sont accordés avant le vote.

Mais les élections parlementaires des 24 et 25 février derniers ont donné lieu à une crise politique profonde et c'est seulement après six tours de scrutin - et de nombreux coups de théâtre - que les grands électeurs chargés de désigner le chef de l'Etat ont finalement réélu le président sortant Giorgio Napolitano à la présidence de la République italienne. Une première dans l'histoire de la péninsule.

Rappelons que plus de huit semaines après les élections parlementaires, l'Italie n'a toujours pas de gouvernement. Le Parti démocrate (PD) de Pier Luigi Bersani dispose de la majorité à la Chambre des députés mais pas au Sénat. L'Italie étant un pays au bicaméralisme égalitaire (les deux chambres possèdent des pouvoirs identiques), un parti (ou une coalition de partis) doit impérativement disposer de la majorité au sein de chacune des chambres du parlement pour être en mesure de gouverner.

Le Mouvement cinq étoiles (M5s) de Beppe Grillo a refusé toute alliance avec la gauche et cette dernière a rejeté la main que lui a tendue le Parti du peuple pour la liberté (PdL) de Silvio Berlusconi. De son côté, ce dernier s'est déclaré favorable à la formation avec la gauche d'une grande coalition (governissimo). "Ou nous formons un gouvernement fort et stable ou alors il est préférable de redonner la parole aux Italiens en allant revoter en juin" a déclaré Silvio Berlusconi le 13 avril dernier. "Pas de grande coalition" lui a répondu Pier Luigi Bersani pour lequel "cela ne serait pas la bonne réponse aux problèmes du pays".

Une élection présidentielle pleine de rebondissements

L'élection présidentielle a commencé en Italie le 18 avril dernier. Avant le 1er tour de scrutin, le Parti démocrate de Pier Luigi Bersani et le PdL de Silvio Berlusconi s'étaient mis d'accord sur le nom de Franco Marini, ancien secrétaire général de la Confédération italienne des syndicats de travailleurs (CISL). "La candidature de Franco Marini est la plus en mesure de réaliser les plus grandes convergences. C'est une personne limpide et généreuse, l'un des constructeurs du centre gauche lié au travail et au social. Franco Marini sera en mesure d'assurer une convergence des forces de centre droit et de centre gauche" avait déclaré le dirigeant de la gauche. De son côté, le Cavaliere avait indiqué : "Nous croyons que c'est la meilleure solution possible en ce moment. C'est une personne positive et sérieuse dont le choix ne représente pas pour nous une défaite. Son comportement a toujours été loyal et correct". Silvio Berlusconi s'était déclaré prêt à soutenir un candidat issu des rangs des forces de gauche à la présidence de la République à la condition que celui-ci ne lui soit pas hostile, voire lui garantisse un sauf-conduit judiciaire. Le dirigeant de la droite est en effet poursuivi pour trois chefs d'inculpation : fraude fiscale, abus de pouvoir et prostitution de mineure.

Las. Au 1er tour de scrutin, Franco Marini a recueilli 521 voix, l'universitaire et ancien député de gauche Stefano Rodota, présenté par le M5S de Beppe Grillo, en a obtenu 240. Une centaine de grands électeurs ont voté blanc ou nul. "Voter pour Franco Marini serait rendre un mauvais service au pays. Ce choix est une insulte pour le pays" avait déclaré le maire de Florence Matteo Renzi (PD) qui avait qualifié l'ancien syndicaliste de "candidat du siècle dernier". Lors des 2e et 3e tours où un candidat doit absolument obtenir la majorité des 2/3 des votants pour être élu, le Parti démocrate a voté blanc espérant atteindre le 4e tour sans vainqueur pour voir ensuite son candidat l'emporter à la majorité absolue. Faute de candidat, le PdL a fait de même.

Au 4e tour de scrutin, Pier Luigi Bersani a changé de stratégie et plutôt que de continuer à chercher un accord avec la droite a notifié son choix de voir l'ancien président de la Commission européenne (1999-2004) et ancien Président du Conseil (1996-1998 et 2006-2008) Romano Prodi devenir président de la République. Un choix inacceptable pour Silvio Berlusconi : Romano Prodi est en effet le seul homme politique à avoir battu le Cavaliere à deux reprises : aux élections parlementaires du 21 avril 1996 et des 9 et 10 avril 2006. De son côté, le M5S soutenait toujours Stefano Rodota.

En dépit de l'accord passé à gauche, Romano Prodi n'a recueilli lors du 4e tour de scrutin que 395 voix, soit -100 par rapport au nombre de suffrages détenus par les forces de gauche et -9 que la majorité simple en vigueur au 4e tour. Stefano Rodota en a obtenu 213, la ministre de l'Intérieur sortante Anna Maria Cancellieri, soutenue par la Liste choix civique du président du Conseil sortant Mario Monti, 76 et l'ancien Président du conseil (1998-2000), Massimo d'Alema, 15.

Seuls 732 grands électeurs ont participé au vote, le PdL ayant demandé à ses membres de s'abstenir. "Ils ont choisi Romano Prodi et nous considérons qu'il s'agit d'un acte de rupture" avait déclaré Fabrizio Cicchitto, député. "Romano Prodi n'est pas un homme neutre, c'est un homme qui divise. Cela signifie que les conditions fondamentales n'existent pas pour parvenir à un accord de gouvernement" a souligné Renato Brunetta, leader du groupe parlementaire du PdL à la Chambre des députés.

A l'issue du 4e tour, véritable revers pour le leader de la gauche Pier Luigi Bersani, Matteo Renzi, qui était opposé à la candidature de l'ancien président du Conseil, a affirmé : "la candidature Romano Prodi n'existe plus"

Finalement, dans la soirée du 19 avril, Romano Prodi, en voyage à Bamako dans le cadre de ses fonctions d'envoyé spécial de l'Organisation des Nations unies (ONU) pour le Mali et le Sahel et donc absent lors cette élection, annonçait qu'il retirait sa candidature.

Le 20 avril, lors du 5e tour de scrutin, les principaux partis politiques ont décidé de ne pas participer (PdL et PD) ou de voter blanc (Ligue du Nord). Au total, 462 grands électeurs ont voté blanc ou nul. A l'issue, le dirigeant démocrate Pier Luigi Bersani a alors annoncé qu'il démissionnerait de la tête du PD dès qu'un nouveau président de la République serait élu. "Il y a parmi nous un traître sur quatre ; pour moi, c'est inacceptable" a-t-il déclaré.

Enfin, le 20 avril, nouveau coup de théâtre : le président de la République sortant Giorgio Napolitano a accepté, sous la pression de la majorité des partis politiques (PdL, PD, Liste choix civique et Ligue du Nord) qui ont reconnu leur incapacité à lui désigner un successeur, de se présenter pour un 2e mandat à la tête du pays. "Je considère qu'il est de mon devoir d'offrir la disponibilité qui m'a été demandée. Je suis mû en ce moment par le sentiment que je ne peux me soustraire à une prise de responsabilité envers la nation et suis confiant qu'à cela correspondra une prise de responsabilité collective analogue" a déclaré Giorgio Napolitano qui avait pourtant qualifié "d'irrévocable" sa décision de ne pas solliciter de 2e mandat présidentiel.

Le chef de l'Etat sortant a été réélu par 738 voix lors du 6e tour de scrutin. "C'est une journée importante pour notre République. Je remercie le président Giorgio Napolitano pour son sens du devoir et sa générosité personnelle et politique qui lui a fait accepter de poursuivre son engagement dans un contexte aussi difficile et incertain" a déclaré Silvio Berlusconi. Les partisans du M5S ont vivement protesté aux cris de "Bouffons, bouffons!" ou encore de "Honte !". Beppe Grillo a dénoncé la candidature de Giorgio Napolitano qu'il a qualifié de "coup d'Etat" et appelé ses sympathisants à manifester devant le parlement.

"J'espère fortement que dans les prochaines semaines et à partir des jours à venir, toutes les parties assumeront leurs devoirs dans le but de consolider les institutions de l'Etat" a indiqué Giorgio Napolitano dans sa première déclaration consécutive à sa réélection.

Les observateurs de la vie politique italienne s'accordent à penser que le chef de l'Etat pourrait démissionner dès que la crise politique actuelle sera sinon résolue au moins apaisée.

La fonction présidentielle en Italie : pouvoirs et mode de scrutin

Le président de la République occupe en Italie une fonction essentiellement honorifique. Garant de la Constitution et de l'unité du pays, il dispose cependant de deux pouvoirs essentiels : celui de dissoudre le Parlement (sauf au cours du dernier trimestre de son mandat) et celui de renvoyer une loi devant les députés et les sénateurs pour deux motifs (s'il juge le texte anticonstitutionnel ou s'il considère que celui-ci n'est pas correctement financé). Carlo Azeglio Ciampi avait utilisé ce dernier pouvoir une première fois contre une loi sur la concentration des médias en 2003 et une seconde fois contre une réforme de la justice en 2004. Giorgio Napolitano a montré l'importance de son rôle en novembre 2011 lorsque après la démission de Silvio Berlusconi, il a décidé de ne pas recourir à des élections parlementaires anticipées et a choisi de nommer Mario Monti à la présidence du Conseil. "La démocratie assassinée, Giorgio Napolitano transforme l'Italie en République présidentielle" avait à l'époque titré le quotidien Il Giornale, qui appartient à Silvio Berlusconi.

Le président de la République italienne est élu à bulletin secret pour 7 ans par un collège de grands électeurs composé par les 630 membres de la Chambre des députés, les 315 sénateurs, 4 sénateurs à vie et 58 représentants des 20 régions du pays (3 par région à l'exception du Val d'Aoste qui n'en désigne qu'un), soit au total 1 007 grands électeurs. Lors des 3 premiers tours, un candidat doit, pour être élu, recueillir sur son nom au moins les 2/3 des suffrages des grands électeurs, soit 671 voix. A partir du 4e tour, la majorité simple (504 suffrages) est requise.

La tradition veut que le président de la République soit un homme de consensus qui rassemble au-delà des partis politiques. Il recueille habituellement sur son nom les suffrages de la grande majorité des grands électeurs. En 2006, cependant, le scrutin présidentiel avait été très disputé et Giorgio Napolitano avait été élu par les seuls voix des grands électeurs de gauche.

Enfin, le chef de l'Etat ne gouverne traditionnellement que durant un seul mandat. "Aucun des 9 Présidents de la République qui m'ont précédé n'a été réélu. Je pense que c'est devenu une coutume significative qu'il vaut mieux ne pas rompre. A mon avis, le renouvellement d'un long mandat de 7 ans est peu adapté aux caractéristiques républicaines de notre pays" avait indiqué Carlo Azeglio Ciampi, répondant aux nombreuses personnalités, de gauche comme de droite qui, en 2006, souhaitaient le voir se représenter à la présidence de la République.

Giorgio Napolitano est donc le premier chef de l'Etat italien à avoir été réélu à la tête de la péninsule. Agé de bientôt 88 ans et originaire de Naples, il a rejoint le Parti communiste (PCI) après la Deuxième Guerre mondiale. Elu député en 1953, il a toujours figuré parmi les modérés du parti. Ancien président de la Chambre des députés (1992-1994), il a été ministre de l'Intérieur dans le premier gouvernement dirigé par Romano Prodi (1996-1998), puis député européen (1999-2004). En 2005, il a été nommé par son prédécesseur à la tête de l'Etat Carlo Azeglio Ciampi sénateur à vie en récompense des services rendus à l'Etat. Le 8 mai 2006, il est devenu le premier ancien communiste à accéder à la présidence de la République.

L'avenir de l'Italie

Après avoir échoué à former un gouvernement à l'issue des élections parlementaires des 24 et 25 février derniers, le Parti démocrate n'est donc pas parvenu à faire élire son candidat à la présidence de la République. Il a également perdu son chef puisque Pier Luigi Bersani a annoncé qu'il démissionnait de la tête du parti. "Le seul conseil que nous pouvons donner au Parti démocrate est d'éviter à tout prix de nouvelles élections parlementaires car ce serait un jeu d'enfants pour ses adversaires de se partager les restes d'un parti orienté avec ténacité vers un suicide politique collectif" a publié le 20 avril dernier Antonio Padellaro, directeur du journal Il Fatto Quotidiano. "La République est suspendue au-dessus du vide" titrait le principal quotidien italien, le Corriere della Sera. Enfin, La Repubblica a dénoncé "la médiocrité d'un groupe dirigeant et d'une classe parlementaire qui ne répond plus à rien, même pas à l'instinct de survie". Pour Francesco Marchiano, éditorialiste au Huffington Post Italia, l'élection présidentielle a été "l'une des plus horribles qu'ait connu l'Italie".

Il appartient donc à Giorgio Napolitano de travailler à trouver l'issue la plus favorable à la crise politique que traverse la péninsule. Le président de la République va-t-il de nouveau demander aux partis de tenter de former un gouvernement ou bien décider d'un retour aux urnes pour les 47 millions d'électeurs italiens ?

Le président de la Confédération générale de l'industrie italienne (Confindustria), Giorgio Squinzi, a affirmé que les "plus de 50 jours d'inertie totale depuis les élections parlementaires des 24 et 25 février ont fait perdre un point de PIB à l'Italie". Selon la dernière enquête d'opinion réalisée pour la RAI par l'institut SWG et rendue public le 5 avril dernier, en cas de nouveau scrutin parlementaire, le PD recueillerait 25,5% des suffrages, le M5S 25,4%, et le PdL 25%. Silvio Berlusconi a d'ores et déjà déclaré qu'il serait candidat à la présidence du Conseil en cas de nouvelles élections, "une responsabilité grande et douloureuse à laquelle je ne peux me soustraire" a-t-il indiqué.

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