Analyse

Les Tchèques éliront en janvier 2013 leur président de la République pour la première fois au suffrage universel direct

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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17 décembre 2012
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Les Tchèques éliront en janvier 2013 leur président de la République pour la pre...

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Près de 10 millions de Tchèques sont appelés aux urnes les 11 et 12 janvier prochains pour élire, au suffrage universel direct pour la première fois de leur histoire, le président de la République. Vaclav Klaus (Parti démocrate-civique, ODS), en poste depuis 10 ans (7 mars 2003) et ayant réalisé deux mandats consécutifs, n'est pas autorisé à se représenter. Si aucun candidat ne remporte la majorité absolue le 12 janvier prochain, un 2e tour de scrutin aura lieu deux semaines plus tard, soit les 25 et 26 janvier.

Les enquêtes d'opinion montrent que l'intérêt des Tchèques à l'égard de cette première élection présidentielle au suffrage universel est manifeste. Selon une enquête réalisée par le Centre pour l'opinion publique (CVVM), 80% des Tchèques sont favorables à l'élection du président de la République au suffrage universel direct. Six électeurs sur dix s'apprêteraient à se rendre aux urnes les 11 et 12 janvier prochains.

La modification du mode de scrutin

Depuis 1993, le président tchèque était élu au scrutin secret par les membres des deux chambres du Parlement (la Chambre des députés et le Sénat) qui, à l'occasion de cette élection, se réunissaient ensemble dans la salle espagnole du Château de Prague, siège officiel de la présidence.

La dernière élection présidentielle des 8 et 15 février 2008 avait été houleuse et difficile, entachée d'accusations de corruption et de multiples pressions sur les parlementaires. Deux scrutins avaient été nécessaires pour réélire Vaclav Klaus à la tête de l'Etat.

Lors des trois premiers tours de la première élection, l'atmosphère avait été particulièrement tendue, majorité et opposition se disputant devant les caméras de télévision où l'élection était retransmise en direct et suivies par plus de 800 000 personnes. Le vote avait été retardé de plusieurs heures à cause de discussions sur le mode de scrutin. Les Verts (SZ) et les sociaux-démocrates (CSSD) avaient proposé que le vote ait lieu à main levée, une proposition à laquelle s'opposait l'ODS mais qui avait finalement été acceptée par les deux chambres du Parlement. Le scrutin présidentiel s'était donc déroulé pour la première fois à main levée (la Constitution tchèque ne précisait pas quel mode de scrutin devait être utilisé pour la désignation du président de la République, indiquant seulement que celui-ci devait être élu par les membres du parlement). Vaclav Klaus avait alors déclaré qu'il considérait l'appel au vote à main levée comme une tactique employée pour empêcher sa réélection.

Ce mode de scrutin n'avait cependant pas empêché le chef de l'Etat sortant d'être élu à la tête du pays le 15 février 2008 lors du 3e tour de la deuxième élection en l'emportant de 30 voix sur Jan Svejnar, soutenu par le Parti social-démocrate, le Parti des Verts, l'Association des indépendants-Démocrates européens (SNK-ED) et le Club de la démocratie ouverte (KOD).

"Il y a des choses qui se sont passées qui ne sont pas dignes de la démocratie qu'est la République tchèque" avait jugé Lukas Macek, directeur du campus européen (Europe centrale et orientale) de Sciences Po à Dijon. Le journal Blesk avait parlé de "Palerme tchèque" à propos des pressions et des menaces exercées sur les parlementaires.

Source : Agence de presse tchèque CTK

Le Premier ministre Petr Necas, (ODS) qui accède au pouvoir à l'occasion de la victoire des forces de droite aux élections législatives des 28 et 29 mai 2010, inscrit la modification du scrutin présidentiel dans son programme. Les deux partis de son gouvernement – Tradition, responsabilité, prospérité 09 (TOP 09) et le Parti des Affaires publiques (VV) – sont très attachées à cette promesse. Le chef de l'Etat Vaclav Klaus a toujours été opposé à ce changement qu'il a qualifié d'"erreur fatale". Il a déclaré que "l'idée que les électeurs choisiront le président de la République est erronée. Celui-ci va être désigné par les médias et les votants vont juste approuver ce choix". Le président sortant estime que la République tchèque n'est pas prête à une telle évolution.

La loi sur l'élection du président tchèque au suffrage universel direct est entrée en vigueur le 1er octobre 2012. Pour se présenter tout candidat doit recueillir le soutien d'au moins 20 députés ou de 10 sénateurs ou encore les signatures de 50 000 électeurs.

La loi stipule que le chef de l'Etat n'est plus autorisé à accorder de grâce présidentielle et qu'il bénéficiera de l'immunité seulement pendant la durée de son mandat. En outre, le texte étend la liste des raisons pour lesquelles le président de la République peut être démis de ses fonctions. Le Sénat peut ainsi, avec l'accord de la Chambre des députés, déposer une plainte contre lui devant la Cour constitutionnelle, non seulement pour trahison mais également si la Chambre haute estime que le chef de l'Etat a violé la Constitution ou l'ordre constitutionnel. Une telle plainte nécessite toutefois le vote des 3/5e des sénateurs et des 2/3 des députés.

Enfin, la loi électorale limite les frais de campagne des candidats à la magistrature suprême à 40 millions de couronnes (soit 1,5 million €) (50 millions de couronnes pour les 2 tours de scrutin, soit 2 millions €).

L'ODS a longtemps affirmé que la modification du mode de scrutin à l'élection présidentielle était incompatible avec la démocratie parlementaire. Certains analystes politiques considèrent également l'élection présidentielle au suffrage universel direct comme étrangère à la structure constitutionnelle du pays. "Le suffrage universel direct aurait un sens si le chef de l'Etat tchèque possédait d'importants pouvoirs, ce qui n'est pas le cas. En outre, il risque d'aggraver encore davantage la fatigue des électeurs compte tenu du nombre d'élections (régionales, municipales, législatives et sénatoriales) qui ne cessent de se succéder. Au début, on peut s'attendre à un taux de participation élevé mais celui-ci aura par la suite tendance à baisser" souligne le juriste Petr Kolman. "Les gens pensent que le fait d'élire eux-mêmes le président de la République garantira une sorte de contrôle des partis politiques mais les choses ne se passeront pas ainsi" affirme de son côté la sociologue Jirina Siklova.

"Le problème de la politique tchèque n'est pas la faiblesse des présidents de la République mais la faiblesse des gouvernements et l'élection directe du chef de l'Etat risque donc de les affaiblir encore davantage. L'élection directe du président n'apporte donc pas une amélioration du système politique tchèque mais aggrave encore ses problèmes" déclare Tomas Lebeda, politologue de la faculté des sciences sociales de l'université Charles de Prague. "Les partis politiques auront une place privilégiée dans l'organisation et le financement des campagnes électorales tandis qu'avec le système du vote par le parlement, il est possible de se mettre d'accord sur un président de la République impartial comme cela avait été le cas avec Vaclav Havel" souligne Jan Kysela, professeur de droit constitutionnel à l'université Charles de Prague,.

Neuf candidats

9 personnes sont officiellement candidates à l'élection présidentielle :

– Jan Fischer (indépendant), 61 ans, ancien Premier ministre (2009-2010). Il a recueilli 101 761 signatures d'électeurs ;

– Jiri Dienstbier (CSSD), 43 ans, vice-président du Parti social-démocrate, soutenu par un groupe de 28 sénateurs. Fils de Jiri Dienstbier, signataire de la Charte 77 (texte signé par des dissidents opposés au processus de normalisation socialiste de la société tchécoslovaque dans les années 1970) et ancien ministre des Affaires étrangères, il défend une plus grande intégration européenne ;

– Milos Zeman (Parti des droits des citoyens, SPOZ), 68 ans, ancien Premier ministre (1998-2002). Il a obtenu 105 400 signatures d'électeurs ;

– Premysl Sobotka (ODS), 68 ans, vice-président du Sénat, soutenu par un groupe de 41 députés et 23 sénateurs. Il a été désigné candidat en juillet dernier après une élection primaire au sein de son parti où il a devancé le député européen Evzen Tosenovsky ;

– Karel Schwarzenberg (TOP 09), 74 ans, actuel ministre des Affaires étrangères, soutenu par un groupe de députés. Il se veut le seul réel opposant au président sortant Vaclav Klaus ;

– Zuzana Roithova (Union chrétienne-démocrate-Parti du peuple, KDU-CSL), 59 ans, députée européenne et ancienne ministre de la Santé (janvier-juillet 1998), a recueilli 80 900 signatures d'électeurs ;

– Tatana Fischerova (indépendante mais soutenue par le Parti des Verts, CZ), 65 ans, comédienne. Ancienne députée de l'Union de la liberté-Union démocrate (US-DEU) entre 2002 et 2006, elle a fondé en 2008 l'association Klicové hnuti (Le mouvement clé) qui prône une indépendance totale de la politique, de l'économie et de la sphère culturelle. Selon elle, "l'élection du chef de l'Etat au suffrage universel direct doit conduire la société civile à choisir une personnalité qui n'est pas liée à un parti ou à des structures de pouvoir politique ou économique". Elle a obtenu 72 600 signatures ;

– Vladimir Franz (indépendant), 53 ans, compositeur et peintre. Soutenu par 88 400 électeurs, il veut "mobiliser la société civile, pour que les gens réfléchissent davantage, lisent entre les lignes et ne permettent à personne de leur tondre la laine sur le dos" :

– Jana Bobosikova (Souveraineté, SBB), 48 ans, ancienne directrice de la rédaction de l'information de la télévision publique et ex-députée européenne (2004-2009) nationaliste et opposée à l'Union européenne.

Le ministère de l'Intérieur a rejeté la candidature de 2 personnes (l'ancien ministre de l'Industrie et du Commerce (1992-1997) Vladimir Dlouhy et le sénateur et homme d'affaires Tomio Okamura) estimant qu'une partie importante des signatures présentées n'étaient pas recevables.

La campagne électorale

La gauche tchèque est quelque peu divisée pour ce scrutin présidentiel. Jiri Dienstbier, candidat officiel du Parti social-démocrate, est fortement concurrencé au sein de l'électorat de gauche par Milos Zeman, qui a dirigé le parti d'opposition entre 1993 et 2002 avant de la quitter il y a 5 ans. Les analystes s'interrogent sur ce que feront les sympathisants du Parti communiste de Bohème et Moravie (KSCM) lors du 1er tour. En effet, le parti ne présente pas de candidat et, le 8 décembre dernier, a choisi de ne soutenir aucun des 2 candidats de gauche. Le leader du groupe communiste Jiri Dolejs a affirmé que Jiri Dienstbier était, pour lui, "plus à gauche" que Milos Zeman. Le leader social-démocrate Bohuslav Sobotka a écrit à son homologue communiste Vojtech Filip pour lui rappeler que Jiri Dienstbier est bien le seul candidat de gauche. Il l'a également mis en garde sur le danger d'un manque de coopération entre les sociaux-démocrates et les communistes qui pourrait déboucher sur un 2e tour où s'affronteraient 2 candidats de centre-droit, soit un échec pour la gauche.

Jiri Dienstbier a indiqué qu'il était personnellement en désaccord avec le KSCM mais que la dimension sociale dont le parti était porteur était cruciale à ses yeux. Quant à Milos Zeman, il cherche à attirer tous les électeurs sans condition. L'ancien Premier ministre n'est pas opposé à une coopération avec le parti de Vojtech Filip. "Les communistes sont dangereux seulement s'ils ont l'URSS et ses tanks derrière eux" a-t-il souligné.

Jan Fischer et Milos Zeman ont également été pointés du doigt en raison de leur adhésion à l'ancien Parti communiste de Tchécoslovaquie (KSC) qui a dirigé la Tchécoslovaquie de 1948 jusqu'à la révolution de velours fin 1989. Le premier en a été membre de 1980 à 1989 et le second entre 1968 et 1970 (année où il en a été exclu). Les anciens prisonniers politiques tchécoslovaques persécutés par l'ancien régime communiste ont affirmé qu'ils ne se rendront pas au château de Prague (résidence du président de la République) pour recevoir leur médaille de la résistance contre le totalitarisme si Milos Zeman ou Jan Fischer étaient élus à la tête de l'Etat en janvier prochain.

Interrogé par le quotidien du pays Mlada fronta Dnes (Front de la jeunesse) le 9 novembre dernier sur la raison pour laquelle les Tchèques devraient voter pour lui les 11 et 12 janvier prochains, le candidat de l'ODS Premysl Sobotka a répondu "parce que je n'ai jamais été communiste". "Pouvons-nous confier la fonction de président de la République à un ancien membre du Parti communiste ?" s'est-il interrogé.

A un mois de l'élection, Jan Fischer et Milos Zeman figurent en tête des enquêtes d'opinion. Le candidat indépendant recueillerait 25% des suffrages au 1er tour de scrutin, tandis que celui du Parti des droits des citoyens obtiendrait 25,6% des voix.Le social-démocrate Jiri Dienstbier arriverait en 3e position avec 10,6% des suffrages.

Une élection présidentielle test a été organisée auprès de 61 500 élèves de l'enseignement secondaire. Vladimir Franz est arrivé en tête de ce scrutin avec 40,7% des voix. Il était suivi par Jan Fischer, qui a recueilli 19,4% des suffrages, Karel Schwarzenberg, qui a obtenu 14,6% des voix, et enfin Milos Zeman (9,4%).

Le mandat de Vaclav Klaus s'achèvera officiellement le 7 mars prochain.

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