Les Grecs de nouveau convoqués aux urnes le 17 juin pour sortir de l'impasse

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

21 mai 2012
null

Versions disponibles :

FR

EN

Deloy Corinne

Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

Robert Schuman Fondation

Fondation Robert Schuman

Les Grecs de nouveau convoqués aux urnes le 17 juin pour sortir de l'impasse

PDF | 227 koEn français

Le choc du 6 mai

Les élections législatives du 6 mai dernier ont été un séisme politique en Grèce, pays aux prises avec une très grave crise financière et socioéconomique. Les électeurs ont massivement voté contre l'austérité et le Mémorandum européen, nom donné à l'accord signé en février dernier par Athènes avec le Fonds monétaire international (FMI), l'Union et la Banque centrale européennes. Les deux "grands" partis gouvernementaux – le Mouvement socialiste panhellénique (PASOK) et la Nouvelle Démocratie (ND) – se sont effondrés : alors qu'ils avaient recueilli ensemble, 77,40% des suffrages lors des précédentes élections du 4 octobre 2009, ils ont rassemblé seulement 32,03% des voix le 6 mai dernier. La ND a obtenu 18,85% des suffrages (108 sièges, + 17 par rapport aux dernières élections législatives du 4 octobre 2009) et le PASOK est sorti laminé du scrutin avec 13,18% des voix (41 sièges, - 119).

Le véritable vainqueur du scrutin est la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) qui, avec le slogan "Ils ont choisi sans nous. Avançons sans eux", avait fait campagne sur le refus du Mémorandum et le maintien de la Grèce dans la zone euro. Il a recueilli 16,78% des suffrages (52 sièges, + 39). Le Parti des Grecs indépendants (AE), créé le 24 février dernier par l'ancien ministre de la Politique maritime et insulaire et ancien membre de la ND, Panos Kammenos, a pris la 4e place en recueillant 10,60% (33 sièges). Il a devancé le Parti communiste (KKE) d'Aleka Papariga qui a obtenu 8,48% (26 sièges, + 5) et la Gauche démocratique (DIMAR), fondée en juin 2010 et dirigée par Fotis-Fanourios Kouvelis, qui a recueilli 6,11% (19 sièges).

L'autre événement du scrutin est le résultat obtenu par le parti néo-nazi Chryssi Avghi (CA, Aube dorée) dirigé par Nikolaos Michaloliakos, qui a obtenu près de 6,97% (21 sièges).

Le scrutin législatif du 6 mai a donc mis fin à la bipolarisation du pays en vigueur depuis le retour de la Grèce à la démocratie en 1974. Le clivage gauche/droite a cédé le pas à celui opposant les partisans du Mémorandum aux électeurs qui souhaitent une remise en cause radicale des accords signés avec le FMI et l'Union européenne. "Les élections législatives du 6 mai ont essentiellement servi à pousser un "coup de gueule". La société en ressentait le besoin" souligne Thnaos Dokos, directeur de la Fondation hellénique pour la politique étrangère et européenne (Eliamep).

Antonis Samaras, leader de la ND, en tant que leader du parti arrivé en tête du scrutin, a été le premier à essayer de constituer un gouvernement et a proposé de mettre en place une coalition "de salut national". Après son échec, le leader du parti arrivé à la 2e place, Alexis Tsipras (Syriza) a tenté de former une coalition. En vain, le KKE a refusé de la rejoindre. Le leader du PASOK Evangelos Venizelos a enfin essayé de réunir une équipe capable de gouverner le pays et a également échoué.

Le président de la République grecque Carolos Papoulias a alors réuni Antonis Samaras, Evangelos Venizelos et Fotis-Fanourios Kouvelis, soit les leaders des seuls partis soutenant le Mémorandum, pour un ultime essai de formation d'un gouvernement d'union nationale. "Les différences entre vos positions sont petites et négligeables au regard de ce que vous devez à la patrie" a affirmé le chef de l'Etat Carolos Papoulias qui s'est déclaré "effrayé par le danger que l'instabilité politique fait peser sur la Grèce". Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a lancé un appel aux dirigeants grecs auxquels il a demandé de respecter les engagements pris par Athènes: "Je suis très inquiet à propos de la situation en Grèce. J'en appelle au sens de la responsabilité nationale de tous les dirigeants politiques afin de trouver un accord respectant les engagements du pays et assurant son avenir européen".

Alexis Tsipras a refusé de participer aux négociations de la dernière chance qui se sont tenues le 14 mai ; le KKE et l'Aube dorée n'ont pas été conviés à y participer. "Ce n'est pas la Coalition de gauche qui renonce à participer à un gouvernement de coalition avec la droite et le PASOK, c'est le verdict du peuple grec. Finalement, nous avons 3 partis qui se sont alignés sur l'application de l'austérité et nous n'allons pas servir d'alibi" a indiqué Alexis Tsipras.

La Gauche démocratique a refusé d'entrer dans un gouvernement auquel ne participerait pas SYRIZA. "Un gouvernement qui ne garantit pas la participation du 2e parti du pays n'aura pas le soutien populaire et parlementaire nécessaire. En raison du refus de Syriza, ce gouvernement n'a pas pu être constitué" a indiqué Fotis-Fanourios Kouvelis. "Ils se sont montrés d'une irresponsabilité énorme" a souligné le politologue Elias Nikolakopoulos. "L'autisme du système politique le conduit à faire un choix catastrophique" a indiqué son collègue Georges Séfertzis.

Devant l'impossibilité de trouver une majorité de gouvernement issu de leur vote du 6 mai, les Grecs ont été invités le 16 mai à voter de nouveau. Le prochain scrutin législatif a été fixé au 17 juin. Le 17 mai, un gouvernement provisoire composé de 16 ministres (haut fonctionnaires et académiques) a été nommé. Il est dirigé par le président du Conseil d'Etat, Panayotis Pikramenos.

Un nouveau scrutin peut-il sortir le pays de la crise ?

"Les élections législatives du 6 mai dernier ont été un vote de colère et de punition. L'électorat a voté contre les deux grands partis, en pensant qu'ils auraient une majorité ensemble. Ils peuvent revenir au vote utile. Cette fois, les messages européens sur une possible sortie de l'euro ont été bien reçus mais une trop grande intervention européenne pendant la campagne électorale peut avoir des répercussions négatives" analyse Georges Séfertzis.

Le Syriza est en tête des intentions de vote. C'est le parti qui le plus intérêt à de nouvelles élections. Encouragé par la perspective de devenir le 1er parti du pays, Alexis Tsipras a refusé toute concession. Il va désormais devoir convaincre les électeurs que la Grèce peut rejeter le Mémorandum tout en restant dans la zone euro, tâche difficile pour un parti plus à l'aise dans l'opposition que dans la proposition. Il pourrait d'ailleurs devenir au cours de la campagne électorale la cible favorite des autres partis qui vont exiger qu'il apporte des précisions sur son programme de gouvernement et sur sa position face à l'Union européenne. Le PASOK et la ND doivent absolument parvenir à mobiliser les abstentionnistes, ce qui ne sera pas aisé dans un pays où la grande majorité des électeurs sont inscrits dans leur ville d'origine, ce qui oblige beaucoup d'entre eux à faire de nouveau le voyage. Il leur faut également attirer les 19% d'électeurs qui ont voté pour des partis ayant recueilli moins des 3% des suffrages obligatoires pour être représentés à la Vouli, chambre unique du Parlement.

Les deux partis vont tenter de convaincre les Grecs qu'ils sont en mesure d'obtenir un assouplissement des mesures d'austérité contenues dans le Mémorandum. La ND va tenter de parler aux électeurs de l'Alliance démocratique (DS), fondée par l'ancienne ministre des Affaires étrangères (2006-2009) et ancienne-maire d'Athènes (2003-2006), Dora Bakoyannis, et de Drasi, parti centriste de Stephanos Manos. Le PASOK redoute un nouvel effondrement lors des élections législatives du 17 juin prochain. il réclame un prolongement du délai pour le retour du pays à l'équilibre budgétaire (2015 plutôt que 2014).

La Grèce va-t-elle sortir de l'euro ?

La Grèce est au bord du gouffre : le programme de privatisations, qui devait rapporter 20 millions € d'ici à 2015 et renflouer les caisses du pays, a été gelé ; la récession s'est aggravée (recul de 6,5% du PIB au 1er trimestre 2012) et la recapitalisation des banques n'est toujours pas achevée. La BCE a d'ailleurs annoncé qu'elle cessait ses opérations de politique monétaire avec plusieurs banques grecques qui n'ont "pas été correctement recapitalisées". Athènes risque de manquer très bientôt d'argent pour payer les salaires et les pensions de retraite du secteur public. Par ailleurs, le pays est tenu à proposer de nouvelles mesures d'austérité représentant 5,5% du PIB avant la fin du mois de juin. Visiblement peu confiants dans l'avenir, les Grecs ont procédé à d'importants retraits d'argent auprès des banques (environ 700 millions € le 14 mai dernier). Selon des données compilées par Thomson Reuters, les banques du pays ont perdu 72 milliards € de dépôts depuis le début 2010, soit environ 30% du total de la somme de cette époque.

La perspective du retour aux urnes a ravivé les inquiétudes sur l'avenir de la zone euro et le risque de voir Athènes abandonner la monnaie unique s'accroît chaque jour. Le président de la République française, François Hollande (Parti socialiste, PS), et la chancelière allemande, Angela Merkel (Union chrétienne-démocrate, CDU), ont confirmé le 15 mai qu'ils souhaitaient le "maintien de la Grèce dans l'euro". Ils se sont dits prêts à examiner l'adoption de mesures de croissance. Wolfgang Schäuble (CDU) a toutefois rappelé qu'il était "dangereux de raconter des boniments aux citoyens en leur disant qu'il existerait une autre voie plus simple qui guérirait la Grèce en évitant toutes les épreuves .C'est absurde. Le plan d'aide à la Grèce a été élaboré jusqu'au moindre détail, il ne peut pas être renégocié" .

Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a indiqué que les engagements pris par Athènes devaient être tenus par les futurs gouvernants du pays. "Nous devons dire à la population grecque que le programme de l'Union européenne et du FMI pour la Grèce est l'alternative la moins difficile de toutes. Il n'y a pas d'autre alternative moins pénible. Nous voulons aider la Grèce et nous voulons travailler en collaboration avec la Grèce. Maintenant, il appartient à la population grecque de dire si elle veut travailler avec les Etats membres de la zone euro et les institutions européennes" a-t-il affirmé.

Certains dirigeants européens ou la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, n'hésitent plus à évoquer la sortie de la Grèce de l'euro. Cette dernière a indiqué que son organisation avait réalisé une évaluation technique d'une éventuelle sortie ordonnée de la Grèce de la zone euro et prévenu qu'une telle chose serait "extrêmement coûteuse". "Nous devons, au FMI, être techniquement prêts à tout mais je ne sous-entends pas que c'est une solution souhaitable. Je dis seulement que c'est l'une des multiples options que nous devons techniquement examiner" a indiqué Christine Lagarde. L'agence de notation financière Fitch a abaissé le 17 mai les notes de long terme de la dette en devises et en € de la Grèce à "CCC" contre "B-" auparavant, citant "le risque accru" de sortie du pays de la zone euro.

La gauche radicale (SYRIZA) est en tête des intentions de vote dans l'enquête d'opinion réalisée par l'institut Pulse RC et publiée le 17 mai, créditée de 22% des suffrages devant la ND (19,5% des voix) et le PASOK(14%). Le Parti des Grecs indépendants recueillerait 7,5%, le KKE, la Gauche démocratique et Aube dorée remporteraient chacun 5,5%. L'institut Marc place en revanche la ND en tête de son sondage publié le 17 mai dernier. Le parti d'Antonis Samaras obtiendrait 23,1% des suffrages tandis que Syriza en recueillerait 21%. Le PASOK attirerait 13,2% ; le Parti des Grecs indépendants, 7,2% ; la Gauche démocratique, 5,6% ; le KKE, 5,1% et Aube dorée, 4,3%. Des résultats qui ne permettraient pas à la Grèce de sortir de la crise politique.

"On ne peut recomposer le paysage politique en un mois. C'est difficile de faire changer le vote des gens en si peu de temps" souligne le politologue Elias Nikolakopoulos. Les élections législatives du 17 juin prochain ne sont ni plus ni moins qu'un référendum sur l'avenir du pays dans la zone euro. Si, comme le montrent les enquêtes d'opinion, la majorité des Grecs souhaitent conserver la monnaie unique, ils n'ont pas d'autre choix que poursuivre la politique de rigueur et de réformes structurelles définie dans le Mémorandum qu'ils peuvent, au mieux, espérer assouplir à la marge.

Les Grecs de nouveau convoqués aux urnes le 17 juin pour sortir de l'impasse

PDF | 227 koEn français

Pour aller plus loin

Élections en Europe

 
2013-05-28-15-22-23.2594.jpg

Corinne Deloy

27 janvier 2025

Le 6 novembre 2024, le chancelier sortant Olaf Scholz (Parti social-démocrate, SPD) a congédié son ministre des Finances Christian Lindner (Parti libéral-démocrate, ...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-13-31.3211.jpg

Corinne Deloy

13 janvier 2025

Le chef de l’Etat sortant Zoran Milanovic a été largement réélu avec 74,68% des suffrages, résultat le plus important pour un chef de l’Etat depuis que l...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-13-31.3211.jpg

Corinne Deloy

2 janvier 2025

Zoran Milanovic, chef de l’État sortant, a échoué de peu à remporter l’élection présidentielle dès le 1er tour de scrutin le 29 déce...

Élections en Europe

 
2013-05-28-16-13-31.3211.jpg

Corinne Deloy

16 décembre 2024

Les Croates sont invités à élire leur président de la République. Le 1er tour de l’élection présidentielle se tient le 29 décembre et le 2...

La Lettre
Schuman

L'actualité européenne de la semaine

Unique en son genre, avec ses 200 000 abonnées et ses éditions en 6 langues (français, anglais, allemand, espagnol, polonais et ukrainien), elle apporte jusqu'à vous, depuis 15 ans, un condensé de l'actualité européenne, plus nécessaire aujourd'hui que jamais

Versions :