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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Environ 110 millions de Russes sont appelés aux urnes le 4 mars prochain pour désigner le successeur de Dmitri Medvedev (Russie unie, ER) à la présidence de la Fédération de Russie. Le Premier ministre sortant et ancien chef de l'Etat (2000-2008), Vladimir Poutine, est le grand favori d'un scrutin quasiment joué d'avance. Le seul suspense qui demeure est en fait celui de la date de sa future victoire : sera-t-il élu dès le 1er tour de scrutin, soit le 4 mars, ou devra-t-il patienter quelques jours de plus pour retrouver le sommet de l'Etat ?
Le vote pour le scrutin présidentiel a débuté le 18 février dernier dans les zones les plus reculée de Russie (proximité du pôle nord et extrême est du pays), pour certaines professions (militaires, gardiens de phare, navigateurs, etc.) ainsi que pour les Russes vivant à l'étranger.
Les élections législatives du 4 décembre dernier, remportées par le parti au pouvoir, Russie unie, a suscité la colère d'une partie de la population russe qui est descendu plusieurs fois dans les rues pour dénoncer les fraudes électorales. La contestation a été la plus virulente depuis l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir il y a 12 ans. Depuis cette époque, les choses ont toutefois changé : alors que les Russes soupçonnaient l'existence de fraudes électorales, ils peuvent désormais les constater sur plusieurs sites Internet, plusieurs personnes ont en effet filmé divers abus qu'ils ont ensuite mis en ligne.
Partisans de Vladimir Poutine et mouvements d'opposition ont manifesté séparément le 4 février dernier à Moscou. Les premiers se sont regroupés dans le parc de la Victoire à Moscou sous le slogan "Nous avons quelque chose à perdre". Ils ont déployé une grande bannière sur laquelle on pouvait lire "Notre vote sera pour Poutine". Les opposants au Premier ministre sortant se sont rassemblés le même jour sous le mot d'ordre "Pour des élections honnêtes". Ils ont brandi des préservatifs et des dollars pour répondre à Vladimir Poutine qui avait comparé le ruban blanc, symbole du mouvement de contestation, à un préservatif et accusé l'opposition d'être financée par l'étranger. Leurs slogans étaient tous centrés sur la personne du Premier ministre sortant. L'opposition avait également manifesté dans plusieurs villes de province : 3000 personnes s'étaient réunies à Saint-Pétersbourg, d'autres à Magadan, Khabarovsk, Ekaterinbourg, Novossibirsk, Irkoutsk, Omsk, Krasnoïarsk, Tcheliabinsk, Oufa, Krasnodar, Sotchi, Nijni Novgorod, etc.
L'opposition est cependant divisée et les tensions, voire les conflits, sont nombreux entre les représentants de ses différentes tendances – militants d'extrême gauche, communistes, libéraux, nationalistes, etc. Pour l'heure, aucun leader n'a véritablement émergé. La classe moyenne russe (formée d'entrepreneurs, de professions libérales, de cadres qui souhaitent participer à la vie politique et aux affaires de l'Etat) est très investie dans le mouvement actuel de contestation. "En Occident, la classe moyenne n'est pas révolutionnaire, mais en Russie elle l'est bel et bien ! Pourquoi ? Parce qu'elle est nouvelle, parce qu'elle vient d'émerger, parce qu'elle a beaucoup d'énergie, parce qu'elle veut faire valoir ses droits et conquérir sa place. L'évolution de la société civile et la dégradation du régime sont deux processus qui s'alimentent l'un l'autre" souligne l'écrivain Boris Akounine qui ajoute : "Si Vladimir Poutine est élu, ce sera grâce à la fraude et il sera un président très faible".
Les mouvements anti-Poutine avaient appelé à une nouvelle manifestation sous le nom de "grand anneau blanc" le 26 février. Des milliers de personnes arborant des rubans blancs (Belatenta), couleur du mouvement de contestation, ont formé en se tenant par la main une chaîne humaine de 16 km le long de Sadovoïe koltso (l'anneau des jardins), avenue circulaire longue de 15,6 km, encerclant le Kremlin, résidence officielle du président de la Fédération de Russie, et criant le slogan "Ne laissons pas Vladimir Poutine entrer au Kremlin"
La veille, quelques milliers de personnes avaient manifesté dans la deuxième ville du pays (et cité natale du candidat de Russie unie), Saint Pétersbourg, avec pour mot d'ordre "La Russie sans Poutine". Le 26 février, un rassemblement avait lieu dans cette même ville, notamment à l'appel du parti d'opposition Iabloko.
Le 20 février dernier, le président sortant Dmitri Medvedev a rencontré plusieurs représentants de l'opposition. Ceux-ci se sont déclarés encouragés par les promesses qui leur ont été faites, notamment ne ce qui concerne un soutien à une plus grande participation des partis opposés au pouvoir en place aux prochaines élections. Vladimir Poutine a également fait part de son intention de parler prochainement avec les leaders de l'opposition. "Nous avons besoin de renouveler les mécanismes de notre démocratie qui doivent prendre en compte l'activité citoyenne croissante. Il est nécessaire de créer un système politique dans lequel il sera possible et nécessaire de dire la vérité" a t-il déclaré. Le 22 février, il a souligné : "Une opposition légale est pour nous indispensable mais il est important que tout reste dans le cadre de la loi et de la Constitution".
Le 23 février, jour férié en Russie où l'on célèbre la journée des défenseurs de la patrie, une fête héritée de l'époque soviétique, des milliers de personnes se sont réunies dans le stade olympique Loujniki de Moscou pour "défendre le pays" et "soutenir Vladimir Poutine". A cette occasion, le candidat de Russie unie s'est présenté en sauveur de la patrie russe. "Nous sommes venus ici pour dire que nous aimons la Russie et que nous sommes prêts à travailler pour le bien de notre grande patrie, prêts à la défendre, toujours. Nous ne laisserons personne s'ingérer dans nos affaires intérieures. Nous ne laisserons personne nous imposer sa volonté" a-t-il déclaré. "La bataille pour la Russie continue, la victoire sera à nous !" a-t-il conclu en citant le poète Mikhaïl Lermontov (1814-1841).
Le 20 février, Vladimir Poutine a rédigé une tribune dans le quotidien Komsomolskaya Pravda dans laquelle il fait plusieurs promesses : doublement des rémunérations des enseignants sur les 5 prochaines années (jusqu'à atteindre 200% du salaire moyen) et baisse des prix de l'immobilier de 20% à 30%. Le Premier ministre sortant a annoncé, au mépris de toutes les statistiques officielles, une prochaine augmentation du nombre d'habitants en Russie (jusqu'à 154 millions en 2050 alors que l'institut Rosstat prévoit un recul de la population de 16 millions d'habitants d'ici 2031).
Deux jours plus tard, il avait publié un texte sur la question militaire dans le journal Rossiïskaïa Gazeta dans lequel il promettait un "réarmement sans précédent" (renforcement du système de défense aérien et spatial de la Russie pour un total de 23 000 milliards de roubles – 590 milliards € – sur 10 ans). "Nous devons bâtir une nouvelle armée, moderne et capable à tout moment d'être mobilisée (...) La politique des Etats-Unis et de l'OTAN en matière de défense antimissile nous y pousse" écrit Vladimir Poutine qui se déclare convaincu que "le renouveau du complexe militaro-industriel va devenir une locomotive pour le développement des secteurs les plus divers". Pas sûr que les efforts concentrés sur les piliers traditionnels du système (comme l'industrie militaire ou encore les matières premières) permettent au leader de Russie unie d'améliorer son image au sein de la population russe.
Outre Vladimir Poutine, 4 autres personnes sont candidates à l'élection présidentielle :
– Guennadi Ziouganov, dirigeant du premier parti d'opposition du pays, le Parti communiste (KPRF) ;
– Vladimir Jirinovski, fondateur et dirigeant du parti ultranationaliste et populiste, le Parti démocrate-libéral (LDPR) ;
– Sergueï Mironov, ancien leader de Russie juste (Spravedlivaya Rossiya, SR) et ex-président du Conseil de la Fédération, chambre haute, du parlement russe ;
– Mikhaïl Prokhorov, leader du parti Juste cause (Pravoe Delo, PD), milliardaire et homme d'affaires (considéré par certains comme l'homme le plus riche de Russie ; sa fortune est estimée à 9,3 milliards €), dirigeant de la société d'investissements Onexim et propriétaire de l'équipe de basket-ball des Nets du New Jersey (Etats-Unis).
Guennadi Ziouganov et Sergueï Mironov ont tous deux dénoncé l'attitude des médias dans la campagne électorale pour le scrutin présidentiel, déplorant le peu de temps d'antenne qui leur est attribué tandis que le Premier ministre sortant bénéficie de toute l'attention des médias. Cependant, les deux hommes et Mikhaïl Prokhorov ont récemment pris leurs distances avec les mouvements populaires anti-Poutine, mettant en garde contre la "peste orange" (référence à la révolution ukrainienne de 2004) qui menacerait la Russie. Hostiles à l'idée d'organiser de nouvelles élections législatives, ils ont fait part de leur réticence face à un assouplissement des règles d'enregistrement des autres partis politiques, visiblement effrayés par une éventuelle concurrence.
Mikhaïl Prokhorov a signé avec la Ligue des électeurs un accord portant sur la création d'une base de données chargée d'enregistrer les procès-verbaux que dresseront les observateurs lors des futures élections présidentielles. Guennadi Ziouganov et Sergueï Mironov devraient ratifier ce texte.
Le 21 février dernier, le journal Novaïa Gazeta, organe dans lequel travaillait la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006, a fait part de problèmes de trésorerie. Les comptes de son copropriétaire Alexandre Lebedev (à hauteur de 49%, l'autre copropriétaire est l'ancien secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique (1985-1991), Mikhaïl Gorbatchev) ont en effet été gelés à la suite d'un contrôle fiscal. Le paiement des salaires a été suspendu pour un mois mais Novaïa Gazeta continue de paraître.
La station de Radio Echo de Moscou a annoncé le remaniement de son état-major. Gazprom, son actionnaire majoritaire, a écarté deux directeurs indépendants du conseil d'administration et réclamé le contrôle sur les décisions prises par les 9 membres qui y siègent. "Il s'agit d'une tentative d'ajustement de notre politique éditoriale", a dénoncé le rédacteur en chef de Radio Echo, Alexeï Venediktov. Enfin, la chaîne de télévision privée Dojd, qui couvre les manifestations d'opposition depuis le mois de décembre 2011, a annoncé qu'elle faisait l'objet d'une enquête financière.
Le 16 février dernier, le Parlement européen a demandé aux autorités russes d'engager au plus vite le dialogue avec l'opposition. Les députés européens se sont déclarés inquiets devant l'interdiction ("qui porte une fois de plus atteinte à une concurrence politique et au pluralisme") faite à certains candidats, notamment Grigori Iavlinski, fondateur du parti Iabloko, de se présenter à l'élection présidentielle (la Commission électorale a considéré qu'au moins 24% des signatures qu'il avait recueillies pour se présenter au scrutin étaient irrecevables).
Le ministre des Situations d'urgence, Sergueï Choïgou (ER), a proposé aux candidats à l'élection présidentielle de signer un accord qui prévoit de nouvelles mesures de contrôle de la transparence du dépouillement des bulletins (dont une 2e vérification des résultats transmis par les copies des procès-verbaux des commissions de chaque circonscription électorale et l'exposition à la caméra des procès-verbaux des résultats du vote). Sergueï Mironov et Mikhaïl Prokhorov ont fait part de leur intention d'apposer leur signature au document tandis que Vladimir Jirinovski et Guennadi Ziouganov s'y sont opposés.
Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par l'institut VTsIOM et publiée le 19 février dernier, Vladimir Poutine devrait être élu président de la Fédération de Russie dès le 1er tour de l'élection avec 58,6% des suffrages. Il devancerait le leader communiste Guennadi Ziouganov 14,8% ; l'ultra-nationaliste Vladimir Jirinovski, 9,4% ; Mikhaïl Prohorov 8,7% et Sergueï Mironov 7,7%. Mikhaïl Prokhorov arriverait en 2e position dans les villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg.
Vladimir Poutine retrouvera donc dans peu de temps la présidence de la Fédération de Russie qu'il avait dû abandonner en 2008. En dépit de la montée de la contestation, il reste l'homme politique le plus populaire et le plus crédible du pays qu'aucun opposant n'est à ce jour capable de mettre en danger.
Rien ne change donc en Russie et pourtant les choses ne sont plus tout à fait les mêmes. L'éventualité de voir le candidat du pouvoir élu au 2e tour de scrutin a été envisagé et l'élection présidentielle se déroulera sous très haute surveillance. Si Vladimir Poutine est quasiment assuré d'obtenir un 3e mandat à la tête de la Russie, il fait face à un mouvement d'opposition inédit qui laisse le pouvoir désarmé. Sa future présidence ne pourra pas aisément faire fi des demandes de la population russe ; les autorités ont d'ailleurs commencé à faire des propositions (retour du suffrage universel direct pour désigner les gouverneurs régionaux, meilleur contrôle par l'Etat et les citoyens des entreprises publiques, etc.). Au début du mois de février, Vladimir Poutine a également promis de faire payer aux oligarques les privatisations "malhonnêtes" réalisées au cours des années 1990.
Selon Richard Sakwa, professeur de science politique et spécialiste de la Russie à l'université du Kent à Canterbury, "Vladimir Poutine devra garantir non pas une élection libre mais une présidence libre et honnête".
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