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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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Corinne Deloy

Fondation Robert Schuman
Le parti au pouvoir, Russie unie (ER), est arrivé en tête des élections législatives le 4 décembre en Russie. Le parti du Premier ministre Vladimir Poutine a recueilli 49,54% des suffrages et remporté 238 sièges à la Douma, chambre basse du Parlement (- 77 par rapport au précédent scrutin du 2 décembre 2007). Russie unie conserve la majorité absolue mais a perdu sa majorité des 2/3qui lui permettait de modifier la Constitution sans avoir à convaincre les autres partis du Parlement. Il devance le Parti communiste (KPRF), premier parti d'opposition, dirigé par Guennadi Ziouganov, qui a obtenu 19,2% des voix (92 sièges, + 35), Russie juste (SR) de Nikolai Levichev, 13,20% des suffrages (64 sièges, + 26) et le Parti libéral-démocrate (LDPR), dirigé par Vladimir Jirinovski, 11,40% des voix (56 sièges, + 16).
Comme le prévoyaient les enquêtes d'opinion, seuls 4 partis sont donc représentés dans la nouvelle Douma.
Le parti libéral Iabloko, dirigé par Alexeï Mitrokhin, a cependant recueilli la majorité des scrutins exprimés par les citoyens russes vivant dans les pays occidentaux. Il arrive en tête aux Etats-Unis, en France et au Royaume-Uni et en 2e position (derrière Russie unie) en Italie.
La participation a été un peu au-dessous de celle enregistrée lors des dernières élections législatives du 2 décembre 2007. Elle s'est établie à 60,2%, soit -3,51 points.
"C'est un résultat optimal qui reflète la véritable situation dans le pays. En se fondant sur ce résultat, nous pouvons garantir un développement stable de notre pays" s'est félicité Vladimir Poutine. "C'est la démocratie en action. On disait que le parti chercherait à conserver sa position dominante en se livrant à des machinations, des manipulations, mais il a prouvé qu'il avait le droit moral de poursuivre dans la voie que nous avons choisie. Russie unie sera obligé de gouverner en coalition avec les autres partis sur certains problèmes et c'est parfaitement normal, c'est cela, le parlementarisme et la démocratie" a affirmé le président russe Dmitri Medvedev. "Nous espérons que nous allons obtenir une majorité à la Doumav" a souligné le président de la Douma, Boris Gryzlov (ER).
Le Parti communiste a rejeté l'offre de coalition émanant de Russie Unie tandis que Russie juste ne l'a pas exclue si les communistes y participent. Le Parti libéral-démocrate a également répondu par l'affirmative à la condition d'y figurer à égalité avec Russie unie.
Le député communiste Sergueï Oboukhov a affirmé : "La Russie présente une nouvelle réalité politique même s'ils réécrivent tout". "Ces élections législatives sont sans précédent parce qu'elles se sont déroulées sur fond d'effondrement de la confiance dans Vladimir Poutine, Dmitri Medvedev et le parti au pouvoir" a indiqué le libéral Vladimir Rijkov qui a ajouté : "Je pense que l'élection présidentielle du 4 mars prochain va virer à la crise politique de grande ampleur en raison de la déception, de la frustration et du désenchantement, et déboucher sur un vote de protestation encore plus important".
Selon le politologue Kirill Rogov, "le faible soutien pour le parti Russie unie est un fait indéniable qui, de plus, ne fait que s'accentuer". "Nous avons un système politique entièrement personnalisé. Le régime tire toute sa légitimité de la popularité de Vladimir Poutine. Par conséquent, un recul électoral constituerait une menace radicale pour la stabilité du système" avait déclaré Lev Goudkov, directeur de l'institut d'opinion Levada quelques jours avant les élections législatives.
Le recul affiché par Russie unie était attendu mais son ampleur a surpris les commentateurs politiques. La classe moyenne russe en pleine expansion semble douter de plus en plus à la capacité du tandem formé par Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev de moderniser le pays. Quant aux plus modestes des Russes, ils sont déçus et souffrent de plus en plus de la crise économique. Une partie d'entre eux n'ont pas hésité à se tourner vers le Parti communiste qui leur a promis de "leur rendre ce qui leur a été volé" et proposait d'augmenter les dépenses de l'éducation, de nationaliser plusieurs entreprises et d'instaurer la gratuité pour les frais de santé.
Le scrutin a été marqué par de multiples accusations de fraudes et de nombreuses arrestations d'opposants Des irrégularités ont été constatées le jour du vote comme les jours qui ont précédé celui-ci. Au moins 5 sites internet indépendants – ceux de la radio L'Echo de Moscou, du site www.slon.ru , du quotidien Kommersant, de l'hebdomadaire New Times et de l'organisation non gouvernementale Golos – ont été victimes de cyberattaques et étaient inaccessibles le jour du vote. "Il est évident que cette attaque le jour de l'élection de notre site fait partie d'une tentative d'éviter la publication d'informations sur les irrégularités du vote" a déclaré le rédacteur en chef de L'Echo de Moscou, Alexeï Venediktov.
La directrice de Golos, Lilia Chibanova, a été retenue la veille du scrutin à la douane de l'aéroport Cheremetievo de Moscou pendant 12 heures et s'est fait confisquer son ordinateur. Golos fait également l'objet d'une enquête du parquet de Moscou qui la soupçonne de "propager des rumeurs". Golos a été condamné le 1er décembre à une amende de 30 000 roubles (700 €) pour avoir violé la loi sur l'interdiction de publier des enquêtes d'opinion pendant les 5 jours précédant les élections législatives. L'organisation dément avoir enfreint cette règle.
Les Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude face aux "manœuvres de harcèlement" visant à empêcher Golos de surveiller le déroulement des élections.
Les élections législatives russes ont été marquées par de fréquentes violations lors du décompte des voix et notamment par un bourrage des urnes pouvait-on lire dans un communiqué diffusé le lendemain du vote par les observateurs électoraux de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). "Le vote était bien organisé mais la qualité du processus s'est considérablement détériorée durant le décompte des voix, qui a été caractérisé par des violations fréquentes de la procédure, notamment avec de sérieuses indications de bourrage des urnes" poursuit l'organisation qui indique que "la concurrence politique a été limitée et inéquitable durant la campagne" et qui souligne "le manque d'indépendance des autorités électorales et des médias"
"Les infractions ont eu un caractère massif et systématique" a accusé le Parti communiste. Sergueï Mitrokhine, président de Iabloko, a affirmé qu'à Moscou tous les observateurs de son parti avaient été obligés de sortir des bureaux de vote avant le dépouillement des bulletins. "C'est un véritable outrage, un motif d'annulation des élections" a-t-il écrit sur Twitter.
Plus de 170 opposants ont été interpellés alors qu'ils tentaient de manifester contre le déroulement des élections législatives à Moscou et Saint-Pétersbourg, selon les forces de police de ces deux villes. Plus de 51 000 policiers avaient été déployés dans la capitale à l'occasion du scrutin.
Le résultat des élections législatives russes témoigne d'une baisse de popularité du Premier ministre sortant Vladimir Poutine qui s'est fait huer la semaine dernière alors qu'il venait assister à un match de boxe au Stade olympique de Moscou. Le scrutin marque également la première prise de distance des Russes avec le pouvoir en place.
En Russie comme ailleurs, l'arrivée d'Internet et des réseaux sociaux a libéré l'information dont le Kremlin avait jusqu'alors le monopole. En 2011, 50 millions de Russes ont accès à la toile ; le pays a connu la progression du nombre d'internautes la plus importante en Europe. "Il y a deux Russie, l'une urbaine, dégourdie, avide de connaissances, connectée à Internet. Elle est incertaine de ses choix mais résolument fatiguée du "consensus Poutine". C'est la classe moyenne du futur. L'autre Russie est celle des retraités, des fonctionnaires, des officiers de l'armée qui espèrent recevoir des pro-Poutine un supplément mensuel de 1 000 roubles. Avant tout, ils sont réticents à tout changement" souligne l'éditorialiste Konstantin von Eggert des Nouvelles de Moscou.
Pour le politologue Boris Mejouev, "le scrutin législatif s'est transformé de fait en un referendum contre Russie Unie". "Ce sont les élections les plus scandaleuses de l'histoire russe. Il n'y aura bien sûr aucune révolution. Mais tout cela va entraîner la perte de légitimité du pouvoir" a indiqué le politologue Dmitri Orechkine.
Moscou n'a pas connu de révolution à l'occasion du scrutin législatif mais beaucoup d'analystes considèrent déjà qu'il y aura un "avant" et un "après" 4 décembre 2011 en Russie. Si la situation économique continue de se dégrader, les Russes pourraient en effet de nouveau marquer leur mécontentement et prendre leurs distances avec le leader russe lors de l'élection présidentielle du 4 mars prochain. Un scrutin pour lequel Vladimir Poutine, qui a été désigné (à l'unanimité des 614 représentants du parti présents) candidat de Russie unie lors du congrès le 27 novembre dernier, reste toutefois le grand favori.

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