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Le Parti populaire de Mariano Rajoy est largement en tête des enquêtes d'opinion pour les élections parlementaires espagnoles

Actualité

Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

-

14 novembre 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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Le Parti populaire de Mariano Rajoy est largement en tête des enquêtes d'opinion...

PDF | 184 koEn français

Environ 34 millions d'Espagnols sont appelés aux urnes le 20 novembre prochain pour des élections parlementaires anticipées, les septièmes depuis le retour de Madrid à la démocratie en 1976. Après 8 années de pouvoir socialiste et alors que le pays traverse une grave crise économique, le principal parti d'opposition, le Parti populaire (PP) dirigé par Mariano Rajoy, est toujours, à une semaine du scrutin, le grand favori de cette consultation électorale dont le véritable enjeu est moins le nom du futur Premier ministre que l'ampleur de la victoire de la droite.

Les questions socioéconomiques sont le sujet quasi exclusif de l'ensemble des débats de la campagne électorale.

Une situation socioéconomique alarmante

Les dernières statistiques économiques de l'Espagne ne sont guère rassurantes. Alors que le gouvernement de José Luis Rodriguez Zapatero (Parti socialiste ouvrier, PSOE) s'est fixé pour objectif de ramener à 6% du PIB le déficit budgétaire qui s'élevait à 9,2% en 2010, la plupart des économistes prévoient que celui-ci atteindra encore 6,7% à la fin de l'année en dépit des efforts et de la politique de rigueur mise en œuvre. Certains estiment même que le déficit pourrait attendre 7,5% du PIB. "Seule une amélioration de la croissance ou l'annonce avant la fin de l'année de mesures extraordinaires pourra empêcher le déficit budgétaire d'atteindre les 7,5%" affirme Fernando Fernandez, économiste à l'IE Business School de Madrid.

Au 2e trimestre de cette année, la dette publique du pays représentait 65,2% du PIB, soit +8 points par rapport à la même époque il y a un an. La situation est alarmante dans les régions dont la dette atteint 12,4% du PIB (10,2% l'an passé). La situation des villes est stable.

Le taux de croissance du PIB a augmenté de 0,2 point au 3e trimestre par rapport au précédent. Il était de 0,4% au 1er trimestre et de 0,2% au 2e trimestre. Le gouvernement espagnol vise une croissance de 1,3% pour 2011. "L'économie espagnole a montré au fur et à mesure que l'année avançait un affaiblissement de sa faible reprise de 2010" pouvait-on lire dans un communiqué rédigé par la Banque centrale espagnole à la fin du mois d'octobre.

Le chômage a atteint au 3e trimestre son niveau le plus haut depuis 1996 : il touche désormais 21,52% de la population active et 45,80% des plus jeunes (16-24 ans). Près de 5 millions d'Espagnols (4 978 000) sont sans emploi ; parmi eux, 2,1 millions n'ont pas travaillé depuis un an. Le nombre de foyers au sein desquels aucune personne ne travaille est passé de 58 000 à 1,43 million au cours des 3 dernières années, de "mauvais chiffres qui nous éloignent de la sortie de crise" a déclaré le ministre du Travail, Valeriano Gomez (PSOE). "3,2 millions de personnes ont rejoint les rangs des chômeurs depuis le début de la crise économique et il nous faudra de longues années pour les réintégrer au sein de la sphère économique" a indiqué Juan Carlos Martinez Lazaro, économiste à l'IE Business School.

Le gouvernement a annoncé une baisse du nombre des demandeurs d'emploi. Il prévoit un taux de chômage de 18,5% pour l'an prochain, de 17,3% en 2013 et de 16% l'année suivante. En octobre, le PSOE et le PP ont rejeté la demande de la Confédération des organisations patronales (CEOE) de réduire de 20 à 12 le nombre de jours de compensations financières à verser lors d'un licenciement. "Nous n'allons pas rendre les licenciements moins chers mais rendre l'embauche moins onéreuse" a déclaré le porte-parole du PP, Esteban Gonzalez.

L'inflation reste élevée et s'établit à 3%. Le revenu moyen des familles a baissé de 4,4% en un an, s'établissant à moins de 25 000 € annuels par foyer et à 9 400 € annuel pour une personne seule. Environ 22% des familles espagnoles vivent sous le seuil de pauvreté, fixé à 7 500 € annuels pour une personne seule et à 13 500 € pour un couple avec un enfant. "Signe de la gravité de la situation : de plus en plus de jeunes, formés et qualifiés, quittent l'Espagne pour trouver du travail ailleurs" souligne Florentino Felgueroso, chercheur à la Fondation des études d'économie appliquée (Fedea). "Aucun parti au gouvernement ne peut résister à une crise d'une telle brutalité" indique le politologue Fermin Bouza, ajoutant "D'autant que l'électorat de gauche est démotivé par la perspective de nouvelles mesures d'austérité.

Le 19 octobre dernier, l'agence de notation Moody's a abaissé la note de 5 banques espagnoles (Banco Santander, BBVA, CaixaBank, la Caixa et la Confédération des caisses d'épargne (CECA)) à Aa2 (auparavant Aa1) et de 10 des régions espagnoles : Castille la Manche (-5 crans), le Pays basque, la Galice, Madrid, l'Estrémadure, l'Andalousie, Castille et Léon, Murcie, Valence et la Catalogne. La veille, le 18 octobre, Moody's avait abaissé la note souveraine de l'Espagne de Aa2 à A1 avec une perspective négative arguant de la vulnérabilité du pays aux tensions sur les marchés et de sa faible perspective de croissance économique. En octobre, les agences de notation Fitch et Standard and Poor's ont également abaissé la note souveraine de l'Espagne et de plusieurs régions.

Enfin, les Indignés, jeunes (et moins jeunes) chômeurs, fonctionnaires, salariés, étudiants qui se sont regroupés sous l'étendard du Movimiento 15M (Mouvement du 15 mai) avant d'essaimer un peu partout dans le monde, ont prévu de manifester le 19 novembre prochain, soit la veille des élections parlementaires, bien que l'autorisation de le faire leur ait été refusé.

La campagne électorale

Après 8 ans dans l'opposition et deux échecs personnels (2004 et 2008), Mariano Rajoy voit son heure enfin arriver. Croissance et création d'emploi sont les deux objectifs prioritaires du PP. "Pour cela, nous avons besoin d'investissements et ceux-ci nécessitent de la confiance" a-t-il indiqué. "Le Parti populaire a toujours bien géré l'économie du pays, ce qui n'est pas le cas du PSOE. La dernière fois que nous sommes arrivés au pouvoir en 1996, le chômage s'élevait à 22%. Quand nous avons quitté le pouvoir en 2004, il était inférieur à 10%. Aujourd'hui, le chômage est de nouveau à 21%" rappelle t-il.

Mariano Rajoy affirme que son parti n'augmentera pas les impôts, ne réduira pas les pensions de retraites "parce que cela affecterait les plus faibles" et ne touchera pas à la santé ou à l'éducation. Pour faire diminuer les dépenses de l'Etat, il propose de faire subir une "cure d'amaigrissement" à l'administration. Mais pour ne pas affaiblir son camp à quelques jours du vote, le leader du PP évite de détailler son programme et les mesures d'austérité qui y sont inscrites, les coupes sociales recueillant rarement un large soutien populaire.

Le 23 octobre dernier, 100 000 personnes (enseignants et parents d'élèves) ont manifesté à l'appel des syndicats de l'éducation contre l'augmentation du nombre d'élèves par classe, la hausse du nombre d'heures demandées aux professeurs et les mesures figurant dans le programme du PP qui, selon les manifestants, prévoient la privatisation de certaines parties du système scolaire et l'autorisation des charter schools, écoles sous contrat, généralement fondées par des enseignants ou des parents d'élèves et bénéficiant de financement public et d'une large autonomie dans l'enseignement et dans les programmes scolaires.

Le discours du leader du PSOE (qui a remplacé le Premier ministre José Luis Rodriguez Zapatero à la tête du parti l'été dernier), l'ancien vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur (2006-juillet 2011) Alfredo Pérez Rubalcaba, est proche de celui du chef de l'opposition. "Nous voulons modifier la politique économique : créer de la confiance, booster l'investissement, réduire le déficit public, restructurer l'impôt et réformer les lois sur le travail" souligne-t-il. Il désigne le manque d'emploi comme le problème principal de l'Espagne et affirme que 90% du chômage est dû à l'explosion de la bulle immobilière. Il a proposé de payer durant 2 ans (2012 et 2013) les cotisations de sécurité sociale des entreprises de moins de 50 salariés qui créeraient des emplois, une mesure qu'il financerait par l'impôt sur la fortune.

"Certaines personnes pensent que les politiques ont perdu la bataille et que les marchés font ce qu'ils veulent. C'est la politique qui doit résoudre les problèmes, toujours la politique. Arrêtons de nous plaindre des agences de notation, créons une agence européenne pour nous défendre" a déclaré Alfredo Pérez Rubalcaba. Celui-ci, qui a reconnu que le gouvernement dirigé par le Premier ministre sortant José Luis Rodriguez Zapatero n'avait pas su trouvé les réponses à la crise économique, insiste sur le fait que Madrid n'est pas Athènes. "Nos fondamentaux sont différents de celui des Grecs, nos comptes sont précis et en bon ordre et nous n'avons jamais trompé Bruxelles ni les marchés" indique-t-il.

Le leader socialiste sait que le combat du 20 novembre prochain sera difficile et que le PSOE est largement devancée par le PP dans les enquêtes d'opinions. "J'ai une bataille difficile devant moi mais celle-ci est primordiale pour le pays et pour mon parti. L'Espagne a besoin de faire des réformes importantes et j'aimerais que celles-ci soient réalisées selon les mêmes principes qui nous ont toujours guidés et qui nous ont amenés jusqu'ici" a déclaré Alfredo Pérez Rubalcaba. Il tente donc de limiter l'ampleur de la victoire annoncée du PP. "En ce moment, une victoire du Real Madrid contre Barcelone est plus probable que le fait que je m'impose devant Mariano Rajoy" a-t-il déclaré.

Le 7 novembre, Mariano Rajoy et Alfredo Pérez Rubalcaba se sont retrouvés pour le seul débat télévisé de la campagne électorale (et le cinquième depuis le retour de l'Espagne à la démocratie en 1976). L'émission a duré 1h40 (dont 40 minutes consacrées à l'économie et à l'emploi) et rassemblé 12 millions de téléspectateurs (54,2% de l'audimat). Les deux hommes ont chacun dévoilé les mesures qu'ils souhaitaient mettre en œuvre pour redresser l'économie espagnole. Le socialiste, qui est souvent apparu comme le candidat de l'opposition et le challenger, a tenté de pousser son adversaire à révéler les détails de son programme et a évoqué plusieurs questions de société comme, par exemple, l'avortement ou le mariage entre deux personnes du même sexe, sans obtenir de réponse de la part de Mariano Rajoy. En 2005, le PP avait en effet voté contre la loi sur le mariage homosexuel et déposé un recours auprès du Tribunal constitutionnel (qui n'a d'ailleurs toujours pas rendu son verdict). En janvier dernier, le leader de l'opposition avait indiqué dans un entretien radiophonique qu'il modifierait cette loi s'il arrivait au pouvoir. Prudent, le candidat du PP s'est cependant bien gardé de revenir sur ces sujets durant la campagne électorale au risque d'effrayer d'anciens électeurs de gauche prêts à voter pour lui le 20 novembre prochain. Une enquête d'opinion menée par le Centre d'investigations sociologiques (CIS) a révélé que 7 Espagnols sur 10 (70%) étaient favorables au mariage entre deux personnes du même sexe, dont 71% des jeunes de moins de 30 ans se déclarant proches du PP.

Selon le sondage réalisé par l'institut Metroscopia pour le quotidien El Pais à l'issue du duel entre les deux leaders politiques, 46% des téléspectateurs ont estimé que le chef de l'opposition avait dominé le débat tandis que 41% ont jugé que son rival socialiste avait remporté la mise. "Alfredo Pérez Rubalcaba n'est pas un séducteur mais il a une grande expérience et est certainement le meilleur candidat que la gauche pouvait trouver pour ces élections. Mariano Rajoy est prudent et équilibré. Il ne veut pas effrayer les classes populaires par l'annonce de mesures très dures" souligne Bernard Bessières, professeur à l'université d'Aix-en-Provence et spécialiste de l'Espagne contemporaine.

ETA : une décision historique saluée par tous

Si la situation socioéconomique du pays est difficile, les Espagnols ont toutefois pu se réjouir le 20 octobre dernier lorsque l'organisation terroriste Euskadi ta Askatasuna (Pays basque et liberté, ETA), fondée en 1959 et exigeant l'indépendance du Pays basque et "l'un des derniers héritages qui nous reste de l'ère franquiste" selon les mots de Jorge Semprun, a annoncé qu'elle renonçait définitivement à la lutte armée. Un acte historique même s'il ne signe pas la fin du conflit ou de la quête de l'indépendance des nationalistes basques.

Cette décision s'explique par plusieurs raisons. On mentionnera tout d'abord le travail efficace réalisé par les forces de police espagnoles et françaises qui, ensemble, ont porté de rudes coups à l'organisation terroriste responsable de 829 morts et de centaines de blessés qu'elles ont fini par décimer. Ensuite, l'engagement de la communauté internationale dans le processus de paix qui a débuté le 29 mars 2010 par la déclaration de Bruxelles signée par 5 prix Nobel de la paix (dont Desmond Tutu, John Hume et Betty Williams) et une quinzaine de personnalités morales (deux anciens chefs d'Etat – Frederik De Klerk et Mary Robinson –, un ancien Premier ministre –Albert Reynolds –, un ancien chef de cabinet de Tony Blair – Jonathan Powell –, l'avocat sud-africain Brian Currin) a été essentiel. Ce texte demandait à l'ETA de déclarer un "cessez-le-feu permanent et vérifiable" qui pourrait être contrôlé par un organisme international indépendant. L'organisation s'est exécutée neuf mois plus tard, le 10 janvier 2011, avant de déclarer la fin de l'impôt révolutionnaire quelques mois plus tard.

"L'ETA doit désormais comprendre qu'elle doit cesser toute activité et renoncer à sa propre existence" a déclaré le juge Baltasar Garzon après l'annonce d'ETA de renoncer à la lutte armée. "Nous considérons qu'il s'agit d'un pas très important mais la tranquillité des Espagnols ne sera vraiment complète que lors de la dissolution irréversible et du démantèlement complet de l'organisation" a souligné Mariano Rajoy.

La décision d'ETA peut être considérée comme une "victoire" d'Alfredo Pérez Rubalcaba, ministre de l'Intérieur de 2006 à 2011. Aucun mouvement d'opinion n'a cependant été enregistré en sa faveur dans les enquêtes d'opinion à la suite de cette annonce.

Selon la dernière enquête d'opinion réalisée par le Centre d'investigations sociologiques et publiée le 6 novembre dernier, le Parti populaire devrait recueillir 46,6% des suffrages et remporter entre 190 et 195 sièges au Congrès des députés, chambre basse du Parlement. Il devancerait largement le Parti socialiste ouvrier (de 16,7 points) qui obtiendrait 29,9% des voix et remporterait entre 116 et 121 députés.

Gauche unie (IU) de Cayo Lara Moya recueillerait 6,17% des suffrages et 8 sièges ; l'alliance électorale nationaliste catalane, Convergence et union de Catalogne (CiU), dirigée par Artur Mas obtiendrait 3,31% et 13 députés ; Union, progrès et démocratie (UpyD), 2,91% des suffrages et 3 sièges ; la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), 1,23% des voix et 3 députés; le Parti nationaliste basque (PNV) dirigé par Inigo Urkullu, 1,17% et 3 sièges. La coalition indépendantiste basque Amaiur ferait son entrée au Congrès des députés avec 1,05% des suffrages et 3 députés ; le Bloc nationaliste galicien (BNG) dirigé par Guillerme Vazquez recueillerait 0,77% des voix (2 sièges) et enfin, la Coalition des Canaries (CC) obtiendrait 0,62% des suffrages (2 députés).

Les Espagnols savent très bien que la politique de rigueur se poursuivra, voire se durcira, quel que soit le parti vainqueur du scrutin. "La première moitié de l'année 2012 sera très difficile parce que les politiques devront faire des coupes brutales. Ce seront les mois les plus difficiles depuis le début de la crise économique internationale" a affirmé Pablo Vazquez, directeur de la Fedea.

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