La participation sera déterminante pour le référendum sur le mode de scrutin au Royaume-Uni le 5 mai

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Corinne Deloy,  

Fondation Robert Schuman

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28 avril 2011
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Corinne Deloy

Chargée d'études au CERI (Sciences Po Paris), responsable de l'Observatoire des élections en Europe à la Fondation Robert Schuman

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46 millions de Britanniques sont convoqués le 5 mai prochain pour répondre par "oui" ou par "non" à la question suivante : "Aujourd'hui, le Royaume-Uni utilise le système de vote First past the post (littéralement : le premier qui arrive au poteau, référence au langage des courses hippiques) pour élire les membres de la chambre des Communes. Ce mode de scrutin doit-il être abandonné en faveur du vote alternatif ?". Les Britanniques se prononceront par référendum, un processus rare au Royaume-Uni.

First past the post vs alternative vote

Dans le système du First past the post est élu le candidat qui recueille le plus grand nombre de suffrages (qu'il s'agisse de 80% ou de 30% des voix) dans une circonscription. Le système du vote alternatif offre aux électeurs la possibilité de classer par ordre de préférence les candidats en lice, toujours au sein d'une circonscription uninominale. Cette sélection n'est cependant pas obligatoire et l'électeur peut également choisir d'accorder sa voix à un seul candidat. Le dépouillement se déroule alors comme suit : les bulletins de vote sont classés en fonction des premières préférences. Le candidat réunissant une majorité absolue de premières préférences est déclaré élu. Si aucun candidat ne parvient à rassembler 50% + 1 de premières préférences, celui d'entre eux qui en a obtenu le plus faible nombre est éliminé et les suffrages qui se sont portés sur son nom sont alors répartis entre les autres candidats en fonction du nombre de deuxièmes préférences recueillies par chacun d'entre eux. L'opération se poursuit jusqu'à ce qu'un candidat recueille la majorité absolue des suffrages et soit par conséquent déclaré élu.

Les défenseurs d'une modification du mode de scrutin affirment que le système de vote alternatif permettrait une plus juste représentation de l'électorat que le système actuel où les électeurs hésitent à accorder leur suffrage à un "petit" parti considérant souvent qu'un tel vote est "gâché" par le First past the post. Les partisans du maintien de ce système soulignent que son abandon rendrait plus difficile pour un parti d'obtenir la majorité absolue et conduirait donc à une multiplication des coalitions gouvernementales. Le First past the post permet en effet de contenir les partis extrémistes et de "protéger" le Royaume-Uni de la montée du populisme, un phénomène qui affecte l'Europe entière. "Le vote alternatif n'est pas quelque chose de britannique" a déclaré l'actuel ministre des Affaires étrangères, William Hague, ajoutant "Le reste du monde va penser que nous sommes devenus fous. Notre système a été copié par beaucoup, y compris par les Etats-Unis. Il ne serait pas logique de le changer pour un système qui n'est pas clair, plus onéreux et qui créerait de nombreux problèmes" a-t-il ajouté.

En définitive, il semble bien que les résultats électoraux que produirait le vote alternatif seraient très peu différents de ceux obtenus avec le système actuel.

Une certaine cacophonie

La campagne électorale a démarré dans une certaine cacophonie. Ce référendum est déjà singulier dans la mesure où le Parti conservateur et les Libéraux-Démocrates au pouvoir sont "tombés d'accord pour ne pas être d'accord" selon l'expression britannique. Le Premier ministre David Cameron (conservateur) défend le "non" au système de vote alternatif quand le vice-Premier ministre Nick Clegg (Lib-Dem) est pour le "oui". Le chef du gouvernement ne voit "pas de raison de changer un système qui permet de se débarrasser des gouvernements qui ne satisfont pas les électeurs comme cela a été le cas en 1979 et en 1997". Il s'élève contre un " système obscur, injuste et onéreux" qui permet au "candidat arrivé en 3e position de remporter l'élection" et récuse le fait que le vote alternatif redonnerait confiance dans la politique aux Britanniques. Le Premier ministre s'est cependant désolidarisé des critiques contre le leader libéral-démocrate : "Je ne conduis pas la campagne du non, je conduis la campagne du non des conservateurs". Nick Clegg a mis toutes ses cartes dans le succès du référendum. "La campagne du non est soutenue par les fascistes et les extrémistes" a-t-il déclaré. Le Parti national britannique (BNP), tout comme le Parti communiste, est en effet opposé au système de vote alternatif. Le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) et le Sinn Fein (SF) sont tous deux favorables au vote alternatif.

Si Tories et Libéraux-démocrates s'opposent sur la modification du mode de scrutin, le Premier ministre David Cameron a partagé l'estrade avec l'ancien ministre – et ennemi de toujours des Tories –, Lord John Reid (travailliste), Tous deux défendaient le système du first past the post. "John et moi ne sommes pas d'accord sur grand-chose mais on est absolument d'accord sur un point : le vote alternatif serait mauvais pour le pays" a déclaré le chef du gouvernement. "Non seulement ce système est mauvais mais cela serait un outrage de changer le système électoral pour avantager tactiquement un parti en allant contre le droit de tous les citoyens à l'égalité du vote" a ajouté John Reid. "Si vous perdez une élection, tenez bon et travaillez plus dur pour obtenir le soutien des électeurs. Vous n'allez pas leur dire : bien, nous allons changer les règles du jeu et agrandir le but" a-t-il ajouté.

Officiellement, le Parti travailliste est favorable à la modification du mode de scrutin même s'il reste très divisé sur le sujet. John Prescott, vice-Premier ministre (1997-2007), et David Blunkett, ancien ministre, font ainsi campagne pour le "non". Une certaine confusion règne donc également au sein du principal parti de l'opposition. "Ce référendum n'est pas un vote sur Nick Clegg, sur David Cameron ou encore sur moi, c'est une chance pour avoir une meilleure politique au Royaume-Uni" répète le leader travailliste, Ed Miliband, qui tente de dissuader les Travaillistes de sanctionner le vice-Premier ministre en votant "non". Nick Clegg est en effet en forte baisse dans les enquêtes d'opinion depuis son volte-face sur les droits d'inscription à l'université (alors qu'il avait déclaré qu'il s'opposerait à leur augmentation, il a soutenu la réforme permettant aux universités d'imposer des frais d'inscription de 9 000 £ par an (10 730 €) pour compenser le désengagement progressif de l'Etat dans l'enseignement supérieur).

Le "non" en tête dans les sondages

Si les enquêtes d'opinion divergent sur le résultat final du référendum, elles s'accordent en revanche sur la tendance générale : sauf retournement de situation de dernière minute, les Britanniques devraient dire "non" à la modification de scrutin qui leur est proposée.

Selon le dernier sondage réalisé par l'institut YouGov, 44% des Britanniques s'apprêtent à rejeter le système de vote alternatif le 5 mai tandis que 37% s'y montrent favorables. L'opposition à l'abandon du first past the post est encore plus forte lorsque les interviewés ont été réinterrogés après avoir entendu une explication détaillée des deux modes de scrutin : 45% se prononcent alors pour le "non" et 33% pour le "oui". Les personnes souhaitant conserver le système actuel citent la "satisfaction à l'égard du first past the post" comme la principale raison de leur vote (56% des réponses). Les partisans du système de vote alternatif qualifient celui-ci de "plus juste" (54%). L'institut YouGov montre que les différences régionales de participation pourraient être essentielles pour le résultat final. Enfin, le vote est très lié à la proximité partisane : les sympathisants du Parti conservateur sont opposés au changement de mode de scrutin, les proches des Libéraux-Démocrates y sont favorables et les électeurs du Parti travaillistes sont divisés.

L'enquête d'opinion réalisée par l'institut ICM pour le quotidien The Guardian révèle que 58% des Britanniques sont favorables au maintien du mode de scrutin actuel et que 42% souhaiteraient voir le système du vote alternatif remplacer celui du first past the post. 23% des personnes interrogées n'ont pas encore faire leur choix et ne savent pas si elles se rendront aux urnes le 5 mai prochain. Le sondage montre que les ¾ des Conservateurs s'apprêtent à voter "non" tout comme une majorité des Travaillistes. Les jeunes sont les plus favorables à une modification du mode de scrutin, les retraités au maintien du système actuel.

"Une majorité des Britanniques sont opposés au changement de mode de scrutin mais il n'est pas évident qu'un nombre suffisant d'entre eux se rendent aux urnes le 5 mai prochain pour l'empêcher" a déclaré David Cameron qui redoute beaucoup la faiblesse la participation. Celle-ci serait en effet bénéfique au "oui" dont, fort logiquement, les partisans sont les plus mobilisés. Les Conservateurs mettent également en avant le fait que la décision finale pourrait bien appartenir aux Ecossais, Gallois et Irlandais qui, le 5 mai prochain, sont également appelés aux urnes pour désigner leurs représentants régionaux. Selon les enquêtes d'opinion, les Ecossais sont parmi les Britanniques les plus favorables au système de vote alternatif : 52% s'apprêteraient à voter "oui" à la modification du mode de scrutin et 33% à la rejeter.

Les Tories pointent du doigt le fait que le pays pourrait bien connaître un changement constitutionnel majeur alors même qu'une faible minorité de Britanniques se rendraient aux urnes. La chambre des Lords, chambre haute du parlement britannique, a tenté, en vain, de faire voter l'instauration d'un seuil minimum (au moins 40% des inscrits) obligatoire pour valider le référendum.

Une victoire du "non" serait bien entendu pour Nick Clegg un échec d'autant plus sérieux que le vice-Premier ministre a fait du changement du mode de scrutin l'objectif n°1 de son parti et la principale raison de sa participation au gouvernement. La base des Lib-Dém pourrait s'interroger sur l'intérêt de la poursuite d'une collaboration avec les Conservateurs en cas de victoire du "non". "Les parlementaires libéraux-démocrates vivent une scène d'accident de la route qui adviendrait au ralenti. Ils ont deux possibilités : soit ils sautent de la voiture en marche, soit ils arrachent le volant des mains du conducteur" analyse le professeur de science politique de l'université de Sussex, Tim Bale. "La coalition gouvernementale est là pour durer 5 ans" répète Nick Clegg. Une victoire du "oui" serait un revers pour le Premier ministre. "Si David Cameron perd son pari, il sera véritablement obligé de faire avec un système de vote qui pourrait rendre plus difficile pour les Tories le fait de gouverner seuls" indique Tim Bale.

Une victoire du "oui" pousserait sans doute les Libéraux-Démocrates à très vite demander plus, c'est-à-dire le recours à un système proportionnel.

Divisé, le Parti travailliste ne pourra donc être totalement perdant le 5 mai prochain. Ed Miliband s'est posé en défenseur du "oui", une position qui pourrait in fine s'avérer fâcheuse. Le Labour devrait toutefois sortir vainqueur des élections locales qui se tiendront le même jour que le référendum sur le mode de scrutin. Une grande partie des sièges en jeu ont en effet été perdus par les Travaillistes lors des dernières élections du 3 mai 2007, ces derniers devraient donc améliorer leurs résultats.

Si le "oui" l'emporte, le système de vote alternatif entrera en vigueur lors des prochaines élections législatives britanniques prévues en 2015.

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