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Corinne Deloy,
Fondation Robert Schuman
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ENCorinne Deloy
Fondation Robert Schuman
Le 1er février dernier, la présidente de la République d'Irlande, Mary McAleese, a dissous l'Oireachtas (Parlement) à la demande du Premier ministre Brian Cowen (Fianna Fail, FF) et convoqué des élections législatives anticipées (d'un peu plus d'un an) pour le 25 février. Le Taoiseach (Premier ministre en gaélique), au pouvoir depuis mai 2008, a été poussé à la démission à la fois par les forces de l'opposition qui menaçaient son gouvernement d'une motion de censure qu'il ne pouvait guère espérer remporter et par les membres de son propre parti – comme par les Verts, membre de sa coalition gouvernementale–, qui l'avaient déjà obligé à renoncer à son poste de leader du Fianna Fail. Brian Cowen a été remplacé dans cette fonction par Micheal Martin, ministre démissionnaire des Affaires étrangères.
Brian Cowen, ancien ministre des Finances de 2004 à 2008 arrivé au pouvoir au moment même où son pays plongeait dans une récession sans précédent, a enchaîné les records d'impopularité à mesure qu'il annonçait des plans d'austérité de plus en plus draconiens. Il est le premier chef du gouvernement au monde à chuter à cause de la crise économique internationale. Déjà fortement discrédité par sa gestion de la crise politico-économique de l'Irlande, il avait été encore affaibli par la révélation d'une rencontre qu'il aurait eue au cœur de la crise avec l'ancien président de l'Anglo-Irish Bank, Sean FitzPatrick. "Ma carrière politique arrive à sa fin avec la convocation de ces élections législatives. C'est le cœur lourd que je prends une telle décision. Mais c'est la bonne décision parce que le Fianna Fail est en train de se reconstruire et de se renouveler avec l'arrivée d'une nouvelle génération" a déclaré, juste avant l'annonce du scrutin, Brian Cowen. Le Taoiseach est le premier de l'histoire de l'Irlande à ne pas être candidat à sa réélection.
La crise socioéconomique au cœur de la campagne électorale
Ancien bon élève de la classe européenne et surnommé le "tigre celtique", l'Irlande a longtemps connu une croissance exceptionnelle. Cependant, le pays, dont la croissance reposait en grande partie sur l'industrie financière, a été très affecté par la crise économique internationale de 2008 : baisse du taux de croissance du PIB de 7% en 2009, hausse du taux de chômage (13,4%) et effondrement du marché immobilier dû au départ des entreprises internationales (en grande majorité américaines) après la chute de leurs bénéfices.
Si la situation s'est redressée, la Banque centrale d'Irlande vient cependant de revoir à la baisse ses dernières prévisions de croissance (1% au lieu de 2,1% prévus auparavant), notamment en raison de l'impact des mesures d'austérité adoptées en contrepartie du plan d'aide international. L'institution financière estime toutefois que le pays devrait échapper à la récession en 2011 grâce à une bonne tenue de ses exportations qui devraient compenser la faiblesse de la demande intérieure. Autre statistique peu réjouissante pour l'économie irlandaise : les crédits aux particuliers ont reculé de 5,2% en décembre dernier par rapport au même mois de 2009 (la contraction était de 4,8% en novembre). Enfin, les retraits bancaires se poursuivent : 5,2 milliards € en novembre 2010, près de 3 milliards en décembre.
Le gouvernement sortant de Brian Cowen se voit reprocher d'avoir mal géré la crise socioéconomique et toujours soutenu les banquiers mais également d'avoir du recourir à l'aide internationale et accepté le 24 novembre 2010 les termes du plan de sauvetage de 85 milliards € du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Union européenne. Plus de 8 Irlandais sur 10 (82%) se déclarent favorables à une renégociation de ce plan selon une enquête d'opinion de l'institut MillwardBrown Lansdowne publiée mi-février.
Comme attendu, le recours à l'aide extérieure a été au cœur du premier débat télévisé de la campagne électorale le 9 février. "Le gouvernement a lié le sort du pays aux infortunes des banques et nous a vendus à l'Union européenne et au Fonds monétaire international. La tranche européenne du prêt international doit être renégociée. L'accord actuel est mauvais pour l'Irlande, l'Europe et la zone euro" a déclaré Eamon Gilmore, leader du Parti travailliste (Labour). Pour ce faire, ce dernier souhaite faire payer les détenteurs d'obligations qui ont investi dans les banques ("ils doivent porter une partie du fardeau" a-t-il affirmé), repousser de 3 ans (à 2016) le délai accordé à l'Irlande par Bruxelles pour rétablir le déficit public sous les 3% du PIB et, last but not least, baisser le taux d'intérêt exigé par les organisations internationales actuellement établi à 5,83%. Eamon Gilmore qualifié ce taux de "punitif et inique". Le Parti travailliste, attaqué sur sa gauche par le parti d'extrême gauche du Sinn Fein (SF) ou des candidats d'autres partis de gauche, a récemment perdu un peu de terrain au sein des classes moyennes. Il n'hésite pas à faire de la surenchère et parle d'un rejet du plan de sauvetage.
Le leader de l'opposition et du Fine Gael (FG), Enda Kenny, que tous les observateurs de la vie politique considèrent comme le prochain Premier ministre irlandais, a précisé qu'il entendait, s'il parvenait au pouvoir à l'issue du scrutin, réduire le coût du prêt de l'Union européenne en baissant les taux d'intérêt, en rachetant une partie de la dette souveraine et en restructurant la dette bancaire non garantie par Dublin. Le leader du Fine Gael a émis le souhait que la recapitalisation des banques irlandaises en déshérence soit suspendue jusqu'au moment de la divulgation des résultats des nouveaux tests de résistance des établissements financiers prévus pour la fin du mois de mars. Le plan de sauvetage international comprend cependant le renflouement à hauteur de 7 milliards € de l'Anglo-Irish Bank et de la Bank of Ireland d'ici fin février. A la suite des propositions d'Edna Kenny sur le report de la recapitalisation des banques, l'agence de notation financière Moody's a dégradé la note de 6 établissements financiers irlandais (Allied Irish Bank, Anglo-Irish Bank, EBS, Irish Nationwide Building Society, Bank of Ireland et Irish Life & Permanent).
Enda Kenny s'est récemment rendu à Bruxelles où il a été reçu par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, à qui il a fait part de sa volonté de renégocier une partie du plan de sauvetage. Le leader du Fine Gael était accompagné de Michael Noonan, actuel porte-parole du parti (et probable prochain ministre des Finances), qui a déclaré que son parti souhaitait voir baisser, outre le taux d'intérêt versé par son pays pour les fonds reçus, la dette due par les banques irlandaises. "En dépit de tous ses efforts, l'Irlande pourrait ne pas supporter le coût de l'aide dans les conditions actuelles" a-t-il déclaré.
"On ne peut pas renégocier le plan de sauvetage de l'Irlande de façon unilatérale et il est malhonnête de prétendre le contraire" répète le nouveau leader du Fianna Fail, Micheal Martin.
Les partenaires européens de l'Irlande, et notamment l'Allemagne, se montrent très réticents à toute nouvelle discussion du plan de sauvetage de l'Irlande. Ils pourraient néanmoins envisager d'assouplir leur position en demandant une contrepartie à Dublin, par exemple une hausse du taux de l'impôt sur les sociétés en Irlande (actuellement fixé à 12,5%) qui est l'un des plus faibles de l'Union européenne. Le leader de l'opposition Enda Kenny a également évoqué l'introduction dans le droit constitutionnel irlandais de dispositions visant à limiter l'endettement public sur le modèle des règles en vigueur en Allemagne. "Nous avons dit à la Commission européenne que nous étions conscients qu'il existe en Europe la volonté de contrôler, par la loi, la capacité des gouvernements à s'endetter afin de ne pas emprunter de nouveau de façon imprudente" a déclaré Michael Noonan.
Le FMI a indiqué par la voix de sa directrice des relations extérieures et porte-parole, Caroline Atkinson, qu'il envisageait de verser les deux prochaines tranches de son prêt de 22,5 milliards € à la République celtique à l'issue du scrutin du 25 février prochain. La première tranche de 5,8 milliards a déjà été débloquée ; les deux suivantes sont prévues aux environs des 15 mars et 15 juin prochains mais pourraient être groupées au vu "des mesures qui pourraient être mises en place au-delà de la base du programme qui a déjà été appliqué par le nouveau gouvernement qui sera formé" selon Caroline Atkinson.
La campagne politique
Probables futurs alliés au sein de la prochaine coalition gouvernementale, le Fine Gael et le Parti travailliste se livrent une rude bataille pré-électorale. Le Labour accuse le parti d'Enda Kenny d'être trop timide vis-à-vis des partenaires européens de l'Irlande ; le Fine Gael reproche aux travaillistes de vouloir emprunter 5 milliards € supplémentaires, ce que dément le parti d'Eamon Gilmore.
Lors du 2e débat télévisé de la campagne électorale le 14 février, le leader du Fine Gael a reproché à son homologue du Labour de vouloir reporter de 2 ans la date de retour à l'équilibre budgétaire pourtant convenue avec le FMI et l'Union européenne. "Ce que vous ne dites pas, c'est que vous avez déjà changé d'avis en passant de 2014 à 2016. Cela signifie qu'il va falloir emprunter 5 milliards € supplémentaires. Cela veut dire des impôts plus élevés, des taux d'intérêts plus élevés, un chômage plus élevé et une austérité plus longue" a-t-il déclaré après qu'Eamon Gilmore l'eut accusé de condamner l'Irlande à une récession économique durable en défendant le respect de la date butoir fixé par les organisations internationales. Après cet échange entre les deux hommes, Micheal Martin a ironisé en se demandant si Enda Kenny et Eamon Gilmore souhaitaient vraiment gouverner ensemble.
Les 2 partis d'opposition vont cependant devoir aplanir leurs désaccords pour parvenir à gouverner une Irlande en pleine crise. "Le futur gouvernement va devoir construire un nouveau pays à partir des ruines de notre économie" a averti Enda Kenny.
Selon les enquêtes d'opinion, le Fine Gael devrait arriver en tête des élections législatives du 25 février. Certains analystes avancent le fait que le parti pourrait, s'il remporte un nombre élevé de sièges, tenter de former un gouvernement minoritaire avec le soutien des indépendants élus au Dail Eireann (chambre des représentants). Comme pour répondre à ces perspectives, Eamon Gilmore, a affirmé que "pour la première fois dans l'histoire de l'Irlande, le gouvernement pourrait n'être dirigé ni par le Fianna Fail ni par le Fine Gael".
Au niveau politique, le Fine Gael propose de baisser de 200 000 € la rémunération du Taoiseach et de réviser les dépenses des ministres. Il est favorable à la réduction du nombre de membres du Dail Eireann (il préconise de supprimer 20 représentants) et à l'abolition (dans les 12 prochains mois) du Seanad Eireann, chambre haute du parlement comprenant 60 membres dont 43 élus au scrutin proportionnel par 5 grands corps constitués de parlementaires et d'élus locaux représentant divers secteurs de la société, 11 nommés par le Premier ministre et 6 par les citoyens de plus de 18 ans inscrits sur les listes électorales et ayant obtenu un diplôme de 3e année de l'université nationale d'Irlande ou de l'université de Dublin. Le principal parti d'opposition souhaite créer une assemblée de citoyens de 100 personnes qui serait chargée de faire des propositions sur une réforme électorale, d'instaurer un système de pétitions publiques et d'abaisser l'âge du droit de vote à 17 ans (en lieu et place de 18 actuellement). L'Irlande est l'un des rares pays d'Europe à ne pas avoir réformé son système politique depuis la Seconde Guerre mondiale.
Si le Parti travailliste propose de supprimer le Seanad Eireann, il est en revanche favorable à un accroissement des membres de la chambre des représentants de 50% des ses élus.
La réforme du système politique figure en bonne place dans le programme du Fianna Fail qui propose une modification du mode de scrutin pour les élections législatives comme pour l'élection présidentielle (les citoyens d'Irlande du Nord pourraient désigner le chef de l'Etat de la République d'Irlande) et la fin du système actuel qui veut qu'à l'exception de 2 ministres qui peuvent être membres de la chambre haute du Parlement), tous les autres doivent obligatoirement être des élus du Dail Eireann. Pour voir le jour, ces modifications devraient toutefois être adoptées par référendum.
Le Fianna Fail, qui a dominé la vie politique depuis l'indépendance du pays en 1922 et qui gouverné l'Irlande durant 55 des 74 dernières années, se bat pour obtenir la 3e place le 25 février. Il est talonné dans les enquêtes d'opinion par le Sinn Fein (SF) qui compte bien profiter du mécontentement généré par la crise socioéconomique et qui pourrait récupérer une partie de l'électorat du parti actuellement au pouvoir, notamment les personnes furieuses par la "perte de souveraineté" que constitue pour elles le recours à l'aide internationale. Ce qui explique que le leader du Fianna Fail Micheal Martin concentre la plupart de ses critiques sur Gerry Adams, dirigeant du Sinn Fein.
Au niveau politique, le Sinn Fein est favorable à l'abolition du Seanad Eireann. "Le Seanad Eireann est antidémocratique. C'est une survivance du système ancien et je parle avec l'expérience de la chambre des Lords britannique. Toute cette absurdité est fondée sur les privilèges, on a remplacé une ancienne élite par une autre élite gouvernante" a déclaré Gerry Adams.
Enfin, le Parti vert (GP) propose une réduction du nombre des parlementaires. Il a annoncé un plan pour créer 100 000 emplois verts sur les 9 années à venir. Le parti de John Gormley affirme avoir créé 20 000 emplois verts depuis 2007.
L'ancien Premier ministre (1997-2008) Bertie Ahern, modèle de longévité à la tête de l'Irlande, a décidé de ne pas se présenter aux élections. "J'ai toujours dit que j'arrêterai ma carrière politique à 60 ans et je les aurai en septembre (le 11 septembre 2012 )" a-t-il déclaré.
Les enquêtes d'opinion prédisent au Fianna Fail la pire défaite de son histoire. Le parti est crédité de 12% des suffrages dans le dernier sondage réalisé par l'institut MillwardBrown Lansdowne et publié par le quotidien The Irish Independent le 16 février dernier. Il est devancé par le Fine Gael qui recueillerait 38% des voix (et 78 des 166 sièges de la chambre des représentants) et deviendrait ainsi le principal parti du pays pour la 1ère fois de son histoire. Le Parti travailliste obtiendrait 23% des suffrages ; le Sinn Fein, 10% et le Parti vert, 1%. Les électeurs indécis (qui représentent environ 20%) détermineront donc si le prochain gouvernement sera formé par le seul Fine Gael ou par une coalition entre ce dernier et le Parti travailliste.
La popularité d'Enda Kenny ne suit pas la hausse de son parti dans les enquêtes d'opinion. Le leader de l'opposition est même devancé par le nouveau leader du Fianna Fail, Micheal Martin, et par Eamon Gilmore dans un sondage portant sur la personnalité que les Irlandais souhaiteraient voir nommer à la tête du prochain gouvernement.
Au vu des conditions imposées par le FMI et l'Union européenne, le(es) parti(s) qui arriveront au pouvoir le 25 février bénéficieront d'un état de grâce de très courte durée.
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