Liberté, sécurité, justice
Anne Castagnos-Sen
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Anne Castagnos-Sen
Introduction
Le 1er mai 2004 s'achevait la première phase d'harmonisation des questions relatives à l'asile et à l'immigration dans le cadre de l'ambitieux programme dont l'Europe s'était dotée cinq ans auparavant, avec l'entrée en vigueur le 1er mai 1999 du Traité d'Amsterdam et les Conclusions du Conseil européen de Tampere d'octobre 1999.
Le bilan de la réalisation des objectifs fixés à Tampere - élaboration d'un régime d'asile européen commun et rapprochement des politiques nationales en matière d'immigration - est pour le moins mitigé, l'ensemble des observateurs institutionnels et associatifs s'accordant à juger les résultats globalement décevants. D'une part, les Etats se sont montrés généralement plus soucieux de préserver leur spécificité nationale, que d'adopter des normes communes dans un domaine qui demeure l'un des derniers bastions de la lutte des Etats pour la sauvegarde de leur souveraineté. Les résultats ainsi obtenus ont souvent remis en cause l'objectif de la communautarisation au profit du respect de la diversité des législations et pratiques nationales, ce que le Sénat français a qualifié « d'harmonisation en trompe-l'œil » [2].
En outre, le maintien de la règle de l'unanimité et le droit d'initiative partagé entre les Etats et la Commission, par dérogation aux règles communautaires habituellement en vigueur, a considérablement ralenti les travaux.
Par ailleurs, l'après-11 septembre, marqué par la crainte sécuritaire, a largement dénaturé le contenu des discussions relatives aux politiques d'asile et d'immigration au profit de la lutte contre le terrorisme et l'immigration clandestine. Les principes relatifs à la protection des réfugiés ont ainsi été progressivement écartés au nom de la recherche d'efficacité des dispositifs de contrôle migratoire. D'une « Union ouverte et sûre, pleinement attachée au respect des obligations de la Convention de Genève [3]» et du « respect absolu du droit à demander l'asile », proclamée à Tampere, on est passé au Conseil européen de Laeken de décembre 2001 à une politique d'asile et d'immigration « qui respecte l'équilibre nécessaire entre la protection de réfugiés, l'aspiration légitime à une vie meilleure et la capacité d'accueil de l'Union et de ses Etats membres », orientation confirmée au Conseil extraordinaire de Séville en juin 2002. Pour Michel Combarnous, ancien président de la Commission des recours des réfugiés en France, « Les déclarations les plus solennelles[…] qui réaffirment avec constance la valeur éminente du droit d'asile […] n'ont pas empêché les préoccupations de maîtrise de l'immigration d'occuper souvent le premier plan dans les débats européens et d'inspirer des propositions évidemment contraires à l'esprit de Genève» [4].
Cette approche sécuritaire et particulièrement restrictive intervient à un moment où le nombre de demandeurs d'asile a atteint en Europe son niveau le plus bas depuis des années. En 1992, les 25 Etgats qui composent actuellement l'Union européenne ont reçu 680 000 demandes contre moins de 350 000 en 2003. Rappelons que le continent européen est celui qui accueille le moins de réfugiés – à peine 30% - alors que l'Afrique et l'Asie avec 68,2% des réfugiés du monde supportent la charge la plus lourde de l'accueil. [5]
I. Le Programme de La Haye
Réunis à Bruxelles les 4 et 5 novembre derniers, les 25 chefs d'Etats et de gouvernement de l'Union européenne ont adopté le Programme pluriannuel de La Haye – « Renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne » - élaboré à la demande du Conseil européen des 17 et 18 juin 2004 et soumis par la présidence néerlandaise. Conformément aux dispositions du Traité d'Amsterdam [6] et des Conclusions de Tampere, les 25 ont décidé de « communautariser » intégralement les questions relatives à l'asile et à l'immigration : à partir du 1er avril 2005, les textes seront adoptés à la majorité qualifiée avec co-décision du Parlement européen. A la demande de l'Allemagne, les textes portant sur l'immigration légale continueront cependant de relever de la règle de l'unanimité, jusqu'à l'entrée en vigueur de la Constitution européenne adoptée à Rome le 29 octobre 2004.
Le Conseil européen, qui préconise une approche globale « couvrant toutes les étapes du processus de migration et tenant compte des causes profondes des migrations ainsi que des politiques d'entrée, d'admission, d'intégration et de retour », s'inscrit dans le prolongement des Traités de Maastricht, d'Amsterdam et des Conclusions de Tampere qui ont progressivement instauré un cadre juridique commun dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Il place clairement son action dans la perspective de l'entrée en vigueur de la Constitution européenne en « faisant siennes les ambitions énoncées dans le Traité établissant une Constitution pour l'Europe » et en « contribuant à préparer l'Union à l'entrée en vigueur de ce texte » [7].
Le Programme de La Haye constitue la seconde phase de la mise en place d'un espace commun de liberté, de sécurité et de justice. Au chapitre asile, le texte prévoit, comme la Constitution européenne, la mise en place à l'horizon 2010 du régime européen commun d'asile visant à l'unification des procédures et des statuts et fondé sur « l'application intégrale et globale de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et des autres traités pertinents » ainsi que sur une évaluation des instruments juridiques adoptés depuis Tampere. En outre, le Conseil et la Commission sont invités à créer en 2005 des structures auxquelles les services d'asile nationaux des Etats membres seront associés et qui seront appelées à se transformer d'ici 2010 en un Bureau d'appui européen « chargé de toutes les formes de coopération entre les Etats membres qui sont liés au régime d'asile européen commun ».
En matière d'immigration, le Programme de La Haye s'en tient aux termes de la Constitution européenne qui prévoit que l'Union légifèrera sur les conditions d'entrée et de séjour, les droits des ressortissants non communautaires en situation régulière, la lutte contre l'immigration clandestine et les mesures d'éloignement. Il recommande aussi de fixer « les principes de bases communs sur lesquels doit reposer un cadre européen cohérent en matière d'intégration », fondée notamment sur la politique anti-discriminatoire, le respect des valeurs fondamentales de l'Union et le dialogue interculturel. Les décisions concernant les quotas d'immigration relèvent toujours des politiques nationales mais la Commission est invitée à présenter avant la fin 2005 un Programme d'action relatif à l'immigration légale en matière d'emploi.
II. L'économie générale des textes adoptés depuis Tampere
Au cours des cinq dernières années, les ministres de l'intérieur et de la justice ont rediscuté au sein du Conseil Justice, affaires intérieures et protection civile (JAI) tous les textes juridiquement non-contraignants adoptés dans les années 90 (résolutions, conclusions, positions ou actions communes). Les ministres se sont aussi inspirés dans leur réflexion des Communications de la Commission de novembre 2000, de mars 2003 et de juin 2004 relatives aux questions d'asile et d'immigration, ainsi que de son étude de faisabilité sur une procédure unique d'asile, publiée en mars 2004.
Mais l'harmonisation européenne en matière d'asile et d'immigration répond plus souvent à la logique du plus petit commun dénominateur qu'à l'intérêt général européen. L'insertion de clauses facultatives ou dérogatoires et le recours à la clause du « stand still » qui permettent aux Etats de préserver leurs pratiques nationales par dérogation aux garanties minimales communes énoncées, affaiblissent le caractère contraignant des dispositions et laissent une marge de manœuvre très large dans l'application des textes.
En outre, la pratique informelle des coopérations renforcées – hors mécanismes institutionnels – sape encore d'avantage l'édifice commun : à trois pour décider de « zones de sécurité » dans le cadre d'une coopération avec les pays du Maghreb (France, Italie, Espagne), à quatre pour l'organisation d'expulsions groupées par charters (France, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni), à 5 pour aller « plus vite et plus loin » dans l'harmonisation (G5 composé de la France, l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni et l'Espagne).
Malgré ses lenteurs, le calendrier fixé à Amsterdam et Tampere a cependant été formellement respecté, conduisant à l'adoption d'un ensemble de textes communautaires juridiquement contraignants qui constituent le fondement du futur régime d'asile européen commun [8]. En matière d'immigration, les Etats ont œuvré à la mise en œuvre des Conclusions de Tampere qui prenaient acte de la « fin de l'immigration zéro » et préconisaient le rapprochement des législations nationales en matière d'entrée et le séjour des migrants et l'élaboration d'une politique commune relative aux visas et à la lutte contre l'immigration clandestine.
III. Le contenu des travaux en matière d'Asile
1. La protection temporaire
La Directive « relative à des normes minimales pour l'octroi de la protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées », adoptées le 20 juillet 2001, tire les leçons du conflit yougoslave. Elle prévoit des mécanismes d'accueil exceptionnels en cas d'arrivées soudaines ou imminentes (cette dernière notion étant plus difficile à apprécier) et d'incapacité temporaire des dispositifs « classiques » à faire face à la demande d'asile. Les bénéficiaires de cette protection temporaire, accordée pour un an renouvelable deux fois, conservent cependant le droit, sous certaines conditions, de déposer une demande de statut de réfugié selon la procédure normale, afin de bénéficier d'une protection durable.
2. Le mécanisme « Dublin II » et EURODAC
Le règlement « Dublin II »adopté le 18 février 2003 (entré en vigueur en septembre 2003), précise et modifie certaines des dispositions de la Convention de Dublin [9] qui consacre le principe de la responsabilité unique d'un Etat de l'Union dans le traitement d'une demande d'asile et du transfert éventuel de l'intéressé vers le pays ainsi désigné. De manière générale, cette responsabilité incombe à l'Etat qui a laissé pénétrer le demandeur dans l'espace commun, soit par la délivrance d'un document (visa, sauf-conduit ou titre de séjour), soit par « défaut de surveillance ». Le Règlement « Dublin II », outre qu'il modifie la nature juridique de ces dispositions, introduit également quelques modifications dans les délais de procédure et le traitement des demandes des familles dispersées dans plusieurs pays de l'Union. Il confie également cette responsabilité à l'Etat qui aura toléré la présence irrégulière d'un étranger pendant une période continue d'au moins cinq mois. Ce dispositif a été complété par l'entrée en vigueur en septembre 2003 de DUBLINET, réseau électronique d'échanges de données.
Dans le prolongement de Dublin, le règlement EURODAC adopté le 11 décembre 2000 institue le premier système européen de comparaison des empreintes digitales. L'entrée en vigueur le 15 janvier 2003 de ce fichier devrait améliorer l'efficacité du dispositif Dublin II en détectant les demandes d'asile multiples, sans qu'il soit besoin de recourir aux preuves matérielles de détermination de l'Etat responsable. [10]
3. Les conditions d'accueil des demandeurs d'asile
La directive relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les Etats membres, adoptée le 27 janvier 2003, contient des normes de protection relativement peu élevées qui ne contraignent les Etats qu'à « assurer la subsistance » des demandeurs d'asile et prévoit des dispositions dérogatoires aux normes minimales en cas de demandes d'asile à la frontière, de demandes dites « tardives », ou lorsque les demandeurs sollicitent le bénéfice d'une protection subsidiaire. La question très débattue de l'accès au marché du travail ou à une formation professionnelle a été tranchée dans des termes qui n'imposent aucunement aux Etats d'accorder aux demandeurs d'asile le droit d'exercer un emploi, même à l'issue de plusieurs mois de séjour régulier sur leur territoire.
4. Les garanties de procédure en matière d'asile et les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié
Ces deux textes essentiels, qui sont au cœur du dispositif d'un régime commun d'asile, ont fait l'objet d'accords politiques de dernière minute lors du Conseil JAI du 29 avril 2004, deux jours avant l'expiration du délai fixé par Amsterdam et après des mois de laborieuses tractations.
La Directive « relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres » ne sera cependant effective qu'après avis du Parlement européen. Ce texte a fait l'objet de très vives polémiques, le HCR allant jusqu'à regretter « une occasion manquée d'adopter des normes d'asile élevées au sein de l'Union européenne » et craignant « des infractions au droit international ». [11] D'une part l'objectif d'harmonisation n'a pas été respecté, les normes minimales étant peu contraignantes et généralement suivies de clauses dérogatoires (notamment à l'exigence d'un entretien individuel ou du caractère suspensif de la mesure d'éloignement en cas de recours). D'autre part ce texte introduit en droit communautaire un certain nombre de notions contestables dans leur principe même et comportant de risques de dérives graves dans leur application, qui pourraient conduire des réfugiés potentiels à être renvoyés vers leur pays d'origine en violation du principe de non-refoulement, pierre angulaire du système de protection internationale des réfugiés.
La notion de pays « sûrs » d'origine, qui ne présenteraient pas de risque sérieux de persécution, fait ainsi son apparition, assortie d'une liste commune européenne des pays ainsi qualifiés (le Conseil JAI du 19 novembre pourrait cependant renoncer provisoirement à cette liste, les 25 n'ayant pas encore réussi à se mettre d'accord sur les pays devant y figurer [12]). Outre qu'elle est incompatible avec la clause de non-discrimination prévue à l'article 3 de la Convention de Genève, la qualification de « pays sûrs » a également fait la preuve de son caractère éminemment aléatoire [13].
La directive consacre également la notion de pays tiers « sûrs » et « extrêmement sûrs », sans garanties suffisantes dans leur définition, vers lesquels les demandeurs d'asile qui auraient transité par ces pays pourraient être reconduits, sans instruction individuelle de leur demande ou après examen sommaire, et avant même qu'il ne soit statué sur un éventuel recours contre une décision de rejet prise en première instance. Outre le déni de justice qu'il implique, le caractère non-suspensif du recours est d'autant plus préoccupant que dans certains pays européens, 30 à 60% des réfugiés sont reconnus en procédure appel [14].
La directive dite « qualification » [15] définit les critères de reconnaissance de la qualité de réfugié au titre de la Convention de Genève ou d'une protection subsidiaire à celle prévue par la Convention. Ce texte instaure deux notions nouvelles : la possibilité, en cas de persécution par des agents de l'Etat, de se réclamer de la protection d'une autorité autre qu'étatique présente dans le pays (organisations internationales, autorités de fait etc.). et l'éventualité d'un «asile interne » dans une autre partie du territoire où l'intéressé n'aurait pas de craintes de persécution, sans que la définition de cette notion ne soit assortie de garanties suffisantes (protection effective dans cette zone, possibilité réelle de réinstallation etc.).
Ce texte a reçu un accueil mitigé. Aucune protection n'est équivalente en droit international à celle accordée par un Etat internationalement reconnu. En outre l'expérience des « zones de sécurité » ou « poches humanitaires » sous contrôle des Nations Unies comme celle de Srebrenica en Bosnie, ou le constat fait par la communauté internationale elle-même de la faible capacité de la MINUK et de la KFOR à protéger les habitants du Kosovo, permettent de douter de la pertinence de telles notions.
Il comporte néanmoins des dispositions favorables en étendant explicitement le bénéfice de la Convention de Genève aux victimes de persécutions perpétrées par des auteurs non-étatiques (milices armées, groupes rebelles, autorités locales etc.) et en introduisant une définition harmonisée, quoique trop restrictive, de la notion de « protection subsidiaire ».
IV. Le contenu des travaux en matière d'immigration
1.Les conditions d'entrée et de séjour réguliers
L'harmonisation relative aux conditions de séjour et d'intégration des migrants en situation régulière reste très faible. Au cours de la période étudiée, seuls deux textes ont été adoptés : La directive « relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents longue durée », adoptée le 24 juillet 2003 et la directive sur le droit au regroupement familial des migrants, adoptée le 22 septembre 2003, qui fixe de manière très restrictive les conditions d'exercice de ce droit . Ce texte a été unanimement dénoncée par les organisations de défense des droits de l'Homme et des droits de l'enfant et a fait l'objet le 16 décembre 2003 d'une demande d'annulation devant la Cour de justice européenne par le Parlement européen.
2. La gestion des flux migratoires
« Une gestion efficace des flux migratoires constitue une priorité politique majeure de l'Union européenne » [16]. C'est donc sur le rapprochement des politiques de prévention et de lutte contre l'immigration clandestine que les efforts des Etats ont porté. Le programme de La Haye recommande à cet égard la mise en place progressive du Système intégré de gestion des frontières extérieures, prévu également par la Constitution européenne, et l'établissement à cette fin le 1er mai 2005 de l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, dont le principe avait été adopté par le Règlement du 30 mars 2004. Outre ses activités de coordination et d'appui opérationnel, cette Agence aura pour mission d'étudier la possibilité de créer un corps européen de garde-frontières. A l'initiative de la France a déjà été adopté le 19 février 2004 un règlement relatif à la création d'un réseau d'officiers de liaison « immigration » ayant pour mission de « contribuer à la prévention et à la lutte contre l'immigration clandestine, au retour des immigrés illégaux et à la gestion de l'immigration ».
a. La politique en matière de visas
La gestion des flux migratoires passe aussi par une harmonisation des critères et procédures de délivrance de visas et l'adoption de solutions harmonisées concernant l'introduction de données biométriques dans les documents de voyages et de séjour. L'interopérabilité du Système d'information Schengen, du futur VIS (système d'information sur les visas) et d'EURODAC doit participer de cette politique.
Un Règlement adopté en mars 2001 (modifié en décembre 2001 et en mars 2003) fixe déjà la liste commune des pays tiers dont les ressortissants sont soumis à l'obligation de visas. Le programme de La Haye envisage aussi à moyen terme la création de bureaux communs de l'Union chargés de la délivrance de visa, dans la perspective de l'établissement d'un Service européen d'action extérieure, préconisé dans une Déclaration annexée à la Constitution européenne.
b.Les sanctions aux transporteurs
Introduit par l'Accord de Schengen, le principe des sanctions imposées aux transporteurs qui acheminent dans l'espace commun des étrangers dépourvus des documents requis à l'entrée sur le territoire, ont été repris dans la directive adoptée le 28 juin 2001. Ces dispositions sont juridiquement très contestables en ce qu'elles confèrent à des transporteurs civils des missions de contrôle migratoire et des pouvoirs de police. Sans retenir l'exemption prévue par la loi française de février 1992 dans les cas notamment où l'étranger était admis sur le territoire au titre de l'asile, la directive se contente de préconiser l'application de ces sanctions « sans préjudice des obligations des Etats membres lorsqu'un ressortissant des pays tiers demande à bénéficier d'une protection internationale ».
c. La répression à l'aide, à l'entrée et au séjour irrégulier
Sur proposition de la présidence française en 2000, une directive définissant l'aide à l'entrée et au séjour irrégulier ainsi qu'une décision cadre visant à « renforcer le cadre pénal pour la répression de cette infraction » ont été adoptées par le conseil le 28 novembre 2002. Le premier texte ne retient pas la clause dérogatoire humanitaire mais laisse les Etats libres d'en apprécier la pertinence. Le second prévoit également la responsabilité des personnes morales
d. La coopération avec les pays tiers
« Le partenariat avec les pays tiers, non seulement dans les domaines de l'asile et de l'immigration mais également dans ceux de la coopération au développement, la coopération économique, la politique commerciale et la politique des droits de l'Homme, est indispensable au succès de la politique de migration ». [17] L'implication des pays tiers d'origine ou de transit constitue en effet depuis des années l'un des volets majeurs de la prévention des flux migratoires. Le règlement adopté le 10 mars 2004 vise à soutenir les pays tiers dans leurs efforts de contrôle des migrations par l'adoption d'un programme d'aide financière et technique d'un montant de 250 millions d'Euro pour la période 2004-2008. Les pays qui auraient par ailleurs conclu un accord de réadmission avec l'Union, bénéficient de dispositions particulièrement favorables.
Dans le même esprit, la conclusion d'accords de réadmission, par les pays d'origine, de leurs ressortissants séjournant irrégulièrement sur le territoire de l'Union ou l'insertion de clauses de réadmission dans des accords d'association est partie intégrante de la politique de coopération. L'Accord de Cotonou, signé en 2000 entre les 70 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP) et l'Union européenne, impose par exemple aux Etats signataires la réadmission de leurs nationaux et envisage la réadmission des étrangers qui auraient transité par ces pays avant leur interpellation en France. En 2003, l'Union européenne a conclu quatre premiers accords de réadmission avec Hong-Kong, Macao, le Sri Lanka et l'Albanie et de nombreux autres sont en préparation avec notamment le Maroc, la Russie, la Chine, la Turquie, l'Ukraine, le Pakistan, l'Algérie etc.
Concernant les retours, deux directives relatives aux conditions d'éloignement des étrangers en situation irrégulière ont été adoptées ; l'une sur la reconnaissance mutuelle des décisions d'éloignement (28 mai 2001), l'autre sur l'assistance au transit dans le cadre de mesures de reconduites par voie aérienne (15 novembre 2003). En outre, une Décision du Conseil portant sur l'organisation conjointe de vols communs a été adoptée le 29 avril 2004, assortie d'un manuel prévoyant notamment les modalités d'un possible recours à la force. Une directive fixant des normes minimales communes en matière de retours est également à l'étude. Le Conseil européen de La Haye qui juge le développement d'une politique communautaire de retour « prioritaire », préconise la mise en place d'une « politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, dans le respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes » et recommande une coopération plus étroite à l'échelle de l'Union, le lancement d'un Fonds européen pour le retour et la désignation rapide par la Commission d'un Représentant spécial pour une politique de réadmission.
V. « L'externalisation » de l'asile
Parallèlement à la mise en œuvre du programme de Tampere, la dimension extérieure de l'asile et de l'immigration a occupé une large place dans les discussions actuelles sur le contrôle des flux migratoires. S'appuyant sur les propositions de certains pays européens, les communications de la Commission européenne de janvier 2003 et de juin 2004 [18] et les positions du HCR sur cette question [19], l'Union s'est emparée de la « délocalisation » du traitement des demandes d'asile hors des frontières de l'Union et débat depuis plusieurs mois de la question des « camps » (parfois nommés « centres d'accueil » ou de « transit ») qui seraient établis dans des pays tiers pour permettre un premier « tri » en amont des demandes d'asile. Les Pays Baltes et l'Autriche suggèrent d'ouvrir des camps en Ukraine pour « filtrer » les demandeurs d'asile venant de Russie, sans consultation préalable des autorités ukrainienne ; l'Italie, après avoir obtenu la levée de l'embargo européen qui frappait la Libye depuis l'attentat de Lockerbie en 1988, vient de conclure le 26 septembre dernier avec le colonel Khadafi un accord sans précédent d'aide à la lutte contre l'immigration clandestine, assorti de la livraison de matériels militaire et de soutien logistique.
Le programme de La Haye n'envisage plus explicitement la création des ces « camps ». La première proposition déposée par Tony Blair en mars 2003 avait été écartée au Conseil européen de Thessalonique en juin 2003 sous la pression notamment de la France [20] et de la Suède au nom d'arguments juridiques et moraux, avant que le ministre italien des affaires européennes Rocco Buttiglione et le ministre allemand de l'intérieur Otto Schily ne reprennent l'idée à leur compte en août 2004, au lendemain d'arrivées importantes de naufragés africains sur les côtes italiennes. Le projet n'est cependant pas abandonné, le Programme de La Haye proposant qu'une étude soit menée, en étroite consultation avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés, pour évaluer « le bien-fondé, l'opportunité et la faisabilité d'un traitement commun des demandes d'asile, en dehors du territoire de l'Union européenne ».
Les inquiétudes légitimes des Etats en matière de d'immigration clandestine avec les drames humains qu'elle entraîne (on estime à 2000 personnes par an le nombre d'immigrants qui périssent en Méditerranée), ne sauraient justifier une politique de prévention et de dissuasion qui contrevient à toutes les obligations internationales souscrites par les Etats européens en matière d'asile et dont l'efficacité est loin d'être démontrée. En outre, ces « camps de transit » ou « portails d'immigration » feraient peser une charge supplémentaire sur des pays qui accueillent déjà un nombre bien plus important de demandeurs d'asile et de réfugiés que l'Europe, alors même que leur situation juridique et économique est sans commune mesure avec celle des pays de l'Union et que la politique et la pratique de leurs dirigeants en matière de respect des droits fondamentaux peuvent être pour le moins sujettes à caution.
Conclusions
Le Programme de La Haye marque également la fin de la période de négociations à 15 et le début d'un nouveau cadre institutionnel dans une Union élargie à 25 Etats membres, avec toutes les inconnues qu'implique ces nouvelles règles de fonctionnement. La nomination d'une nouvelle commission, l'issue du processus de ratification de la Constitution européenne et les priorités des présidences successives sont autant de paramètres qu'il conviendra d'analyser attentivement dans quelques mois à l'aune des objectifs fixés.
Comme nous venons de le voir, certaines des dispositions adoptées et des propositions actuellement débattues au sein de l'Union sont préoccupantes. Souhaitons pour les années à venir que l'Union revienne aux valeurs réaffirmées dans le préambule de sa Constitution qui mettent au premier plan les « droits inviolables et inaliénables » de la personne humaine et espérons, à l'instar de Michel Combarnous, que « les évolutions en cours du droit d'asile […] au niveau européen, sauvegardent sa spécificité : traduire en droit positif, avec les limites mais aussi la rigueur que cela comporte, le devoir de protection que se reconnaissent nos sociétés à l'égard des victimes de persécutions » [21].
* Les vues exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles du HCR
[1] Les vues exprimées dans cet article ne reflètent pas nécessairement celles du HCR
[2] Communication de Robert Del Picchia, 8 octobre 2003.
[3] Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et son Protocole additionnel signé à New York le 31 janvier 1967 qui lève les réserves géographiques et temporelles de la Convention de Genève, celle-ci n'étant initialement applicable qu'aux victimes d'évènements survenus « en Europe » et « avant le 1er janvier 1951 ».
[4] Michel Combarnous, Président de section honoraire au Conseil d'Etat : « Etude en l'honneur de Timsit G. : Observations sur le droit d'asile en France », Editions Bruylant ( à paraître).
[5] Source HCR
[6] L'article 73 j et k du Traité d'Amsterdam ( Article 67, § 2 du Traité consolidé) prévoyait le passage à la majorité qualifiée et à la procédure de co-décision à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de son entrée en vigueur le 1er mai 1999, sous réserve que les Etats en décident ainsi à l'unanimité.
[7] Dans le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, signé le 29 octobre 2004 à Rome, les « Politiques relatives aux contrôle aux frontières, à l'asile et à l'immigration » sont visées aux Articles III. 265 à 268.
[8] Pour plus de détails sur le bilan du programme de Tampere, voir notamment : « Lourdes menaces sur le droit d'asile en Europe : un bilan de quatre ans de rapprochement des politiques d'asile », Coordination Française du Droit d'Asile (CFDA) février 2004 ; « Communication de la Commission européenne sur un espace de liberté, de sécurité et de justice : bilan du programme de Tampere et orientations futures », 2 juin 2004 ; « Le rapprochement des politiques d'asile au sein de l'Union européenne », Amnesty international, Juin 2004 ; « l'harmonisation européenne du droit d'asile - une vue critique », Annabelle Roig, HCR in : Revue du Marché commun et de l'UE, n° 482 oct/nov 2004
[9] Signée le 15 juin 1990, entrée en vigueur le 1er septembre 1997, la Convention de Dublin « relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres de la Communauté » avait été intégrée à l'Acquis communautaire par le Traité d'Amsterdam.
[10] Selon le premier rapport de la Commission européenne de mai 2004 sur sa première année de fonctionnement, EURODAC a enregistré 246 000 demandes d'asile dont 7% de demandes multiples pour la période du 15 janvier 2003 au 15 janvier 2004.
[11] Communiqué de presse du HCR du 30 avril 2004
[12] Communiqué de l'Agence Europe du 12 novembre 2004. Les dix pays « sûrs » soumis approbation des 25 étaient le Bénin, le Botswana, le Cap Vert, le Ghana, le Sénégal, le Mali, l'Ile Maurice, le Costa Rica, le Chili et l'Uruguay.
[13] En 1992, l'Algérie était considérée comme pays sûr par les autorités suisses jusqu'à l'interruption du processus électoral ; de même la Yougoslavie figurait-elle sur la liste des pays sûrs en Belgique à la veille du déclenchement des hostilités.
[14] C'est notamment le cas de la Suède, de l'Allemagne, des Pays-Bas et de la Pologne où les taux de reconnaissance de besoin de protection en appel dépassent les 30% en 2000, 2001 et 2002 (source HCR). En France, le taux d'annulation par la Commission des recours des réfugiés des décisions prises en première instance par l'OFPRA était de 11,45% pour l'année 2003.
[15] Directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 (JOCE du 30.09.04) « établissant des normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou de personne qui, pour d'autres raisons, a besoin d'une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts ». Elle doit être transposée en droit interne au plus tard le 10 octobre 2006.
[16] « Conclusions du Conseil Affaires générales et relations extérieures », Bruxelles, 2 novembre 2004.
[17] Communiqué de presse du Compte-rendu de la réunion informelle du Conseil JAI du 3 octobre 2004
[18] « Communication sur le gestion de l'entrée gérée dans l'UE des personnes ayant besoin d'une protection internationale et sur le renforcement des capacités de protection des régions d'origine », 4 juin 2004 (COM(2004) 410 final)
[19] UNHCR Working Paper : « a revised « EU Prong Proposal », 22 décembre 2003, version révisée de la première proposition de juin 2003 et de l'Initiative « Convention Plus » lancée par le HCR en 2003
[20] Dans sa réponse du 11 juillet 2003 à Amnesty international, le président Chirac écrivait : « Une telle procédure est étrangère aux traditions françaises en matière de droit d'asile », position confirmée par Michel Barnier dans sa lettre du 8 novembre 2004 adressé à l'Organisation : « Les autorités françaises demeurent opposées à ces projets qui ne constituent par, pour l'heure, une réponse durable et adéquate aux questions migratoires ».
[21] id. note 3
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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