Brexit means...? Ou l'urgence de définir le Brexit avant de faire le Brexit

Élections en Europe

Jérôme Gazzano,  

Andi Mustafaj

-

20 novembre 2017
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Brexit means...? Ou l'urgence de définir le Brexit avant de faire le Brexit

PDF | 187 koEn français

À la fin du cinquième round de négociation sur les conditions du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le Conseil estime que les progrès réalisés ne sont pas suffisants pour passer aux deux étapes suivantes du Brexit - la négociation de l'accord transitoire et la définition de la future relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Le respect de ce séquencement des discussions est crucial pour l'équipe européenne de négociateurs, qui souhaite sécuriser les trois points majeurs de la séparation (le statut des ressortissants, la frontière entre les deux Irlande et le règlement financier) avant d'évoquer l'avenir. Ce calendrier et cette méthode ont été acceptés par le Royaume-Uni.

Depuis l'été, la communication officielle britannique met en évidence la bonne avancée des négociations, notamment sur le statut des ressortissants et la frontière entre les deux Irlande. La presse anglaise dénonce parfois les blocages européens, qui viendraient tantôt de l'équipe de négociation menée par Michel Barnier, tantôt de certains États membres - la France et l'Allemagne en particulier. Dans le même temps, Theresa May a souhaité afficher sa bonne volonté vis-à-vis des Européens lors de son discours de Florence, le 22 septembre dernier. Elle a notamment accepté le principe d'une période transitoire, qui éviterait un effet de rupture trop grand au moment du retrait, en mars 2019.

Si le Royaume-Uni applique aujourd'hui une tactique de négociation, il peine à déployer une stratégie globale sur le Brexit :

les compromis de Theresa May à Florence et la volonté de négocier rapidement les trois points de la séparation traduisent la volonté britannique de passer le plus rapidement possible à la négociation de la phase transitoire et de la relation finale entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ;

pour autant, la position du gouvernement britannique sur la suite des négociations ne semble pas encore clairement établie.

En l'absence d'une définition claire du Brexit voulu par le Royaume-Uni (la tautologie " Brexit means Brexit " ne dit pas beaucoup sur la signification du Brexit), rien ne sert d'accélérer les négociations.

1. Dans la recherche d'un Brexit à la fois symbolique et bénéfique pour le Royaume-Uni, les négociateurs britanniques poussent à l'accélération des négociations

Le calendrier des négociations du Brexit se divise en trois étapes :

un premier temps dédié à la discussion sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, conduisant à transformer le Royaume-Uni en État tiers ;

une étape intermédiaire relative à un accord transitoire ;

un deuxième temps de construction des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, dont notamment un accord sur les relations commerciales.

1.1 À l'issue du cinquième round, la première phase de négociation n'est toujours pas suffisamment aboutie pour justifier de passer aux étapes suivantes

Les phases de négociation sur la période transitoire et sur la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne pourront débuter lorsque le Conseil estimera que des progrès substantiels auront été atteints dans la première phase de négociation. En conclusion des débats des 19 et 20 octobre, le Conseil européen " demande que les travaux continuent afin de consolider la convergence atteinte et de poursuivre les négociations pour pouvoir passer à la deuxième étape des négociations dès que possible ".

En ce qui concerne la question de la frontière irlandaise, les négociateurs européens comme britanniques se satisfont de l'avancée des négociations jusque-là, considérant qu'il ne s'agira pas d'un point bloquant.

Les négociations sur les droits des citoyens progressent également. Les objectifs recherchés par le Royaume-Uni et l'Union européenne sont doubles : un effet direct de l'accord de retrait et une interprétation cohérente entre les deux parties. Après le cinquième round, Michel Barnier a mis trois points en évidence :

la nécessité de continuer à travailler sur des instruments et mécanismes précis permettant d'assurer les droits des citoyens, ceux-ci devant selon lui impliquer la Cour de justice de l'Union européenne comme juridiction compétente pour interpréter les droits des ressortissants européens[1];

des divergences persistent sur la possibilité du regroupement familial et sur l'exportation des prestations sociales après le Brexit ;

l'intention du Royaume-Uni de mettre en place une procédure simplifiée permettant aux ressortissants européens de faire valoir leurs droits a été favorablement accueillie par les négociateurs européens.

En revanche, la question du règlement financier apparaît aujourd'hui plus complexe. Par une phrase de son discours de Florence, Theresa May s'est engagée à un règlement financier : " the UK will honour commitments we have made during the period of our membership ". Cet engagement correspond à environ 20 Md€, c'est-à-dire la contribution britannique telle que prévue jusqu'en 2021. Cette méthode de calcul ne correspond pas à la position européenne. Le règlement financier devra par ailleurs être augmenté du coût de l'accès éventuel au marché unique et à l'union douanière dans le cadre d'une période transitoire.

Au cours du cinquième round de négociation, aucune négociation n'a eu lieu sur le règlement financier, les équipes de négociateurs s'étant contentées de discussions techniques sur les méthodes de calcul de l'engagement financier. Il est demandé, du côté européen, une définition claire de ce qui devra être sur la liste des engagements britanniques.

1.2 Les négociateurs britanniques ont tout à perdre dans la première phase de négociation et tout à gagner dans la deuxième

Le strict respect du calendrier de négociation est essentiel pour les négociateurs européens. Il est en revanche un élément de complexité politique pour le gouvernement britannique. Selon qu'on se situe dans le premier ou le deuxième temps, le rapport de force est en effet inversé.

Dans la première phase de négociation, tout concourt à mettre en évidence les coûts pour le Royaume-Uni de la sortie de l'Union. L'existence même d'une facture à payer à l'Union européenne constitue un symbole fort, quel qu'en soit son montant. Le vide juridique inédit créé par le Brexit menace les droits des personnes. Enfin, la transformation d'État membre en État tiers fait émerger des complexités en Irlande qui semblaient avoir disparu. La négociation des termes du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne ressemble, sur de nombreux points, assez peu à une négociation, tant le rapport de force semble être aujourd'hui en faveur de l'Union européenne. Il s'agit surtout de limiter les dégâts immédiats causés par la transformation du Royaume-Uni en État tiers[2].

À l'inverse, le Royaume-Uni a tout intérêt à commencer au plus tôt la deuxième phase des négociations, qui permettra des échanges plus équilibrés entre les deux équipes de négociateurs.

Au-delà des symboles, Theresa May recherche un Brexit bénéfique économiquement pour le Royaume-Uni, ou du moins aussi indolore que possible. Un accord commercial - quel qu'il soit - sera plus avantageux que l'absence d'accord commercial. Le deuxième temps des négociations sera plus favorable aux négociateurs britanniques, en ce qu'il portera sur un sujet plus directement bénéfique au Royaume-Uni. Ce moment des négociations offrira à l'équipe de négociation britannique la possibilité de montrer que les échanges économiques peuvent être facilités avec l'Union européenne, même après être devenu un État tiers[3].

Quand ces sujets seront sur la table des négociations, les intérêts britanniques et européens iront globalement dans le sens d'une intégration large des deux marchés et d'une facilitation des échanges. Cette deuxième période de négociations comportera toutefois des risques importants pour les Européens. D'une part, il s'agira de ne pas offrir une relation particulière favorable au Royaume-Uni, qui pourrait inciter un autre État membre à suivre l'exemple du Brexit. D'autre part, l'Union européenne devra défendre certains intérêts stratégiques, comme la bonne régulation des activités bancaires.

1.3 La définition rapide d'une période de transition semble indispensable à la viabilité du Brexit pour le Royaume-Uni

Une fois lancée, la période de négociation sur la future relation prendra nécessairement beaucoup de temps. Une phase de transition sera donc indispensable[4]. Si le principe d'une période de transition a été accepté par Theresa May lors de son discours de Florence, la définition du contour et de la temporalité de cette période n'a fait l'objet d'aucune négociation officielle entre le Royaume-Uni et l'Union européenne jusqu'à aujourd'hui.

Le temps passant, la valeur de la période de transition s'amenuise. Plusieurs banques (par exemple UBS et la Royal Bank of Scotland) ont déjà fait savoir qu'elles attendaient une vision claire - voire un accord finalisé - sur la période de transition avant le mois de mars 2018. Elles considèrent en effet avoir besoin d'une année pour déplacer leurs activités dans l'Union européenne. Tout retard dans les négociations et toute incertitude sur la direction prise par le Brexit augmente le danger pour le Royaume-Uni de l'activation des plans d'atténuation des risques par les entreprises présentes sur son territoire.

Il est dès lors indispensable pour le Royaume-Uni de définir au plus vite les termes et le calendrier de la période de transition, afin d'éviter d'atteindre des niveaux d'incertitude juridique insoutenables pour les entreprises.

2. C'est avant tout l'incertitude sur les objectifs poursuivis par le Royaume-Uni qui ralentit les négociations et les retardera par la suite

Le Brexit, tel qu'il est mené aujourd'hui, est une mise en application du résultat du référendum du 23 juin 2016. Il est une difficile conciliation entre la volonté de rendre la sortie du Royaume-Uni viable et une obligation ressentie par les responsables politiques britanniques de répondre aux demandes populistes qu'ils ont interprétées à partir du référendum. Ce paradoxe inhérent à la conduite du Brexit par le Royaume-Uni est d'ores et déjà exacerbé dans les débats au sein du gouvernement britanniques sur l'accord transitoire. Il le sera encore davantage lorsqu'il s'agira de défendre devant l'Union européenne un modèle de coopération et de relations commerciales.

2.1 Le gouvernement britannique souhaite négocier le plus vite possible l'accord de transition, sans même avoir une vision partagée sur le sujet

Philip Hammond, Chancelier de l'Échiquier, a indiqué dès le 19 juin dernier que le Royaume-Uni aurait besoin d'un accord transitoire à l'issu de la phase de retrait, afin de transformer la " falaise " en " pente ", permettant de passer sans heurt de la première rupture (la transformation en État tiers) à la seconde rupture (la définition finale des relations anglo-européennes). Pour justifier cette proposition, les partisans d'une période de transition se concentrent sur des arguments économiques. La proposition de Philip Hammond était pragmatique. Très largement critiquée, elle a finalement été retenue par Theresa May et officialisée comme position britannique au cours du discours de Florence. Cette idée va néanmoins contre la volonté d'appliquer pleinement et le plus rapidement possible le mandat populiste qui a été interprété par la majorité de la classe politique britannique - Theresa May la première - à partir du référendum du 23 juin 2016. Elle rend le divorce moins net. Toute période transitoire implique en effet la prolongation du cadre réglementaire, juridictionnel et de supervision qui est actuellement en vigueur au sein de l'Union. La juridiction de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en fait notamment partie ; à ce sujet, Theresa May a accepté la soumission du Royaume-Uni aux décisions de la CJUE et aux nouvelles normes européennes pendant la période de transition.

Un accord transitoire doit permettre d'éviter les effets de rupture entre la sortie de l'Union et la définition de la relation future entre le Royaume-Uni et le continent. Pour s'assurer d'une continuité suffisante, le Royaume-Uni devra définir à l'avance les champs de politiques publiques pour lesquels il pourrait être utile de maintenir un lien avec l'Union. Une fois ce travail fait, le périmètre de l'accord transitoire pourra être négocié. Ce travail ne peut se concentrer uniquement sur des questions économiques et commerciales. Les coopérations sur des sujets de sécurité intérieure ou de recherche sont des exemples de domaines pour lesquels l'Union et le Royaume-Uni continueront, selon toute vraisemblance, à vouloir travailler de concert. Mettre ces coopérations en pause pendant quelques années, avant de les recréer, ne serait bénéfique à personne.

Ainsi, l'accord transitoire déterminera en partie l'accord final. Si l'accord transitoire n'est que douanier, l'accord final devra recréer des liens qui auront été rompus le temps des négociations. Une politique publique exclue de l'accord transitoire sera difficile à inclure dans l'accord final. Or, le point d'arrivée du Brexit n'est pas parfaitement clair en ce qui concerne la participation du Royaume-Uni à certaines politiques et agences européennes.

2.2 Le Royaume-Uni n'a pas arrêté d'objectif de long terme sur sa relation souhaitée avec l'Union européenne

Le point de départ des négociations sur le Brexit est connu. Le Royaume-Uni est aujourd'hui un État membre de l'Union européenne, engagé dans une procédure visant à le transformer en État tiers. Le point d'arrivée peut être imaginé dans des termes généraux, en partant des différentes déclarations de Theresa May depuis son discours du 17 janvier 2017 et des livres blancs publiés par le gouvernement britannique. Il semble jusque-là clair que le Brexit voulu par les Britanniques consiste en une sortie du marché intérieur et des quatre libertés qu'il implique. À la toute fin du processus de sortie, lorsque les relations qui prévalent entre le Royaume-Uni et le continent auront été définitivement remplacées par un cadre nouveau, le Royaume-Uni ne bénéficiera plus de la libre circulation des marchandises, des capitaux, des personnes et des services. Le Brexit signifierait également une sortie de l'union douanière. Pour remplacer ce cadre, il est difficile d'imaginer un point d'arrivée autre qu'un large accord de libre-échange, même si cet accord ne pourra permettre une fluidité des échanges commerciaux égale à celle existant au sein du marché intérieur.

Dans son discours de Florence, Theresa May a réaffirmé que le modèle recherché pour les futures relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne ne ressemblerait ni au modèle canadien, ni au modèle norvégien, considérant le premier trop peu ambitieux et le second trop peu protecteur de la souveraineté nationale. Toutefois, comme Michel Barnier l'a affirmé, il ne sera pas possible de rechercher une relation permettant à la fois la liberté garantie au Canada et les avantages économiques dont bénéficie la Norvège.

Le gouvernement britannique apparaît profondément divisé sur l'état final de la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, les prises de position des ministres allant parfois dans le sens d'une relation spéciale et privilégiée avec l'Union européenne et parfois dans le sens d'une relation spéciale et privilégiée avec le reste du monde.

En outre, la définition de la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union européenne pourrait prendre la forme d'un accord de libre-échange. En effet, un accord d'association (sur la base de l'article 217 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne - TFUE) dont la portée serait plus large : politique de l'environnement, politique étrangère, politique de défense, coopération judiciaire et policière, etc. semble exclu. C'est le modèle " norvégien " dont le gouvernement britannique ne veut pas en raison de la non-participation à la prise de décision et de la liberté de circulation des personnes.

L'option de l'espace économique européen (EEE) n'est pas politiquement réaliste pour les Britanniques, même pour une période intérimaire de deux ou trois ans. La seule possibilité est un accord de libre-échange avec l'Union européenne, sur le modèle de celui signé avec le Canada (CETA).

Dans ce dernier cas, et dans une perspective caractérisée par un "optimisme modéré", l'accord sur l'article 50 serait ratifié à temps avant la date officielle de sortie de l'Union, (Brexit) le 30 mars2019. L'objectif serait de conclure, si possible avant la fin de la période de transition, un accord de libre-échange sans rien de substantiel sur les services financiers, mais avec une large liberté pour les produits et les marchandises à la condition que le Royaume-Uni continue de respecter les standards et normes de l'Union,

Il pourrait être permis au Royaume-Uni, dans les mêmes conditions, de continuer à participer aux programmes européens, notamment de recherche.et certainement assorti de toute une série d'accords sur la sécurité extérieure et la sécurité intérieure (avec des limites institutionnelles inévitables dans les deux cas) et sur la participation aux Programmes européens, et à certaines Agences européennes, le Royaume-Uni acceptant la juridiction de la Cour (CJUE) si nécessaire et la contribution correspondante au budget européen[5].

À Florence, Theresa May a reconnu que le Royaume-Uni chercherait à maintenir sa participation dans plusieurs politiques de l'Union, en ce qui concerne la sécurité, la science, l'éducation et la culture. Le parti travailliste listait dans son programme pour les élections générales du 8 juin dernier plusieurs domaines de coopération qu'il entendait conserver avec l'Union européennes, dont notamment l'Euratom, Eurojust, Europol, le mandat d'arrêt européen, Erasmus ou encore l'Agence européenne des médicaments.

2.3 La désunion du gouvernement britannique empêche la définition d'une stratégie de négociation

Depuis l'été, des efforts ont été faits pour renforcer la crédibilité de la position britannique. À partir du mois d'août, de nombreux papiers ont été publiés par l'administration britannique, visant à démontrer le sérieux et la préparation des négociations par le Royaume-Uni. Par son discours de Florence, le 22 septembre dernier, Theresa May a cherché à créer une dynamique positive autour des négociations, en affichant plusieurs concessions. Certaines de ces concessions étaient symboliques, comme par exemple l'acceptation d'une période de transition avec une soumission du Royaume-Uni aux décisions de la CJUE et aux normes européennes nouvelles, ou encore la proposition de faire appliquer les interprétations de la CJUE par les tribunaux britanniques concernant le droit des ressortissants européens.

Pour autant, et malgré l'impression de Theresa May de faire des concessions majeures à Florence, la position européenne demeure aussi constante et intransigeante sur de nombreux points. Le 12 septembre dernier, Michel Barnier affirmait même qu'il n'y avait pas de place pour des concessions dans les discussions avec le Royaume-Uni[6].

Ces échecs répétés dans les négociations affaiblissent davantage Theresa May, déjà très isolée depuis les élections anticipées du 8 juin 2017. Au sein du gouvernement, son leadership est faible, les oppositions sont visibles et les critiques sont ouvertes entre partisans d'un Brexit symbolique et fort et les défenseurs d'un Brexit moins soudain et qui garantirait mieux les intérêts économiques du Royaume-Uni. Pour autant, aucune figure du parti conservateur n'a encore osé remettre en cause la légitimité de Theresa May, considérant sûrement que le risque politique lié à la conduite du Brexit était trop grand.

Plusieurs tentatives de reprise en main des négociations par les britanniques ont échoué. La tactique visant à désunir les États membre s'est par exemple avérée inefficace jusqu'à maintenant. De la même façon, la tentative de chantage à la coopération sur la sécurité n'a pas été tenue longtemps par Theresa May. La volonté de lier la question du règlement financier à la future négociation commerciale n'a pas non plus permis de détourner la difficulté de la première phase de négociation. Enfin, l'appel régulier de Theresa May à l'élévation du niveau des négociations aux chefs d'États et de gouvernements - qui permettrait d'affaiblir Michel Barnier et de mettre en évidence des divergences entre États membres - est restée jusque-là sans effet, la légitimité de l'équipe de négociation de la Commission ayant été systématiquement défendue[7].

Il en va de même de la menace de la possible absence d'accord final avant le mois de mars 2019, qui commence à faire l'objet d'études par l'administration britannique. L'étude récente relative aux questions douanières[8] analyse explicitement les conséquences d'une sortie de l'Union sans accord et fait des propositions détaillées et opérationnelles de limitation du risque de rupture pour le commerce extérieur britannique. Toutefois, la tactique consistant à menacer les Européens de l'absence d'un accord final ne fera pas progresser les négociations ; elle n'est pas crédible, tant elle serait défavorable aux deux parties.

Ces tactiques peuvent être jugées à l'aune de la faiblesse de Theresa May, de la désunion de son gouvernement et de la difficulté de l'administration britannique à comprendre la position qu'elle doit défendre. Elles mettent l'accent sur le risque d'une situation où le Royaume-Uni ne pourrait ni avancer ni reculer, malgré l'impératif de prendre des décisions et de faire certains choix.

* * *

Au cours de son discours de Florence, Theresa May a reconnu que les négociations sur le Brexit n'avaient pas été voulues par les Européens, et qu'il revenait aux leaders de les mener efficacement à leur terme : " I recognise that this is not something that you — our European partners — wanted to do. It is a distraction from what you want to get on with. But we have to get this right. And we both want to get this done as swiftly as possible. So it is up to leaders to set the tone. " Cette dernière phrase concerne les chefs d'États et de gouvernement européens, qui devront mener à bien un travail difficile de définition de la position européenne sur la relation future entre le Royaume-Uni et l'Union. Elle semble néanmoins devoir s'appliquer en premier lieu au gouvernement britannique.


[1] Sur ce point, Theresa May a proposé lors de son discours de Florence que les tribunaux britanniques prennent en compte les jugements rendus par la Cour de justice de l'Union européenne.
[2] Cf. la note du Brexlab en date du 2 mai 2017, "Le désenchantement du Brexit".
[3] Le 20 octobre, Pascal Lamy déclarait au Financial Times: " The fundamental difference between the UK vision of what this is about and the Franco-German view is that the British still think this is a negotiation. It is not a negotiation; it is process to be managed to minimize harm. They still seem to believe they can buy something with the money they have to pay. "
[4] Cf. Jean-Claude Piris, " Brexit means Brexit mais une période de transition serait raisonnable ", Rapport Schuman sur l'Europe. L'état de l'Union 2017, Lignes de repères, 2017, p. 41-50.
[5] Voir Jean-Claude Piris, http://ukandeu.ac.uk/the-future-shape-of-uk-eu-relations
[6] Nous ne demandons pas aux Britanniques de faire des "concessions". L'accord auquel nous travaillons ne se construira pas sur des "concessions". Il ne s'agit pas de faire des "concessions" sur les droits des citoyens. Il ne s'agit pas de faire des "concessions" sur le processus de paix en Irlande. Et Il ne s'agit pour le règlement financier, non plus de faire des "concessions" sur les milliers de projets d'investissement et toutes les femmes et les hommes qui sont derrière ces projets dans toute l'Europe. "
[7] Concernant par exemple le statut des ressortissants européens au Royaume-Uni, l'offre unilatérale faite par Theresa May au cours du Conseil européen du jeudi 22 juin 2017 n'a pas reçu une réponse favorable. D'une part, les chefs d'États et de gouvernements ont clairement signifié leur respect du mandat accordé à la Commission pour mener les négociations, en évitant de réagir publiquement à la position exposée par Theresa May au cours du conseil.
[8]  Customs White Paper " en date du 9 octobre 2017.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

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