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Vers quelle réforme du régime d'asile européen commun s'oriente-t-on ?

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Corinne Balleix

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11 juillet 2016
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Corinne Balleix

Chargée de la politique européenne d'immigration et d'asile au ministère des Affaires étrangères, elle est l'auteur de La politique migratoire de l'Union européenne, Paris, La Documentation française, 2013.

Vers quelle réforme du régime d'asile européen commun s'oriente-t-on ?

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Résumé [1] :

La crise migratoire que traverse l'Union européenne a révélé de graves faiblesses du régime d'asile européen commun (RAEC), qui vise à désigner l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile[2], à fixer des règles communes de procédures[3] et d'accueil[4] des demandeurs d'asile, et à distinguer parmi eux les personnes ayant vraiment besoin d'une protection internationale des migrants économiques[5]. Pour répondre à ce défi, après des mesures d'urgence, la Commission européenne a déjà présenté - et présentera dans les jours à venir - des propositions d'une réforme structurelle de ce régime, visant à le rendre " plus humain " et plus efficace[6]. Le rendre " plus humain " nécessite notamment des mesures pour éviter des drames liés aux migrations irrégulières ; le renforcement de l'efficacité passe par la recherche d'une meilleure répartition des demandeurs d'asile entre Etats membres et par des mesures permettant d'identifier plus rapidement et plus sûrement les personnes en besoin de protection internationale. Cependant, dans une période de crise économique et politique de l'Union, où les solidarités entre Etats membres apparaissent incertaines, la dimension extérieure de la politique européenne d'asile gagne en importance et l'ensemble du régime d'asile européen commun apparaît fragilisé.

I. Eviter des drames humains liés à la migration irrégulière

La succession des naufrages en mer Méditerranée[7] a conduit, après deux drames survenus en avril 2015 dans lesquels près de 1 200 personnes ont perdu la vie, à un triplement des moyens dédiés aux opérations de FRONTEX (Triton et Poséidon) en Méditerranée centrale et orientale. Ces opérations ont permis de sauver 250 000 vies humaines en 2015[8]. Cependant, il s'agit d'actions d'urgence sans impact sur les causes de la crise, et qui peuvent aussi être interprétées par les passeurs comme un encouragement à mettre des bateaux à l'eau, ces derniers comptant être secourus. Ces mesures n'ont en tout cas pu empêcher 3 771 décès en mer Méditerranée en 2015.

Plus structurellement a été posée la question de l'ouverture de voies légales d'accès à l'Union européenne pour les personnes en quête de protection[9]. Les Etats membres et associés ont adopté en juillet 2015 une recommandation visant à réinstaller sur une période de deux ans, à partir de pays tiers (Liban, Jordanie, Turquie, notamment) 22 000 personnes en besoin manifeste de protection[10]. En outre, le 15 décembre 2015, la Commission européenne a proposé un dispositif volontaire d'admission humanitaire (visas humanitaires) à partir de la Turquie, qui pourrait concerner jusqu'à 80 000 personnes par an[11]. De plus, dans le cadre de la déclaration conjointe UE-Turquie du 18 mars 2016, l'Union européenne et la Turquie se sont notamment engagées dans un mécanisme visant à substituer aux entrées irrégulières des voies légales d'accès à l'Union européenne qui pourraient concerner jusqu'à 72 000 réfugiés syriens enregistrés en Turquie. En avril et mai 2016, ce dispositif a permis de réduire à 10 et 0 le nombre de décès en mer Méditerranée orientale, contre 275 décès en janvier, 46 en février, et 45 en mars[12]. Plus globalement, la Commission a annoncé qu'elle présenterait en 2016 un mécanisme permanent de réinstallation.

Cependant, dans le domaine de la réinstallation, l'Union européenne ne dispose pas de compétence, les programmes de réinstallation relevant d'accords entre les Etats membres et le HCR. En outre, les réinstallations prévues dans le cadre de l'accord UE-Turquie du 18 mars sont la contrepartie du renvoi de Grèce vers la Turquie des migrants en situation irrégulière dans des conditions qui font débat[13]. La taille des programmes de réinstallation envisagés apparaît également limitée, si, dans le contexte de conflits dans le voisinage sud de l'Union, le nombre des demandeurs d'asile devait rester entre 600 000 et 1 million par an. Les précautions des Etats membres à l'égard de ces voies légales d'accès à l'Union européenne s'expliquent par leur volonté de conserver une maîtrise des arrivées qui soit soutenable pour leurs systèmes d'asile déjà saturés par les flux spontanés.

Au-delà de la préservation de vies humaines, le deuxième grand chantier est d'améliorer le fonctionnement interne du régime d'asile européen commun.

II. Renforcer l'efficacité du régime d'asile européen commun

Deux défis sont à relever dans ce domaine : face à l'afflux de migrants et demandeurs d'asile, celui de la répartition des demandeurs d'asile entre Etats membres, et celui d'une identification rapide et efficace des personnes ayant vraiment besoin d'une protection internationale.

1. Améliorer la répartition des demandeurs d'asile entre Etats membres

1.1. Le principe de responsabilité de l'Etat de première entrée, inscrit dans le règlement Dublin, a été fortement malmené en 2015.

L'Italie et la Grèce ont en effet vu entrer chez elles respectivement 154 000 et 885 000[14] migrants irréguliers. Estimant qu'ils n'avaient pas la capacité d'enregistrer et d'accueillir tous ces migrants, et que la solidarité européenne imposait une meilleure répartition des demandeurs d'asile avec les autres Etats membres, ces deux pays n'ont pas respecté la règle de responsabilité de l'Etat membre de première entrée, n'enregistrant que 83 000 et 11 000 nouvelles demandes d'asile[15]. Les principaux pays de destination finale - Allemagne (441 000 demandes d'asile enregistrées en 2015), Suède (160 000), Autriche (85 000)- demandent l'introduction de règles plus solidaires de répartition des demandeurs d'asile. D'autres Etats membres moins affectés par la crise migratoire - Pologne (10 000 demandes d'asile en 2015), République tchèque (1 200), Slovaquie (270)- sont en revanche restés attachés au principe de responsabilité de l'Etat de première entrée censé garantir l'implication de ce pays dans le contrôle des frontières extérieures communes. En conséquence, ils n'acceptent un mécanisme de relocalisation que sur une base volontaire, et après s'être assuré des efforts du pays de première entrée pour traiter les flux de demandes d'asile.

Ce clivage profond contribue à expliquer le bilan jusque-là médiocre des deux décisions d'urgence[16]adoptées par le Conseil en septembre 2015 et visant à relocaliser sur deux années, à partir de l'Italie et de la Grèce, un total de 160 000 personnes en besoin manifeste de protection (1 500 personnes effectivement relocalisées le 13 mai 2015 après 7 mois de relocalisations[17]) ; il explique également le faible avancement des négociations sur une proposition de la Commission ayant pour objectif de créer un mécanisme permanent de relocalisation de crise entre Etats membres[18].

La proposition de révision du règlement Dublin présentée par la Commission le 4 mai[19] ne remet pas en cause le principe de responsabilité de l'Etat de première entrée, mais présente un mécanisme correcteur se déclenchant automatiquement dans tout Etat membre lorsque le nombre des demandes d'asile excède 150% d'un chiffre de référence. Des contreparties financières (250 000 € par personne) seraient en outre exigées d'un Etat membre cherchant à s'exempter de ce nouveau mécanisme correcteur.

Les débats opposent d'abord ceux qui auraient souhaité une remise en cause radicale du principe de responsabilité du pays de première entrée au profit d'un mécanisme centralisé de répartition des demandeurs d'asile et ceux qui restent attachés au principe de responsabilité du pays de première entrée ; ensuite ceux qui accepteraient des relocalisations à partir d'Etats membres de destination et ceux qui y sont opposés, parce que ce serait acter la fin de la responsabilité des pays d'entrée ; enfin ceux qui défendent et ceux qui contestent le caractère automatique d'un mécanisme correcteur, et son tempo (après des efforts plus ou moins importants exigés des pays de premières entrée). Le champ d'application de cette proposition, qui permettrait des relocalisations de personnes n'apparaissant pas en besoin manifeste de protection, est considéré comme trop large par certains Etats membres, parce qu'il serait coûteux de relocaliser des personnes dont les perspectives d'admission à l'asile seraient incertaines. Inversement, la proposition d'imposer aux Etats de première entrée un examen de la recevabilité de toutes les demandes d'asile, justifiée par le souci de ne relocaliser que des personnes dont la demande d'asile est recevable, est considérée par ces pays comme très lourde et contraire à l'objectif de solidarité. La proposition d'imposer des contreparties financières en cas d'exemption du mécanisme compensatoire est largement rejetée par la plupart des Etats membres. Dès lors, la recherche d'une solidarité accrue entre Etats membres dans la répartition des demandeurs d'asile ne sera pas aisée. Quand bien même elle fonctionnerait, elle pourrait être ruinée par les mouvements secondaires d'un Etat membre à l'autre effectués par des demandeurs d'asile et des personnes protégées.

1.2. Lutter contre les mouvements secondaires

Les mouvements secondaires s'expliquent d'abord par une insuffisante harmonisation des règles liées à l'existence de nombreuses clauses facultatives dans les directives " procédures ", " accueil " et " qualification " : existence ou non de procédure accélérée, de liste nationale de pays d'origine sûrs, conditions d'accueil plus ou moins généreuses, avec accès plus ou moins rapide au marché du travail, etc. En outre, le droit d'asile accordé à une personne résultant toujours d'une décision individuelle et souveraine, la manière dont il est appliqué varie beaucoup d'un Etat membre à l'autre (91% d'admission à l'asile en Bulgarie versus 11% en Lettonie en 2015)[20].

Pour y faire face, la Commission est tout d'abord engagée dans la recherche d'une plus grande harmonisation des systèmes nationaux d'asile. Elle a proposé en septembre dernier d'établir une liste commune de pays d'origine sûrs (POS)[21], où la situation des droits de l'Homme est considérée comme satisfaisante, permettant d'appliquer dans tous les Etats membres une procédure accélérée ou à la frontière aux ressortissants de ces pays. De la même manière, la Commission envisage de transformer la directive " procédures d'asile " en règlement contenant des règles uniformes d'application directe, notamment pour ce qui concerne l'utilisation des concepts de premier pays d'asile et de pays tiers sûr, pays tiers où une personne a ou pourrait obtenir une protection suffisante[22]. L'harmonisation des critères d'admission à l'asile pourrait notamment conduire à conditionner l'accès à un titre d'asile de longue durée à un réexamen du besoin de protection. La Commission propose en outre de transformer le Bureau européen d'appui en matière d'asile en une véritable Agence de l'Union européenne pour l'asile : son mandat serait renforcé pour lui permettre de surveiller que les Etats membres mettent en œuvre de manière harmonisée les règles du Régime commun et, en cas de dysfonctionnements graves, d'intervenir dans un Etat membre.

Enfin, la Commission propose dans sa révision du règlement Dublin de sanctionner les demandeurs d'asile procédant à des mouvements secondaires en leur retirant les avantages matériels liés à l'accueil, en plus de leur appliquer une procédure d'asile accélérée. Les Etats membres auraient parallèlement l'obligation de reprendre un bénéficiaire de protection internationale qui séjournerait irrégulièrement dans un autre Etat membre.

L'idée même de lutter contre les mouvements secondaires et, donc, de ne pas tenir compte des souhaits des demandeurs d'asile et des personnes protégées soulève des débats, tant parmi les ONG soutenant leurs droits que parmi les Etats membres les plus réticents à leur accueil : ces deux groupes se retrouvent pour dénoncer l'impact pour l'intégration des migrants de ces mesures coercitives. Un projet pilote conduit dans le cadre d'un programme de relocalisation à partir de Malte entre 2009 et 2011[23] avait pourtant tenté avec quelque succès, mais à très petite échelle, une expérience de rapprochement ("matching") entre les souhaits des personnes à relocaliser et ceux des Etats membres. Fondamentalement, on peut soutenir qu'à grande échelle la répartition solidaire des demandeurs d'asile entre Etats membres va nécessairement à l'encontre d'une prise en compte des souhaits de ces personnes'et que, dans ce cas, l'intégration des personnes protégées doit relever d'autres types de mesures.

L'application de sanctions contre des personnes procédant à des mouvements secondaires peut également être discutée : ce type de mesure souligne que les demandeurs d'asile n'ont pas seulement des droits, mais aussi des obligations à l'égard des Etats membres qui les accueillent. Cependant, les migrants ne sont pas toujours seuls responsables des mouvements secondaires, certains Etats membres (Italie, Grèce) qui n'avaient pas toujours la capacité et/ou la volonté de les enregistrer et de les retenir chez eux ayant assez ouvertement laissé s'organiser leur transit vers d'autres Etats. Or, les conséquences pour les demandeurs d'asile de l'application de cette approche de "no registration no rights" apparaissent particulièrement lourdes. Il est en effet plus difficile d'organiser sa défense dans une procédure d'asile présumée infondée si l'on n'a pas accès aux conditions matérielles d'accueil (ce qui signifie parfois vivre dans la rue).

En outre, on peut s'interroger sur la portée de l'engagement de tous les Etats membres dans un processus d'harmonisation plus poussée du régime d'asile européen commun. Ceux qui reçoivent beaucoup de demandeurs d'asile sont bien sûr demandeurs de cette harmonisation, afin d'obtenir une répartition plus équilibrée des personnes en quête de protection. Mais les Etats membres qui se savent moins attractifs sont moins demandeurs d'harmonisation. Ainsi, la Commission a renoncé à harmoniser via un règlement les règles d'accueil des demandeurs d'asile et les critères de qualification à l'asile, la tâche paraissant insurmontable. Anticipant cette difficulté, certains Etats membres attractifs pour les migrants et demandeurs d'asile (Allemagne, Suède, Autriche, Danemark, notamment) sont d'ailleurs engagés dans des processus de révision à la baisse de leur système national d'asile, afin de le rendre moins attractif (conditions d'accueil moins favorables, durcissement des regroupements familiaux, raccourcissement de la durée de la protection accordée, etc.). L'attachement des Etats membres à leur droit souverain d'accorder ou non l'asile crée également chez eux des résistances à l'établissement d'une Agence européenne de l'asile qui interférerait dans ce droit en cherchant à harmoniser leur pratique de l'asile.

Enfin, il faut souligner qu'une harmonisation complète des règles européennes de l'asile ne pourrait résoudre à elle seule le problème des mouvements secondaires de personnes en quête de protection, qui s'explique aussi par l'existence de diasporas établies et par l'attractivité économique variable des Etats membres.

2. Identifier aussi rapidement et sûrement que possible les personnes ayant vraiment besoin d'une protection internationale

En 2015 en effet, 52% des personnes qui ont sollicité l'asile ont été considérées admissibles à la protection internationale dès la première instance, et 14% en appel, ce qui signifie aussi que 30 à 40% des demandes d'asile ont été jugées infondées[24].

2.1. Tirer les leçons

Pour identifier rapidement et sûrement les personnes à protéger, il faudra sans doute tirer des leçons du fonctionnement des hotspots mis en place en Grèce. Centres ouverts jusqu'au 20 mars 2016, ils n'ont pas attiré les migrants, qui préféraient poursuivre leur chemin vers l'Allemagne ou la Suède, sans que les autorités grecques les retiennent. Peu soutenus également par les autres Etats membres, ils n'ont pas joué le rôle qui leur était assigné d'identifier des personnes en besoin manifeste de protection et de contribuer à leur relocalisation vers d'autres Etats membres. Devenus des centres fermés après le 20 mars 2016 dans le cadre de la déclaration UE-Turquie, ils sont critiqués, y compris par le HCR[25], parce qu'ils imposent aux demandeurs d'asile une rétention excédant les motifs prévus par la directive " accueil "[26] ; engorgés, ils offrent des conditions de vie peu dignes aux personnes qui s'y trouvent, et qui, désormais cependant, sollicitent massivement la protection internationale. Pour tenter de les désengorger, la Grèce a raccourci sa procédure d'asile à 14 jours, ce qui laisse peu de temps aux personnes pour étayer leur demande d'asile. Enfin, toujours pour désengorger les hotspots, il faudrait que les personnes dont la demande d'asile a été rejetée soient éloignées aussi vite que possible vers leur pays d'origine ou bien vers un pays de transit (la Turquie, dans le cadre de l'accord UE-Turquie). Les risques d'erreurs, dont les conséquences peuvent être graves, sont loin d'être nuls.

2.2. L'accélération des procédures d'asile et le développement des cas d'irrecevabilité soulève des débats quant à l'évolution de la qualité du régime d'asile européen commun

L'accélération des procédures d'asile, qui n'est pas une nouveauté[27], se justifie par l'idée que lorsqu'une demande d'asile est présumée infondée, par exemple du fait que la personne est ressortissante d'un pays d'origine sûr, il faut éviter qu'elle encombre le système d'asile d'un Etat membre au détriment d'autres demandes plus légitimes. La procédure accélérée n'empêche pas un examen individuel et au fond de la demande d'asile mais réduit de facto les possibilités pour la personne d'organiser sa défense.

Dans la proposition de la Commission d'une liste commune de pays d'origine sûrs, cette présomption s'appliquerait aux ressortissants des pays des Balkans occidentaux, pour lesquels le taux d'admission à l'asile apparaît faible en 2015 (0,9 % à 7,8 % en première instance en 2014[28]). Mais elle s'appliquerait aussi pour les ressortissants turcs, dans un contexte où l'évolution de la démocratie turque apparaît préoccupante[29]. Des débats au Parlement européen sont donc attendus sur cette question, ainsi que, le cas échéant, des recours devant les cours européennes (CEDH et CJUE).

Par ailleurs, la proposition de révision du règlement Dublin (art 3.3) prévoit de rendre obligatoire un examen de la recevabilité de toutes les demandes d'asile au regard des notions de premier pays d'asile et de pays tiers sûr. Dans ce cas, la personne bénéficie toujours d'un examen individuel de sa demande d'asile, et d'un droit de recours, mais qui porte seulement sur la question de la protection que peut lui accorder le pays tiers sûr ou de premier asile, et non sur le fond de sa demande d'asile, c'est-à-dire sur ses craintes vis-à-vis de son pays d'origine. Jusque-là, ces notions de premier pays d'asile ou de pays tiers sûr n'ont été qu'optionnelles et un certain nombre d'Etats membres ne les ont pas transposées. La proposition d'en faire un critère commun obligatoire de recevabilité des demandes d'asile conduirait à restreindre drastiquement le champ de la protection internationale dans l'Union européenne, n'y étant examinées au fond que les demandes de personnes dont l'Union estimerait qu'elles ne peuvent être protégées de manière suffisante dans d'autres pays tiers. Il s'agirait ici d'une généralisation de la logique ayant présidé à la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, qui est déjà contestée devant la Cour européenne des droits de l'Homme et la Cour de justice de l'Union européenne, la qualification de la Turquie en tant que premier pays d'asile et pays tiers sûr apparaissant discutable[30]. Cependant, elle apparaît en phase avec un contexte politique européen dans lequel des partis populistes anti-immigrés accèdent à des responsabilités politiques de plus en plus élevées ou s'en rapprochent (Danemark, Pologne, Hongrie, Autriche, notamment). Les enquêtes d'opinion révèlent également que l'immigration de personnes issues de pays extérieurs à l'Union européenne évoque un sentiment négatif à 56% des personnes interrogées en mai 2015 (59 % en novembre 2015)[31]. Si l'on ajoute à ces mesures de resserrement de l'accès à la protection internationale dans l'Union celles qui tendent à réduire les conditions d'accueil (sanction des mouvements secondaires, accès plus difficile à des titres d'asile de longue durée), on comprend que l'Union européenne est disposée à réduire la qualité de son régime d'asile européen commun. Il s'agit en effet de le rendre moins attractif que ceux des pays du voisinage, dont certains (Tunisie, Jordanie, Liban) ne sont pas signataires de la convention de Genève ou ont posé certaines réserves à cette convention (Turquie), afin de décourager les arrivées en Europe. Ainsi, les convergences entre Etats membres apparaissent plus fortes pour réduire le régime commun actuel et chercher à externaliser le traitement de l'asile que pour rechercher des solutions fondées sur la solidarité entre Etats membres. Cependant, les questions de protection pourront-elles être mieux gérées dans les pays tiers ?

III. Stabiliser les personnes en quête de protection au plus près de leur pays d'origine ?

Depuis 2005, l'Union européenne soutient des programmes de protection régionaux (PPR), notamment en Afrique du Nord (Libye, Tunisie et Égypte) qui visent à soutenir les systèmes d'asile de pays tiers situés à proximité de zones de conflit. La nouvelle génération 2015-2016 de ces programmes, au Proche-Orient, en Afrique du Nord et dans la Corne de l'Afrique vise à combiner approche humanitaire et de développement, afin de soutenir les capacités d'accueil des communautés hôtes et l'autonomisation des réfugiés. L'idée est en effet qu'en s'intégrant, les réfugiés puissent contribuer au développement de leur pays hôte[32]. Ces préoccupations se retrouvent également dans l'aide européenne aux pays de la route des Balkans occidentaux (1 milliard € promis)[33], aux pays voisins de la Syrie (Turquie, Liban, Jordanie), mais aussi dans le plan d'action UE-Turquie sur les migration (6,5 milliards € depuis 2011 et 6 milliards € promis d'ici 2018)[34] et dans celui adopté à l'issue du Sommet de La Valette de novembre 2015 (1,9 milliard € promis)[35]. Plus globalement, cette approche s'affirme dans la communication de la Commission sur la dimension externe de la politique migratoire et d'asile européenne[36], qui envisage des financements accrus en faveur des pays tiers qui s'engagent à la soutenir. Plus structurellement encore, l'Union européenne cherche à développer une " approche intégrée " visant à traiter les causes profondes des migrations forcées, notamment par des actions de prévention et de résolution des conflits à l'origine des flux de personnes en quête de protection[37].

Cette approche se justifie par l'idée que les personnes en quête de protection n'ont pas choisi de venir jusqu'en Europe, et qu'elles peuvent aspirer à rentrer dès que possible dans leur pays d'origine. De plus, stabiliser les personnes déplacées à proximité de leur pays d'origine évite qu'elles se lancent dans des voyages périlleux au travers de la mer Méditerranée.

Cependant, elle nécessite un accord des pays tiers pour accueillir plus et mieux les personnes déplacées. Or, pour les convaincre que l'accueil de migrants, dont l'Union européenne ne veut pas chez elle, va contribuer à leur développement économique, il faudra trouver des moyens de financement ou de pression très substantiels. Le risque que les pays tiers accueillant des réfugiés instrumentalisent les flux de migrants vers l'Union européenne pour obtenir de cette dernière de fortes contreparties (Cf. demandes turques de libéralisation anticipée des visas, de financements supplémentaires, d'ouverture de chapitres d'adhésion) ne peut être exclu. Au-delà, il faudra aussi s'assurer que le maintien de populations réfugiées dans des pays tiers ne déstabilise pas ces pays hôtes (Liban, Jordanie, Turquie), parfois très fragiles. Pour cela, une mobilisation de l'ensemble de la Communauté internationale sera sans doute nécessaire.

***

Réformer le régime d'asile européen commun en temps de crise migratoire et européenne pour en faire un régime plus " humain " et plus " efficace " constitue un défi majeur. La solidarité européenne montre actuellement ses limites, ce qui conduit l'Union européenne à rechercher des accords incertains avec des pays tiers. Les Etats membres sont tentés de réduire leur système d'asile pour le rendre moins attractif que ceux des voisins européens, et l'Union européenne est tentée de réduire les droits accordés dans le cadre du régime d'asile européen commun, pour diminuer son attractivité par rapport aux systèmes d'asile des pays tiers.

Mais dans un contexte où des conflits continuent de ravager le voisinage de l'Union et où les conditions de vie dans les pays situés à proximité des zones de crise restent très précaires, les flux de migrants et de réfugiés vers l'Europe pourraient bien perdurer. Après n'avoir affecté dans un premier temps que quelques Etats membres de première entrée et de première destination, ils pourraient bien, dans un second temps, concerner un plus grand nombre d'Etats membres, sous l'effet d'une modification des routes migratoires ou bien de flux migratoires " secondaires ".

C'est pourquoi il pourrait être utile que les Etats membres regardent au-delà de leurs intérêts immédiats (comptabilité des réfugiés à accueillir, prochaines élections), et perçoivent les bénéfices de plus long terme d'une approche plus solidaire : au-delà du partage de l'accueil des migrants et réfugiés, c'est la confiance mutuelle qui pourrait être restaurée, et c'est l'esprit de la construction européenne, ses valeurs et son sens qui seraient redynamisés.


[1] : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que son auteur.
[2] : Règlement " Dublin " 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement 1077/2011 portant création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (refonte). Règlement 603/2013 du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales des personnes entrées irrégulièrement dans l'UE.
[3] : Directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale (refonte).
[4] : Directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.
[5] : Directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011 dite " qualification " concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).
[6] : Commission européenne, Vers une réforme du régime d'asile européen commun et une amélioration des voies d'entrée légale en Europe, COM(2016) 197 final, 6 avril 2016
[7] : L'OIM recense 3 771 décès de migrants dans la Méditerranée en 2015.
[8] : Commission européenne, Communication sur l'état d'avancement de la mise en œuvre des actions prioritaires prévues par l'agenda européen en matière de migration, COM(2016) 85 final, 10 février 2016.
[9] : UNHCR , Central Mediterranean See Initiative, Discours d'ouverture du débat sur la migration en séance plénière du Parlement européen par le Commissaire Dimitris Avramopoulos, 25 novembre 2014 ; Commission européenne, op.cit., COM(2016) 197 final.
[10] : Il s'agit de nationalités dont plus de 75% des demandeurs d'asile sont admis à l'asile dans l'Union européenne.
[11] : Commission européenne, Commission RecommendationRecommandation de la Commission relative à l'établissement d'un programme d'admission humanitaire volontaire en association avec la Turquiefor a voluntary humanitarian admission scheme with Turkey, COM(2015) 9490, 15 décembre 201511 janvier 2016.
[12] : IOM, Mediterranean Sea, Data of Missing Migrants, Recorded deaths in the Mediterranean by month, 2014 - 2016
[13] : Position du HCR sur l'accord UE-Turquie ; Et Guntram/Wolff, "Making the EU-Turkey refugee deal work", 11 avril 2016.
[14] : FRONTEX, "Trends and routes 2015", http://frontex.europa.eu/trends-and-routes/
[15] : EUROSTAT, Nombre record, de plus de 1,2 million de primo-demandeurs d'asile enregistrés en 2015, 4 mars 2016.
[16] : Décisions (UE) 2015/1523 du Conseil du 14 septembre 2015 et UE) 2015/1601 du Conseil du 22 septembre 2015 instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale au profit de l'Italie et de la Grèce.
[17] : European CommissionCommission européenne, Troisième rapport sur la relocalisation et la réinstallationThird report on relocation and resettlement, COM(2016) 360 final, 18 mai 2016.
[18] : Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil établissant un mécanisme de relocalisation en cas de crise et modifiant le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, COM(2015) 450 final, 9 septembre 2015.
[19] : Commission européenne, Proposition pour un Règlement établissant les critères et les mécanismes pour déterminer l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale déposée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ou une personne apatride (refonte), COM(2016) 270 final, 4 mai 2016.
[20] : Eurostat, les États membres de l'UE ont accordé en 2015 la protection à plus de 330 000 demandeurs d'asile - 20 avril 2016.
[21] : Commission européenne, Proposition de règlement établissant une liste commune de l'Union de pays d'origine sûrs aux fins de la directive 2013/32/UE relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale, et modifiant la directive 2013/32/UE, COM(2015) 452 final, 9 septembre 2015.
[22] : Cf. articles 35 et 38 de la directive " procédures " (2013/32/UE).
[23] : Moraga (Jesus Fernandez-Huertas) et Rapoport (Hillel), " Tradable Refugee-Admission Quotas and EU Asylum Policy ", l'Institute for the Study of Labor, IZA, DP N° 8683, novembre 2014. EASO, Fact finding report on intra-EU relocation activities from Malta, juillet 2012.
[24] : Eurostat 20 avril 2016.
[25] : Pour le HCR, les hotspots sont devenus des centres de détention ", Le Monde, le 22 mars 2016. Le HCR redéfinit son rôle en Grèce après l'entrée en vigueur de l'accord UE-Turquie.
[26] : L'art 8 de la directive " accueil " (2013/33/UE) ne prévoit le recours à la rétention que " lorsque cela s'avère nécessaire et sur la base d'une appréciation au cas par cas (et ...) si d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées "
[27] : Cf. art 31§8 de la directive " procédures " 2013/32/UE du 26 juin 2013.
[28] : "Une liste 'des pays d'origine sûrs' de l'UE ", 9 septembre 2015.
[29] : En 2015, le taux d'admission à l'asile de ressortissants turcs dans l'UE était de 23%. Parlement européen, " Turquie: la démocratie et les droits fondamentaux doivent être des priorités, affirme la commission des affaires étrangères ", communiqué du 11 mai 2015. Et : " En Turquie, on musèle les chiens de garde de la démocratie ", Le Monde, 14 novembre 2015.
[30] : La Turquie est signataire de la convention de Genève, mais applique une réserve géographique excluant les non-Européens du bénéfice de cette convention. Si elle a révisé sa loi sur l'asile début 2016 pour permettre aux Syriens de bénéficier d'une protection " temporaire " renouvelable, accéder au marché légal du travail, et scolariser leurs enfants, elle ne permet qu'à un très petit nombre de non-Syriens - Irakiens, Erythréens, Somaliens notamment- d'accéder à une protection " conditionnelle " moins protectrice.
[31] : L'Opinion publique dans l'Union européenne, Eurobaromètre Standard 83 et Standard 84
[32] : Cf. Commission européenne, Communication Vivre dignement: de la dépendance vis-à-vis de l'aide à l'autonomie COM(2016) 234 final, 26 avril 2016.
[33] : Déclaration issue de la conférence de haut niveau sur la route de la Méditerranée orientale et des Balkans occidentaux Declaration of the High-level Conference on the Eastern Mediterranean - Western Balkans Route, communiqué du Conseil 714/15,08/10/2015.
[34] :  Avec plus de 6,5 milliards € d'aide humanitaire, d'aide au développement, d'aide économique et d'aide à la stabilisation alloués collectivement depuis 2011, l'UE et ses États membres constituent le principal donateur dans la réponse apportée par la communauté internationale à la crise syrienne. Cf. Commission européenne, " L'UE adopte un nouveau train de mesures de plus de 200 millions € pour aider un million de réfugiés syriens en Turquie, en Jordanie et au Liban ", Communiqué de presse, 22 juin 2016 : Conseil européen, Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016.
[35] : Plan d'action, Sommet de La Valette de 2015 sur la migration, 11-12 novembre 2015.
[36] : European CommissionCommission européenne, Communication relative à la mise en place d'un nouveau cadre de partenariat avec les pays tiers dans le cadre de l'Agenda européen en matière de migrationon establishing a new Partnership Framework with third countries under the European Agenda on Migration, COM(2016) 385 final, 7 juin 2016.
[37] : Conclusions du Conseil " affaires étrangères " du 23 mai 2016.

Directeur de la publication : Pascale Joannin

Vers quelle réforme du régime d'asile européen commun s'oriente-t-on ?

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