Élections en Europe
Corinne Deloy,
Pascale Joannin
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Pascale Joannin
Les Néerlandais ont rejeté le traité d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine le 6 avril lors d'un référendum consultatif. Seuls 38,21% ont voté " oui " à cette consultation populaire qui a peu mobilisé, seulement 32,38% des Néerlandais. Mais cette faible participation est néanmoins légèrement supérieure au quorum de 30% qui était requis pour valider le référendum. Six votants sur dix (61%) ont répondu " non " à la question " Approuvez-vous l'accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine ? ".
L'accord UE-Ukraine
Le traité d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine[1], signé en mars 2014 pour son volet politique et en juin 2014 pour son volet commercial, a pour but le renforcement du dialogue politique et des échanges économiques et commerciaux entre les deux parties. Il a constitué un élément déclencheur de la révolution ukrainienne de l'hiver 2013. L'annonce lors du sommet du Partenariat oriental à Vilnius (novembre 2013) du refus de signer l'accord négocié par le président ukrainien de l'époque Viktor Ianoukovitch, avait déclenché des manifestations qui ont entraîné la destitution et à fuite calamiteuse de ce dernier en février 2014.
Le texte de cet accord a été voté par le Parlement ukrainien et par le Parlement européen le même jour symboliquement le 16 septembre 2014, et ratifié depuis par 27 Etats membres de l'Union européenne, tous sauf les Pays-Bas. L'Accord est appliqué à titre provisoire depuis le 1er novembre 2014 pour son volet politique et depuis le 1er janvier 2016 pour son volet commercial.
La Chambre des Etats généraux (Tweede Kammer der Staten-Generaal), chambre basse du Parlement néerlandais, a ratifié l'accord le 7 avril 2015 à une forte majorité de 119 voix (74%) contre 31, et le Sénat (Eerste Kamer), chambre haute du Parlement, a fait de même le 7 juillet 2015, là encore avec une forte majorité, de 55 voix (63%) contre 20. Le Roi Willem-Alexander des Pays-Bas l'a promulgué le 8 juillet 2015[2].
Pourquoi un référendum ?
Cependant, une loi entrée en vigueur le 1er juillet 2015 aux Pays-Bas permet d'exiger l'organisation d'un référendum consultatif sur un texte législatif dès lors que l'on recueille au moins 300 000 signatures d'électeurs en ce sens. Trois organisations eurosceptiques (le collectif GeenPeil qui regroupe deux Think tanks et le site internet www.GeenStijl.nl) sont parvenues à rassembler 470 000 signatures en faveur de la tenue d'une telle consultation que les autorités néerlandaises ont donc été contraintes d'organiser.
Il faut ici se poser la question des effets de cette nouvelle disposition juridique qui permet de remettre en cause un vote exprimé par les représentants élus du peuple (démocratie représentative) avec un seuil qui ne peut laisser que songeur et dubitatif. On avait raillé en son temps la majorité nécessaire requise pour l'indépendance du Monténégro de la Serbie fixée à 55% ! On pourrait faire de même dans le cas néerlandais avec ce seuil de 30% ! Si l'on ramène le nombre de votants au corps électoral du pays, on s'aperçoit qu'une minorité (moins de 20%) peut bloquer, au nom de la démocratie participative, la majorité issue des urnes.
De fait, les Pays-Bas se retrouvent, tels les arroseurs arrosés, dans une position très délicate et inconfortable. Car non seulement dans le cas d'espèce cela pose un problème au gouvernement néerlandais (on se doute bien que c'était l'un des objectifs des initiateurs du référendum) mais cela concerne un accord européen avec un Etat tiers (l'Ukraine), lui-même en conflit avec un autre Etat tiers (la Russie). Cela dépasse la seule scène politique intérieure néerlandaise.
Les motivations du vote " non "
La grande majorité des partis politiques avaient appelé à voter " oui " : les deux membres de l'actuelle coalition gouvernementale - le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) du Premier ministre Mark Rutte et le Parti du travail (PvdA) dirigé par Diederik Samsom –, mais également l'Appel chrétien-démocrate (CDA), l'Union chrétienne (CU), les Démocrates 66 (D66), la Gauche verte (GL) et le Parti politique réformé (SGP).
Le Premier ministre Mark Rutte a répété que l'accord était "bon pour les Pays-Bas" et que " l'Ukraine n'avait pas vocation à entrer dans l'Union européenne ". Sans convaincre.
Il avait également indiqué, dans un entretien avec le quotidien Algemeen Dagblad, que le traité était essentiellement commercial même s'il concernait également la lutte contre la corruption, la construction d'un Etat de droit et la stabilité aux frontières de l'Europe. " Qui n'est pas pour davantage de stabilité ? " s'était interrogé le chef du gouvernement néerlandais.
Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires sociales et de l'Emploi, Lodewijk Asscher (PvdA), avait assuré que l'accord d'association était favorable à l'Ukraine comme aux Pays-Bas. " Ce vote porte sur l'Ukraine, il existe d'autres moyens d'exprimer vos sentiments contre l'Union européenne " avait-il déclaré, tentant d'éviter que les eurosceptiques utilisent le référendum pour exprimer leur hostilité à Bruxelles. En vain.
A l'inverse, le Parti pour la liberté (PVV), le Parti socialiste (SP), Pour les Pays-Bas (VoorNederland, VNL) et le Parti des animaux (PvdD) avaient fait campagne pour le " non ".
" Il semble que les Néerlandais ont dit " non " à l'élite européenne et " non " au traité avec l'Ukraine. Il s'agit d'une motion de défiance du peuple contre les élites de Bruxelles et de La Haye qui est le début de la fin de l'Union européenne " a affirmé Geert Wilders (Parti pour la liberté, PVV), l'un des principaux opposants au texte.
Les opposants ont mis en avant la corruption sévissant en Ukraine (le référendum est intervenu trois jours après la publication des "Panama papers" dans lesquels figurent des personnalités ukrainiennes dont le président Petro Porochenko), la nature autoritaire du pouvoir de Kiev, les difficiles tractations pour former un nouveau gouvernement, la mauvaise situation économique, mais surtout leur refus de voir l'Ukraine adhérer un jour à l'Union européenne et leur crainte d'un conflit avec la Russie.
Une partie des Néerlandais sont encore traumatisés par l'explosion le 17 juillet 2014 dans la région de Donetsk (Est de l'Ukraine) du vol MH17 de Malaysia Airlines qui reliait Amsterdam à Kuala Lumpur. La grande majorité des 297 morts de cette catastrophe, dont la responsabilité a été attribuée aux forces pro-russes et à Moscou par l'opinion, étaient de nationalité néerlandaise.
Les opposants au texte européen ont surtout manifesté leur hostilité à Bruxelles. Arjan van Dixhoorn, historien, l'un des dirigeants de la campagne contre le traité d'association, l'a d'ailleurs explicitement indiqué : "l'Ukraine nous est égal ", ajoutant " Un référendum sur la sortie de l'Union européenne n'a pas été possible jusqu'à présent, c'est pourquoi nous utilisons toutes les options dont nous disposons pour mettre les relations futures entre les Pays-Bas et Bruxelles sous pression .
" Nous estimons qu'il est temps que quelqu'un tire la sonnette d'alarme pour la démocratie. Bruxelles veut trop et trop vite (...) Il faut que les citoyens puissent peser sur ce qu'il se passe à Bruxelles " a indiqué Bart Nijman, membre de GeenPeil, l'une des trois organisations eurosceptiques à l'origine du référendum.
Pour certains Néerlandais, ce référendum constitue le premier pas vers un éventuel " Nederxit ", soit la sortie des Pays-Bas de l'Union européenne. " Le référendum est un choc entre le peuple et l'élite des Pays-Bas, la population ukrainienne n'y joue qu'un rôle secondaire " a résumé le politologue René Cuperus.
Les résultats définitifs ont été annoncés par la commission électorale centrale le 12 avril[3].
Comment les Pays-Bas peuvent-ils se sortir de ce mauvais pas ?
L'Accord UE-Ukraine doit être ratifié par les 28 Etats membres pour avoir pleine force légale. Pour autant puisqu'il était déjà entré en application en ce concerne, par exemple, l'abaissement des droits de douane entre l'Union européenne et l'Ukraine, mais aussi la coopération en matière d'énergie ou de développement durable, il continuera à s'appliquer du moins provisoirement, le référendum ne le suspendant pas. Et cela peut même durer plusieurs années.
Mais les questions ouvertes par cette procédure inédite pour finaliser la ratification du dernier Etat membre de l'Union européenne ne laissent pas entrevoir de solution évidente dans l'immédiat.
En effet, selon le Premier ministre néerlandais Mark Rutte (Parti populaire pour la liberté et la démocratie, VVD) le 6 avril au soir, " l'accord d'association ne peut être ratifié dans sa forme actuelle "
Si le référendum n'est pas contraignant, le gouvernement néerlandais ne peut toutefois ignorer ce résultat qui devrait conduire à un nouvel examen de l'accord d'association devant le Parlement[4]. Ce sera le cas le 13 avril prochain. " Le "non" néerlandais à un accord entre l'Union européenne et l'Ukraine sera débattu à la chambre basse du parlement " a annoncé le 8 avril le Premier ministre, évoquant l'entrée de son pays dans des "eaux inexplorées". "Il s'agit là d'un processus complexe et d'un tout nouveau phénomène qui ne s'était jamais produit jusqu'à présent. Cela pourrait encore prendre du temps. C'est tout ce que je peux en dire pour le moment", a-t-il affirmé lors de sa conférence de presse hebdomadaire.
Mais la seule consultation du Parlement ne sera pas suffisante.
Hasard du calendrier, le pays - qui préside actuellement le Conseil de l'Union européenne jusqu'au 30 juin prochain - doit aussi négocier avec ses partenaires européens qui ont, tous, ratifié l'accord.
Le Premier ministre néerlandais pourrait sans doute négocier l'ajout d'un protocole additionnel stipulant que cet accord ne constitue pas une première étape vers une adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne ou que la lutte contre la corruption est une priorité. Il pourrait suggérer de bénéficier aussi d'un " opt-out ". Il pourrait demander à Bruxelles, avec l'accord du Parlement européen, des aménagements, avec des clauses spécifiques pour le pays : la possibilité, par exemple, de se soustraire à certaines parties de l'accord et/ou demander la suppression de certaines clauses comme le paragraphe concernant une coopération militaire plus grande. Les Pays-Bas pourraient vouloir conserver les aspects commerciaux de l'Accord tout en abandonnant le renforcement du dialogue politique.
Tout cela prendra vraisemblablement du temps car devant être négocié à la fois avec ses 27 partenaires européens et avec l'Ukraine. Le président ukrainien Petro Porochenko a d'ailleurs estimé le 7 avril que ce vote posait un problème interne aux Pays-Bas et ne remettait pas en cause l'accord UE-Ukraine[5].
Mais la problématique est plus profonde encore. Toutes ces considérations juridiques très alambiquées sont politiquement dangereuses. Car, l'un des effets du résultat de ce référendum est de fragiliser la position de l'Europe vis-à-vis de Moscou et de renforcer le président russe Vladimir Poutine qui, furieux de ce rapprochement entre l'Union européenne et l'Ukraine, n'a eu de cesse de s'y opposer.
Quatre mois après le " non " des Danois à une participation de leur pays aux programmes européens de sécurité par 53,1%, lors du référendum du 3 décembre 2015, le " non " néerlandais marque le début d'une nouvelle crise à gérer pour Bruxelles et ce à moins de 3 mois du référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne prévu le 23 juin.
Mais pour les Pays-Bas, la présente situation politique est autrement périlleuse à quelques mois d'élections législatives qui doivent impérativement se tenir avant mi-mars 2017.
[1]http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:22014A0529(01)&from=FR
[2] https://www.eerstekamer.nl/9370000/1/j9vvhwtbnzpbzzc/vjvzbjbj1kzm/f=y.pdf
[3]https://www.kiesraad.nl/en/news/announcement-results-referendum-association-agreement-ukraine
[4]https://www.government.nl/latest/news/2016/04/07/advisory-referendum-–-reaction-dutch-government
[5]http://www.president.gov.ua/en/news/komentar-prezidenta-z-privodu-poperednih-rezultativ-referend-36963
Directeur de la publication : Pascale Joannin
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